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Dossier Pressibus réalisé par Alain Beyrand - Adresse courte : pressibus.org/jehanne
Derrière la légende de Jeanne d'Arc
Comment Marcel Gay et André Cherpillod ont dévoilé la réalité cachée


Sommaire
  1. Introduction : ma découverte de la vérité sur Jeanne d'Arc
  2. De tous temps, il y a eu des doutes sur la légende officielle
  3. Les bases de la présente étude
  4. La certitude que Jeanne n'est pas morte sur le bûcher : elle réapparaît en 1436
  5. Comment Wikipédia et les domrémistes déforment la réalité de la survivance de Jehanne
  6. 1439, Charles VII, lui-même, reconnaît que Jeanne des Armoises est la Pucelle
  7. Que s'est-il donc passé sur le bûcher de Rouen en 1431 ?
  8. Pourquoi n'a-t-on pas voulu tuer la Pucelle sur le bûcher ?
  9. Le procès aboutissant à la condamnation à mort était-il une mascarade ?
  10. La naissance de Jeanne d'Arc, à Paris le 10 novembre 1407
  11. Les d'Arc, parents adoptifs de la Pucelle à Domrémy
  12. Jeanne à Domrémy, une fillette puis adolescente reliée à Paris
  13. Jeanne et les services secrets royaux : "l'opération Bergère"
  14. Yolande d'Aragon est-elle le "Deus ex machina" de l'opération Bergère ?
  15. La "mission" en cinq points de la Pucelle : deux succès, trois échecs
  16. La Pucelle et la maison princière d'Orléans
  17. Pourquoi Jehanne a-t-elle choisi Robert des Armoises pour époux ?
  18. Jeanne, depuis son sauvetage à Rouen en 1431 jusqu'à son décès vers 1449
  19. Ce qui reste du passage de Jehanne à Jaulny et à Pulligny
  20. La découverte du squelette de Jeanne d'Arc à Cléry Saint-André
  21. La dissimulation du squelette de Jeanne d'Arc
  22. Le livre de Poitiers recherché par Jeanne, retrouvé en 1934 puis disparu à nouveau
  23. La sexualité de la Pucelle
  24. Un portrait, un portrait robot et des possibles portraits de Jeanne
  25. Conclusion sur la personne de Jeanne : quelle fulgurance, quel caractère !...
  26. Annexe 1 : autres épisodes révélateurs de la vie de la Pucelle de France
  27. Annexe 2 : épisodes dessinés, de 1483 à 2023
  28. Annexe 3 : le portfolio Jehanne de Yetchem
  29. Annexe 4 : textes de référence
  1. Introduction : ma découverte de la vérité sur Jeanne d'Arc

    Officiellement, il n'existe qu'une seule et unique histoire de Jeanne d'Arc. Cette fillette du village lorrain ou champenois (plus exactement barrois, du duché de Bar) de Domrémy qui entend des voix mystérieuses qui lui disent de sauver le Royaume de France, assurant que son seul représentant désigné par le Dieu catholique en personne est Charles VII. Celui-ci n'est alors que le petit roi de Bourges, qui essaye de disputer à son neveu Henri VI, roi d'Angleterre, le titre de roi de France. Agée seulement de 17 ans, celle qui n'a jamais été appelée Jeanne d'Arc, mais Jeanne ou Jehanne la Pucelle ou la Pucelle de France, rencontre le roi à Chinon, parle d'égal à égal avec lui, qui l'accueille comme un sauveur. Elle devient instantanément un redoutable chef de guerre qui, en quelques mois, en 1429, bat les Anglais à plusieurs reprises et fait couronner à Reims Charles VII roi de France. Elle subit ensuite des revers, est faite prisonnière par les Bourguignons puis les Anglais, qui la brûlent vive à Rouen, en public sur un bûcher, le 30 mai 1431, à 19 ans. Fin de la légende de sa vie, qui s'est transmise de siècle en siècle jusqu'à nous.

    Les trois invraisemblances majeures de la légende Jeanne d'Arc.
    Dans le résumé que je viens de raconter, il y a des invraisemblances flagrantes. Au moins trois, marquées par l'impossibilité de répondre de façon pertinente à ces trois questions :
    1. Comment le Dieu catholique s'est-il adressé à Jeanne et en a-t-il fait son élue ?
    2. Comment une jeune provinciale du fin fond de sa campagne peut-elle parler le langage raffiné de la Cour et convaincre le roi qu'elle est capable de battre les Anglais ?
    3. Comment cette très jeune fille peut-elle se transformer en chef de guerre, en étonnant les combattants les plus aguerris ?

    Florent Massot, en sa préface du livre de Marcel Gay, part lui aussi de ces constats (==>Gay 9 10).

    J'avais, bien sûr, remarqué que la première de ces invraisemblances (commune aux autres saints et saintes...), sans vraiment pointer les deux autres. Voici comment je les ai découvertes.

    Vers 2016/2017, en zappant un soir sur les chaînes de télévision, je suis tombé sur une émission historique animée par Stéphane Bern. Elle portait sur quatre ou cinq femmes illustres du val de Loire et j'ai été happé par le cas de Yolande d'Aragon, duchesse d'Anjou, que je ne connaissais pas auparavant. Elle était la belle-mère du roi Charles VII, était d'une grande intelligence et c'est elle qui aurait ourdi le phénomène Jeanne d'Arc. Le royaume de France était en péril, il fallait un électrochoc et une vierge envoyée par Dieu éblouirait tout le monde. Yolande fit venir Jeanne à Chinon et là, elle organisa un super coup de maître, dont on parle encore dans les livres d'histoire. Le but était de convaincre la cour. Imaginez au château de Chinon, dans la grande salle, toute la cour est réunie. Chacun sait, sauf Jeanne, que Charles VII, a laissé ses habits et son apparat à un de ses proches et s'est déguisé en courtisan de second rang. Ah ah, la bonne blague, chacun s'amuse à l'avance de la méprise inévitable de la Pucelle. Mais voilà que Jeanne se détourne du faux roi et, guidée par Dieu, va droit vers Charles VII déguisé... Elle s'adresse à lui de façon fort aimable, selon les us et coutumes de la Cour. Ebahis, les courtisans ne peuvent qu'admettre que c'est vrai : elle est envoyée par Dieu ! Hé bien non, nous dit Stéphane Bern, devenu complotiste : c'est un coup monté. Yolande d'Aragon a organisé tout cela. Elle a fait rencontrer Jeanne et le roi un peu avant et ils ont mis ensemble au point ce stratagème ! Ca y est : vous savez maintenant comment a eu lieu ce tour de magie, Dieu n'y est pour rien. C'est simple finalement, rien d'extraordinaire... Même si les historiens ont abandonné cet épisode (Wikipédia aussi, en sa page Jeanne d'Arc), l'histoire enjolivée est toujours racontée sans qu'on en présente les ressorts.


    L'entourloupe médiatique de Chinon. Texte Victor Mora, dessin Victor de la Fuente, "L'Histoire de France en BD", Larousse 1977. Si Olivier Bouzy considère cette scène comme "inexacte", André Cherpillod l'estime à la fois "authentique" et "puérile" (==>Cherpillod 285). Puérile, mais terriblement efficace étant donné son retentissement...

    Cette anecdote est révélatrice de tout ce qui entoure Jeanne d'Arc : l'apparence et la réalité, la légende et l'Histoire, le merveilleux et la manipulation, se sont développés ensemble. Les historiens devraient ne s'en tenir qu'aux faits, pourquoi préfèrent-il s'accrocher à la légende ?

    Pour revenir à Stéphane Bern, il n'en disait pas plus, alors que je voulais plus de détails encore. Jusqu'où Yolande d'Aragon était-elle allée dans la préparation de la secrète opération Pucelle ? J'ai donc fait une recherche sur la Toile et je suis tombé sur un site extraordinaire, jeannedomremy.fr, "Les secrets de Jeanne". Et là tout est expliqué, ou presque, avec plein de détails. Les points 2. et 3. indiqués précédemment y sont mis en exergue et, comme pour l'épisode de Chinon, on comprend les mécanismes des tours de magie...

    On comprend que Jeanne d'Arc n'est pas morte sur le bûcher et qu'elle a continué à vivre sous le nom de Jeanne des Armoises. On comprend aussi qu'elle était une demi-soeur ou une soeur de Charles VII, qu'elle avait 4 ans de plus qu'annoncé, qu'elle avait été longuement formée au métier des armes et qu'elle avait patiemment appris le langage de la Cour. Elle avait été préparée à tenir le rôle que Yolande d'Aragon lui a attribué.

    Pour le moins, il y avait là un scénario officieux qui contrebalançait l'officiel. Je gardais tout de même des réserves, car j'avais du mal à croire que les historiens les plus connus se soient fourvoyés à ce point. Le hasard voulait que mes recherches généalogiques mènent de plusieurs façons à Jeanne d'Arc. Je suis un descendant de Georges de la Trémoïlle (prononcez Trémouille), grand Chambellan de Charles VII, souvent présenté comme opposé à Jeanne d'Arc. Louis d'Orléans, le père biologique de Jeanne est un cousin issu de germain d'un de mes ascendants. Mon épouse est une descendante d'un bourgeois de Troyes, Huet Lesguisé le Jeune, qui a connu Jeanne d'Arc et elle a un ascendant qui est frère d'Alix de Marchéville, épouse de Robert Ier des Armoises, grand-oncle de Robert II des Armoises, l'époux de Jeanne d'Arc. Cela m'a permis de trouver quelques indices confortant la thèse officieuse et de placer Jeanne d'Arc dans ma généalogie. Je l'ai fait le 30 décembre 2017, en cette fiche, avec un long commentaire. Le 15 octobre 2020 j'ajoutais : "Il est possible qu'un jour je fasse une étude comparative de la version officielle (le livre "Jeanne d'Arc, l'histoire à l'endroit" d'Olivier Bouzy 2008 me semble une bonne base) et des versions alternatives pour essayer d'y trouver la voie qui me paraîtrait la moins invraisemblable et la plus cohérente. En attendant, je maintiens l'hypothèse des parents royaux, tant que je n'ai pas réfuté complètement l'hypothèse dite bâtardisante".


    Avril 1429 à Chinon, la Pucelle est de dos, devant Gilles de Rais, à gauche, et Georges de la Trémoïlle, à droite (Paul Gillon, case extraite de l'album "Jehanne, la séve et le sang", L'écho des Savanes / Albin Michel 1993). Juillet 1429 à Troyes, Huet Lesguisé le Jeune et trois autres bourgeois, offrent les clés de leur cité à Charles VII et à la Pucelle (enluminure "Comment ceux de Troyes se redduisirent au Roy", extrait du livre "Vigiles de Charles VII" de Martial d'Auvergne, vers 1483, BnF) Avec ses frères et ses soeurs, en remerciement, Huet le jeune sera anobli en mars 1430 par Charles VII ainsi que sa descendance "même par femelles" (lien).

    Cette étude comparative, je ne l'ai commencée qu'en juin 2023. Je croyais qu'elle serait difficile, que j'aurais de nombreuses hésitations, en soupesant le pour le contre... Au contraire, après avoir étudié quelques points clés j'ai immédiatement été impressionné par la puissance et la précision du discours officieux et par la légèreté, les amalgames et parfois la sottise du discours officiel. Le 12 juin 2023, juste avant d'écrire cette introduction, j'ajoutais sur ma fiche généanet : "J'ai commencé à étudier le dossier de plus près, sur la base principale des livres de Marcel Gay, Olivier Bouzy (répondant à Marcel Gay), et André Cherpillod (répondant à Olivier Bouzy). Je peux d'ores et déjà dire qu'il est certain que Jeanne d'Arc et Jeanne des Armoises sont la même personne (les preuves sont nombreuses) et que j'ai l'intime conviction qu'elle est demi-soeur ou soeur de Charles VII (là, on manque de preuve formelle, mais la concordance très forte des indices ne laisse pas de doute, à mon avis). Je préparerai un dossier pour expliquer cela en détail". Nous y sommes !

  2. De tous temps, il y a eu des doutes sur la légende officielle

    Vocabulaire employé. Pour simplifier, je vais employer le terme "domrémistes" pour tous ceux qui défendent la thèse officielle, celle qui soutient que Jeanne d'Arc est née à Domrémy et est décédée sur le bûcher de Rouen. Traditionnellement le terme "bâtardisant" désigne ceux qui croient que Jeanne est née à Paris, fille de la reine Isabeau de Bavière, et le terme "survivaliste" désigne ceux qui croient que Jeanne la Pucelle et Jeanne des Armoises sont la même personne. J'emploierai parfois ces désignations. De nos jours, les bâtardisants sont aussi survivalistes et réciproquement ("survivo-bâtardisants" selon Bouzy). Je pourrais les appeler "factuels" parce ce qu'ils s'en tiennent aux faits et ne croient pas aux trois légendes que j'ai présentées en introduction.

    Avant de présenter la construction de ce dossier, j'insiste sur un fait négligé par les historiens. Du vivant même de Jeanne la Pucelle des Armoises, de très nombreuses personnes ont mis en doute la version officielle. Ainsi en 1437, un tenant de la mort sur le bûcher (un domrémiste) est contraint de reconnaître que "L'idée que celle qui avait « bouté » l'envahisseur hors du royaume n'avait pu périr sur un bûcher comme une simple mortelle était donc presque générale." (lien). Sur ce sujet, à l'époque, dans le "nouveau débat du noble et du vilain", le vilain ne pouvait qu'avoir tort, d'abord parce qu'il est vilain. On en est encore là : le noble est devenu historien, le vilain est celui qui ose contester le savoir de l'historien, la condescendance est la même...


    Statues à Chinon (Jules Roulleau 1893, photo Pierre Bastien 2015, lien) et Orléans (Denis Foyatier 1855, photo 2015, liens : 1 2).


    En ce qui concerne la deuxième révélation, Jeanne d'Arc demi-soeur de Charles VII, il apparaît que c'était très peu connu dans la population. Mais la haute aristocratie le savait, notamment par la connaissance des armoiries attribuées à Jeanne (voir chapitre 16), très proches de la maison d'Orléans : Jeanne la Pucelle était considérée comme Jeanne d'Orléans. Les grands seigneurs du royaume savaient que Jeanne était des leurs, qu'elle avait leur sang bleu. Voici un épisode caractéristique.

    Quand Jeanne d'Arc a déclaré qu'elle était de sang royal...

    "Chaque jour d'ailleurs, Jehanne se rendait auprès du roi et conversait longuement avec lui. Au cours d'une de ces visites, un jeune seigneur se permit d'entrer dans la chambre royale sans s'être fait annoncé. Surprise, la Pucelle demanda le nom de ce visiteur si désinvolte. - C'est mon cousin d'Alençon, répondit le roi. A ces mots, Jehanne se leva brusquement de son siège en s'écriant d'une voix enjouée : - Soyez le très bienvenu ! Plus on sera ensemble de sang royal de France, mieux cela sera !" (déclaration du duc d'Alençon au procès d'annulation en 1456) (traduction de Jean Jacoby en 1932).

    André Cherpillod : "Les domrémistes ont fait d'énormes efforts pour réfuter cette interprétation. Il faut donc voir les choses de près". Et il se lance dans une brillante démonstration de compréhension des propos enregistrés en latin. Il termine par : "Tous ces domrémistes préfèrent traduire par un charabia lourdaud, plutôt que de rendre les paroles naturelles de Jeanne, celles qu'elle a prononcées avec plus de vraisemblance. La traduction tordue "Plus ils seront..." ou "Plus il y aura..." est devenue courante chez les domrémistes surtout à partir du livre de Jacoby (1932), parce qu'il fallait faire tout, y compris de fausses traductions en mauvais français, pour maintenir la légende niaise, sotte et pleurnicharde." (==>Bouzy 120) (==>Cherpillod 293 294 295 296)

    Ci-contre, la scène est reprise dans cette case du tome 6 "La geste d'Orléans", 2015, de la très domrémiste série "Le trône d'argile" (présentée en fin d'annexe 2), avec la traduction viciée que dénonce Cherpillod.

    Jean II d'Alençon (1409-1476) a épousé Jeanne d'Orléans (1409-1432), fille du duc Charles d'Orléans, il est donc un neveu de la Pucelle.

    Encore en 1749, Daniel Polluche (1689-1768), érudit orléanais, "dans son petit livre "Problème historique sur la Pucelle d'Orléans", admet la survie de Jeanne après son procès et tente d'en montrer la véracité" (Cherpillod page 536). Le site jeannedomremy.fr, en cette page, ajoute :
    • Jérôme Pasquerel, chapelain de Jeanne, confie au procès dit d'annulation : "le roi et le duc d'Alençon connaissent le secret du bûcher. Moi je ne puis rien en dire..."
    • Thomas de Courcelles, juge assesseur de Cauchon indique pour sa part : "J'assistais au dernier sermon fait au vieux marché, le jour de la mort de Jeanne. Pourtant je ne la vis pas brûler, elle..."
    • La chronique bretonne de 1440 nous signale également : "l'an 1431, la veille du sacrement fut la Pucelle brûlée à Rouen ou condamnée à l'être".
    • La Nef des Dames de Symphorien Champier, datant de 1503, nous renseigne ainsi : "fut en trahison prise et baillée aux Anglais qui, en dépit des Français, la brûlèrent à Rouen, ce disent-ils néanmoins et que les Français nient".
    • Gabriel Naudé a soutenu que "la Pucelle n'avait jamais été brûlée qu'en effigie" dans ses ouvrages [...].
    • Un annaliste belge, prévôt d'Arnhem en Gueldre, Pontus Heuterus ou de Huyter, attestait dans son livre sur les ducs de Bourgogne, paru en 1583, qu'un grand nombre de femmes et de savants niaient l'existence de Jeanne d'Arc et soutenaient que ce n'était qu'une légende. Cet auteur rechercha sincèrement la vérité, c'est pourquoi il faillit être pendu, nous signale Raphaël Symptor.
    • Georges Chastellain, l'historiographe de la Maison de Bourgogne, conseiller de Philippe-le-Bon et de Charles-le-Téméraire, confirme les doutes dans les deux derniers vers de son poème Recollection des Merveilles advenues de notre temps [...]
    • Le Journal d'un Bourgeois de Paris nous précise : "Il y avait donc moult personnes qui étaient moult années abusées d'elle, qui croyaient fermement que, par sa sainteté, elle se fut échappée du feu et que on eut arse une autre, cuidant que ce fut elle".
    • Le manuscrit 11.542 du British Museum note : "finalement, la firent ardre publiquement, ou autre femme en semblable à elle, de quoi moult gens ont été et sont encore de diverses opinions".
    • William Caxton écrit dans son ouvrage de 1480 The Chronicles of England que Jeanne resta encore neuf mois en prison après sa condamnation.
    • Polydore Virgile ou encore Polydore Vergil, ou de son nom latin Polydorus Vergilius, 1470-1555, est un écrivain et historien italien. [...] Il transcrit la même chose que Caxton dans son Historia Anglica LXXIII.
    • Une correspondance parue dans le Mercure Galant en novembre 1683, adressée à Monsieur de Grammont, faisait référence à la chronique du Doyen de Saint-Thibaut datée de 1436 et qui révélait que la Pucelle n'avait pas été brûlée à Rouen.
    • De Lanevère publie au Mercure de France en 1764 un livre intitulé "Essai sur la question : Jeanne d'Arc a-t-elle réellement subi l'arrêt qui la condamnait au supplice du feu ?" en soulignant que les documents administratifs civils sont absents en ce qui concerne Jeanne car nous n'avons ni procès-verbal d'exécution ni un autre acte communal.
    • Nicolas Lelong écrit en 1783 dans son Histoire Ecclésiastique du diocèse de Laon : "On doute encore aujourd'hui en Lorraine si la Pucelle qui fut conduite voilée au bûcher a effectivement été brûlée."


    Gabriel Naudé, Georges Chastelain, William Caxton, Polydore Virgile ne sont pas des hurluberlus...

    L'intérêt pour la Pucelle reste modéré aux XVIIème et XVIIIème siècle, puis repart. En 1803, 1805 et 1819, Pierre Caze, érudit, sous-préfet de Bergerac, publie des ouvrages où il affirme que la Pucelle est une bâtarde, fille de Louis d'Orléans et de la reine Isabeau de Bavière. Ces écrits furent davantage connus au XXème siècle qu'au XIXème. Mgr Albert-Léon-Marie Le Nordez (1844-922), évêque de Dijon, affirma en public que Jehanne n'a pas été brûlée, ce qui le contraint à démissionner en 1904 (Cherpillod page 540). Puis en 1914 un ouvrage de Emile Grillot de Givry l'affirme aussi ; en 1931 l'abbé Ambroise Ledru frise l'excommunication avec une brochure survivaliste. Puis, pour l'hypothèse bâtardisante, Jean Jacoby en 1932, Gérard Pesme en 1960...


    Ainsi, dès le début et de façon assez constante, la légende officielle a été contestée. Il est fascinant de constater qu'elle est toujours de mise et défendue bec et ongles par l'establishment, alors que, nous allons le voir, des études précises, basées sur les faits, montrent à quel point elle est invraisemblable et qu'une autre réalité apparaît en partie certaine, en partie beaucoup plus crédible.

    Une légende en forte régression. Soyons tout de même optimistes, remarquons que la légende des siècles passés est déjà en net recul. Maintenant, on (Wikipédia & Cie) n'ose plus parler de la bergère qui gardait des moutons, de l'intervention de Dieu avec les voix entendues par Jeanne, davantage expliquées par des sortes d'hallucinations. Les salades colportées par Jules Michelet et le Vatican ne sont plus entendues, sauf exceptions, bien sûr. Je n'aborderai donc pas ces thèmes. On sent chez les domrémistes une inquiétude qui se traduit, par des anathèmes de plus en plus arbitraires et violents. Ils sont sur la défensive, de moins en moins crédibles, redoublons d'efforts dans l'argumentation. Amis lecteurs, jettons dans les poubelles de l'Histoire la légende éventée d"une Jeanne d'Arc invraisemblable pour ne retenir que l'épopée de la Pucelle de France, si bien préparée et si vaillamment menée.

    Prenons par exemple la page titrée "Ce que vous ne savez sans doute pas". L'auteur, Jean Estrada, commence par démonter avec justesse une part de la légende (elle ne s'appelait pas Jeanne d'Arc, elle n'est pas née le 6 janvier 1412, elle n'était pas bergère, elle n'était pas pauvre, elle a eu un procès avec un fiancé, son arrivée à Chinon était attendue...) tout en avançant des éléments contestables (elle parlait le français avec un fort accent, elle ne savait pas écrire sinon sa signature...) et en restant sur ce qui reste des bases officielles. La fin est un brûlot contre ceux qui n'y croient pas : "Aucune piste n'est étayée par des preuves", Jeanne des Armoises aurait été "démasquée", ce seraient de "vieilles thèses éculées" brandies par des "théoriciens du complot" (une complosphère ? Avec la mère et les frères adoptifs de Jehanne...). Et, en conclusion, le mépris : "Le dialogue entre les vrais historiens (en l’occurrence Colette Beaune, Olivier Bouzy, Philippe Contamine et Françoise Michaud-Fréjaville) et les spécialistes improvisés est donc impossible. Ces derniers accuseront toujours les premiers de représenter l’histoire officielle dépendante de l’État, voire du Vatican. Pour la seule raison que cela leur permet de disqualifier le travail de ces derniers sans avoir à l’analyser sérieusement". Le lecteur pourra juger, par lui-même, du sérieux des analyses de Gay, Cherpillod et autres Dehayes...

  3. Les bases de la présente étude

    Il n'y a aucune révélation dans le présent dossier, ou presque aucune (peut-être le lien entre les Armoises et les Marchéville ?). Je m'appuie sur des travaux existants, qui auraient dû faire référence. J'apporte seulement un nouvel éclairage, en m'appuyant principalement sur les ouvrages suivants. Et j'essaye de présenter une démarche pour que, progressivement, le lecteur non averti, puisse comprendre... Pour cela, la présentation n'est pas historiquement chronologique.


