Richard
Gotainer: Mots, gags et gimmicks
Fils de pub: s'il est
un métier qui a su user, voire abuser du jeu de mots, c'est bien la publicité, et l'on
ne compte plus les chanteurs qui y vont ou qui en reviennent, comme, last but not least,
Vincent Baguian évoqué par ailleurs dans ce numéro. Richard Gotainer, deus ex machina
du gimmick verbal, athlète de l'allitération et as de l'assonance devant l'éternel
(c'est à dire son compositeur Claude Engel), en est, lui, le pionnier ("homme de
chansons avant que de pub", précise-t-il), au point qu'on prétend même qu'il amena
un jour dans une agence un bouc au lieu d'un book (ce n'est en fait qu'une légende, mais
tellement séduisante!). |
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Inventeur -voire réinventeur- de
mots breveté ("La tête en croix dans mes chaussons j'aspirais fort à
l'allongeade", "La décalcobargie", "mettre le coeur en
calanche", "beaknitre", "Le béquillard des bois"...), dont les
chansons fourmillent d"'anacoluthes, coloquintes, protozoafres, ornithorinques,
doryphores, ostrogoths, anthropopithèques, cacatoès, baobabs, boubous, grigris,
cloportes, macaques, babouins, sagouins, grognons, sapajous, étamines, mandibules, lazzi,
arguties, ouistitis, califes, dahut, babouches, papooses, chilums, toupies, rotoplos,
hydrocarbures, ophicléides, yoyos, diabolos" (mais pas de raton laveur), ainsi que
d'une incroyable ménagerie domestique (frigos, pelochons, biscottes, kaouas, parkas,
camemberts, scooters, bigoudis, mousselines, purées, frichtis, coulis, mirontons,
fricassées, fricandeaux, barigoulettes, tartes et tourtes, ballotines, grenadins,
marinades, estouffades...), il a fait le pont entre ses deux univers professionnels,
passant au filtre de son vocabulaire débridé notre quotidien le plus terre-à-terre, ces
petits moments de la vie, qui deviennent sous sa loupe fantastiques, exotiques, parfois
surréalistes: de l'heure du réveil ("Pelochon blues") à celle du coucher
("Caféine") en passant par les repas et en-cas ("Goodbye marmite",
"Tueurs de frigos"), les vacances ("Sur la route encore", "Les
aoûtats"), rien n'échappe à ce zinzin de la fantaisie qui "veut laisser
tomber des mots dans les puits pour en inventer l'écho l'écho" ("Tou
fou") et fait allégrement rimer bonhomie et bonne amie, cachet et cache-nez,
lunettes et lorgnettes, macaque et canaque, boubouches et nounouches et cookies et
nyoukys; au point qu'on se demande si ce sont les idées ou les mots eux-mêmes qui
l'inspirent le plus: femmes à lunettes, l'automodébile, Le moustique, Tou fou, Le
Youki...
Quant aux "jeux de mots" proprement dits, même s'il s'en défend un peu, il
sont aussi au rendez-vous de ses délires verbaux: "Les gros bras constrictors",
"Je m'éveille en douleur", "Femmes à lunettes/ Doit y avoir anguille sous
rocher", "Petit moka tu m'as moulu/ Je suis moulu je suis foutu",
"Capitaine Hard rock", "In your lovely detresse", "Salut
l'artiche/ Macache pépètes", "La pépie qui t'a", "Les accidents de
train-train", "L 'automodébile", les quatre derniers étant extraits de
son dernier album "Elle est pas belle la vie?" (1995) qui en recelait de fameux.
Et le prochain promet déjà. Pour tous ceux qui l'ont vu naguère au Café de la Gare
avec un certain Coluche, cela n'a rien d'étonnant... PS. En attendant la sortie de son
prochain disque à la rentrée, vous pouvez encore le voir au cinéma aux côtés
d'Antoine De Caunes dans "La divine poursuite" de Miche Deville.
LES MOTS EN BOUCHE: UNE AFFAIRE DE GOURMANDISE
"C'est le bruit
typique
Le bruit de la bête qui pique
C'est le bruit qui pique typique au moustique...
... J'épie la musique typique au moustique" |
"La pub m'a obligé à avoir beaucoup de rigueur dans le
"timing" des choses: quand on n 'a que trente secondes pour s'exprimer, on n 'a
pas intérêt à être hors-sujet! Il faut être précis, taper à chaque coup. Mais je
chantais avant de faire de la pub!