    1968, Maurice David-Darnac "Le dossier de Jehanne"
    Fin de la présentation par André Cherpillod : "Fin 1965, il publie "Histoire véridique et merveilleuse de la Pucelle d'Orléans", ouvrage de forme très romancée ; il contient de nombreuses assertions fantaisites, et ne cite aucune source. En 1968, il publie "Le dossier de Jehanne". Cette fois, l'ouvrage est fort bien documenté. Il cite les textes originaux en latin ou en français d'époque, ce que les domrémistes [il ne l'est pas...] ne font que très rarement."
    2007, Marcel Gay et Roger Senzig, "L'affaire Jeanne d'Arc"
    Présentation par André Cherpillod : "Roger Senzig est latiniste et paléographe ; pendant la Seconde Guerre Mondiale, il a été membre des services secrets de la France Libre. Son coauteur Marcel Gay est grand reporter à L'Est Républicain et spécialiste des affaires judiciaires. Ces deux auteurs publient ensemble en 2007 "L'affaire Jeanne d'Arc", excellent ouvrage, fort bien documenté. Inutile de dire qu'il a suscité une levée de boucliers." Critique.
    Je ne citerai ce livre que sous le nom de Marcel Gay, non pas que je nie l'importance de l'apport de Roger Senzig (leur rencontre est révélatrice ==>Gay 33 34 35 36), mais pour simplifier, parce que Marcel Gay s'est exposé médiatiquement, a longtemps défendu son livre et parce qu'il vient de publier en décembre 2022 six articles (1 2 3 4 5 6) qui vont être reproduits ici en partie. Ce livre est disponible, notamment sur Amazon, à moins de 3 euros (+ port).
    Je précise que lors de la crise du Covid-19, Marcel Gay est un des rares journalistes à avoir donné la parole à ceux qui ont été dénigré comme des "antivax". Son livre de 2023, "Covid-19 : le naufrage de la science", censuré par Google, a été réalisé avec la contribution Jean-Marc Sabatier, directeur de recherche au CNRS, titulaire d’un doctorat en biologie cellulaire et microbiologie (lien, présentation). Là aussi, il a vu juste.
    2008, Olivier Bouzy, "Jeanne d'Arc, l'histoire à l'endroit"
    Présentation par André Cherpillod : "Olivier Bouzy (1961-), docteur en histoire, est directeur adjoint du Centre Jeanne d'Arc d'Orléans et chargé de cours à l'université d'Orléans. Il est l'auteur de "Jeanne d'arc, mythes et réalités" (1999), un livre qui rétablit la vérité sur plusieurs points contestés, et de "Jeanne d'Arc, l'histoire à l'endroit", où il part en guerre contre le livre de Senzig & Gay. Le principal mérite de Bouzy est de donner les références précises de toutes ses citations, ce que les domrémistes ne font que rarement (à part Anatole France et Mgr Touchet)."
    André Cherpillod a donc de l'estime pour Olivier Bouzy, ce n'est pas le cas pour sa supérieure, Colette Beaune, directrice du Centre Jeanne d'Arc, ayant publié en 2008 "Jeanne d'Arc, vérités et légendes" qu'il considère comme "une tentative, fort mal réussie, de réfutation de l'ouvrage de Senzig & Gay".
    C'est en se référant à ce seul livre que Wikipédia, en ce chapitre, déclare : "Les erreurs commises par les promoteurs des mythes survivo-bâtardisants sur Jeanne d'Arc sont nombreuses, mais elles relèvent toutes d'un traitement fautif ou biaisé des sources".
    + Entretien sur France-Info.
    2014, André Cherpillod, "Jeanne la Pucelle, de la légende à l'histoire"
    André Cherpillod (1930-) est connu sur Wikipédia comme un espérantiste français, autodidacte : "Depuis 1990, il occupe sa retraite à la rédaction d'ouvrages sur les sujets les plus variés et les fait connaître à l'occasion de conférences. Presque tous sont édités par l'auteur lui-même". Sur Jeanne d'Arc, il a fait un premier ouvrage, en 2011, "Jeanne la Pucelle: Autopsie d'un mythe". J'ai retenu son second livre, de 2014, parce que il est censé "trier le bon grain de l'ivraie". Cet ouvrage est maintenant introuvable, on m'en a heureusement fourni une copie pdf. J'ai trouvé le propos lumineux, précis avec une référence systématique aux sources, avec de multiples détails rassemblés en une vision cohérente et percutante, dépeçant de façon enlevée et caustique les explications de ceux qui sont appelés les "domrémistes" et que je vais appeler de la même façon.
    Etant donnée son indisponibilité (il s'en plaignait dans un article de 2014), je mets ce livre intégralement en ligne en un pdf imagé (sans recherche textuelle possible) de 77 Mo (573 pages). Voici une présentation d'André Cherpillod dans un article de Ouest-France de 2014 (lien). Je n'ai pas pu le contacter, même par d'anciens contacts à lui. Agé de 93 ans, j'espère qu'il n'est pas décédé... Et qu'il approuverait la mise à disposition du pdf...


    2022, Thierry Dehayes, "La fabrique de Jeanne d'Arc"
    Thierry Dehayes est titulaire d'un DEA en Histoire ainsi que d'un doctorat et d'une agrégation de Lettres. Il enseigne en classes préparatoires. Il est notamment l'auteur de livres qui font autorité sur Marcel Pagnol. Jean Giono et Saint-Exupéry. On lui doit aussi des monographies historiques et patrimoniales remarquées sur le Pont du Gard ou Le Mans.
    Son livre, sorti en juin 2021 ches Atlande, conforte les propos de Gay, qu'il a lu et de Cherpillod, qu'il n'a pas lu. Sauf sur un point, où il ouvre une nouvelle hypothèse, présentée en fin de chapitre 5. Son analyse des procès est remarquable, réussissant à distinguer ce qui serait sincère, manipulé et dissimulé. Article de Ouest-France ( lien).
    A ces livres s'ajoute le très important site jeannedomremy.fr, "Les secrets de Jeanne", déjà indiqué, créé en 2008 et sans cesse mis à jour. On verra qu'il adopte certaines hypothèses périphériques sur lesquelles je reste prudent.
    Merci à Maurice David-Darnac, Marcel Gay, Olivier Bouzy, André Cherpillod, jeannedomremy.fr et Thierry Dehayes
    pour leurs apports à ce dossier.

    Avant d'aborder le présent dossier, je voulais présenter les principales argumentations, d'un côté et de l'autre et donner mon avis, en laissant le lecteur choisir. J'avais encore des hésitations et je me demandais si j'arriverais à trancher. Ce fut finalement très facile, car André Cherpillod l'a déjà fait de façon si brillante, géniale même, qu'il a pleinement emporté mon adhésion. Je vais donc souvent reprendre son argumentation. Et j'ai l'impression que sa force de conviction ne va guère laisser de choix au lecteur attentif... Bouzy a tenté de répondre au livre de Gay & Senzig et aux autres contestataires, Cherpillod, lui, a répondu à Bouzy, ainsi qu'aux autres tenants de la légende officielle. Un jour, un domrémiste, réussira-t-il à répondre de façon pertinente à Cherpillod ? J'en doute. Finalement, le mérite premier de ce dossier va être de braquer les projecteurs sur l'étude de Cherpillod, qui est en train de tomber dans l'oubli (l'éditeur ne l'imprime plus, on ne la trouve pas d'occasion), alors qu'elle est primordiale.

    Sources présentées.Quand je parlerai de Darnac, Gay, Bouzy, Cherpillod ou Dehayes, je ferai, sauf contre-indication, référence aux cinq ouvrages qui viennent d'être présentés. En lien direct et, plus tard, sur une page annexe, mais dans le même fichier pdf, je présenterai des extraits de ces livres, parfois d'autres, pour que le lecteur puisse avoir une meilleure compréhension. Ce sont là des sources de second degré, faisant appel à des sources de premier degré.

    L'art de mélanger avec aplomb faits historiques et propagande légendaire, exemple. Le site stejeannedarc.net a le double avantage de présenter, d'une part, un grand nombre de sources documentaires précieuses, dont les procès, et, d'autre part, une caricature de la défense de la légende officielle. On lit, en effet, sur la page d'accueil (mémorisation) : "Malheureusement depuis 1805 fleurissent moult auteurs de thèses sensationnelles, sorties tout droit de leur imagination ("Jeanne est une bâtarde royale", "Jeanne n'a pas été brûlée", "Jeanne est un homme" etc.). Pourfendeurs de "complots", ils se copient les uns les autres, dévoient sans état d'âme les textes d'époque et dénoncent les "falsifications" commises par les Historiens ! Tout cela ne mériterait pas qu'on en parle si, avec la bienveillance suspecte de certains médias, autant de lecteurs mal informés ne prenaient cette prose pour argent comptant !". En peu de lignes, on retient un mensonge (ces thèses n'ont pas commencé en 1805, elles existaient bien avant, on l'a vu au chapitre précédent), un amalgame (ceux qui disent que Jeanne est une bâtarde non brûlée ne disent pas qu'elle est un homme, sauf exception) et des sous-entendus malveillants non expliqués, balancés comme des insultes : "pourfendeurs de complots", "copistes", "dévoiement de textes", "suspicion", "mal informés". Pourtant, quelles sont les thèses les plus sensationnelles, les plus invraisemblables, parmi celles-ci  : une provinciale sort de son village et se met à parler au roi comme à un égal ; une fille de reine, qui a appris le langage et les manières de la Cour, révèle au roi sa parenté ; une campagnarde de 17 ans devient un brillant chef de guerre ; une jeune femme de 21 ans, après sept années de formation guerrière, rivalise avec les meilleurs capitaines du royaume. Les "mal informés" sont en fait les médias (notamment Wikipédia et les grandes maisons d'édition) qui, sans réfléchir, propagent une légende de type Père Noël, par certains aspects, mais solidement ancrées dans la réalité par de nombreux autres. Bien sûr Jeanne a bouté les Anglais hors d'Orléans, bien sûr elle a fait couronner Charles VII à Reims, elle est un personnage historique, mais pourquoi vouloir l'auréoler d'une légende bidonnée, au mépris des faits ?

  4. La certitude que Jeanne n'est pas morte sur le bûcher : elle réapparaît en 1436

    Commençons par le plus facile à comprendre : Jeanne des Armoises, parfois prénommée Claude, est Jeanne la Pucelle ; celle-ci n'est donc pas morte auparavant sur le bûcher à Rouen, en 1431. En 1436, cette Claude des Armoises est reconnue comme étant Jehanne la Pucelle par ses deux frères (de sa famille d'adoption) et quelques autres personnes la connaissant bien. Elle va ensuite être reconnue par sa propre mère (adoptive), par les bourgeois d'Orléans, par de nombreuses personnes l'ayant connues, y compris des chefs de guerre comme Gilles de Rais, et aussi par le roi Charles VII. Qui peut croire que toutes ces personnes ayant bien connu la Pucelle puissent se tromper ? Alors qu'aucune d'entre elles n'a ensuite dit qu'elle s'était méprise. Qui donc peut croire que c'est un vaste complot ? Même pas les domrémistes, qui, on le verra, évitent ou marginalisent le sujet...



    Avant d'aller plus loin, précisons les faits en reprenant la majeure partie du 5ème des 6 articles de Marcel Gay en 2022 / 2023.

    La Pucelle revient cinq ans après le bûcher
    "Jeanne d’Arc et les fake news" (5/6), 27 décembre 2022, par Marcel Gay

    Personne ne peut croire que l’on puisse revivre après la mort. Si Jeanne la Pucelle réapparaît, cinq ans après le bûcher de Rouen, c’est forcément qu’elle n’a pas été suppliciée, le mercredi 30 mai 1431, sur la place du Vieux-Marché. La femme qui périt dans les flammes, ce jour-là, a « le visage embronché », c’est-à-dire caché, nous dit Perceval de Cagny, chroniqueur au service des ducs d’Alençon. Mais on ignore son identité.

    Jeanne (qui ne s’est jamais appelée Jeanne d’Arc de son vivant mais simplement la Pucelle, c’est le pape Calixte III qui la nommera pour la première fois d’Arc en1456) Jeanne donc fait son retour sur la place publique le 20 mai 1436. Nous le savons d’abord grâce à Pierre de Saint-Dizier, curé de la paroisse de Saint Eucaire puis doyen de Saint Thiébaut et Official de Metz. Ce curé érudit tient un journal des événements survenus dans sa ville et dans les pays voisins. Il écrit que ce 20 mai 1436 « Jehanne la Pucelle » qui avait été en France arrive à un rendez-vous organisé avec les seigneurs de Metz. « Elle se faisait appeler Claude (NDLR-dans la clandestinité). Le même jour, ses deux frères vinrent la voir en ce lieu. L’un était chevalier et s’appelait messire Pierre, l’autre Petit Jehan, écuyer et ils croyaient qu’elle avait été brûlée. Mais, sitôt qu’ils la virent, ils la reconnurent pour leur soeur et elle les reconnut de même. »

    Jeanne se marie à Arlon
    La chronique du doyen de Saint-Thiébaut retrace ensuite le parcours de Jeanne de 1436 à 1449 avec une grande précision. Les plus grands seigneurs viennent à sa rencontrer et lui offrent des cadeaux de valeur, notamment un cheval et une épée. Jeanne va se recueillir à Notre-Dame de Liesse puis elle va à Arlon, où elle est accueillie par la duchesse Élisabeth de Görlitz. Elle va ensuite guerroyer du côté de Cologne (le 2 août 1436, comme en fait foi un laisser-passer), en repart précipitamment, menacée d’excommunication, elle se marie enfin avec le chevalier lorrain Robert des Armoises. Robert a assisté au sacre de Reims, le 17 juillet 1429, il ne peut pas avoir été abusé par une aventurière. Le couple vient ensuite s’établir à Metz « tant qu’il leur plaisit » précise Pierre de Saint-Dizier.

    Jeanne et Robert nous ont laissé plusieurs documents. Dont une copie authentique de l’acte notarié de la vente d’une partie de l’une de leur propriété, de Haraucourt. Le contrat de mariage conservé dans une étude de Fresnes-en-Woëvre (Meuse) aurait disparu durant les bombardements de 14-18. De nombreuses chroniques du 15ème siècle vont ensuite reprendre les informations du doyen de Saint-Thiébaut, en y ajoutant parfois des précisions.

    Une mystification ? Cette femme serait-elle une usurpatrice ? Les seigneurs de Metz qui ont bien connu la Pucelle durant son épopée n’ont pas douté, pas plus que les deux frères de Jeanne. Il est vrai que d’autres imitatrices ont existé, comme Jeanne la Féronne, dite la Pucelle du Mans. Celle-ci fut rapidement démasquée, liée au pilori avant d’être emprisonnée pendant sept ans ! Quant à cette Jeanne-Claude qui arrive à Metz en 1436, elle a les mêmes traits physiques que Jeanne la Pucelle, elle parle également par paraboles, manie parfaitement les armes. En outre, elle a la même mémoire des événements. Enfin, à ceux qui douteraient, elle peut montrer ses deux blessures de guerre.

    Jeanne à Orléans
    Comme on l’imagine, la réapparition de Jeanne près de Metz fait l’effet d’une bombe à Orléans. Nous le savons grâce à des documents irrécusables : les livres de comptes de la ville qui vont de 1436 à 1440. Ainsi, la nouvelle est connue le 25 juillet 1436. Un chevaucheur porte une lettre de Jeanne la Pucelle adressée à Guillaume Bélier, bailli de Troyes. Le frère de Jeanne, Petit Jehan, vient aussi à Orléans le 5 août raconter qu’il a vu Jeanne et qu’elle est bien vivante. On lui offre un repas de fête. Extrait du Registre des comptes de la ville d’Orléans (1436)

    Les compagnons de Jeanne et les personnalités du royaume affluent à Orléans. Le 9 août, Fleur de Lys apporte à la ville une lettre de la Pucelle, celle qui a libéré la ville des Anglais. Fleur de Lys ? Mais il connaît bien Jeanne puisqu’il était son poursuivant d’armes, sorte d’officier de renseignement. Le 2 septembre, Jeanne adresse une lettre au roi de France. Celui-ci ne crie pas au scandale en recevant une lettre de la Pucelle. 18 octobre 1436, cette fois-ci c’est Cœur de Lys, le héraut d’armes de la ville d’Orléans, qui part en mission. Il rentre après 41 jours d’un voyage harassant. Il racontera sa rencontre avec la Pucelle durant plusieurs jours. En 1439, Jeanne arrive enfin à Orléans. Dame Jeanne s’appelle désormais Jeanne des Armoises. On lit sur les livres de comptes : « A Jacquet le Prêtre, le 28ème jour de juillet pour 10 pintes et chopines de vin présentées à dame Jehanne des Armoises pour ce 14 sols. »

    Comment douter? Vin, dîners, soupers sont offerts à Jeanne des Armoises par la ville d’Orléans. La Pucelle rencontre évidemment tous ceux qu’elle a connus pendant le siège. Il faut croire qu’on lui demande comment elle a pu échapper au bûcher, où et comment elle a vécu pendant tout ce temps.

    Ajoutons que l’évêque d’Orléans, en 1439, s’appelle Regnault de Chartres, celui-là même qui a présidé la commission de Poitiers et qui a procédé au sacre de Charles VII à Reims. Ni lui ni les Orléanais ne s’offusquent de la survie de Jeanne. Au contraire, la ville va lui offrir 210 livres tournois « pour le bien qu’elle a fait à la ville pendant le siège »


    Yolande d'Aragon et Georges de la Trémoïlle tentent de protéger Jeanne des Armoises (fiction)
    (tome 19 de Jhen, "Jeanne des Armoises", Martin / Néjib / Pleyers, Casterman 2019)

    Thierry Dehayes décrit le soutien de la Maison d'Anjou à la Pucelle en 1436 à Metz : "Si l'on veut que la Jehanne de 1436 ne soit pas celle de 1431, il faut donc admettre que le propre beau-frère du roi est complice, voire instigateur de l'usurpation d'identité, ainsi que l'évêque de Metz puis bientôt la duchesse de Luxembourg. Pour quelles obscures raisons ?" (==>Dehayes 196 197).


    René d'Anjou, le bon roi René (1409-1480), fils de Yolande d'Aragon.
    A gauche, extrait du livre de Thierry Dehayes (page 214). En complément (page 217) : "Par ailleurs, Jehanne aurait dit à Cologne quelque chose comme : "J'ai fait sacrer un roi de France ; je peux bien faire un archevêque !". Ce type de déclaration est en parfaite adéquation avec la personnalité historique de la Pucelle, qui n'a jamais manqué de confiance en elle". Jeanne des Armoises agit et parle comme Jeanne la Pucelle, cela se remarque en de nombreuses autres occasions.
    A droite, miniature sur parchemin, vers 1469 (BnF). Description (lien Wikipédia) : "Première page de l'aveu rendu à René, roi de Jérusalem et de Sicile, duc d'Anjou, pair de France, duc de Bar, comte de Provence" par un vassal. Mais pourquoi la scène est-elle surmontée par le blason des Orléans ? Hypothèse d'une page du site jeannedomremy.fr : vêtue de vert foncé ("vert perdu", couleur de la maison d'Orléans), ce serait la Pucelle ; elle poserait sa main sur l'épaule de Dunois, le bâtard d'Orléans...


    USA, Wallace Wood, vers 1963 (cliquer pour agrandir) (même double page en français, dans "L'écho des savanes" n°19, en 1976)

  5. Comment Wikipédia et les domrémistes déforment la réalité de la survivance de Jehanne

    Les Domrémistes se comportent comme des négationnistes, non pas en niant formellement ces faits mais en les minimisant au maximum et en les amalgamant à d'autres faits sans rapport. Prenons par exemple Wikipédia en sa page "Jeanne des Armoises" (mémorisation Wikipédia 2023). C'est une page différente de celle de Jeanne D'Arc pour d'emblée faire croire que ce sont deux personnes distinctes. Sous le titre "L'hypothétique survie de La Pucelle", le chapitre commence ainsi : "« Claude-Jeanne » aurait fondé son imposture sur une vague ressemblance avec l'héroïne du siège d'Orléans. Les frères de Jeanne d'Arc et quelques membres de l'aristocratie messine auraient feint ou l'auraient reconnue pour leur soeur. Plusieurs personnages naïfs ou douteux auraient pu être dupés ou vouloir devenir les complices de l'aventurière pour tirer quelque subside de l'escroquerie." Ainsi, tout de suite, sans la moindre preuve, il est écrit que c'est une imposture, il est inventé qu'il y aurait une "vague ressemblance", que les frères adoptifs de Jeanne et les bourgeois de Metz se seraient entendus entre eux pour "feindre" d'avoir reconnu Jehanne. Quelle imagination ! Rien dans les textes d'origine ne va en ce sens, ces propos ne sont d'ailleurs aucunement sourcés. C'est carrément un mensonge éhonté, une fake news. Ensuite, le mari de Jeanne, Robert des Armoises est présenté comme "un chevalier désargenté" (et alors ?) et un "quinquagénaire (un grand âge pour l'époque)", ce qui est faux, les quinquagénaires sont très nombreux à l'époque. C'est du dénigrement de bas étage. Et ça continue avec la duchesse de Luxembourg qui serait une femme "au train de vie si dispendieux", ce qui - sous-entendu - l'amènerait à mentir.

    Il suit alors un autre chapitre titré "L'audience royale et la demande de grâce" sur lequel je vais revenir et puis, comme un cheveu sur la soupe, comme si c'était anecdotique, juste avant la fin de l'article, il est écrit : "La ville d'Orléans qui a reconnu Jeanne d'Arc dans Jeanne des Armoises, a, depuis 1440, versé une rente à Isabelle Rommée, la mère de Jeanne d’Arc, une rente dénommée sur les registres au nom d'"Isabeau mère de Jehanne la Pucelle", puis à partir de juillet 1446 au nom d'"Isabeau mère de feue Jeanne la pucelle", jusqu'en 1447". C'est pourtant essentiel ! Ce sont là d'autres preuves formelles que Jeanne des Armoises a été reconnue comme la Pucelle par les bourgeois d'Orléans et par sa mère (adoptive). Ce n'est pas un petit détail, Wikipédia arrange les faits pour les déformer et les adapter à la légende officielle.

    Comme le dit Cherpillod (page 523), "Les adeptes du mythe, quand ils consentent à mentionner la reconnaissance de Jeanne des Armoises comme l'unique et vraie Jeanne d'Arc, pour reprendre un titre classique, se limitent prudemment à Pierre et Jean d'Arc" (on vient de voir qu'in extremis Wikipédia va un peu plus loin) "Ils ne mettent en cause que deux personnes. Ils ne s'agit donc que de deux dupes, ou deux escrocs", qui, d'après Wikipédia, "naïfs ou douteux" feignent d'avoir reconnu leur soeur. "Essayons donc, pour les confondre, de dresser la liste, d'ailleurs non exhaustive, de tous ceux pour qui l'identité de Jeanne des Armoises ne faisait aucun doute". Et Cherpillod cite, avec commentaires (==> Cherpillod 523 524) : les bourgeois de Metz, les bourgeois d'Orléans, le chevalier Robert des Armoises, la Duchesse de Luxembourg, Gilles de Rais, Regnault de Chartres, Isabelle Romée (la mère adoptive), le roi Charles VII, le duc d'Orléans. Il conclut (là je mets en gras, c'est bien sûr essentiel) : "Selon l'histoire officielle, tous ces gens là la savaient morte, réduite en cendres. Et pas un n'a crié son indignation devant la prétendue réapparition d'une soi-disant pucelle... Ou bien alors, quelques uns d'entre eux auraient protesté, mais par la suite une main noire aurait détruit les documents qui faisaient état de cette protestation...". Même Wikipédia (Bouzy aussi) ne parle pas d'une telle absurde destruction. Le point fort de leur démonstration reste un amalgame avec de vraies fausses pucelles, c'est ce que l'on va voir maintenant.

    Dans son livre, Olivier Bouzy est aussi affligeant que Wikipédia, prétendant (page 196) à propos de Jeanne des Armoises que "sa condamnation par le parlement, après qu'elle eut été démasqué par Charles VII en personne, fit retomber l'enthousiasme", propos aucunement sourcé et pleinement mensonger : Charles VII ne l'a pas démasquée, au contraire (voir le chapitre suivant), et elle n'a pas été condamnée par le parlement. En fait, il semble que Bouzy s'embourbe avec une ou deux fausses pucelles (car il y en eut effectivement plusieurs). En sa démonstration sur 5 pages, il ne fait référence qu'à trois sources et ce sont des domrémistes des XIXème et XXème siècles. Sa conclusion est sidérante : "S'il y eut des usurpatrices prétendant faussement être Jeanne, pourquoi ne pas admettre que toutes les aventurières dont les textes nous montrent la trace furent des usurpatrices ?" (==>Bouzy 194 195 196 197 198). Dites, les domrémistes : comment pouvez-vous continuer à l'être avec de tels arguments ? Essayez donc de répondre précisément, factuellement, à Cherpillod, Gay & Cie, car jusqu'à présent, vous avez montré votre incapacité crasse à le faire.

    Après avoir écrit ce qui précède, je découvre le livre de Thierry Dehayes "La fabrique de Jeanne d'Arc", paru chez Atlande en 2021. C'est un auteur dans la lignée de Gay, de jeannedomremy.fr, qu'il a lus tous les deux, et de Cherpillod, qu'il n'a pas lu. Il présente une hypothèse originale proche de celle des domrémistes en ce qui concerne les aveux au parlement de Paris. En pages, 242 à 248, l'auteur souscrit au récit du "Bourgeois de Paris" relatif à la fausse pucelle de Paris (avec l'épisode du parlement), qu'il attribue à Jeanne des Armoises sur le fait qu'elle serait passée à Orléans, qu'elle agit "pour garder son honneur" et qu'elle s'habille en homme (Jeanne des Armoises s'habillait-elle ainsi en ville ?). Il n'est pas gêné du fait que cette Jeanne n'est pas nommée des Armoises et a deux enfants. (==> Cherpillod 483 484). En fait, comme la condamnation du parlement de Paris est plutôt légère, cela ne changerait pas grand chose pour Jeanne des Armoises. Et puis le récit peut être outrageusement à charge. D'autres indices renforcent-ils cette hypothèse ?

    Philibert des Armoises est-il fils de la première ou de la seconde épouse de Robert II des Armoises ?
    Pour Thierry Dehayes, l'un des deux enfants attribués à Jehanne serait Philibert des Armoises (aussi prénommé Philippe par Cherpillod), habituellement considéré comme fils de Robert et de sa première épouse, Alix de Manonville. Il a une importante descendance (==>Dehayes 319). Dehayes apporte quelques éléments de confirmation, avec les recherches entreprises par Jérôme Vignier (1606-1661). Il est troublant de remarquer que Philibert = Phili(ppe) + (Ro)bert, Jehanne aurait alors donné à son fils le début du prénom Philippe qu'elle avait à la naissance...
    Sauf qu'il y a une autre explication, plus habituelle : la première épouse de Robert, Alix de Manonville, avait pour grand-père maternel Philibert de Bauffremont. Philibert a vendu le château de Tichémont vers 1459, trois ans après la mort de Robert. S'il est fils de Jehanne, Philibert aurait alors moins de 23 ans, cela fait jeune. Sa fille Béatrix, décédée avant 1483, a eu une fille Odette Denizet (ou de Nicey) mariée le 6 juin 1494 (lien). Philibert aurait alors moins de 58 ans. Cela fait très jeune pour marier une petite-fille, mais c'est possible. Il serait aussi possible les fils de Jeanne, seraient ses beaux-fils, Philibert et Simon des Armoises ? (lien sur généalogie Jean-Loup Bretet). Nous verrons plus loin, en fin du chapitre 23, une autre hypothèse d'une fille de Jehanne, née auparavant, en 1429. Alors : zéro ou un ou deux ou trois enfants ? A mon avis, zéro.

    Cette sculpture en pierre polychrome, retrouvée dans les ruines d'une église locale, a longtemps été considérée comme étant le portrait de Jeanne... Des auteurs (catholiques) s'en sont servis pour illustrer divers ouvrages, et le prestigieux atelier de copie du Musée du Louvre en a produit un fac-similé en plâtre... Mais depuis qu'une anthropologue allemande travaillant pour le BKA (la police criminelle allemande) s'est livrée à la comparaison scientifique de ce visage avec celui de la Dame des Armoises du Château de Jaulny, pour en conclure que la même femme y était représentée à des âges différents, cette tête est devenu celle de Saint Maurice ! (page de jeannedomremy.fr)

  6. 1439, Charles VII, lui-même, reconnaît que Jeanne des Armoises est la Pucelle

    Wikipédia et les Domrémistes font très fort en transformant en argument à leur avantage une preuve supplémentaire : Charles VII a reconnu que Jeanne des Armoises est la Pucelle. C'est vraiment simple : ils se rencontrent à Orléans, en 1439 ou 1440, peut-être plusieurs fois, au moins celle-ci :

    Les courtisans proches entendent le roi accueillir chaleureusement la dame des Armoises avec ces mots révélateurs (en vieux français) : "Pucelle, ma mie, vous soyez la très bien revenue, au nom de Dieu qui sçait le secret qui est entre vous et moy".

    Même le domrémiste Olivier Buzy valide la teneur de ce propos (==>Bouzy 175 176 177). Tout est dit : Jeanne des Armoises est la Pucelle et un secret la lie avec le roi, sous entendu c'est celui de leur naissance. En une phrase, le roi de France dit que sa demi-soeur est devant elle. Oui, c'est limpide : à ce moment là, Charles VII était survivaliste et bâtardisant ! Selon une page du site jeannedomremy.fr, ces propos ont été rapportés par Guillaume Gouffier, chambellan du Roi, seigneur de Boissy. Jeanne se mit alors à genoux... Etaient présents à cette entrevue : Jean Dunois, Charles d'Anjou, le sire de Chaumont, l'archevêque de Vienne, Jean Rabateau, chez qui Jeanne avait logé à Poitiers en 1429, et Regnault de Chartres, archevêque de Reims. Tous ces hauts dignitaires qui connaissaient bien la Pucelle ne pouvaient se méprendre car ils avaient un passé en commun.

    Revenons à Wikipédia et à l'argumentation domrémiste. Voici ce chapitre que nous avons déjà évoqué.

    L'audience royale et la demande de grâce (point de vue domrémiste de page Wikipédia 2023)

    Pendant ces quatre ans, elle se serait entretenue par courrier avec le roi Charles VII de France qui, pour les tenants des origines royales de Jeanne d'Arc (qui n'avancent cependant aucun élément tangible accréditant leur hypothèse), serait son demi-frère (dont la légitimité de la naissance a également été contestée). Jeanne des Armoises obtient finalement une audience du souverain qui est le beau-frère du duc de Bar René Ier d'Anjou et dont la maîtresse Agnès Sorel a été suivante de l'épouse dudit René, la duchesse Isabelle Ire de Lorraine [je barre, tellement c'est hors-sujet]].



    D'après une relation tardive du chambellan de Boisy, le roi lui aurait demandé quel était le secret qu’il partageait avec elle. L'« héroïne » se rétracta, disant ne pas connaître le roi, et demanda grâce.

    Soumise à une enquête de l'Université et du Parlement de Paris, elle est démasquée et condamnée (?) en 1440 [10]. Elle admit publiquement son imposture et se retira avec son mari en son château de Jaulny, où elle termina ses jours.

    [note 10 :] Colette Beaune, « Une nouvelle affaire Jeanne d’Arc », sur Libération.fr, 10 juin 2009, avec sur ce lien : " Martin Meissonier n'a pas lu non plus les lignes suivantes qui rapportent sa condamnation par le Parlement en 1440 après qu'elle a avoué son imposture. D'ailleurs selon un autre texte, Claude s'effondra aux pieds du roi Charles VII, en sollicitant son pardon pour la supercherie ! "

    Les paroles exactes du souverain ont été citées, il parle effectivement d'un secret mais nullement pour "demander" lequel il est. Au contraire il dit qu'il le connaît bien et qu'il le partage avec Jeanne. C'est là une contradiction majeure provenant, non pas de Wikipédia, mais d'un autre témoignage que celui de Guillaume Gouffier, plus tardif, rapporté par Pierre Sala, lequel est rejeté par Cherpillod comme ayant trait à une "fausse Pucelle de Sala", à ne pas confondre avec Jeanne des Armoises (==>Cherpillod 485 486). Il estime tout de même que le roi et la dame des Armoises se sont bien rencontrés en septembre 1439 (==>Cherpillod 472 473). Notons que Guillaume Gouffier est né en 1435 et que son récit est celui d'une scène qu'on lui a rapportée, scène assez remarquable et racontée assez précisément pour qu'on puisse estimer qu'elle a été correctement transmise. .

    Je me range d'un avis proche de celui de Thierry Dehayes (pages 249 à 254), en estimant que l'épisode relaté par Pierre Sala est vrai dans ce qui est factuel (les paroles du roi à Jeanne) et faussé dans ses interprétations (rétractation et demande de grâce) parce qu'il est domrémiste.. Hé oui, ce texte est tardif, 1515, et Pierre Sala interprète les faits à sa manière ; il convient donc d'être prudent. D'ailleurs, une fausse Pucelle aurait été châtiée publiquement, celle-là ne l'est nullement, même symboliquement...

    Revenons au texte de Wikipédia. En plus de prendre au pied de la lettre la compréhension de Pierre Sala, le récit du "Bourgeois de Paris" (enquête de l'université de Paris, démasquée, condamnée) sur la "fausse pucelle de Paris", traité en fin du chapitre précédent, ajoute à la confusion. Notez l'extraordinaire parenthèse avec le point d'interrogation "(?)", comme si Wikipédia n'y croyait pas.

    En fait, les domrémistes amalgament approximativement la vie de Jeanne des Armoises avec celle de fausses pucelles reconnues comme telles. Car il y en eut plusieurs. Cherpillod en dénombre huit (pages 488 à 491) (aussi en jeannedomremy.fr, chapitre sur "Les travaux des historiens sur les fausses pucelles). Certaines ont reconnues la falsification et l'une d'entre elles a été condamnée par le parlement de Paris, très tardivement en 1457. Mais ce n'est pas du tout Jeanne des Armoises, alors décédée (vers 1449) : la condamnée, dite "Pucelle d'Anjou" ou "Jehanne des Sermaises", est mariée a Jehan Douillet et a deux enfants, alors que le dame des Armoises n'en a pas eu. Elle aurait abusé les Orléanais, alors qu'ils n'ont jamais dit l'être par la dame des Armoises, même au-delà de sa mort. Les amalgames sont grossiers, avec un manque de recul. On retrouve des confusions semblables dans un texte de l'avocat historien domrémiste Maurice Garçon en 1959.


    Gilles de Rais démasque une fausse pucelle (fiction). Jeanne des Armoises avait ces traces de blessures...
    (tome 2 de Jhen / Xan, "Jehanne de France", Martin / Pleyers, Casterman 1986)

    Contrairement à Colette Beaune, Olivier Bouzy ne va pas jusqu'à raconter une telle construction abracadabrante, mais il reprend le propos de Piere Sala sur le fait que "Claude s'effondra aux pieds du roi Charles VII, en sollicitant son pardon pour la supercherie !". Or, lors de cette rencontre à Orléans début septembre 1439, on connaît seulement les premières paroles du roi et le fait qu'assez rapidement Jeanne s'est jetée à ses pieds, puis est partie tranquillement. Le reste n'est qu'interprétation, de Pierre Sarla ou, encore plus tardive (à laquelle se réfère Bouzy) de l'historien domrémiste Jules Quicherat (1814-1882).

    La raison pour laquelle Jehanne se jette aux pieds du roi. Il y a une autre interprétation, plus simple et correspondant mieux aux faits d'un roi qui ne considère nullement Jeanne comme une "imposteuse" : après le bûcher, Jehanne avait promis de ne plus se montrer sous le nom de Jehanne la Pucelle ; or, indirectement, elle l'a fait ; donc Charles VII lui reproche de ne pas avoir tenu sa promesse ; c'est alors qu'elle s'est jetée à ses pieds pour dire qu'elle le regrettait et qu'elle ne recommencerait pas ; et, effectivement, elle est alors devenue plus discrète... Si c'était une personne qu'il n'aurait jamais vue auparavant, Charles VII ne l'aurait bien sûr pas accueillie aussi aimablement, en parlant de secret, et il n'aurait pas manqué de la punir publiquement !... Comment des historiens peuvent-ils croire à de telles balivernes !

    Concluons avec André Cherpillod (page 473). "Lecteur, mon ami, on te berne, on te bafoue, on te ridiculise, on se moque de la confiance que tu accordes à des auteurs bardés d'autant de diplômes que de mauvaise foi, et diffusés par des éditeurs prestigieux..."

    En complément, on pourra lire l'instructive et amusante (et révélatrice) page "Florilège des bourdes" sur jeannedomremy.fr. Colette Beaune est particulièrement douée, elle qui a écrit que "Les voix sont un fait historique incontestable (Cherpillod p. 205) a le culot de terminer l'article de Libération cité dans Wikipédia par cette phrase : "...en Histoire il y a des faits.". Hé oui, la mère, les frères, les amis, le roi lui-même savaient que la Pucelle n'était pas morte sur le bûcher, ils l'ont reconnue en Jeanne de Armoises. Ce sont des faits, ils n'ont pas pu se tromper. Certes, il reste à considérer qu'ils se sont tous mis d'accord pour comploter, mais comment et dans quel but ? Même les domrémistes les plus farouches n'osent énoncer une telle hypothèse...

    En conclusion, il apparaît certain que, si Jeanne des Armoises était une fausse Pucelle, cela aurait été clairement dénoncé de son vivant, y compris par des personnes ne l'ayant pas rencontrée, y compris par le roi, et même s'il ne l'avait pas rencontrée. Mieux que sa rencontre avec le roi, Dehayes suppose que Jeanne est aussi allée à Rome rencontrer le pape Eugène IV fin mai 1434 (==>Dehayes 345).

  7. Que s'est-il donc passé sur le bûcher de Rouen en 1431 ?

    Maintenant que l'on sait que la pucelle n'est pas morte sur le bûcher, il nous reste à trouver le mécanisme du tour de magie qui a fait croire qu'elle y a brûlé. Nous allons nous rendre compte que c'était finalement assez simple et que plusieurs textes délivrent des indices permettant de comprendre.

    Cette démarche apparaît incompréhensible au domrémiste Olivier Buzy, il considère que je prends le problème à l'envers (page 134) : "Jeanne d'Arc n'a pas été brûlée. Cette affirmation, qui devrait venir en tête dans la démonstration des survivalistes, vient au contraire souvent sur le tard, quand l'acuité de l'attention du lecteur s'est quelque peu émoussée. C'est pourtant la condition sine qua non : si Jeanne a été brûlée, Claude des Armoises est une menteuse, et tout ce qu'on pourra dire après ou avant n'est d'aucune utilité."

    Evidemment, ce dossier, comme d'autres, veut convaincre le lecteur de la réalité des faits. Pour cela, c'est naturel, on part du fait le plus incontestable qui soit, que les domrémistes ne peuvent nier qu'avec une mauvaise foi manifeste. Une fois acquise cette vérité première, on vérifie qu'elle est conforme à la réalité observée, sachant qu'il y a eu un maquillage de celle-ci et que l'évidence est moins forte. J'ai procédé de la même manière dans le dossier Victorina en partant du fait qu'on a retrouvé sa pierre tombale et qu'elle a donc existé. Dans le dossier Brigitte Macron, je suis aussi parti de la certitude qu'elle est la transsexuelle Véronique interviewée en 1977. Dans ces trois cas, on analyse les faits maquillés à la lumière de la révélation effectuée. Et, on va le voir, tout naturellement, on trouve alors une explication aussi valable, sinon plus, que celle de la version officielle.

    Dans leurs livres, Gay et Cherpillod font une longue description du procès et de la scène du bûcher. Je retiens cette version courte du 4ème article de Marcel Gay :

    Le bûcher de Rouen, 30 mai 1431
    Extrait de l'article 4/6 du 26 décembre 2022 Vingt-six mois de vie publique", par Marcel Gay

    Mercredi 30 mai 1431. Sur la place du Vieux-Marché de Rouen, 800 hommes d’armes portant glaives et bâtons attendent Jeanne-la-sorcière. La femme qui monte sur le bûcher a le visage "embronché" c’est à dire voilé, caché. Personne ne peut donc reconnaître la femme qui est brûlée ce jour-là.

    En ce funeste jour de mai 1431, la vie publique de Jeanne est terminée. La Pucelle n’a pas rempli les autres missions que ses voix lui avaient assignées, notamment celle de bouter les Anglais hors de France et celle de libérer Charles d’Orléans, le prince-poète, prisonnier à Londres depuis Azincourt. La guerre de Cent ans ne prendra fin que le 17 juillet 1453 avec la bataille de Castillon.

    Visage embronché,
    vu par Adrien Harmant

    A propos de ce supplice, en plus des deux premiers points signalés par Gay, trois autres peuvent être ajoutés :
    1. Personne n'a pu approcher la suppliciée parce qu'elle était entourée par 800 soldats.
    2. Personne n'a vu son visage, qui était caché ("embronché").
    3. Avant que le feu soit allumé, l'évêque Cauchon a longuement lu la sentence, sans que la suppliciée ne réagisse, comme si elle était droguée. Ce n'est pas du tout dans le tempérament de la Pucelle, elle qui répondait si vigoureusement à ses juges lors de ses procès. "Comment peut-elle rester muette quand elle s'entend traiter de superstitieuse, de blasphématrice et de schismatique ? Apparemment, aucun domrémiste ne s'est posé la question... Alors était-ce bien Jeanne ou une remplaçante ?" (Cherpillod page 412). Maurice David-Darnac insiste aussi sur cette invraisemblance (==>Darnac 307).
    4. (Cherpillod pages 414, 415) Jean Riquier, curé d'Heudicourt, dit également : "Après sa mort, les Anglais, craignant qu'on ne parlât d'évasion, dirent au bourreau de repousser un peu le feu : ainsi les assistants pourraient-ils la voir morte, et on ne raconterait plus qu'elle s'était évadée" (Duparc, IV, p. 141). "C'était pour vérifier que c'était bien une femme, et qu'elle était bien morte" (Bouzy, HE, p. 147). Il était vraiment inutile de se donner tant de mal ; personne ne nie que "c'était bien une femme, et qu'elle était bien morte". Le tout est de savoir qui elle était. Et cette simagrée ne prouve absolument rien quant à son identité.
    5. (Gay pages 190, 191) Quant au procès-verbal d'exécution de Jeanne, il n'a jamais été rédigé, contrairement aux habitudes puisque les livres de compte des Domaines nous donnent le nom des "sorcières" brûlées à Rouen entre 1430 et 1432, avec le prix du bois et le salaire du bourreau : Jehanne le Turquenne, Jehanne Vanneril, Alice la Rousse, Caroline la Ferté, Jehanne la Guillorée. Mais pas de Jeanne la Pucelle ! Bouzy lui, affirme (page 157) : "Il n'y a pas apparence [...] qu'on ait brûlé de sorcière à Rouen au début du XVème siècle". C'est pourtant une certitude....

    Le lecteur aura deviné que c'est une autre sorcière, probablement droguée, qui a été brûlée vive ce jour-là. Il n'y a certes pas de preuve, mais c'est tout à fait logique. Surtout, on se rend compte qu'il n'y a pas de preuve que la Pucelle était sur le bûcher. Elle n'a pas parlé (sauf à répéter parfois "Jésus"), personne ne témoigne qu'il l'a précisément reconnue.

    Extrait de la bande dessinée "Jeanne d'Arc" dans la collection "Ils ont fait l'histoire", Glénat /Fayard 2014, rééditée en 2019 par Glénat / Fayard / Le Monde dans la collection "Les grands personnages de l'histoire en bandes dessinées", texte de Jérôme Le Gris, dessin d'Ignacio Noé, dossier de l'historienne Murielle Gaude-Ferragu. Où sont les 800 soldats ? Où est la tête encapuchonnée ? Comment, au XXIème siècle, peut-on décrire une scène aussi éloignée de la réalité ?. Cette BD accumule tous les poncifes, avec ci-dessous la scène de la reconnaissance à Chinon et même, carrément, un "miracle". Honte à cette historienne pour cautionner de telles élucubrations, honte à Glénat, Fayard et Le Monde pour les avoir éditées !




    Que répondent les domrémistes à cela ? Il s'excitent sur le mot "embronché" qui ne signifierait pas que le visage était caché (==>Bouzy 152 153 154 155). Cherpillod leur répond avec brio (==>Cherpillod 412 413 414), terminant par "Cette écoeurante jonglerie est destinée à nous faire oublier que les textes de Perceval de Cagny et de Fauquembergue mentionnent clairement un "visage caché", "caché par une mitre"." et il ajoute : "Le peuple vit-il Jeanne sur son bûcher ? Ce n'est même pas certain : "Et en ung tableau devant l'eschaffault où ladicte Jehanne ezstoit, estoient escrips cez mos :" suit une liste de plus de 30 mots, qui cachaient le spectacle à de nombreux spectateurs...

  8. Pourquoi n'a-t-on pas voulu tuer la Pucelle sur le bûcher ?

    Nous avançons dans notre recherche de la réalité. Après avoir eu la certitude que Jeanne des Armoises était la Pucelle, nous avons compris qu'elle n'a pas brûlé à Rouen en 1431. Mais pourquoi tout ce cirque ? Pourquoi avoir simulé de façon aussi ostentatoire cette mort ? Pour quelle raison impérieuse les Anglais et l'Eglise n'ont-ils pas voulu tuer la pucelle ? Tout en faisant croire qu'ils l'ont tuée...

    C'est là qu'intervient la deuxième révélation, celle qui fait de Jeanne d'Arc la soeur utérine de Charles VII et de sa soeur Catherine, épouse du roi d'Angleterre Henri V Lancastre. Avant d'appréhender les solides éléments historiques qui conforteront ce qui n'est là qu'un début d'hypothèse, comprenons bien qu'il faut une cause de cette dimension pour expliquer la simulation de mort sur le bûcher. Comme le dit Cherpillod (page 543) : "Il n'y aurait aucune raison pour qu'on sauve du bûcher une simple paysanne [voire la fille d'un notable campagnard], alors que tout devient logique si Jeanne est une princesse de sang royal".

    Jeanne, demi-soeur ou soeur du roi de France, tante du roi d'Angleterre, est de la plus haute lignée royale. Nous sommes dans un monde profondément catholique, comment pourrait-on tuer quelqu'un de sa famille ? Le but est d'écarter Jehanne, elle dérange tant, mais il n'y a pas besoin d'aller jusqu'au meurtre, il suffit de faire semblant et de l'exfiltrer pour qu'elle continue discrètement sa vie, sous un autre nom...

    Une personne de sang royal ne peut pas être exécutée en place publique (Thierry Dehayes, page 355)

    Enfin, pour preuve qu'une personne de sang royal ne peut pas être exécutée en place publique comme un "vulgaire" criminel, il faut à nouveau en revenir au duc d'Alençon. Après avoir été arrêté par Dunois en 1456, d'Alençon, coupable d'avoir entamé des négociations avec le duc d'York et donc de haute trahison, fut condamné à mort le 10 octobre 1458. Cela ne l'empêcha pas d'être ensuite grâcié, avant d'être libéré par le successeur de Charles VII, Louis XI en 1461.

    Cette explication donne du sens à ce qui s'est passé. C'est une sorte de clé qui, on va le voir, va expliquer bien d'autres situations. Tout devient limpide quand on l'a compris. C'est ainsi que les survivalistes sont devenus bâtardisants. J'ai retrouvé le même phénomène de découverte d'une clé qui permet d'expliquer des comportements a priori incompréhensibles et incohérents dans l'affaire Brigitte Macron. Là, tout s'éclaircit quand on comprend que Jean-Michel Trogneux, s'est transformée en sa soeur Brigitte Trogneux. De même, dans un autre de mes dossiers, la découverte de l'identité de la mère d'Héloïse, l'amoureuse d'Abélard, est une clé permettant de connaître ses protections et de rendre accessoire l'identité inconnue de son père.

    Pour en terminer avec le bûcher de Rouen, il va de soi que l'Eglise est complice dans cette mascarade et que c'est l'évêque Cauchon lui-même qui a organisé l'exflitration de Jeanne. Sur le site jeannesomremy.fr, la page "Jeanne d'Arc au château de Rouen" montre précisément la présence de souterrains, mais il n'y en avait même pas besoin pour faire sortir discrètement quelqu'un de nuit...

    Couverture et extrait de la bande dessinée "La dame des Armoises", tome 19 de la série "Jhen", Casterman 2021, textes de Neji, sur une idée de Jacques Martin (l'auteur d'Alix), dessins de Jean Pleyers. Sur une intrigue très romancée, le héros, Jhen, ami de Gilles de Rais, s'amourache de Jeanne des Armoises reconnue par Gilles comme la Pucelle d'Orléans, qui lui révèle son secret. Bravo aux auteurs qui se sont basés sur ces faits historiques, bravo à l'éditeur Casterman !