Moi, je n 'aime pas trop les calembours, c'est comme le poil à gratter, il faut bien
le placer, sinon...! En revanche j'aime bien jongler avec les vocables, faire du ping pong
avec eux, à la fois des jeux de mots et de sens, et si possible des chassés-croisés en
trois dimensions, comme dans "Salut l'artiche". Car il faut réhabiter les mots,
les faire sonner en les mettant dans un contexte inhabituel, leur donner une saveur
particulière en les déplaçant: c'est de la gourmandise, j'apprécie les mots
succulents, truculents comme "poireau", par exemple! Et la langue française est
si riche en nuances, on peut tout exprimer! Je fréquente donc beaucoup le Robert en 7
volumes, et quand je dois évoquer dans une chanson un univers particulier, je me fais une
"palette de mots", un inventaire de tout ce qui peut se dire sur le sujet, par
analogie etc. Etant assez bavard quand j'écris (j'aime bien les chansons-listes,
foisonnantes, à énumération), je veux que ce soit riche, qu'il y ait du choix, et je
dois donc "fréquenter beaucoup de mots". L'exercice tient un peu des mots
croisés: je tourne tout cela dans ma tête, comme une huître qui fait sa perle,
l'écriture devient alors une obsession totale, et j'ai d'ailleurs l'impression que
"la chanson s'écrit toute seule". Mais si elle ne démarre pas dès le premier
élan, j'ai du mal à la reprendre.
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Le mot
permet de désamorcer plein de choses, de se moquer de soi-même à travers les autres,
comme dans "L 'automodébile". A ce propos, étant amateur de machines à
vapeur, j'avais écrit un jour une chanson intitulée "Soupape", et je m'étais
pour cela plongé dans un ouvrage de mécanique générale de 1896, notant des termes
techniques etc, de sorte que ma chanson était crédible. Ma machine fonctionnait
vraiment! Sur le dernier album, j'ai aussi fait un titre. "Goodbye marmite", où
j'ai dévoré plein de bouquins de cuisine pour trouver les termes exacts. |
J'aime également créer des mots, comme "L'allongeade", "mettre le
coeur en calanche"... Et puis les exercices de style où je fais sonner le français
comme une langue étrangère (rire)! C'est de le cas de trois titres de mon dernier album
"Les aoûtats", "Nadine à Oupé" et "La pépie qui t'a",
qui s'inscrit dans la lignée de Boby Lapointe, un peu comme naguère "Le
moustique". Dans "Maman flashe et papa flippe", j'avais déjà fait un clin
d'oeil à Trénet. J'aime bien aussi Queneau, Vian, Nougaro, qui m'a qualifié un jour de
"maitre-pitre", et Boris Bergman qui est à mes yeux un véritable magicien des
mots.
CHAHUTER LES MOTS, LES FAIRE BRILLER POUR QUE "ÇA SONNE"
Pour que les mots "portent", ils doivent être neufs, brillants: si je dois
dire "je t'aime" en chanson, phrase on ne peut plus banale, je vais essayer de
le formuler autrement ou bien de chahuter le mot, de l'entourer d'un autre vocable
inhabituel qui va le faire briller. Ou alors j'écrirai... "Je t'aime salope",
ce qui change tout (rire)!
La rime, c 'est un rendez-vous important, le mot y est placé comme dans un écrin.
L'essentiel, c'est que ça sonne. Il y a aussi les rimes internes. Je n 'aime pas qu'il y
ait un pied de trop, par exemple. Pendant des années, je me suis refusé au dictionnaire
de rimes, mais il permet tout de même de "rebondir" plus facilement: tu y
trouves rarement ce que tu cherches, mais cela déclenche des associations d'idées. Et
puis il te permet de ne pas chercher en vain: il n'y a par exemple qu'une rime à
"absurde", c'est... "Kurde"! Pas beaucoup de rimes à...
"Merde" non plus! C'est comme de la plomberie, du mécano, tu sais tout de suite
que tu dois déplacer ton mot, ou en changer.
En résumé, une chanson doit avoir trois dimensions: il faut qu'elle sonne, de
manière à ce que même un Chinois puisse la comprendre, que le choc et l'entrechoc des
mots fassent une rythmique, et qu'il y ait un jeu de sens. Si tu as les trois, c'est
gagné! Et si d'aventure un jeu de mots se présente, qu'il est en situation, cela ne se
refuse pas! Mais si c'est en même temps un "bon mot", c'est encore mieux. Je
préfère jouer AVEC les mots que jouer DES mots.
Cela dit, je serais prêt aujourd'hui à prendre des cours de français pour faire une
chanson à l'imparfait du subjonctif (rire)!"
Interview P.A.
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