    André Cherpillod insiste sur l'importance de la reconnaissance de la Pucelle par son "ami intime" Gilles de Rais. Il accueillit Jeanne des Armoises en son château de Machecoul et lui confia une petite troupe (==>Cherpillod 440 441).

    En 1984, dans le tome 1 de Jhen, qui s'appelait alors Xan, Jacques Martin et Jean Pleyers avaient montré une image crédible de la mort sur le bûcher. De 1984 à 2021, il y a là une remarquable continuité et cohérence...


    En 1985, dans le tome 2 de Jhen / Xan, titré "Jehanne de France", les auteurs ont mis en scène une fausse Pucelle (ci-dessous case 1), qui explique qu'elle n'est pas morte sur le bûcher (case 2). Finalement, elle sera démasquée par Gilles de Rais, qui ne lui retrouve pas de vieilles blessures à l'épaule et à la cuisse (case 3). Dans le tome 19, il n'a pas le moindre doute quand il voit Jeanne des Armoises... Et Marcel Gay nous a signalé que la vérification des "blessures de guerre" avait bien été effectuée à Metz sur Claude - Jeanne des Armoises.

    Toutes les fausses pucelles ont été assez rapidement démasquées. En tant que vraie Pucelle d'Orléans, la dame des Armoises a été suivie durant plusieurs années, sans que quiconque n'émette un doute sur son identité. S'il y en avait eu, il aurait été exploité...

    Extrait d'un texte de Jean Pleyers paru en 1986 lors de la parution du tome 6 de Jhen "Le lys et l'ogre" : "Il y eut en effet trois fausses Jeanne d’Arc facilement démasquées. Mais la « vraie », mariée plus tard à Robert des Armoises, serait réapparue devant témoins, et pas des moindres, cinq ans après son « évasion » de Rouen à Metz en 1436, se faisant appeler Claude, et n’aurait jamais été contestée par personne. Devrai-je donc penser tout le contraire de ce que je croyais comme tout un chacun, à savoir qu’elle a été brûlée à Rouen, et maintenant qu’ « on » l’a fait s’évader !?"

  9. Le procès aboutissant à la condamnation à mort était-il une mascarade ?

    Avant de revenir sur la véritable naissance de Jehanne, essayons de comprendre le procès la condamnant à mort. Nous verrons plus loin que Jeanne a été faite prisonnière par les Bourguignons, puis livrée aux Anglais. Voici une courte présentation du procès qui s'ensuit.

    1430 et 1431, à Rouen
    Extrait de l'article du 26 décembre 2022 Vingt-six mois de vie publique", par Marcel Gay

    23 décembre 1430. Arrivée à Rouen où Jeanne doit comparaître devant un tribunal ecclésiastique. C’est un procès en matière de foi : Jeanne est poursuivie pour sorcellerie. Mais c’est aussi un procès politique : la condamnation de Jeanne sera une réponse au sacre de Reims et, dans la foulée, remettra le traité de Troyes dans l’actualité.

    Janvier-mai 1431. Le procès dure cinq mois sous la présidence de l’Evêque Cauchon et du vice-inquisiteur Graverent. Sans surprise, Jeanne est condamnée au bûcher au terme d’un procès-fleuve. Mais procès truqué. Sur les 55 séances, 17 sont consacrées aux Voix. Tous les juges (sauf un) sont Français.

    Je me perds dans les méandres de ce long procès et je suis circonspect sur les déclarations des uns et des autres, pour deux raisons. D'abord à cause de la retranscription contrôlée et résumée des témoignages dénoncée par de nombreux auteurs, notamment sur les différentes versions et retranscriptions (==>Dehayes 382 383 384 385). Ensuite à cause des déclarations répétées de la Pucelle elle-même, niant vouloir dire la vérité (==>Darnac 260 261 262 263 264). Dans ces conditions, il est délicat de discerner la pertinence des propos consignés, sauf, comme le fait Thierry Dehayes, à prendre du recul. Les domrémistes, eux, sont sur une compréhension au premier degré, ce que voulaient les juges et les témoins complaisants de l'époque... Il y avait une volonté de fabriquer une légende.


    Jeanne et l'évêque Cauchon (Mora / De la Fuente, Larousse 1977)

    Je suis tout de même frappé par un tournant dans l'attitude de Jehanne, qui m'apparaît révélateur. Longtemps, elle est persuadée qu'elle sortira libre, parce que, dit-elle, ses "Voix" lui on dit qu'elle serait libérée (==>Darnac 295 296 297). Elle parle d'être "libérée de prison", "le jour et l'heure où je m'évaderai", "quelqu'évènement qui surviendrait" ou encore "La certitude d'un miracle". Donc on lui a certifié qu'elle ne risquait rien, elle ne se fait pas de soucis... Et puis arrive le 29 mai 1431 où elle est condamnée, indirectement, à être brûlée vive. Alors qu'elle se croyait intouchable, elle, la parente du roi de France et du roi d'Angleterre, elle tombe de haut et elle panique. Au point de promettre ce qui lui était impensable la veille : renier ses Voix et le caractère divin de sa mission. Bref, accepter qu'elle ne soit plus l'envoyée de Dieu, ayant une mission à accomplir à tout prix. Rentrer dans le rang, devenir anonyme... André Cherpillod l'explique très bien (page 401), c'est ce qu'il appelle "la seconde abjuration". "Cauchon est parvenu à ses fins. Il n'avait aucune raison de souhaiter la mort de la Pucelle. Mais le procès mené par lui n'avait de sens que si elle reconnaissait ses "erreurs"" (==>Cherpillod 401 402 403).


    Jeanne d'Arc en présence de ses juges. Fred Roe 1898 (Shipley Art Gallery) (variante)

    En pages 428 à 430, Cherpillod explique que le roi et ses proches étaient sur la même longueur d'onde que la Pucelle : ils étaient persuadés qu'elle ne serait pas tuée, ce qui explique qu'il n'y ait pas eu de demande d'échange contre rançon. Ils avaient pu obtenir des garantis de ce côté, de la part de Cauchon, notamment. David-Darnac est du même avis sur l'évêque de Beauvais et titre un de ses chapitres "Charles VII n'a pas abandonné la Pucelle" (==>Darnac 233 234 235 236 237). Il rappelle que Cauchon et Jehanne avaient rencontré le jeune Henri VI d'Angleterre et sa mère (==>Darnac 244 245). Tout semblait donc calé entre Cauchon et les souverains de France et d'Angleterre, il restait à vaincre l'obstination de Jehanne à vouloir poursuivre sa mission.


    C'est ainsi qu'avec cette seconde abjuration, la Pucelle accepte in extremis de s'éclipser. Elle réapparaîtra comme Jeanne des Armoises, en 1436, on l'a vu précédemment. Charles VII, en 1439, lui reprochera à juste titre de se présenter comme la Pucelle, l'amenant à respecter à nouveau sa promesse de discrétion formulée en 1431. Donc non, ce procès n'était pas une mascarade, oui, il avait du sens : Cauchon, le roi d'Angleterre et probablement aussi le roi de France ont obtenu ce qu'ils voulaient : la trop entreprenante Jehanne, qui n'en fait qu'à sa tête, rentre enfin dans le rang !


  10. La naissance de Jeanne d'Arc, à Paris le 10 novembre 1407

    Reprenons le cours de nos recherches. Nous avons soulevé l'hypothèse que Jehanne la Pucelle puisse être fille de la reine de France Isabeau de Bavière et de Louis d'Orléans, frère du roi Charles VI. Il nous faut vérifier que c'est, pour le moins vraisemblable, pour le mieux très probable.

    Plusieurs hypothèses bâtardisantes ont été émises. Marcel Gay (page 58 et suivantes) en cite trois : "fille de Charles VI et Odinette de Champdivers", "fille de Charles d'Orléans et d'Isabelle de France", "fille d'Isabeau de Bavière et Louis d'Orléans". Il explique en quoi les deux premières ne sont pas crédibles et montre à quel point la troisième l'est. C'est celle qui est maintenant presque unanimement admise par les non-domrémistes, car là, il y a du lourd, du factuel et du cohérent avec d'autres informations. Voici par Marcel Gay le contexte de la naissance de Jehanne.

    Isabeau de Bavière, ses 11ème et 12ème enfant
    Extrait des pages 64 à 66 du livre de Marcel Gay.

    Les moeurs légères d'Isabeau de Bavière étaient connues de tous. En se référant à la chronique du Religieux de Saint-Denis, nous apprenons qu'à cette date Isabeau avait 36 ans et était depuis plusieurs années la maîtresse attitrée de son beau-frère, le duc Louis d'Orléans. Le frère cadet du roi, du même âge qu'Isabeau, est décrit comme grand, mince, racé, cultivé, brave, brillant, et grand séducteur. Délaissée par son mari dément, Isabeau avait un tempérament amoureux exigeant. Leur liaison débuta vraisemblablement en 1402 quand Isabeau s'installa à l'hôtel Barbette qu'elle venait d'acheter. Elle s'y sentait chez elle et Louis pouvait l'y retrouver presque tous les jours lorsqu'il était à Paris. Elle laissait son royal époux dans les mains d'Odinette avant de quitter l'hôtel Saint-Pol qui était à cette époque la résidence royale.

    Le 22 février 1403, la reine mit au monde son onzième enfant qui sera le futur Charles VII. Dix-sept ans après, Charles VI, dans le traité de Troyes contresigné par Isabeau, a écarté formellement de la succession au trône de France celui qu'il désignait comme le "soy-disant dauphin", ses moments de lucidité ne lui laissant que peu de doutes quant à la légitimité de ce prétendu fils.

    Le 10 novembre 1407, Isabeau accoucha à hôtel Barbette de son dernier enfant, le douzième.

    C'est cet enfant qui serait la future Jehanne la Pucelle. Il est prénommé Philippe. Gay, Bouzy et Cherpillod ne le disent pas, le site jeannedomremy.fr (en cette page) et Dehayes (page 285) le signalent : ce prénom Philippe est, à l'époque, à la fois masculin et féminin (j'ai plusieurs Philippe au féminin dans ma généalogie). Là où ça se complique, c'est que ce bébé est censé mourir quelques heures après sa naissance (il n'est pas "mort-né" comme le prétend Bouzy). Sauf que contrairement à la coutume et à ce qui fut écrit à l'époque, il n'a pas été enseveli dans la basilique de Saint Denis auprès de ses frères morts jeunes : "On ne retrouvera pas sa sépulture dans la basilique Saint-Denis, ce qui est attesté par deux ouvrages, l'un de l'époque de la Révolution, l'autre du XVIIème siècle" (Dehayes, page 285).

    La "Chronique du Religieux de Saint-Denis" datée de 1707 comporte la note suivante en latin : "Ici manquent plusieurs feuillets dont quelques uns à la fin de l'année 1407 et d'autres continuent à manquer au début de l'année 1408" (Gay page IV). En 1783, un généalogiste officiel écrit "Le dernier enfant d'Isabeau dut une fille prénommée Jeanne qui ne vécut qu'un jour et fut enterrée à Saint Denis". On s'y perd : quel prénom ? Quel sexe ? Enterré ou pas ? Y'a-t-il eu une volonté de camouflage ? (==>Gay 66 67 68 69 70 71).

    En réponse à Marcel Gay, le domrémiste Olivier Bouzy (pages 81, 82) ne cite même pas Odinette et l'hôtel Barbette, estimant qu'il y a invention de "romans sur les parties de jambes en l'air de la reine Isabeau". Pourtant, même Wikipédia reconnaît les nombreuses accusations d'adultère dont elle fut l'objet de son vivant... Marcel Gay remarque fort justement que, pour une reine, l'adultère était particulièrement grave et laisser vivre ce bébé ne pouvait que lui attirer de graves ennuis. Le tuer n'était pas vraiment chrétien, il fallait donc le protéger... Conclusion : "Si cet enfant de la reine n'est pas mort, il a bien fallu le cacher. Sans doute loin de Paris.". André Cherpillod va dans le même sens (pages 149 à 163), en apportant quelques détails complémentaires.

    Il n'y a donc là rien de certain, les arguments des domrémistes ont ici quelque valeur, ils n'ont toutefois aucune contre-indication formelle. Or l'hypothèse, une fois posée, apparaît hautement probable quand on la confronte à ses conséquences : souvenez-vous, par exemple, des propos du duc d'Alençon en 1429 cités précédemment, ou ceux de Charles VII en 1439. Et vieillir Jehanne de 4 à 5 ans, rend aussi son épopée beaucoup plus crédible. En continuant à fouiller, une naissance de la Pucelle à Domrémy apparaît improbable, c'est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant. Remarquons que d'un point de vue juridique, la majorité à cette époque étant de 25 ans, Jeanne était mineure en 1431 au procès de Rouen, qu'elle soit née en 1407 ou en 1412. En conséquence, Thierry Dehayes (page 287) s'étonne que les juges de Rouen aient donné tant d'importance à l'âge de Jeanne, comme s'ils voulaient absolument la faire naître en 1412. Pareil, pire même, pour le procès d'annulation.

    Considérons donc l'appartenance de la Pucelle à la maison d'Orléans, avec cet arbre généalogique du livre d'André Cherpillod. J'y ai ajouté, en couleur marron le roi d'Angleterrre Henri V, son épouse Catherine de France et leur fils le roi d'Angleterre Henri VI, prétendant au trône de France. Et aussi les cousinages avec le duc d'Alençon et le duc de Bourgogne.


    Cet arbre montre, comme déjà dit, que Jeanne la Pucelle serait demi-soeur du roi de France Charles VII, régnant de 1422 à 1461, et tante du roi d'Angleterre Henri VI, régnant aussi de 1422 à 1461 (et quelques mois en 1470/1471). A supposer que Louis Ier duc d'Orléans, frère cadet de Charles VI, soit le père biologique de Jeanne (ce qui est un peu moins sûr que sa mère biologique Isabeau de Bavière...), on constate que Jeanne et Charles VII sont davantage que demi soeur et frère : ils ont tous leurs ascendants en commun, sauf leur père. Jeanne la Pucelle d'orléans est alors pleinement, autant que Charles VII, une Valois. Elle serait aussi, par son père une demi-soeur de Dunois, un de ses compagnons d'armes, dont on reparlera. On note aussi que Philippe le Bon, duc de Bourgogne de 1419 à 1467, est un petit-fils de Philippe de Bourgogne (le Hardi) et donc un cousin de Jeanne. N'oublions pas, enfin, qu'il reste une grosse incertitude sur le père biologique de Charles VII, qui pourrait être Louis d'Orléans. Jehanne et Charles seraient alors pleinement soeur et frère.


    Charles VI et Isabeau de Bavière à Paris le 22 août 1389, Chroniques de Jean Froissart (fin XVème siècle).
    L'assassinat de Louis Ier d'Orléans le 23 novembre 1407, deux semaines après la naissance de Jeanne [enluminure BnF Paris]
    (Louis est assassiné en revenant d'une visite à Isabeau dans l'hôtel Barbette).
    Dunois, aussi nommé Jean d'Orléans, ou bâtard d'Orléans, en prière vers 1436 [Heures de Dunois, Bristish Library Londres]



    Toutes ces considérations, y compris celles à venir, m'ont amené à avoir l'intime conviction que la Pucelle a pour parents biologiques Isabeau de Bavière et Louis Ier d'Orléans. J'en parlerai désormais au présent et non plus au conditionnel, tout en reconnaissant qu'elle a eu des parents adoptifs, Jacques d'Arc et Isabelle de Vouthon, habitants de Domrémy, nous y arrivons...

  11. Les d'Arc, parents adoptifs de la Pucelle à Domrémy

    Jeanne ne portait pas le nom de son père adoptif. Les domrémistes affirment que la Pucelle est fille biologique de Jacques d'Arc (ou Darc ou autre variante). Pourtant, de son vivant, elle n'a jamais été appelée Jeanne d'Arc, et elle n'a jamais demandé à l'être. Comme si elle ne reconnaissait pas ce père... Même s'il y a des exceptions, c'était déjà la coutume qu'une fille prenne le patronyme paternel : il y a là quelques chose qui cloche. Ce nom ne lui a été attribué que très tardivement, en 1455, à l'époque du procès en nullité, comme si, face aux doutes, on voulait alors absolument qu'elle soit fille de Jacques d'Arc.

    Il était nécessaire d'exfiltrer l'enfant d'Isabeau de Bavière (extrait des pages 69 et 71 du livre de Maurice David-Darnac)

    Le 10 novembre 1407, Ysabeau accoucha d'un enfant qui ne pouvait être que le produit des oeuvres du duc d'Orléans, puisque la reine avait cessé toutes relations conjugales avec son mari depuis l'année 1405. [...] La liaison de la reine et de son beau-frère avait causé tant de scandales qu'il était absolument inconcevable qu'il restât un témoignage vivant et officiel de ces coupables amours, car c'eût été faire la part trop belle au Bourguignon, qui n'avait déjà que trop d'arguments valables pour attaquer la reine et le régent.

    C'est pour ces raisons qu'il fut décidé de substituer un enfant mort à celui dont Ysabeau accoucherait. [...] La substitution fut d'autant plus facile que l'enfant naquit non pas dans la demeure royale, mais dans la résidence personnelle d'Ysabeau, bien à l'abri de tous les regards indiscrets ; quant au changement de sexe, il constituait une précaution supplémentaire, de nature à rendre encore plus difficiles toutes recherches éventuelles visant à rétablir la vérité. [...] Le choix du petit village de Domrémy présentait bien des avantages.

    Le brouillard autour de sa naissance. Pour Wikipédia, Jeanne est née à Domrémy (actuel département des Vosges), dans le duché de Bar, "vers 1412". De nombreux domrémistes et les autorités ecclésiastiques estiment qu'elle est précisément née le 6 janvier 1412. Y-aurait-il un doute ? Oui, rien n'atteste cette date. On ne sait pas quand elle fêtait son anniversaire. Le lieu de naissance serait Domrémy, selon la Pucelle elle-même, mais on a vu qu'elle ne voulait pas promettre de dire la vérité. Des témoins aux deux procès l'ont dit, mais sans aucune précision, certains étant même vagues ("à ce qu'on disait"). André Cherpillod donne le détail de ces témoignages, souvent stéréotypés (page 117 à 121), concluant : "Alors que reste-t-il pour prouver que Jeanne est née à Domrémy ? C'est très simple : il ne reste RIEN. Les domrémistes sont bien imprudents de s'appuyer sur ces "témoignages"".

    Ah si, un témoignage simple et précis.... Cherpillod va plus loin, en titrant un chapitre (pages 127 à 141) "La naissance en 1412 : impossible !". Le point le plus pertinent de sa démonstration (page 138) est le témoignage "parfaitement sincère et spontané" d'Hauviette, amie d'enfance de Jeanne, qui en janvier 1456, sans qu'on lui demande (contrairement aux autres témoins qui avaient été préparés à la question), se dit âgée d'"environ quarante-cinq ans" et dit que Jeanne était "plus âgée d'elle de trois ou quatre ans", ce qui fait naître Jeanne à la fin de 1407 ou au début de 1408. Croyez-vous que ce soit un hasard si on tombe là sur la date de naissance du 12ème enfant d'Isabeau de Bavière ?


    Le village des Arc est désormais appelé Domrémy la Pucelle. Deux statues y furent inaugurées en 1911... Jacques d'Arc et
    Isabelle de Vouthon, dite Romée, statufiés comme parents de Jeanne la Pucelle, renommée Jeanne d'Arc (photos J.-L. Bretet).

    Prenons connaissance de la famille d'accueil de La Pucelle, avec cet arbre du livre d'André Cherpillod, lequel a mené une étude poussée sur cette famille.


    En ses pages 171 et suivantes, André Cherpillod déconstruit la légende Domrémy sur plusieurs points, à commencer par la maison dite natale de la Pucelle. Elle a été construite en 1481 et maintes fois remaniée au point d'être très différente, comme il le montre avec ces deux illustrations :


    La maison dite natale de Jeanne d'Arc a été construite en 1481, longtemps après sa naissance, puis reconstruite...
    En cette page, le site jeannedomremy.fr apporte d'autres arguments sur la "contrevérité historique" de la maison natale.

    Les parents adoptifs de Jeanne ne sont pas de simples manants ou laboureurs, mais des descendants de petite noblesse, les d'Arc et les de Vouthon. Jacques d'Arc est considéré comme le doyen du village, propriétaire de vingt hectares. Son épouse Isabelle Romée, venait du village proche de Vouthon. Elle était soeur de Henri de Vouthon, curé d'une autre paroisse voisine, Sermaise (==>Gay 92 93 94). Si Bouzy conteste de façon théâtrale quelques détails du texte de Gay (==>Bouzy 106/107), Cherpillod (pages 103 à 109) estime aussi que Jacques était le premier des notables de Domrémy, d'une famille d'Arc "probablement d'ancienne chevalerie", ayant des armoiries (ci-contre), et qu'Isabelle était "issue d'une famille modeste, mais noble". Et il affirme que les Arc sont en lien avec les Orléans.

    Remarquons que Dunois, le bâtard d'Orléans, demi-frère de Jeanne, a lui aussi été confié à une famille adoptive, à la famille de Commercy-Sarrebrück, à Commercy. Domremy n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de Commercy (Moins de 40 km en fait) ! "Comment ne pas envisager que c'est le même convoi qui a exfiltré de Paris les deux enfants, pour les mener dans cette lointaine province...On doit se souvenir que Jean sans Peur, qui avait ordonné l'assassinat de Louis d'Orléans, n'hésitait pas à proclamer qu'il en supprimerait toute la descendance !" (page de jeannedomremy.fr) (page sur Dunois).

    Isabeau de Bavière a donc confié sa fille à des gens de confiance, avec un niveau de vie relativement aisé. Elle prend soin de son enfant et elle va continuer à s'en préoccuper, elle va participer à son éducation, c'est ce que nous allons voir maintenant.

  12. Jeanne à Domrémy, une fillette puis adolescente reliée à Paris

    Jeanne n'a pas été abandonnée par sa famille biologique et "expédiée" à Domrémy chez les d'Arc de façon abrupte, renonçant à s'en préoccuper par la suite. De nombreux indices montrent le contraire. Maurice David-Darnac a révélé l'existence de liens anciens entre les Orléans et les d'Arc "dont plusieurs des membres avaient obtenu, grâce à la haute protection des Orléans, d'importantes fonctions à la Cour de France" (==>Darnac 72 73 74 75). Il relate ensuite cet épisode :

    L'arrivée de Jehanne, bébé, à Domrémy
    (Maurice David-Darnac, pages 74 / 75, s'appuyant sur une lettre du chambellan de Charles VII, Perceval de Boulainvilliers, adressée le 13 juin 1429 à Philippe Visconti, duc de Milan, frère de la veuve du duc d'Orléans)
    "Le 6 janvier dans la nuit de l'Epiphanie, les coqs se mirent à chanter. Des hommes porteurs de flambeaux avaient troublé la quiétude habituelle. Ils avaient frappé à la porte du doyen Jacques d'Arc".
    Il est très vraisemblable que la petite Jehanne arriva à Domrémy dans la nuit de l'épiphanie, le 6 janvier 1408 ; L'entrée dans ce petit village d'une trentaine de maisons, d'un cortège de plusieurs cavaliers entourant une voiture légère et bien fermée, ne pouvait passer inaperçue. Le nourrisson avait donc deux mois lorsqu'il fut remis aux d'Arc.

    Olivier Bouzy conteste cet épisode en le positionnant en 1412 (==>Bouzy 82 83 84 85). André Cherpillod, toujours pointu dans ses analyses, inflige à Olivier Bouzy un désaveu cinglant sur cette date, par une leçon de respect du texte, qui ne comporte aucune date (==>Cherpillod 164 165 166). Toutefois je constate que le texte intégral de Boullainvilliers, présenté par Bouzy (page 83), et confirmé par Gay (page 52), ne comporte pas les mentions citées par David-Darnac : "les hommes porteurs de flambeaux" et le fait qu'on ait "frappé à la porte du doyen". David-Darnac les aurait-il inventés ? C'est ce que pense Bouzy, qui, là, aurait raison. Ajoutez que c'est un témoignage tardif et unique, il convient de mettre en doute sa véracité. Mais c'est sur lui que s'appuie les domrémistes pour fixer la date de naissance de Jehanne au 6 janvier 1412 !...

    Il ne semble pas y avoir de doute sur le baptême à Domrémy de Jeanne, avec plusieurs marraines et parrains, comme cela se faisait à l'époque... jusqu'à un certain point. Bouzy (page 78) : "A prendre les choses au pied de la lettre, Jeanne aurait eu douze parrains et marraines", d'après les témoignages au procès d'annulation. En imaginant des homonymies, il restreint à trois parrains et trois marraines. Je n'ai jamais vu en généalogie autant de parrains et marraines. Un siècle plus tard, la norme est de deux marraines et un parrain pour une fille, deux parrains et une marraine pour un garçon. Sur ce point précis, on voit à quel point il faut peu prendre en compte les témoignages préparés de ce procès.

    En 1420 (date du traité de Troyes...), Jeanne a 13 ans et sa vie va changer. La famille d'Arc va habiter le château de l'Isle, proche de Domrémy. En effet, il a été trouvé, un document du 2 avril 1420 (parchemin conservé au Trésor des chartes de Lorraine aux archives de Meurthe-et-Moselle. Layette Ruppes 2, n° 28), qui est un bail "conclu entre les propriétaires de la forteresse, les seigneurs de Bourlémont, et deux locataires, dont un n'est autre que Jacques (Jacobus) d'Arc" (page du site jeannedomremy.fr avec le plan ci-après, sachant qu'il reste des interrogations sur son emplacement) (il y eut aussi d'autres locataires).


    En deux tomes, Georges Poull (1923-2011) a étudié le château de l'Isle, avec notamment ce plan sommaire.

    Et c'est ainsi que, derrière les remparts du château de l'Isle, l'adolescente Jehanne va s'exercer durant six ou sept années à manier les armes et à devenir une guerrière chevronnée, prête à commander. Mais quels sont donc ses instructeurs ? Il apparaît, notamment pour André Cherpillod, que ce seraient Bertrand de Poulengy et Jean de Novelonpont (aussi appelé Jean de Metz), deux gentilshommes dévoués à Jeanne, qui l'accompagnèrent de Vaucouleurs à Chinon (==>Cherpillod 244).

    Etre entraîné dès 13 ans au maniement de lourdes armes a des conséquences physiques. L'une d'entre est la grande taille des mains de Jeanne d'Arc. Plusieurs documents en témoignent. Le plus pertinent est une statue de Jeanne agenouillée en armure. C'est une copie de 1610 (avec ajout d'une fraise au col...) de la statue du pont d'Orléans de 1458 (==>Gay 79 80 et article) (page de jeannedomremy.fr), avec ici une miniature d'un parchemin médiéval. Même si ces portraits ne peuvent pas être considérés comme authentiques, cette caractéristique de grandes mains apparaît très probable pour une personne formée dès l'adolescence au maniement des armes. On en reparlera plus loin (au chapitre 21).


    Croyez-vous qu'une princesse, même bâtarde, ne soit pas instruite, au moins de la lecture et de l'écriture ? La Pucelle n'était pas une bergère inculte comme cela a pu être dit. Elle savait lire, écrire, signer, rédiger une lettre (en dicter aussi). Voici une des douze répertoriées par Cherpillod (pages 529 et 530) (il indique qu'il y en eut 9 autres au moins, dont on ne connaît pas le contenu). Elle l'a adressée aux habitants de Riom le 9 novembre 1429 :


    C'est peut-être encore là, entre les murs du château de l'Isle, que la jeune princesse a appris le langage et les manières de la Cour. Marcel Gay en son article 4/6 : "Jeanne affirme avoir été gouvernée par ses voix pendant sept ans. Cela correspond à sa formation militaire et intellectuelle à Domrémy. La formation militaire étant assurée par deux officiers du capitaine Robert de Baudricourt : Jean de Metz et Bertrand de Poulangy. Sa formation religieuse et intellectuelle par les dames de Bourlémont, de Gondrecourt et de Joinville." On vient de voir que les Bourlémont sont colocataires avec les d'Arc du château de l'Isle. "Béatrice de Bourlémont, qui vient de France, a fort bien pu veiller à l'éducation très soignée de la jeune princesse Jeanne, à commencer par l'apprentissage de la langue de France, des usages de cour, voire de l'éloquence" (Dehayes, page 352). A Domrémy, on parlait une autre langue, un patois qui est analysé en début de cette page du site jeannedomremy.fr. Il y a d'autres hypothèses pour le lieu d'éducation de Jehanne : le château de Vaucouleurs, possession de Robert de Baudricourt, le château de Ligny en Barrois, possession de la famille du Luxembourg, peut-être plusieurs d'entre eux... Peu importe les lieux, le résultat est là.

    Avec une telle éducation, on comprend cette description de Perceval de Boulainvilliers : "Cette Pucelle est d'une élégance certaine; elle a une attitude virile, parle peu, montre une admirable prudence dans toutes ses paroles. Elle [...] se plaît à cheval et à porter de belles armes, aime beaucoup la compagnie des nobles hommes d'armes, déteste les assemblées et réunions nombreuses.". Dans sa chronique,Jean Chartier va jusqu'à écrire : "Lors ycelle, venue devant le roy, fit les inclinations et révérences acoustumées de faire aux roys, ainsy que se elle eust esté nourie en sa court". André Cherpillod, en pages 73 à 82 de son livre, dans le chapitre "A tu et à toi avec les grands seigneurs" montre à quel point Jeanne parle et agit comme une princesse, imposant un respect aux plus puissants.

    A l'évidence, cette éducation là ne provient pas de sa famille adoptive, mais de sa famille biologique, qui, de Paris ou d'ailleurs, a missionné des éducateurs pour former un personnage de haut rang.

  13. Jeanne et les services secrets royaux : "l'opération Bergère"

    Ce qui vient d'être présenté au chapitre précédent peut être considéré comme une manipulation des services secrets royaux, qui, bien sûr, n'existaient pas sous ce nom ou un autre. Mais tout cela s'est bien fait en secret, voulu par des proches du roi de France, sans savoir où cela mènerait. Rappelons qua la situation est alors très délicate pour la royauté et qu'il peut être bon de disposer de "cartouches" de rechange. Jeanne s'avère être une élève particulièrement douée, la situation du roi est devenue critique avec son concurrent le jeune Henri VI d'Angleterre qui s'est installé à Paris, la capitale ! Il va falloir se remuer et frapper un grand coup dans l'opinion pour emporter l'adhésion. C'est alors que, selon toute vraisemblance est conçue et préparée ce qui, rétrospectivement, peut être appelée "l'opération Bergère"...

    Cette appellation est le titre d'un livre d'André Guérin (1899-1988), paru, en 1961, en anglais (Operation Shepherdess - The mystery of Joan of Arc = Opération Bergère - Le mystère de Jeanne d'Arc) et, en 1963, en allemand (Johanna sagt Euch lebewohl - Das Ende einer Legende = Jehanne vous dit adieu - La fin d'une légende), mais pas en français, conséquence d'une censure éditoriale française sur une sujet considéré comme sacrilège. Pourquoi une telle opération ? André Cherpillod lui trouve deux nécessités, l'une tactique, l'autre psychologique. Voici le début de sa démonstration.

    Pourquoi une telle mise en scène ? Une nécessité tactique... (André Cherpillod, page 239).

    Une fois le scénario arrêté en haut lieu, il est évident que le secret de naissance ne pouvait en aucun cas être révélé : la légitimité de Charles étant déjà mise en doute, rien n'eût été plus dangereux pour lui que l'intervention d'une soeur, ou demi-soeur, dont on eût proclamé la naissance adultérine.

    En effet, "l'apparition d'une bâtarde tenue jusque-là cachée, même se disant "envoyée de Dieu", risquait de paraître "un coup monté" qui ne pouvait que nuire à l'héroïne dont on voulait se servir efficacement" (G. Pesme, p. 61)

    De plus, la révélation de la bâtardise de Jeanne aurait confirmé les bruits qui couraient sur le comportement de la reine Isabeau, donc entraîné des soupçons sur la légitimité de Charles VII et jeté la suspicion sur toute la maison de Valois, pour le plus grand profil des Anglais et des Bourguignons.

    Mais en fait, les Anglais n'auraient tiré qu'un faible avantage de cet aveu. Car l'aveu de la bâtardise de Jeanne aurait immédiatement fait suspecter de bâtardise les autres enfants d'Isabeau de Bavière : le roi Charles VII, mais aussi sa soeur Catherine, la mère d'Henri VI, le roi anglais. Il en résultait qu'Henri VI n'avait plus aucun droit à la couronne de France.Pour les Anglais, c'était la catastrophe.

    Donc silence des deux côtés, c'est un secret. Catherine, Charles et Philippe-Jeanne sont en effet les 10ème, 11ème et 12ème enfants d'Isabeau, nés en 1401, 1403 et 1407. Les puissants doutes qui assaillaient Charles sur l'identité de son père biologique ne pouvaient qu'être partagés, à un degré certes un peu moindre, par Catherine et son fils Henri VI. Durant toute la vie de Jeanne la Pucelle des Armoises, ce secret d'Etat (dont Charles parle à Jeanne en 1431, rappelez-vous) devait impérieusement rester caché et même après sa mort, tant que les Valois et les Lancastre étaient au pouvoir. Ensuite, le mensonge réussi ne pouvait que devenir réalité... Même pour nos éminents historiens et médias contemporains, incapables de remettre en cause les contre-vérités qu'on leur a apprises, malgré un impressionnant faisceau d'indices factuels convergents.

    Pour renverser le cours des événements, il convenait de frapper l'opinion de la façon la plus impressionnante : une volonté divine, qui oserait s'y opposer ? Jehanne l'a bien compris compris et intégré, elle se présente comme l'envoyée de Dieu ayant des missions à accomplir, c'est son Credo, ses Voix... En fait on lui a bien confié des missions et des voix humaines qui n'ont rien de saintes ou angéliques, lui ont suggéré d'utiliser cet attirail divin pour convaincre...

    L'opération fut soigneusement préparée en amont, en faisant courir le bruit qu'une vierge miraculeuse viendrait sauver le Royaume de France. Comme le dit André Cherpillod, après avoir rappelé que Moïse, David et Mahomet furent bergers :

    Bien mieux qu'un berger : une bergère... (André Cherpillod, pages 240, 241).

    Pour ajouter encore sur l'humble condition du libérateur, il fallait que celui-ci fut une libératrice. [...] Il n'y avait qu'une femme qui semblât faire l'affaire : la petite Jeanne d'Orléans, née le 10 novembre 1407, enfant sensible, pieuse, intelligente, élevée chez les d'Arc, famille honorable de Domrémy. Elle était certes capable de comprendre ce qu'on attendait d'elle. Elle était bâtarde, mais personne ne le savait. Elle n'était point bergère, mais qu'importe ! Son père adoptif était laboureur, cela suffisait.

    "Quelle armée, si puissante soit-elle, pourrait résister à des troupes conduites par un envoyé de Dieu, par une pucelle conseillée par Saint Michel, le chef des milices célestes ?" (M. Gay, p. 147)

    Non seulement le libérateur serait une femme, mais elle serait de condition aussi humble que possible, et à peine sortie de l'enfance : ainsi, elle ne tiendrait sa puissance que de Dieu ! Il faudrait donc la rajeunir de quelques années, pour rendre invérifiable son origine réelle et ajouter un piment de merveilleux.






    Des moutons, des voix célestes, quelle histoire merveilleuse illustrée de multiples façons au long des siècles... Peinture de François Léon Bénouville. Vitrail (église de Pontrieux, Bretagne). Image cartonnée (Nathan, dessin Henri Dimpre). En gommant le côté mystique, on a une fille du bas peuple qui se transcende pour sauver son pays, symbole du patriotisme...

    Jeanne avait-elle choisi le bon camp ? En complément, on pourra consulter la page "Opération Bergère" du site jeannedomremy.fr. Il y est démontré à quel point Charles VII n'est probablement pas fils de Charles VI (seulement 4%) mais fils de Louis d'Orléans, et en quoi le traité de Troyes, qui réunissait les royaumes d'Angleterre et de France, était valide et rend illégitime l'opposition de Charles VII. Celui-ci finira par être nommé "le Victorieux". On a là, une fois de plus, l'illustration que l'Histoire est écrite par les vainqueurs. Si les vaincus avaient été victorieux, l'entreprise de la Pucelle n'aurait-elle pas été considérée comme une rébellion de la dernière chance d'une illuminée refusant le traité si salvateur de fin de la guerre ? Et si elle avait choisi l'autre camp ? Celui de sa soeur et de son neveu (celui aussi de l'Eglise et de la Diplomatie) plutôt que celui de son frère ? La réunion des deux royaumes ne se serait-elle pas traduite par la désignation de Paris comme capitale et par l'adoption de la langue française, qui aurait remplacé la langue anglaise ? Jeanne d'Arc plutôt que de sauver le royaume de France n'a-t'elle pas, au contraire, définitivement, significativement, réduit sa puissance ?


    Année 1420. Le 21 mai, le traité de Troyes est signé, suite à des négociations entamées en octobre 2018. Le 2 juin, à Troyes, Henri V, roi d'Angleterre, épouse Catherine, fille du roi de France Charles VI (soeur ou demi-soeur de Charles VII et Jeanne la Pucelle). En vertu du traité, leur futur fils, Henri VI régnera sur les deux pays. Le 1er décembre 1420, les rois de France et d'Angleterre entrent en triomphe à Paris. Henri V et Catherine célèbrent en grande pompe Noël au Palais du Louvre. (miniature de la Chronique du religieux de Saint Denys, de Jean Chartier, d'avant 1494, British Library)

    Qui donc a pu imaginer une telle opération secrète visant à renverser le cours des choses ? Qui a pu deviner que Jehanne serait apte à mener une telle mission ? Elle sera admirable, plus efficace et rapide qu'il n'était attendu... Jusqu'à ce que ça se gâte... Qui ? Est-ce la dame de pouvoir déjà présentée en introduction ?


  14. Yolande d'Aragon est-elle le "Deus ex machina" de l'opération Bergère ?

    Qui a conçu l’opération Pucelle ? (Marcel Gay, reprise de l'article 3/6 du 25 décembre 2022)

    Le stratagème de l’envoyée du ciel pour sauver le royaume de France a été conçu par une femme d’exception : Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou, reine des Quatre royaumes. L’opération a été exécutée de main de maître par une autre femme exceptionnelle : la Pucelle d’Orléans.

    Peu connue et peu étudiée, Yolande d’Aragon, belle-mère du roi, a joué un rôle majeur dans l’histoire de France. Pendant quarante-deux ans, de 1400, date de son mariage en Arles avec Louis d’Anjou jusqu’à sa mort en 1442 à Saumur, elle est au cœur de tous les événements importants de cette première moitié du 15ème siècle. Yolande est une femme de pouvoir, du vrai pouvoir, celui de l’influence, qu’elle exerce toujours dans l’ombre.

    Yolande est née le 11 août 1379 à Saragosse. Fille du roi Jean 1er d’Aragon et de Yolande de Bar, Yolande est petite-fille du roi de France Jean le Bon. C’est une Valois. Son éducation a été confiée à des religieux qui lui enseignent la diplomatie, la patience et l’obstination. Des qualités intellectuelles et morales dont elle saura jouer.

    A la mort de son époux, elle a trente-sept ans et cinq enfants. La duchesse d’Anjou hérite de tous les titres de son défunt mari. Elle est donc reine de Sicile, reine de Naples, reine de Jérusalem, reine de Hongrie. La reine « des Quatre royaumes » possède aussi de nombreuses terres et leurs châteaux : la Provence, le Maine et, bien entendu, l’Anjou. Yolande est un fin stratège qui sait tirer parti des rapprochements familiaux. Son fils, René d’Anjou, héritier du duché de Bar est marié en 1420 avec Isabelle de Lorraine, fille unique du duc Charles de Lorraine. Ainsi, les deux duchés voisins de Lorraine et de Bar sont-ils réunis sous une même couronne posée sur la tête d’un prince du parti d’Armagnac.

    Cette femme discrète et belle (la plus belle femme du royaume, disait-on) est d’une rare lucidité. Elle sait devancer les événements quand elle ne les suscite pas. Ses froids calculs lui donnent toujours plusieurs coups d’avance sur ses adversaires. Un exemple. En 1413, alors que rien ne presse, elle décide de fiancer sa fille, Marie, 9 ans, à Charles de Ponthieu, 10 ans, troisième fils du roi Charles VI et de la reine de France. Avec l’accord de la reine Isabeau et du Conseil royal, elle prend Charles sous sa protection au château d’Angers. Elle se charge de son éducation pour le soustraire à l’influence néfaste de sa mère et aux dangers de la cour.

    Deux ans plus tard, en 1415 le dauphin Louis meurt, sans doute empoisonné. Deux ans plus tard encore, le dauphin Jean meurt à son tour. Charles devient donc dauphin en 1417. La reine Isabeau comprend la manoeuvre. Trop tard. Elle veut récupérer son fils ? Yolande s’y oppose en ces termes : "Femme en puissance d’amants n’a point besoin d’enfants. Pourrirez le laisser périr comme ses frères, le rendre fou comme son père ou le vendre aux Anglais comme vous-même. Le garde mien. Venez le prendre si l’osez !"


    Yolande d’Aragon, illustrations de sa page Wikipédia : vitrail du bras nord du transept de la cathédrale
    Saint-Julien du Mans et, avec deux de ses enfants, enluminure anonyme de la Bibliothèque municipale du Mans.

    De méchantes langues prétendent que Yolande d'Aragon a donné quelques coups de pouce au destin, et que la mort (subite ?) des deux frères ainés de son gendre ne serait pas une véritable coïncidence. (page de jeannedomremy.fr)

    Charles épouse Marie en 1422. Yolande devient ainsi la belle-mère du roi. Elle va tout faire pour préserver l’héritage de son gendre. En 1420, elle est meurtrie par le traité de Troyes qui déshérite le dauphin Charles au profit du petit roi anglais Henri VI. Elle ne laissera pas le royaume aux mains des Anglais. Elle se battra pour préserver les biens de sa famille et le royaume de son gendre. Elle engagera sa fortune et mettra son habile intelligence au service des siens. Lorsque après un long séjour dans son comté de Provence, en 1423, elle revient en Anjou, les Anglais ont pris position près de ses terres. Yolande n’hésite pas à prendre le commandement des troupes, elle enfourche un splendide cheval blanc cuirassé d’acier et d’argent et attaque les soldats de William de la Poole, comte de Suffolk. Les anglais furent effrayés par cette cavalière hors pair montant un destrier étincelant. Ils ont cru voir le diable et ont quitté le champ de bataille à toutes jambes.

    Evidemment, je vois dans cette scène la préfiguration de ce que fera une autre femme sur les champs de bataille. Jeanne, la Pucelle, va terroriser elle aussi les soldats Anglais. Yolande est-elle l’inspiratrice de l’épopée johannique ? Le "cerveau" de ce qui ressemble fort à une opération secrète ? Celle qui a mis au point de subtil stratagème de l’envoyée du Ciel pour terroriser les Anglais et faire annuler l’infâme traité de Troyes ? Tout porte à le croire. Pas de certitudes absolues mais un important faisceau de présomptions.

    Yolande est à Nancy deux semaines seulement avant l’entrevue de Jeanne et du duc Charles de Lorraine en février 1428, entrevue déterminante pour le voyage à Chinon. Le capitaine de Baudricourt est un proche de la reine de Sicile. Yolande est encore à Chinon début mars pour accueillir la Pucelle qui va rencontrer le roi pour la première fois. Yolande est à Poitiers lorsque Jeanne va être questionnée par les savants docteurs de la commission présidée par Regnault de Chartres. C’est Yolande qui va procéder à l’examen clinique de la virginité de Jeanne. Cette grande dame aurait-elle consenti à se prêter à ce genre d’épreuve s’il s’était agi d’une simple bergère ?

    C’est à Tours, ville fidèle à Yolande que Jeanne fait faire son armure et son étendard. Les proches de Jeanne sont des fidèles de la reine de Sicile. L’écuyer de Jeanne, chef de sa garde personnelle, Jehan d’Aulon est l’homme de confiance de la reine Yolande et sa parente, Marie d’Aulon, la demoiselle d’honneur de la duchesse d’Anjou. C’est Yolande qui finance les troupes qui se rassemblent autour de Blois pour ravitailler Orléans. Le chapelain de Jeanne, Jean Pasquerel est un franciscain, comme Yolande, elle même membre du Tiers ordre franciscain. Sur son étendard Jeanne a fait inscrire "Jhésus Maria" qui est la devise des franciscains. Les frères mineurs (franciscains) sont pro-Armagnacs quand les frères prêcheurs (dominicains) sont pro-bourguignons.

    C’est Yolande avec l’aide des puissants réseaux franciscains et peut-être même celui de Colette de Corbie qui "prépara les esprits" à la venue de l’envoyée du Ciel. La propagande est en marche. Des prophéties (fake news) courent le royaume. On annonce partout qu’une vierge viendra bientôt au secours du roi et de son royaume. La prophétie de Merlin prédit qu’"une Vierge de la forêt des chênes chevauchera contre le dos des Archers." La prophétie de Marie Robine, recluse en Avignon, annonce dans ses versets prophétiques que le royaume perdu par une femme (Isabeau de Bavière) sera sauvé par une vierge (Jeanne).

    Jeanne affirme avoir été gouvernée par ses voix pendant sept ans. [... déjà cité au chapitre 12...] Yolande sera le conseiller permanent, celle par qui se font et se défont les affaires du royaume. Elle tient à protéger le dauphin d’abord, le roi ensuite. Elle élimine les favoris qui ont une influence néfaste sur le roi pour l’entourer d’hommes de confiance. Entre 1417 et l’entrée en scène de la Pucelle, douze ans plus tard, pas un traité n’est signé, pas une alliance ne fut négociée sans que ce fut l’oeuvre de la reine Yolande. "Un coeur d’homme dans un corps de femme" dira son petit-fils, le roi Louis XI.

    Le 12 février 1419 une trêve est conclue avec les Anglais. Yolande n’est investie d’aucun pouvoir officiel. Elle n’est même pas encore la belle-mère du roi. Or, le traité porte sa signature à côté de celle du roi d’Angleterre Henri V et du dauphin Charles. En 1425 Yolande a imposé au dauphin Arthur de Richemont, frère du duc de Bretagne pour prendre la tête des opérations militaires. Richemont sera nommé connétable de France. Elle soustrait le souverain à l’influence de ses favoris et n’hésite pas à recourir à la méthode dure.

    Ainsi, le seigneur Pierre de Giac, maître des finances puis chef du Conseil fût-il arrêté le 8 février 1427 à Issoudun sur ordre du connétable Arthur de Richemont et de la reine Yolande. Il fut jeté vivant dans une rivière, cousu dans un sac de cuir. Jean Vernat, dit « Le camus de Beaulieu » capitaine de Poitiers a succédé à Giac dans le cœur du jeune roi. En juin de la même année il fut assassiné à son tour. Le connétable et la reine de Sicile imposèrent au roi Georges de la Trémoille comme grand chambellan. Tout est prêt. L’opération Pucelle peut commencer.

    En deux pages de son livre, Olivier Bouzy tente de montrer que Jeanne n'est pas un "instrument" de Yolande d'Aragon (==> Bouzy 100 101}. Il a beau dire "Il n'y a pas la moindre preuve", ce qui est vrai stricto sensu, ses propos n'ôtent rien aux observations de Marcel Gay. Et l'on sourit quand il suggère que Yolande d'Aragon aurait été déshonorée d'être chargée de vérifier la virginité de Jeanne. André Cherpillod abonde dans le sens de Marcel Gay (pages 244 à 246), concluant : "C'est donc très probablement Yolande d'Aragon qui prépara les esprits à la venue de cette vierge "de Lorraine" qui devait sauver le royaume de France". Il montre ensuite les liens de René d'Anjou, fils de Yolande, avec le capitaine de Baudricourt, celui qui fournit une escorte pour amener Jeanne à Chinon. Et il montre aussi le soutien de l'ordre mendiant des Franciscains, lié aux Armagnacs et aux Angevins (pages 246 à 251). Et la "légende" de Jeanne d'Arc a, au début, surtout été propagée par des moines...

    C'est quelques mois après le début, en octobre 2018, de la préparation du traité de Troyes, qu'avait commencé, en mai 1420, la formation de Jehanne. Est-ce dès ce moment là que que Yolande a pris les choses en main ? Non que l'opération soit encore vraiment précisée, mais pour qu'un scénario puisse mûrir... Les excellentes dispositions acquises par l'élève Jehanne et possiblement le doute dans d'autres solutions plus fragiles, ont conduit à cette fameuse opération Bergère.



    Le pape Pie II avait compris...
    Il était pape de 1458 à 1464, un peu après le procès d'annulation de 1456. Cette déclaration montre qu'il n'était pas dupe sur les ficelles de l'opération Bergère : "Il en est qui pensent que les grands du royaume s'étant divisés en présence des succès des Anglais et ne voulant ni les uns ni les autres accepter parmi eux un chef, l'un d'entre eux, le plus sage, aurait imaginé cet expédient d'alléguer que cette Pucelle était envoyée de Dieu pour prendre le commandement : nul homme n'oserait se refuser à l'ordre de Dieu. Ainsi la conduite de la guerre aurait été confiée à la Pucelle avec le commandement des armées."

    Maurice David-Darnac (page 107) : "L'opinion de ce souverain pontife, qui fut un des plus grands humanistes de son temps et dont les écrits appartiennent à la littérature universelle, présente une importance capitale, surtout lorsqu'il s'agit d'un jugement porté sur une femme aussi connue que Jehanne - dont il fut le contemporain."

    (ci-contre Détail de la fresque "Arrivée à Ancône" peinte par le Pinturicchio, 1504, "Scènes de la vie de Pie II" de la Libreria Piccolomini, cathédrale de Sienne)

  15. La "mission" en cinq points de la Pucelle : deux succès, trois échecs

    Il y a clairement deux périodes dans l'épopée de Jeanne d'Arc : les succès, de Chinon en février 1429, jusqu'au sacre de Reims, en juillet 1429, et ensuite les échecs jusqu'au bûcher de Rouen, le 30 mai 1431. Voici un résumé, avec un prélude en 1428 :

    Vingt-six mois de vie publique (Marcel Gay, reprise de l'article 4/6 du 26 décembre 2022)
    (remarque : en 1429, l'année commençait le 7 avril, jour de Pâques. Marcel Gay utilise les années d'époque, je les ai corrigées pour les adapter à notre actuel calendrier. C'est ainsi que février et mars 1428 deviennent février et mars 1429)

    [... présentation du contexte historique ...] Dans les faits, depuis 1422 il y a donc deux rois de droit divin, Charles et Henri qui se disent, tous deux, roi de France. C’est donc à Dieu de trancher. Jeanne sera sa messagère.

    Jeanne court une lance. 1428. Du côté de Domrémy, une jeune fille prétend recevoir ses ordres du Ciel. Elle veut aller par devers le roi Charles qui tient sa cour à Chinon. Jeanne se présente une première fois à Vaucouleurs : elle est éconduite par le capitaine de la place, le robuste Robert de Baudricourt. Elle se présente une deuxième fois à Vaucouleurs quelques semaines plus tard. Mais, cette fois, on l’écoute. Mieux : elle est appelée à la cour de Charles de Lorraine. Jeanne se rend donc à Nancy avec l’un de ses cousins. Elle rencontre à cette occasion René d’Anjou, le futur Bon roi René, futur duc de Lorraine et de Bar, fils de Yolande d’Aragon. Jeanne est invitée à courir une lance. Elle fait la démonstration de ses talents de cavalière. Les meilleurs cavaliers sont "esbaillis". Le duc Charles est subjugué par cette fille du pays de Barrois. Il lui offre quatre pièces d’or et un superbe cheval noir pour son voyage vers le roi. Le vieux duc de Lorraine ayant appris les pouvoirs surnaturels de Jeanne lui fait aussi une curieuse supplique. Il lui demande d’intercéder en sa faveur auprès de Dieu pour l’aider à se remettre en santé. La Pucelle lui conseillera de s’occuper un peu moins de sa jeune et belle maîtresse, Alison du May et un peu plus de son épouse.

    13 Février 1429. A son retour de Nancy, le dimanche des Bures 1428, Jeanne est enfin autorisée à partir pour Chinon en compagnie d’une petite troupe conduite par Colet de Vienne, officier du Roi. Après 11 jours de voyage, Jeanne et ses compagnons arrivent à Chinon. Elle rencontre le roi une première fois. Elle le reconnaît « grâce à ses voix » parmi ses courtisans. « Elle fit les révérences accoutumées à faire aux rois comme si elle eut été nourrie à la cour » nous dit le chroniqueur Jean Chartier, historiographe de Charles VII. Ce jour-là, Jeanne confie au roi un secret que, six siècles plus tard, nous ne connaissons toujours pas. Mais dès cet instant Jeanne est traitée en véritable princesse du sang. Elle est logée dans tour du Coudrai où furent détenus les derniers Templiers. Les plus hauts dignitaires du royaume viennent la consulter. Les dames de la cour sont à son service. Or, Jeanne n’a encore accompli aucun exploit militaire. Peut-on penser que cet accueil puisse être réservé à une simple paysanne au début du 15ème siècle ?

    L’arme psychologique. Jeanne veut une armée. Elle veut combattre les Anglais. C’est la mission que Dieu lui a confiée. A-t-elle les moyens de se battre contre les Anglais et leurs redoutables longs bows ? Sans doute. Car Jeanne a une arme plus redoutable encore que les arcs et les bombardes : l’arme psychologique. Dieu est de son côté, saint-Michel, le chef des milices célestes est son conseiller. Qui peut en douter ? Jeanne va accomplir des miracles, de nombreuses prophéties annoncent sa venue depuis des années…Marie Robine, Elisabeth de Hongrie, et même Merlin ont prédit « qu’une Vierge de la forêt des Chênes (le bois chenu de Domrémy) chevaucherait contre le dos des archers (les Anglais) » Jeanne galvanise les troupes. Elle est annoncée par Dunois, le bâtard d’Orléans, dès le 12 février 1428 (journée des Harengs) à Orléans assiégée. On l’attend comme le messie. Elle va sauver d’abord la ville puis le royaume de France comme Jésus a sauvé les Hommes. Comme lui elle est née dans la pauvreté, comme lui elle parle par paraboles, comme lui elle fait des miracles… En face, les Anglais sont pétris de trouille. L’avantage tournera-t-il en faveur des François ?

    Mars 1429 : le livre de Poitiers [... voir plus loin le chapitre dédié ...]

    L’épée de Fierbois. Trois semaines après Poitiers, voilà Jeanne à Tours avec ses deux compagnons, Jean de Metz et Bertrand de Poulangy. Elle se fait confectionner une superbe armure de 29 pièces d’acier frappé au clair. Elle demande qu’on aille lui chercher une épée cachée au sanctuaire de Sainte-Catherine de Fierbois. Cette épée aux pouvoirs magiques, aurait appartenu à Du Guesclin et à Louis d’Orléans. Il s’agit d’une épée dont la lame est décorée de cinq croix, comme les cinq plaies du Christ. Jeanne est enfin prête pour la guerre. Mais, déjà, dès le 22 mars (mardi de la semaine sainte) elle décide d’envoyer une première lettre comminatoire aux Anglais leur demandant de quitter le royaume de France.

    Les compagnons d’armes. Fin avril 1429. l’année commençait alors le jour de Pâques, cette année-là le 7 avril). La Pucelle et son escorte arrivent à Blois. Elle y rencontre les principaux personnages qui accompagneront son épopée : Regnault de Chartres, Chancelier de France qui a présidé la commission de Poitiers, le sire de Gaucourt, gouverneur d’Orléans, l’amiral de Culant, le maréchal de Boussac, Ambroise Loré… Il y a aussi un jeune homme de 24 ans, magnifique sur son destrier : c’est Gilles de Rais, de la maison de Laval. Puis, arrivent Poton de Xaintrailles, gentilhomme gascon, Etienne de Vignolles, dit La Hire, autre capitaine Gascon aux colères mémorables, Jacques de Chabannes, seigneur de La Palice, Antoine de Chabannes seigneur de Dammartin, Arthur de Richemont, duc de Bretagne etc. Jeanne prend la tête de cette armée chargée d’accompagner un énorme convoi de vivres et de munitions destiné aux Orléanais. Dans trois jours, la Pucelle fera une entrée historique dans Orléans assiégée depuis octobre. La légende est en marche.

    Orléans est libérée
    29 avril 1429. Jeanne entre dans Orléans. Miracle : les vents soufflent au bon moment, les barques peuvent remonter la Loire. Elle affirme qu’elle n’en repartira que lorsque la ville du duc Charles d’Orléans, prisonnier à Londres depuis Azincourt, aura été libérée.
    4 mai. Prise de la bastille Saint-Loup, l’un des dix fortins dans lesquels sont réfugiés les Anglais.
    6 mai. Attaque du fort des Augustins. Les Anglais sont délogés.
    7 mai. Attaque des Tourelles. Jeanne est blessée au-dessus du sein gauche. Elle repart malgré tout au combat. 6OO Anglais sont tués, 200 se sont noyés, 600 sont faits prisonniers.
    Dimanche 8 mai 1429. Les Anglais ont peur. Ils lèvent le siège sans combattre à nouveau.
    Jeanne est reconnue comme l’envoyée de Dieu. La campagne de la Loire peut commencer. Les victoires militaires s’enchaînent.
    Le 2 juin 1429, le roi octroie à Jeanne des armes dérivées de la Famille de France qui se lisent ainsi: » d’azur à deux fleurs de lys d’or et au milieu une épée d’argent la pointe d’en haut emmanchée de gueule estoffées d’or, ladite pointe passant parmi une couronne de même en chef. » Le roi d’Angleterre y verra « un grand outrage ».
    11 et 12 juin. Jargeau est repris à l’armée anglaise. Beaugency capitule le 17 juin, le 18 juin c’est au tour de Patay. La chevauchée du sacre commence aussitôt. Jeanne demande au dauphin de se mettre en route pour Reims où aura lieu son sacre, le dimanche 17 juillet 1429, en présence de Jeanne et de son étendard. (Il a été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur) dira-t-elle.
    En quelques mois, les deux premières missions de Jeanne sont accomplies : la levée du siège d’Orléans et le sacre de Charles à Reims.

    Troisième mission : libérer Paris
    8 septembre 1429. La Pucelle donne l’assaut porte Saint-Honoré. Elle est blessée à la cuisse. C’est un échec. Le roi ne lui confie plus son armée.
    23 mai 1430. Jeanne veut malgré tout combattre les « Godons ». Elle se rend à Compiègne. A la tête de sa petite compagnie, elle va attaquer les Anglais. Mais elle est capturée ainsi que ses proches compagnons par un homme de Jean de Luxembourg qui combat pour le compte du duc de Bourgogne Philippe le Bon. Jeanne sera vendue 10.000 écus aux Anglais. De mai à décembre 1430 : Jeanne, prisonnière des Anglo-Bourguignons, est ballottée de château en château. On ne sait pas que faire d’elle.
    23 décembre 1430. Arrivée à Rouen [... voir chapitre 9 sur le procès ...]
    Mercredi 30 mai 1431. Sur la place du Vieux-Marché de Rouen [... voir chapitre 7 sur le bûcher...]

    André Cherpillod, en s'appuyant sur les déclarations de la Pucelle, estime qu'elle avait la volonté de mener une mission en cinq points (pages 252 à 254) : 1) délivrer Orléans, 2) faire sacrer le Roi à Reims, 3) prendre Paris, 4) rappeler en France le Duc Charles d'Orléans (prisonnier en Angleterre) 5) chasser les Anglais hors de France. Elle a donc brillamment réussi sur les deux premiers points et elle a échoué sur les trois derniers (le dernier ne s'accomplira qu'après sa mort, en 1453, c'est la fin de la guerre de cent ans). Orléans est cité sur deux de ces cinq points, décidément les liens déjà maintes fois évoqués avec cette famille ressurgissent, et il y a encore beaucoup à en dire, c'est l'objet du prochain chapitre...

    Jeanne d’Arc était un véritable chef de guerre, reconnu par ses pairs.
    Sur ce thème, en cet article, Claude Wallaert commence ainsi : "Dès l’enfance, Jeanne a fait connaissance avec la guerre ; Domrémy se trouvait dans la mouvance des fidèles du dauphin, mais le pays alentour était profondément divisé entre les différentes factions lorraines, barroises, anglaises et bourguignonnes. [...} Parfois, pillages et vols de bétail alarmaient et désolaient les villageois.". Et ce serait comme cela que Jeanne serait devenue, à 17 ans, chef de guerre !! Dieu, cité une dizaine de fois dans l'article, a certes ce pouvoir... "C’est elle qui a compris la bonne approche pour pénétrer dans Orléans, ayant remarqué que les eaux de la Loire étaient grosses. [...] Elle donnait vraiment l’impulsion et les ordres qui orientaient le cours des évènements vers le succès. [...] Et les opérations reprennent, marquées par l’activité, la vitesse et l’efficacité".
    En un autre aticle, Jacques HM Cohen traite de "Jeanne d'Arc chef de guerre". Il conclut : "Jeanne n’a jamais prétendu être l’instigatrice des ses propres actions, mais avoir entendu des voix les lui ordonnant. Les croyants sont obligés par son histoire d’admettre Dieu, fin politique et fin stratège militaire. Pour les mécréants, la voix principale est certainement celle de Yolande d’Aragon, belle-mère du roi Charles VII, remarquable femme politique. Son acolyte militaire restant lui incertain : Richemond ? Dunois ? D’Alençon ? ou… Gilles de Rais qui fût quand même nommé Maréchal de France au lendemain du sacre".
    Une page du site jeannedomremy.fr suggère l'usage d'une arme à feu (handgonne ou escopette) et le soutien de "régiments écossais arborant la croix templière".

  16. La Pucelle et la maison princière d'Orléans

    Etrangement, le quatrième volet de la mission que Jehanne voulait accomplir, libérer Charles d'Orléans des Anglais, est oublié des historiens, il est pourtant caractéristique de sa proximité généalogique avec les Orléans. Dans l'arbre présenté au chapitre 10, Charles Ier d'Orléans (1937-1465) est son demi-frère aîné par leur père commun, Louis Ier d'Orléans. Il est connu à la fois pour ses oeuvres poétiques et pour sa longue captivité en Angleterre, commencée en 1415 à la bataille d'Azincourt, il ne revient en France qu'en 1440, sans que Jeanne, mariée Armoises, ne l'ait aidé.


    Charles d'Orléans, prisonnier dans la tour de Londres, écrit ballades, rondeaux et rondels (British Library)

    Déclaration de Jehanne à l'audience du 22 février 1431 de son procès : elle "dit qu'elle scait bien que Dieu aime le duc d'Orléans et qu'elle avait eu plus de révélations de luy que d'homme de France, excepté de son roy" (David-Darnac page 94)


    A gauche, le blason des Orléans et, au centre, celui de la Pucelle (selon Wikipédia) : de nombreux points communs. A droite, le blason de la famille d'Arc (il n'est toutefois pas établi qu'il était d'usage dans la famille d'Arc de Domrémy). Si Jeanne était fille d'Arc, elle arborerait évidemment le blason des Arc ou un dérivé. Conclusion ?



    (page de jeannedomremy.fr) "Comme on éprouve le besoin de lui créer de toutes pièces un blason, c'est donc que les origines de Jeanne ne sont pas à rechercher du côté de la famille d'Arc ! Dans le cas contraire, il aurait suffi de lui attribuer le blason de son père ou de sa mère, avec quelques modifications mineures. Un blason est, au Moyen-âge surtout, un signe évident de reconnaissance, c'est-à-dire qu'il doit être suffisamment "parlant" pour que l'on puisse aisément reconnaître son porteur. C'est une sorte de carte de visite, un "pedigree"... Naturellement, il n'est pas établi à la légère, et l'art de l'héraldique constitue une science à part entière, avec ses codes, ses signes, ses couleurs. L'emplacement de chaque meuble a son importance, et rien n'y figure sans être dûment justifié par le passé de son détenteur". L’historien Le Brun des Charmettes écrit au sujet du blason de Jeanne qu’il constitue "une faveur insigne à cette époque et qu’on ne croit pas avoir jamais été accordée à aucune personne étrangère à la maison royale".


    En s'appuyant sur le dessin du brevet original (ci-dessus), l'analyse sur jeannedomremy.fr va plus loin. "Cette arme aux caractéristiques bien spéciales, cinq signes (croix ou fleurs de lys ?) sur la lame, était donc l'épée du géniteur de Jeanne, Louis d'Orléans... Selon les termes mêmes du brevet d'armoiries, l'épée est dite férue en pal dans la couronne. Couronne dont on peut constater qu'elle s'incline sur l'arrière, de telle sorte qu'elle dévoile la perspective de sa base... Et laisse donc apparaitre à sa base une ouverture oblongue, que vient " empaler " la lame. Cette " fente " représente ici ni plus ni moins que la vulve de la Reine, Isabeau de Bavière. La couronne penchée vers l'arrière représente la reine ... culbutée !!! Et rappelons que l'épée a été de tous temps le symbole phallique par excellence ! Le tout est la représentation héraldique du sexe de Louis d'Orléans pénétrant Isabeau de Bavière...".

    Vous croyez à une nouvelle coïncidence ? Il y en a d'autres qui font croiser les Orléans et Jehanne. Notamment :
    • De sa prison londonienne, Charles d'Orléans s'intéresse d'assez près à la Pucelle. Il lui fait faire une livrée en "vert perdu", c'est-à-dire "un vêtement que les rois et les princes donnaient à leurs courtisans et qui étaient à leurs couleurs ou à leurs armes" (Larousse) (Cherpillod page 243)
    • En mars 1429, Jeanne est logée à Chinon "dans l'hôtel particulier de Jean Rabuteau, avocat général à la cour de Poitiers et conseiller du duc d'Orléans, comme par hasard (Cherpillod page 308).
    • "En juillet 1443, Pierre d'Arc, le frère d'adoption de la Pucelle, reçoit du duc Charles d'Orléans la jouissance gratuite, à titre héréditaire, d'une île appelée l"île aux Boeufs, sise en la rivière de Loire, au droit de Chécy. Cette île n'existe plus de nos jours : elle s'est trouvée réunie à la berge nord. [...] L'intérêt de cette donation est que le texte mentionne clairement l'existence de Jeanne la Pucelle en 1443". Encore une preuve de la survivance de Jeanne ! Cela est, bien sûr, contesté par les domrémistes et Cherpillod, une fois de plus, leur répond précisément (==>Cherpillod 476 477 478).

    L'île aux boeufs, cadeau de Charles d'Orléans... Pourquoi ?

    Illustration d'une page de Wikipédia avec cette légende : "Jeanne d'Arc portant une robe masculine offerte par les gens du duc Charles d'Orléans en juin 1429. Vue d'artiste d'Adrien Harmand, publiée dans l'ouvrage Jeanne d'Arc : ses costumes, son armure : essai de reconstitution, 1929." Wikipédia ne répond pas à la question : pourquoi ce cadeau ?


    Et nous avons déjà évoqué la proximité de Jeanne avec son demi-frère Jean le bâtard d'Orléans, Dunois (chapitre 10). Leurs rencontres sont assez régulières. En voici un aperçu et nous en reparlerons plus loin (chapitre 21).

    Dunois, le bâtard d'Orléans, demi-frère de Jeanne... (ci-dessous extraits de sa page Wikipédia)

    Jean est le fils illégitime de Louis, duc d'Orléans (1372-1407), fils cadet de Charles V et frère tout-puissant de Charles VI. Sa mère est Mariette d'Enghien. [...] Lors du siège d'Orléans, le bâtard d'Orléans assume le rôle de chef militaire de la maison d'Orléans, rameau de la dynastie royale des Valois, puisque le duché d'Orléans est privé de ses dirigeants légitimes. En effet, les deux demi-frères du bâtard, le duc Charles d'Orléans et le comte Jean d'Angoulême, demeurent prisonniers des Anglais. Le commandement des centaines d'hommes d'armes dépêchés par Charles VII afin de protéger la capitale du duché incombe ainsi au futur comte de Dunois. Le bâtard ne paraît pas encore jouer de « rôle proprement politique » en ce temps bien qu'il siège au Conseil royal à partir de l'année 1428.

    Jean devient un compagnon d'armes de Jeanne d'Arc dès sa venue devant Orléans assiégée, participant à nombre de ses faits d'armes. Il participe à la levée du siège puis contribue à la victoire de Patay en 1429. [...]


  17. Pourquoi Jehanne a-t-elle choisi Robert des Armoises pour époux ?

    Il serait évidemment présomptueux de répondre à la question posée en titre de ce chapitre. Mais ce Robert des Armoises n'a pas surgi de nulle part. Qui est-il ? Par quels intermédiaires ou quelles circonstances a-t-il pu connaître la Pucelle ?

    "Pourquoi Jeanne ne se serait-elle pas mariée ? Elle n'a jamais prétendu avoir fait voeu définitif de virginité, mais seulement "aussi longtemps qu'il plairait à Dieu" (Tisset II, p. 113). S'il y a trahison, ce n'est que vis-à-vis du mythe, du personnage canonisé, inventé, imaginaire" (Cherpillod, page 455). L'élu s'appelle Robert II des Armoises, d'une illustre maison, aussi nommée Harmoises, Hermoises ou Ermoises, du nom de la plante armoise, artemisia vulgaris. André Cherpillod présente l'arbre suivant :


    Cet arbre indique le cousinage par alliances entre Robert de Baudricourt, le fameux capitaine de Vaucouleurs qui organisa l'expédition vers Chinon, et Richard II des Armoises, maréchal du Barrois, père de Robert II. Ce lien était renforcé part le fait que la première femme de Robert II, Alix de Manonville avait pour frère Jean de Manonville dont l'épouse était Aléarde de Chambley, qui se remaria avec Robert de Baudricourt (Cherpillod page 457).



    A cela, j'ajoute quelques éléménts :
    • Le 27 septembre 1383, Robert duc de Bar, considérant les bons services qu'il lui a fait au temps passé, donne à Liebaut de Baudricourt, chevalier, la forteresse de Brouaines par indivis avec Richard Ier des Armoises, grand-père de Robert II. Liebaut de Baudricourt est le père de Robert de Baudricourt, encore lui. (lien)
    • Robert Ier des Armoises, frère de Richard Ier et grand-oncle de Robert II était marié avec Alix de Marchéville, fille probable de Jean de Marchéville, seigneur de Marchéville dans la prévoté de Vaucouleurs. Nicolas de Marchéville (décédé un peu avant 1527), descendant probable de Jean, avait épousé Sybille de Domrémy. Anne de Marchéville, fille de Nicolas, s'est mariée avec Etienne (Thévenin) (d'Arc) du Lys, neveu de Jeanne d'Arc (fils de son frère Jehan). Les Marchéville de cette époque sont mal connus, avec des bribes d'éléments généalogiques non reliés. (lien).

    Ainsi, que ce soit par les Baudricourt ou par les Marchéville, la famille des Armoises était reliée à des seigneurs géographiquement proches de Domrémy. C'est en les fréquentant, avant et/ou après son épopée, que la Pucelle a pu faire connaissance de Robert II des Armoises. Celui-ci est né vers 1388 et avait donc 19 ans de plus que Jeanne. Avec sa première épouse Alix de Manonville, il avait eu au moins un fils, Philibert (parfois nommé Philippe) des Armoises. Il avait une maison à Metz, face à l'église Sainte-Ségolène. Il possédait aussi plusieurs propriétés dans la région de Sedan et Metz, dont les châteaux de Tichemont, d'Haraucourt et de Jaulny.


    Robert de Baudricourt, fil conducteur reliant la Pucelle, venue à Vaucouleurs, à Robert d'Armoise, châtelain de Jaulny.
    Château de Vaucouleurs, vitrail de la chapelle castrale, Jeanne devant le sire de Baudricourt (flickr Vaucouleurs).
    Château de Jaulny, proche du château de Chambley (épouse de Baudricourt) (carte postale, début XXè me siècle).
    Robert de Baudricourt (Cherpillod, extrait des pages 257 et 258)
    Robert de Baudricourt est donc le beau-frère du sénéchal d'Anjou et l'oncle par alliance du comte de Vendôme, grand seigneur de sang royal. [...] Il était allié à une famille de haute noblesse, proche de la famille royale. Les domrémistes qui nous la décrivent comme un petit fonctionnaire provincial sans envergure et sans relations, se moquent cruellement de la vérité historique.

    Robert des Armoises et Jeanne se sont mariés en 1436 à Arlon, aujourd'hui en Belgique, près de la France et du Luxembourg. Le contrat de mariage a été retrouvé par le père Jérôme Vignier vers 1680, détruit lors de la guerre de 1914. La mariée a pu y être présentée comme "Jeanne de la Pucelle". Cela est souvent contesté par les domrémistes, mais une fois de plus, André Cherpillod montre à quel point on peut y croire. Et, daté du 7 novembre 1436, un acte de vente de "Robert des Hermoises [...] & Jehanne du Lys, la Pucelle de France" confirme ce mariage... (==>Cherpillod 458 459 460 461 462) Ce sont là d'autres preuves solides que la Pucelle n'est pas morte sur le bûcher de Rouen. Pour cela aussi, ce n'est pas une hypothèse mais une certitude.


    "Nous Robert des Hermoises seigneur de Tichémont et Jehanne du Lix, la Pucelle de France, dame dudit Tichémont,
    ma femme licenciée et autorisée de moi Robert dessus
    " (nommée...) : début de l'acte de vente de 1436 (Gay page XVII).

    Chronique de Philippe de Vigneulles, marchand de chaussures à Metz de 1471 à 1528 (BnF), extraits de la transcription présentée en page XI du livre de Marcel Gay 2007 (==>Gay XI).

    En l'an 1436, sire Philippe Marcoult fut maître-échevin de Metz. En ladite année, le 20eme jour de mai vint la Pucelle Janne qui avoit été en France et par son moyen reconquestait ledit royaume et remit le roy dans son royaume et sacré et couronné à Reims.
    [...] Et puis s'en revint à Arlon. Et là fut mariée à Messsire Robert des Armoises, chevalier. Et l'amenait ledit seigneur Robert à Metz en une maison qui était auprès de Sainte Ségolène. Toutefois, on disait qu'elle avait été prise devant Compiègne et mise en la main des Anglais qui la firent brûler sur le pont de Rouen. Mais ce fut une fiction.

    D'ailleurs d'où viendrait cette Jeanne des Armoises si ce n'était pas la Pucelle, si ces documents étaient falsifiés, si les liens avec les Baudricourt et les Marchéville n'étaient que des coïncidences ? Un puissant seigneur féodal comme Robert des Armoises ne peut pas épouser une inconnue sortie de nulle part. Et il connaissait les blessures de la Pucelle, on ne pouvait pas le duper. De plus le mariage s'est fait à Arlon, dans la chapelle du château de la duchesse de Luxembourg. "Il ne s'agit donc pas d'une union à la va-vite célébrée dans l'église d'une paroisse anonyme" (Cherpillod page 458).

  18. Jeanne, depuis son sauvetage à Rouen en 1431 jusqu'à son décès vers 1449

    Au chapitre précédent et au chapitre 4 avec le récit de Marcel Gay "La Pucelle revient cinq ans après le bûcher", nous avons déjà évoqué les rencontres de Jeanne des Armoises avec son mari et les nombreuses personnes qui l'on reconnues en 1436, jusqu'à, au chapitre 6, sa rencontre en 1639 avec son frère utérin le roi Charles VII, qui l'accueille chaleureusement en lui rappelant leur secret la contraignant à la discrétion. Voici maintenant une vue plus générale de ce que l'on sait de Jeanne entre son exfiltration en 1431 pour échapper au bûcher et son décès vers 1449.

    Les évènements majeurs de la vie de la Pucelle après la scène du bûcher (page du site jeannedomremy.fr)

    La réapparition de la Pucelle est donc attestée par de nombreux textes qui constituent ensemble un faisceau de présomptions et de preuves. Tous ces documents ont permis à de nombreux historiens d'entreprendre des recherches et de nous restituer une histoire complète de la Pucelle en tenant compte des éléments historiques disponibles après la scène du bûcher.

    1431. Ces auteurs soutiennent que l'évasion de Jeanne a été organisée et qu'une sorcière qui attendait son exécution a été conduite à sa place au bûcher. La scène de l'exécution qui ne permet pas d'identifier la Pucelle renforce le doute. Cette dernière a été sauvée avec la complicité de nombreuses personnalités dont Cauchon et Bedford.

    1431-1435. Le Journal d'un bourgeois de Paris, note qu'on lui donna pénitence : "c'est assavoir quatre ans en prison, au pain et à l'eau, dont elle ne fit aucun jour." Les historiens modernes complètent les textes anciens : le comte Pierre de Sermoise et le baron Pesme évoquent l'existence du château de Montrottier, en Savoie, où elle aurait été détenue et où se visite encore une chambre dite "prison de la Pucelle".

    1436. Jeanne fait sa réapparition près de Metz le 20 mai 1436 sous le nom de Claude des Armoises, déclarant devant de nombreux seigneurs qui se trouvaient réunis, qu'elle était la " Pucelle de France ". Les frères de Jeanne la reconnurent ainsi que des chevaliers lorrains. Elle se rendit une semaine dans un premier village à Bocquillon (Vaucouleurs d'après le baron de Braux) et trois semaines dans un autre près de Metz, où de nombreux cadeaux lui furent offerts. Ensuite la Pucelle fit un pèlerinage à Notre Dame de Liesse, demeura plusieurs semaines à Marieulles (ou Marville ?) et s'en alla retrouver sa tante, la duchesse de Luxembourg à Arlon, chez qui elle résida cinq mois. La Pucelle prépara son mariage avec le chevalier des Armoises chez la duchesse. [... suit le mariage ...] L'union matrimoniale de Jeanne est attestée également par l'acte de vente du 06 novembre 1436 du quart de la seigneurie de Haraucourt à Colart de Failly, écuyer, demeurant à Marville et à Poinsette sa femme, par Robert des Armoises, chevalier, seigneur de Tichemont, et sa femme Jehanne du Lys, la Pucelle de France, qualifiée en la circonstance de "ma femme...".

    1437-1439. La Chronique du Doyen de Saint-Thibaut signale également un voyage à Cologne chez le comte de Wirnembourg qui lui offrit une belle cuirasse. Aux archives de cette ville, on trouve une brève note selon laquelle une escorte aurait été accordée à la Pucelle. La Pucelle se déplace ensuite de 1437 à 1439 pour de nouvelles campagnes dans le sud-ouest et c'est ainsi que dans la chronique d'Alvaro de Luna, connétable des royaumes de Castille et de Leon, on trouve au chapitre 46 un titre qui ne laisse pas d'intriguer : "Comment la Pucelle qui était à La Rochelle envoya demander secours au roi d'Espagne et ce que le connétable fit pour elle". Florence Maquet clôt alors son étude sur la liste de ceux, à ce jour connus, qui virent et reconnurent Jeanne après le bûcher de Rouen. Vingt-quatre noms de personnalités importantes parmi lesquels celui de sa mère, ceux de ses frères, de ses compagnons d'arme, celui de la duchesse d'Anjou, du roi lui-même... André Cherpillod complète cette précédente liste et donne une évaluation réaliste quant au nombre de personnes qui ont côtoyé la Dame des Armoises : "Ils sont des centaines à reconnaître la Pucelle". [...septembre 1439, rencontre avec le roi Charles VII, Jeanne des Armoises se fait ensuite très discrète...]

    1440-1449 Le trésorier d'Orléans inscrivit dans ses registres à propos des dépenses accomplies pour Isabelle Romée, la mère officielle de Jehanne, que la ville avait pris en charge : "à Isabeau, mère de Jehanne la Pucelle, pour don fait à elle...". Et cette même phrase se répète de 1439 à 1446. Mais à partir de cette date, au mois de septembre, on enregistre la modification suivante : "à Isabeau, mère de feue Jehanne la Pucelle..." [David-Darnac, Gay et Cherpillod indiquent la date de 1449, voir ci-après]

    La survivance de Jeanne est également confirmée par un acte de donation rendu à la Chambre des Comptes par Maître Robin Gaffard le 29 juillet 1443, disponible au Trésor du domaine d'Orléans et transcrit dans les Recherches de la France de Pasquier, livre VI et chapitre V. Le duc d'Orléans transfère à Pierre du Lys la jouissance gratuite à titre héréditaire de l'Isle aux Boeufs sur la Loire. Cette donation indique que Pierre du Lys, qui se mit au service du roi "nostre dit Seigneur et de Monsieur le Duc d'Orléans, en la compagnie de Jehanne la Pucelle, sa soeur, avec laquelle, jusques à son absentement et depuis jusques à présent il a exposé son corps et ses biens audit service...". Pierre accompagnait donc ainsi la Pucelle jusqu'à la date de cet acte. Quant à la " mère " de Jeanne, Isabelle de Vouthon, elle ira vivre à Orléans depuis le décès de son mari jusqu'en 1460. Elle ne reniera jamais la Dame des Armoises...


    Illustration de Jean-Jacques Pichard, 1936 (liens : 1 2), Jeanne entourée de ses compagnons. Ceux-ci rencontrèrent
    Jeanne des Armoises ou entendirent parler de son existence. Aucun ne s'offusqua qu'elle prétende être la Pucelle.

    La discrétion de Jeanne des Armoises après l'entrevue royale de 1439 est presque complète. "On perd sa trace" écrit Marcel Gay, qui donne quelques informations sur sa mère adoptive Isabelle / Isabeau, installée à Orléans. Il présente aussi des témoignages de 1476 sur une visite de la Pucelle à des cousins, en 1449 (==> Gay 258 259 260 261). André Cherpillod reste prudent mais avance aussi cette année 1449 :

    Où et quand Jeanne est-elle morte ? (André Cherpillod, page 480)

    Où Jeanne est-elle morte ? Peut-être à Jaulny, peut-être à Autrey, qu'elle fréquentait. Probablement pas à Metz, car on aurait trouvé trace des obsèques dans les documents, ce qui n'est pas le cas.

    Quand est-elle morte ? On n'a malheureusement aucune certitude sur le sujet. L'écrivain Bernard Simonay assure que ce fut le 4 mai 1449 [on retrouvera cette date au chapitre suivant, expliquée par Marcel Gay]. C'est en effet possible, car on connaît une pièce comptable de la ville d'Orléans, à la date du 20 août 1449 : "à Isabeau, vefve de feue Jehanne la Pucelle, pour don de la ville lui fait...".

    Un autre document, daté du 31 juillet 1450, le confirme. Charles d'Orléans fait un don de 27 sols 6 deniers "au frère de la feue Pucelle" (Quicherat, V, P. 214).

    Maurice David-Darnac (page 391) estime que "Jehanne mourut au château de Jaulny, à l'automne de l'année 1449, sans doute emportée par une de ces fièvres pernicieuses contre lesquelles les médecins de l'époque ne connaissaient aucun remède". Cette date n'est toutefois pas justifiée, seule l'est une fourchette entre 1443 et 1450 (==>Darnac 391 392 393). Thierry Dehayes (page 298) parle d'indications discontinues de mars 1448, voir avant, à novembre 1448, ajoutant "bien qu'elle soit probablement décédée en 1449" (le 4 mai 1449, explications en page 329, d'après un ancien texte gravé, disparu).

    Ces incertitudes sont bien sûr raillées par les domrémistes, Olivier Bouzy va jusqu'à s'exclamer : "Pas d'acte de décès, pas de mention officielle" ! On est en 1449, les registres d'état civil paroissiaux ne commenceront à s'implanter qu'un siècle plus tard. Le quasi anonymat dans lequel Jeanne vit depuis l'injonction du roi en 1439, aurait pu rendre l'événement quasiment invisible ; il est beau que l'on ait trouvé quelques points de repère. Il reste tout de même, semble-t-il, une interrogation sur la première mention de "la feue Pucelle" en 1446 ,1448 ou 1449, dans les registres d'Orléans. Cela ne change pas grand chose... (==>Bouzy 185 186 187)

    Ce n'est sûrement pas un hasard si, peu après ce décès, le 15 février 1450, le roi Charles VII lance la préparation du procès d'annulation, qui se terminera en 1456.




  19. Ce qui reste du passage de Jehanne à Jaulny et à Pulligny

    Depuis le début de son apparition, la Pucelle dérange, tant le secret qui l'entoure est lourd, surtout qu'il est double : celui de la survivance au bûcher, assez largement connu dès le début, et celui de la naissance, au début seulement connu dans le milieu de la haute aristocratie. Pour l'establishment, qu'il soit royal français, royal anglais, ecclésiastique ou républicain, il est essentiel que l'on continue à croire à la légende. Tous les moyens peuvent être bons pour maintenir les populations dans l'ignorance de la réalité, jusqu'à faire disparaître des preuves. Et cela permet aux domrémistes d'y trouver arguments, voire de se moquer... Dans ce chapitre et les suivants, de telles disparitions seront davantage présentes, avec une volonté d'étouffer les révélations. Le lecteur attentif, qui a probablement déjà acquis des certitudes et intimes convictions, pourra juger de la vraisemblance des faits reportés et de leur cohérence avec ce qui précède.

    Au chapitre 17, nous avons déjà présenté le château-fort de Jaulny, possession de Robert II des Armoises, à 30 km au sud-ouest de Metz.

    Le château de Jaulny et son portrait de Jeanne des Armoises (André Cherpillod, extraits des pages 479 à 481)

    Depuis des générations, une tradition locale existe, qui se répète de bouche à oreille : le château qui couronne le village est celui de la Pucelle Jeanne. Un "document", ce n'est pas toujours un écrit ; un château et une tradition qui dure cinq siècles sont aussi une certaine forme de document. Les domrémistes affirment - sans preuve bien entendu, leur parole doit suffire - que ce château n'appartint à la famille des Armoises qu'à partir de 1450. Colette Beaune et Olivier Bouzy (p. 182) ont même une préférence pour 1597. Par suite, Robert des Armoises, décédé en 1450, ne pourrait pas y avoir habité. En réalité, ce château a appartenu à la famille des Armoises à partir de 1357. [...] Cela ne prouve pas que Jeanne et Robert des Armoises y ont habité, mais cela rend cette résidence possible, en dépit des affirmations domrémistes.

    C'est autour de 1950 que le château de Jaulny est entré dans la littérature johannique [...]. "Au château de Jaulny, des travaux de restauration ont permis de découvrir les portraits de Jeanne et de son mari, le sire des Armoises. Une tradition très ancienne perpétuée dans ce village lorrain, voulait en effet qu'une peinture représentant Jeanne fut cachée quelque part dans le château. Cette peinture resta introuvable jusqu'au jour où un architecte de Metz, venu pour effectuer des restaurations, fit tomber un enduit de torchis et de paille dissimulant une superbe cheminée du XVème siècle, présentant à son fronton, deux portraits peints à fresque. Jeanne y est présentée casquée [en fait, c'est un voile] et de profil" (P. de Sermoise, in C. Pasteur, p. 18). Au-dessus de cette cheminée, deux médaillons sont censés représenter Jeanne et Robert des Armoises. [...] Leur excellent état de conservation est dû au fait qu'ils ont été longtemps recouverts par une cloison qui les protégeait de l'air.


    Carte postale

    Au musée de Metz, dans la salle dite "Le Grenier", on peut voir une boiserie sculptée, ainsi que des médaillons enchâssés dans la partie basse d'un portillon recueilli avant la démolition (1852) de l'hôtel situé en face Sainte-Ségolène, maison de Jeanne des Armoises. Deux dauphins vifs, séparés par un soleil à visage humain, portent avec leur tête le médaillon de Jeanne. Les traits de Jeanne sont tout à fait semblables à ceux du médaillon de Jaulny, sauf qu'un dauphin à face humaine constitue ici sa coiffure, surmontée elle-même d'une sorte de calotet. Robert des Armoises porte la moustache en plus de la barbe, alors qu'à Jaulny il n'a qu'un collier. Il est soutenu par deux dauphins.





    A Jaulny et à Metz

    L'excellent état de conservation ne peut pas être celui d'origine. Ces portraits ont été soigneusement restaurés, soit directement sur les originaux, soit en les recopiant de la façon la plus fidèle possible. La boiserie de Metz est, elle, très probablement, d'origine et atteste de la validité des peintures. Bouzy insiste, bien sûr, sur le trop excellent état du portrait mais il passe très rapidement sur la boiserie de Metz "qui serait du XVIème siècle". C'est pourtant cette boiserie, avec son emplacement, qui valide les peintures. C'est aussi l'avis de Thierry Dehayes qui a fait l'analyse la plus détaillée (==>Dehayes 307 308 309 310 311).

    De Jaulny, nous passons, à 70 km de là, à Pulligny (ou Pulligny sur Madon), toujours dans le département de Meurthe et Moselle.

    L'église de Pulligny a abrité le tombeau de Jeanne des Armoises (André Cherpillod, extraits de la page 432)

    On dit que Jeanne des Armoises aimait beaucoup la petite église de Pulligny-sur-Madon, à 17 kilomètres au sud de Nancy, et avait même pris une part importante à sa rénovation. Depuis le XVème siècle, la rumeur assure que c'est là qu'elle fut enterrée, à droite de l'autel. A partir de la fin du XVIIème siècle, une plaque funéraire indiquait qu'en ce lieu avait été enterrée "Jehanne du Lys, Pucelle de France, épouse de Messire Robert des Armoises", ou quelque chose d'approchant (on ne possède pas de copie authentique).

    Cette plaque aurait été enlevée par des vandales, et probablement détruite, en 1891, à l'époque de la campagne menée par des catholique fanatiques pour la canonisation de la Pucelle. "Il ne reste plus que trois moulures et, à la clef de voute de la chapelle, un écusson probablement gênant a été gratté - alors que dans la chapelle voisine, où reposent les membres de la famille de Joinville, plaque et écusson sont demeurés intacts." (P. de Sermaise, in C. Pasteur, p. 19-20) On comprend que les catholiques intégraistes de l'époque aient été gênés par cette inscription, qui prouvait la fausseté de la légende, au point de ne pas reculer devant un acte de vandalisme. J'ai déjà signalé le nombre colossal de destructions de tout ce qui rappelle la Pucelle, au cours de la seconde moitié du XIXème siècle.

    En 1929, l'église de Pulligny reçut la visite de Gaston de Sermoise. Le curé d'alors, l'abbé Célestin Piant (1849-1938), lui parla d'une tradition profondément enracinée dans ce coin de Lorraine : Jeanne, la Pucelle de France, était inhumée dans la chapelle de droite, avec son époux Robert des Armoises. En novembre 1968, des recherches furent faites par son neveu Pierre de Sermoise en présence du maire et d'un maçon. On trouva une pierre portant l'inscription "Priez pour la dame dycelle" suivi d'une croix franciscaine. Le tout est maintenant recouvert d'un carrelage de cuisine bleu et blanc. Quelques jours après, l'autorisation de recherche était annulée. Si, en haut lieu, on avait été absolument certain qu'il n'y avait rien à découvrir à cet endroit, cette autorisation eût évidemment été prolongée.

    Dans l'état actuel des connaissances, le château de Jaulny en tant que dernière résidence de Jeanne la Pucelle et Robert des Armoises, et l'église de Pulligny-sur-Madon en tant que lieu de sépulture de Jeanne, sont des présomptions extrêmement fortes, mais qu'on ne peut absolument pas transformer en certitudes, faute de documents fiables.

    En son livre, Marcel Gay raconte les mêmes événements, avec davantage de détails (==>Gay 262 263). Il finit, page 264, par : "Une fois encore la question me tourmente. J'aimerais bien savoir ce que contenait le tombeau de Pulligny. Y avait-il des restes humains ? Des bagues et des bijoux ? Sont-ils encore là ou ont-ils disparu ? Les auraient-on déplacés ? Si oui, à quel endroit ?".


    Pulligny : l'église, la chapelle de droite, l'inscription disparue (page de jeannedomremy.fr avec nombreux compléments)

  20. La découverte du squelette de Jeanne d'Arc à Cléry-Saint-André

    Le chapitre précédent traite des avancées du XXème siècle dans la connaissance de Jeanne d'Arc, celui-ci traite de celles du XXIème siècle. C'est Marcel Gay qui a divulgué dans son livre de 2007 la découverte du squelette de la Pucelle, découverte probable faut-il ajouter, car dissimulée à la va-vite, de peur que s'effondre la légende. A défaut de certitude, on se contentera une nouvelle fois d'intime conviction, à la satisfaction des domrémistes, qui ont failli perdre là ce qu'il leur reste de crédibilité. Laissons Marcel Gay présenter lui-même présenter cette découverte, dans un article de 2022.

    "J’ai découvert le crâne de Jeanne d’Arc" 1/2
    Première partie de l'article 6/6 du 28 décembre 2022, par Marcel Gay

    Le culte national de Jeanne d'Arc
    A l’exception de Voltaire qui publia à Genève en 1752 un poème héroïco-comique intitulé La Pucelle d’Orléans, Jeanne fut oubliée pendant plusieurs siècles. Jusqu’en1870. La défaite de Sedan fut un traumatisme pour tous les Français. La France a perdu la guerre contre la Prusse. Paris est occupé. L’Alsace et la Moselle sont annexées. La République est en proie à une guerre civile dévastatrice entre cléricaux et anticléricaux. Il faut absolument ressouder le pays autour d’un mythe fondateur. Il faut trouver un héros que personne ne pourra contester. Pour répondre à ces exigences, l’Église et l’État vont s’associer pour faire de Jeanne, à la fois sainte et guerrière, le symbole de la réconciliation nationale. Déjà, Mgr Félix Dupanloup, évêque d’Orléans, a demandé au pape l’ouverture d’un procès en canonisation. Jeanne sera béatifiée en 1909 et canonisée en 1920 pour cinq petits miracles accomplis grâce à son intercession.


    L'évêque Félix Dupanloup (1802-1878), le cardinal Eugène Tisserant (1884-1972), organisateur de la canonisation de 1920,
    et le docteur Sergueï Gorbenko.

    Elevée au rang de culte national, Jeanne va susciter une ferveur irrationnelle. On donne son nom à des milliers de rues, de places, de collèges et de lycées, d’institutions laïques et religieuses. Jeanne inspire plusieurs dizaines de milliers de livres (dont 22.000 sont répertoriés au Centre Jeanne d’Arc d’Orléans), autant d’articles dans les revues spécialisées, six opéras et une cinquantaine de films dont le premier, muet, est réalisé en 1898 et dure environ 30 secondes. Jeanne est partout. Dans les rues et dans les églises. Plus de 40.000 statues présentent la bergère ou la guerrière selon l’inspiration plus ou moins fantaisiste des artistes. Car on ne connaît pas les traits du visage de Jeanne. La publicité s’empare de l’aubaine. On donne le nom de Jeanne d’Arc à des boites de sardines ou de camembert. Les manuels d’histoire reprennent à l’envie l’épopée merveilleuse de la Pucelle, petite bergère de Domrémy, guidée par des voix célestes qui a sauvé la France. L’école laïque reprend à son compte les invraisemblances des récits du 15ème siècle. Pas question de remettre en cause un mythe fondateur de la République ! Mais si la légende est belle, l’histoire est fausse.

    Fouilles à Cléry-Saint-André
    Même si l’église a toujours caché la vérité sur Jeanne, des historiens et des chercheurs tentent depuis longtemps de percer le mystère qui entoure la Pucelle. De nombreux ouvrages ont remis en cause la version officielle. Mais ils ont été peu diffusés. Au cours du deuxième semestre 2001 un scientifique Ukrainien va faire une découverte extraordinaire, dit-il, dans les tombes de la basilique royale de Cléry-Saint-André, dans le Loiret. Le Dr Sergueï Gorbenko est chirurgien maxillo-facial et historien. Cette double formation le conduit à travailler au sein de l’Institut et musée d’Anthropologie et de Reconstruction faciale de Lviv (Ukraine). L’Institut a élaboré un programme ambitieux visant à créer une Galerie des portraits des personnes historiques du Moyen-Age. Sergueï Gorbenko est venu travailler en France. Ce scientifique de réputation mondiale a ainsi reconstitué le visage de Saint-Bernard de Clervaux mort en 1153 dont le crâne placé dans un reliquaire fut caché par un curé pour le préserver des destructions de la Révolution.

    Le Dr Gorbenko souhaite aussi retrouver le vrai visage des rois de France. En août 2001, il a obtenu l’autorisation de travailler sur les crânes de Louis XI et de Charlotte de Savoie, son épouse, conservés à la basilique Notre-Dame de Cléry-Saint-André, près d’Orléans. Or ses premières investigations ont été plutôt décevantes. Les ossements conservés dans la crypte appartiennent en fait à quatre individus différents. Sergueï Gorbenko ne s’arrête pas sur ce demi-échec. Il part à la recherche de l’os nasal du roi Louis. Il demande et obtient l’autorisation d’effectuer des fouilles complémentaires. D’abord dans la tombe de Tanneguy du Chastel, à droite de l’escalier du caveau royal. Par sa grande taille il avait sauvé le roi qui, en reconnaissance, le fit inhumer à sa droite.

    Dans l’intérêt de l’Histoire
    Le Dr Gorbenko constate rapidement qu’il y a eu des ossements mélangés de plusieurs squelettes. Mais surtout que ses propres constatations sont en contradiction avec les fouilles effectuées à Cléry-Saint-André au XIXème siècle, très exactement en 1818, 1854, 1887 et 1889. Le scientifique ukrainien poursuit donc ses recherches dans le sous-sol de la basilique. Cette fois, il fait ouvrir la chapelle Saint-Jean dite aussi des Longueville qui abrite les sépultures de Dunois, le compagnon d’armes de Jeanne, de son épouse Marie d’Harcourt et de certains de leurs descendants. Ouverte sur les cinquième et sixième travées du collatéral sud de la basilique, cette chapelle est un bijou architectural. Construite entre 1464 et 1468 par Simon du Val, elle a été partiellement détruite par les huguenots. Les voûtes d’ogives à trois quartiers furent reconstruites à l’identique en 1655. Aux clés des voûtes, cinq écussons aux armes de France et de Longueville.

    Le Bâtard d’Orléans est mort le 24 novembre 1468 à L’Haÿ, près de Bourg-la-Reine. La sépulture de Dunois a été visitée à plusieurs reprises. Le 18 décembre 1854, par une commission de la Société archéologique de l’Orléanais qui fit sceller une pierre au nom de Dunois et les 7 et 8 juin 1887, à l’occasion des fouilles autorisées dans la chapelle dans l’intérêt de l’histoire de Cléry (sic). Le chanoine Lucien Millet, curé-doyen de Notre-Dame de Cléry rappelle que les fouilles de 1887 furent effectuées sous la direction de M. Dusserre, architecte et inspecteur des Monuments historiques, par M. Louis Jarry, l’abbé Saget, curé et M. le Marquis de Tristan, maire. Le chanoine affirme que la place de tous les tombeaux a été définitivement fixée ! Louis Jarry qui assista à ces fouilles précise (page 130) : Nous y avons contemplé avec une respectueuse émotion les restes du compagnon d’armes de Jeanne d’Arc et admiré les harmonieuses proportions de son crâne au front large et développé. L’historien décrit avec précision l’emplacement des corps. Nous avons trouvé dans ce caveau qui n’avait pas été violé comme plusieurs autres, une grande bière de plomb en forme de toit à double pente, infléchie sous le poids d’une autre bière en même métal plus petite, sans doute le corps d’un enfant sur celui de sa mère…. Le Dr Gorbenko fut surpris de ces fouilles à répétition à des dates aussi rapprochées dont les données scientifiques ne correspondent pas à ses propres découvertes. Plus curieux, de nouvelles fouilles plus complètes, nous dit le chanoine Lucien Millet, ont été effectuées par l’abbé Louis Saget en 1889. On notera que 1887 et 1889 correspondent aux prémices de la canonisation de Jeanne que réclame si ardemment Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans.

    Photos et vidéos
    Sergueï Gorbenko, après avoir exploré les caveaux de Louis XI et de Tanneguy du Chastel, se fit donc ouvrir le caveau de Dunois le 27 novembre 2001 par un marbrier. Il découvre plusieurs tombeaux et plusieurs cercueils mais leurs descriptions ne correspondent pas à celles de Louis Jarry ni à celles du curé Louis Saget. A la place des restes de Marie d’Harcourt et de son fils il y a des ossements masculins. Le Dr Gorbenko pénètre dans un autre tombeau, à gauche de celui de Dunois, en faisant enlever quelques pierres. Il y a là un cercueil en plomb et à l’intérieur des ossements d’une femme, apparemment de grande taille. Puis il découvre d’autres ossements ainsi que des objets archéologiques. Le scientifique prend des photos et tourne des vidéos. Sur l’une d’elles on voit nettement la date 7 juin 1887 écrite sur une paroi de ce tombeau. A l’évidence, les bouleversements sont nombreux. Le Dr Gorbenko en déduit que l’on a volontairement modifié le contenu des tombeaux. Pour lui, la commission de 1887 ne dévoile pas les vrais motifs de l’ouverture du tombeau de Dunois. Il croit aussi que le curé Louis Saget a procédé des déplacements d’ossements. Pour brouiller les pistes ? Peut-être.

    Finalement, au terme de sa longue étude, le Dr Gorbenko parvient à identifier la plupart des ossements. Il affirme pouvoir reconstituer le visage véritable de Louis XI, le visage de Tanneguy du Chastel et il certifie qu’un crâne de femme qui n’est pas Charlotte de Savoie mais un personnage encore plus intéressant pourra être reconstruit ! Sans dire de qui il s’agit.

    Je dis tout de suite de qui il s'agit : Jeanne d'Arc. A supposer que l'identification ait été assez pertinente pour s'accorder avec d'autres informations, cela aurait pu avoir un retentissement très important. Mais, une nouvelle fois, l'establishment a étouffé cette révélation, on va le voir dans cette deuxième partie d'un article que je préfère garder en son intégralité, tant ce que présente Marcel Gay est précis et permet de se rendre compte à quel point cet épisode s'intègre dans ceux décrits précédemment. Et comment ne pas être d'accord avec Thierry Dehayes : "Si Jehanne a bien été reconnue par l'Eglise comme princesse de France, pouvait-on trouver un autre emplacement pour l'enterrer, secrètement mais respectueusement, auprès des membres de sa propre famille, tout près d'Orléans et de villes (Meung et Beaugency) qui avaient été le théâtre d'importantes victoires françaises en juin 1429 ?".


    Hors de France, la naissance et la mort de Jeanne d'Arc sont peu remis en cause. En 2021, l'Italienne Sabina Marineo a publié le livre "Giovanna d'Arco: Una donna, due vite" (Jeanne d'Arc : une femme, deux vies). Elle s'en explique sur cette page (traduction en français sur pdf) avec en illustrations Yolande d'Aragon et le couple des Armoises.

  21. La dissimulation du squelette de Jeanne d'Arc

    Fin 2001, Sergueï Gorbenko découvre un squelette supplémentaire dans la crypte de la basilique Notre-Dame de Cléry-Saint-André, près d’Orléans. Marcel Gay va nous apporter de nouvelles indications précises, expliquant les indices qui permettent de croire que le mystérieux squelette est celui de Jeanne des Armoises.

    "J’ai découvert le crâne de Jeanne d’Arc" 2/2
    Seconde partie de l'article 6/6 du 28 décembre 2022, par Marcel Gay

    Une convention secrète
    Dans ses conclusions remises à la DRAC d’Orléans, le Dr Gorbenko écrit : Des informations en notre possession nous permettent d’affirmer que la basilique de Notre-Dame de Cléry est un monument pour la France car elle abrite les sépultures et les dépouilles d’au moins quatre personnages qui, de leur vivant, ont joué un rôle déterminant dans la formation de l’Etat français. En outre, nous étudions actuellement l’hypothèse selon laquelle l’un des crânes examinés appartiendrait à un personnage historique de renommée mondiale. Le savant ukrainien ne donne pas son nom. Denise Reynaud, alors adjointe au maire de Cléry chargée des Affaires culturelles et du Patrimoine a suivi officiellement les travaux du Dr Gorbenko qui, le 16 octobre 2001, a signé une convention secrète avec la mairie sur ses futures découvertes. Elle se souvient : J’ai reçu en 2001 le Dr Gorbenko et son associé M. Oleg Nesterenko qui venaient pour la reconstitution faciale de Louis XI. Ils avaient toutes les autorisations nécessaires.

    Mme Reynaud va aider autant que possible le savant ukrainien par l’achat de pellicules photos et du matériel nécessaire à sa mission scientifique. Le chantier va s’échelonner sur plusieurs mois en trois périodes. A la fin de sa dernière visite, le 12 janvier 2002, le Dr Gorbenko nous a conviés dans son gîte de Cléry où il habitait avec sa femme et ses enfants ajoute Mme Reynaud. Il y avait le maire, M. Clément Oziel, le curé Robert Leroy, doyen de la basilique, Jean-Marie Montigny, diacre permanent du diocèse d’Orléans, Mme Martine Klein, la logeuse du Dr Gorbenko en région parisienne et moi-même. Il nous a annoncé, très solennellement, autour d’un verre de vin rouge et quelques tranches de saucisson :’’J’ai retrouvé le crâne de Jeanne d’Arc et reconstitué son histoire’’. Il ne nous a pas dit comment il était parvenu à cette découverte. Nous avons été surpris, un peu choqués. Nous lui avons demandé d’apporter des preuves. Ce qu’il n’a pas fait. Le curé a été très surpris, le diacre encore plus. Mais nous n’avons rien dit à personne. La population de Cléry n’a pas été mise au courant. Le diacre Jean-Marie Montigny confirme : Oui, il nous a dit qu’il avait retrouvé le squelette de Jeanne d’Arc, cela nous a fait bien rire.

    "La découverte de ma vie"
    Martine Klein a hébergé le Dr Gorbenko durant tout son séjour en France. Elle a suivi ses travaux et rédigé ses rapports en Français, tous deux s’exprimant dans la langue de Goethe. Un jour, il est revenu de Cléry avec Oleg Nestderenko en disant ‘’Je pense avoir fait la découverte de ma vie’’ dit-elle. Mais il n’en a pas dit plus. Je n’ai pas posé de questions. Quelques mois plus tard, il m’a révélé qu’il s’agissait d’un personnage célèbre. J’apprendrais ensuite qu’il s’agissait de Jeanne d’Arc. Martine Klein a participé au classement des ossements découverts par le Dr Gorbenko et à leur rangement dans de petits cercueils destinés à être inhumés ultérieurement. Elle est persuadée que Sergueï Gorbenko a bien découvert les restes de Jeanne la Pucelle car elle le connaît bien, c’est un scientifique très consciencieux qui ne donne pas d’information sur ses travaux à la légère. Sergueï Gorbenko a dû repartir dans son pays en août 2002, son titre de séjour n’ayant pas été renouvelé. Selon Martine Klein il était très amer que la France ne reconnaisse pas la portée de ses travaux dans la basilique de Cléry. Il écrira sa déception le 8 janvier 2003 dans une lettre adressée à Mme Reynaud dans un français approximatif mais très compréhensible : J’ai des preuves sérieuses de l’appartenance de le crâne de Jeanne d’Arc. De la centaine de villes françaises seraient heureuses d’avoir une relique d’un doigt seulement. Chez vous se entier de celle-ci son squelette.

    Marcel Gay n'en parle pas dans son article, mais c'est un point important révélé sur une page de jeannedomremy.fr.
    Lorsque Gorbenko décrit ces restes surnuméraires de la chapelle de Dunois, il note un détail troublant : le squelette de femme qu'il analyse alors possède la particularité d'avoir de très grandes mains ! Or, si nous revenons à la seule statue de Jeanne (ci-dessous) reconnue de tous, "orthodoxes" comme "hétérodoxes", propriété du Conseil départemental des Vosges qui l'expose à Domremy la Pucelle, on est bien forcé de s'apercevoir qu'elle possède des grandes mains !

    A gauche et à droite, à Cléry, Louis XI et Dunois. Au centre Jeanne d'Arc, rappel de la statue présentée au chapitre 12.

    Des objets archéologiques
    Une lettre un peu identique sera adressée le 17 mai 2005 à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) d’Orléans. Le savant précise qu’il a procédé à l’étude ostéométrique de six squelettes et l’étude craniométrique de douze crânes dans la chapelle de Dunois. J’ai fait l’étude criminalistique et l’identification de ces squelettes écrit-il en affirmant encore qu’il a trouvé de remarquables objets archéologiques parmi lesquels deux fibules d’or du 15ème siècle et un petit poignard. Tous ses ossements ont été mis en bon ordre par moi et placés dans des boites pour des obsèques ultérieures. Tout ce travail a été effectué en huit mois. Des preuves ? Sergueï Gorbenko n’en avance pas l’ombre d’une seule. Ni auprès de la mairie de Cléry, ni auprès de la DRAC. Il a bien découvert les ossements de Jeanne d’Arc nous a confirmé plusieurs fois Oleg Nesterenko, l’ancien associé du savant. Mais les preuves lui appartiennent, ce n’est pas à moi de les dévoiler.

    De Pulligny à Cléry ?
    Cléry comme au ministère de la Culture ces révélations ont été qualifiées de pures spéculations puisque, précise-t-on, les ossements analysés par Gorbenko ont été déplacés si souvent qu’il n’est pas certain qu’ils appartiennent aux Valois. En tout cas, il n’est pas interdit de penser que les restes de Jeanne des Armoises aient été transférés de Pulligny-sur-Madon à Cléry-Saint-André, à la fin du 19ème siècle. On peut comprendre que, pour sauvegarder la légende de Jeanne d’Arc, l’Église ait effacé les traces de la présence de Jeanne dans la petite église lorraine. Si tel était le cas, ce qui restait des ossements de la Pucelle ne pouvait pas être placé ailleurs que dans la basilique royale de Cléry ou repose pour l’éternité, non seulement le roi de France Louis XI, mais surtout Dunois, fils de Louis d’Orléans. Car Jeanne la Pucelle est princesse d’Orléans. Il n’y aurait rien d’invraisemblable qu’elle soit inhumée ici, parmi les siens.

    Le lecteur est aussi invité à visiter cette page du site jeannedomremy.fr, qui apporte d'importants compléments, notamment photographiques dont quelques uns sont repris ici. On y trouve un article de Wladimir Grekoff paru en 2013 dans le "Bulletin de la Société d'Histoire de Chinon, Vienne & Loire", corroborant, de façon prudente, les propos de Marcel Gay.

    Marcel Gay, lui-même, présente ses conclusions comme une hypothèse, parlant au conditionnel. Tout de même, tout de même, n'est-ce pas extraordinaire que cette découverte se fasse, de façon totalement imprévue, à cet endroit là, près de Dunois le demi-frère et de Louis XI le neveu de Jeanne ?! La tombe de Jeanne à Pulligny était connue et serait devenue célèbre avec la canonisation de Jeanne. L'Eglise et la République ne l'ont pas voulu. Mais brûler les restes de la Pucelle sur un bûcher ou les disperser ne serait pas du tout chrétien, sa place était davantage auprès des siens. Cette démarche est logique, naturelle. Le risque était minime, qui donc aurait eu l'idée de chercher là ? En plus, la taille des mains est une confirmation... On peut certes croire que ce sont des coïncidences, mais elles sont extraordinaires et s'ajoutent à toutes celles des chapitres précédents. Comme indiqué en Introduction, cet important faisceau d'indices emporte notre intime conviction.


    A travers la vitrine creusée dans le gros sarcophage les crânes attribués à Louis XI (à droite) et à Charlotte de Savoie... (à gauche)



    Olivier Bouzy traite en même temps les épisodes de Pulligny et de Cléry (pages 187 à 197). Il mélange tout cela, y mêle Marie d'Harcourt, la femme de Dunois, et Marie de Valois, bâtarde de Charles VI (avec Odinette de Champdivers), prétend que Gorbenko a tout confondu et qu'il est heureux qu'on ait renvoyé cet incapable. Il s'amuse du manque de preuves, des disparitions mystérieuses, "On a même le droit d'imaginer une identité de personne avec le mahatma Gandhi". Alors ce serait un coup monté ? Qui donc aurait manipulé Gorbenko pour qu'il invente tout cela ? Ou une extraordinaire coïncidence, une de plus ?

    Il a fallu attendre 2016 pour que les domrémistes répondent de façon plus sérieuse à ces découvertes en une "étude pluridisciplinaire du caveau de Louis XI". Sur la page précitée de jeannedomremy.fr, Wladimir Grekoff y apporte une réponse se concluant par : "La conclusion (p. 307) de P. Georges-Zimmermann est abrupte pour "rejeter en bloc" les travaux du Dr Gorbenko : le seul fait de penser avoir trouvé le crâne de Jeanne suffit à le discréditer définitivement. Ce livre n'apporte rien, hormis les sarcasmes précités, à l'histoire de Jeanne : rien à l'appui des thèses officielles, rien contre celles qui en divergent, lesquelles ne sont même pas évoquées. L'auteur a cependant l'honnêteté scientifique de conclure que ces investigations pluridisciplinaires sur les sépultures de la basilique ne permettent pas de clore le débat sur leur contenu et que "d'autres recherches restent à mener"."

  22. Le livre de Poitiers recherché par Jeanne, retrouvé en 1934 puis disparu à nouveau

    Nous avons vu que les XXème et XXIème siècle ont apporté quelques informations majeures permettant de fissurer davantage la légende domrémiste : la demeure de Jaulny, le tombeau à Pulligny puis à Cléry. Une autre découverte fut celle du "Livre de Poitiers" dans les archives du Vatican vers 1934. Les domrémistes s'en amusent en la considérant comme une sorte d'hallucination. Il est vrai que cette découverte, là aussi fortuite, non confirmée, basée sur des souvenirs, permet de telles critiques. Pourtant, on va le voir, la disparition de ce Livre est très riche d'enseignements, pour ceux qui veulent comprendre.

    Revenons à l'arrivée de Jeanne à Chinon, en 1929, le 6 mars. Réception officielle probablement le 9 mars, avec la comédie de la reconnaissance du roi déguisé en courtisan. Charles VII envoie alors Jeanne à Poitiers pour passer ce que l'on peut appeler son examen d'admission face à de doctes personnes, tant laïques qu'ecclésiastiques. André Cherpillod estime que cela aurait pu se dérouler du 15 mars au 8 avril. On connaît les 17 membres de la commission d'examen, présidée par Regnault de Chartres, l'évêque de Reims (un de ceux qui reconnaîtront la Pucelle en Jeanne des Armoises). Cherpillod (page 308) : "Déranger toutes ces têtes pensantes, gratin intellectuel de l'époque, pour écouter les dires d'une paysanne de dix-sept ans fruste et ignare ! Les domrémistes qui espèrent nous faire croire à de telles fariboles, sont d'une naïveté désarmante."


    A gauche, Jeanne d'Arc face aux théologiens de l’Université de Paris qui s’étaient réfugiés à Poitiers. Statue et bas-relief de Maxime Real del Sarte 1929 à Poitiers, dans le square près de la tour Maubergeon (lien). A droite, interrogatoire de Jeanne d'Arc à Poitiers. Vitrail de l'église Notre-Dame la Grande à Poitiers, par Henri Carot 1910 (liens : 1 2).

    Le séjour à Poitiers se termina par la vérification de la virginité de la Pucelle, sous la direction de Yolande d'Aragon. Les séances d'interrogatoires ont été mises par écrit, en quelques exemplaires, sous le nom de "Livre de Poitiers", en rapportant tous les détails. Au sortir de ces interrogatoires serrés, Jeanne dit au duc d'Alençon "qu'elle avait été beaucoup questionné, mais qu'elle savait et pouvait plus de choses qu'elle n'en avait dites à ceux qui l'interrogeaient". On peut donc douter que ce livre contienne des révélations fortes, faciles à comprendre, du genre "Je suis fille d'Isabeau de Bavière". Il s'y trouve néanmoins certaines informations sensibles car la mise au secret complète de ce livre, même du vivant de Jeanne, étonne et, indirectement, le prouve.

    En effet, lors de son procès à Rouen, Jeanne demanda qu'on s'y réfère à sept reprises, d'après Cherpillod (page 316). Cela lui fut refusé, sans la moindre explication. Une fois, Jeanne déclare : "une grande part de ce que l'ange lui enseigna est en ce livre". Etrangement, personne ne ce soucie du Livre de Poitiers durant le procès d'annulation de 1456. Cherpillod (page 317) : "Le tribunal aurait pu et aurait dû exiger qu'à défaut de produire le texte, ceux encore vivants présents à Poitiers fassent un résumé de ce qu'ils en savaient. On s'en est bien gardé. Il y a là une anomalie colossale, qui a été rarement évoquée, surtout par les hagiographes domrémistes, comme on peut s'en douter". Et de poursuivre :

    La disparition du livre de Poitiers est incompatible avec la légende (André Cherpillod, extraits des pages 317 et 318)
    "Ce manque de curiosité au sujet d'un document aussi capital confirme, a priori, que le dossier de Poitiers contenait des précisions embarrassantes sur l'âge et les origines de la Pucelle" (Forlière, p. 61). En effet, si le Livre de Poitiers est disparu de façon si malencontreuse, ce ne peut être que pour une seule raison : il contenait non seulement des éloges sur Jeanne, mais surtout des précisions sur son âge et/ou sur sa filiation et/ou sur son sexe. Il s'agissait de redoutables secrets d'Etat.
    En revanche, si ce livre avait établi de façon irréfutable que Jeanne était une humble bergère, fille légitime de paysans de Domrémy, née en 1412, il est évident qu'il eût constitué la pièce maîtresse du procès en annulation, puisque le principal rôle de celui-ci était justement d'établir fermement cette version. Et même s'il était disparu à cette époque, avec toutes ses copies, ce qui est peu vraisemblable, cela n'empêchait pas d'en parler. [...] Le Livre de Poitiers serait le document fondamental pour bien juger du point de départ de l'épopée johannique. Il est absolument invraisemblable que cette perte soit naturelle. De ce qui s'est dit à Poitiers, la postérité n'aura le droit de rien savoir : c'est incompatible avec la légende.

    En d'autres termes : la disparition du Livre de Poitiers est une preuve indirecte que la légende est mensongère. Aucune recherche n'a donc permis de découvrir ce précieux document. L'hypothèse la plus partagée était qu'il fût dans les archives secrètes du Vatican (on a vu en fin de chapitre 14 que le pape Pie II était très bien informé vers 1460).

    Marcel Gay (page 132) : "En 1933 ["1934 ou 1935" pour Cherpillod], un écrivain français, ami du pape Pie XI, Edouard Schneider, aurait découvert ce fameux registre de Poitiers, et notamment les procès-verbaux de l'interrogatoire de la Pucelle, en consultant les archives Vaticanes.". Schneider est tenaillé entre son envie d'en parler et les consignes ecclésiastiques pressantes, notamment du cardinal Eugène Tisserant, qui lui interdisent un accès renouvelé et l'enjoignent de ne pas en parler. Il n'écrira rien sur ce sujet. Pourtant Schneider, décédé en 1960, s'en était ouvert à Gérard Pesme, qui rend l'information publique en 1960. Maurice David-Darnac, René Senzig et Marcel Gay relanceront vigoureusement le sujet, y compris auprès du Vatican, qui assure ne pas l'avoir dans ses archives. Peut-être ailleurs, maintenant ? Les domrémistes réagissent à la manière d'une de leur cheffe de file, Régine Pernoud : "Un document sans cote, que personne ne peut consulter, dont l'existence est invérifiable, n'existe pas pour l'historien". (==>Cherpillod 318 319 320).

    Fâcheuses disparitions... (Maurice David-Darnac, extrait de la page 378)
    Le "Livre de Poitiers" a disparu, tout comme l'original du procès de Rouen et les rapports des deux commissions d'enquête envoyées à Domrémy (la première à la demande des examinateurs de Chinon, la seconde par décision des juges de Rouen), ainsi que la plupart des lettres que la Pucelle envoya au cours de son épopée, tant aux souverains de France, d'Angleterre ou de Bourgogne, qu'aux "bonnes villes" qui tenaient pour la monarchie légitime... Le contrat de mariage de Jehanne et Robert est perdu, et la correspondance que la dame des Armoises entretint avec Loches, Chinon et Orléans, sans parler de ses missives à Charles VII, est égarée... Que les auteurs classiques le veuillent ou non, il y a là matière à réflexion, et l'on en vient fatalement à se demander si toutes ces fâcheuses disparitions ne peuvent être qu'imputées à une série de coïncidences purement fortuites...


    Un livre de Jean Roche-Boitaud voulant clore définitivement le dossier en 1963 et un livre l'ouvrant bien grand en 2022...
    Au centre image de Paul de Semant, 1895 (livre de Théodore Cahu) (cliquer dessus pour l'agrandir et lire la légende) (lien).
    Du neuf en 2022 sur le Livre de Poitiers ! (extraits de l'article de Marcel Gay commentant le livre de l'avocat, Maître A.-P. Turton "L'histoire inconnue du livre de Poitiers").
    Me A.-P. Turton consacre son cinquième chapitre "A la recherche du contenu du livre de Poitiers", puisqu’il ne nous est pas parvenu. Il fonde sa démonstration, très technique juridiquement, sur les "conclusions" du tribunal. Il apparait possible de reconstituer à rebours les éléments de fait et de Droit soulevés pour faire adouber Jeanne par les docteurs de Poitiers. Les choses étaient loin d’aller de soi pour Jeanne et il apparait que c’est l’habileté d’un clerc à manier le Droit qui aura permis d’emporter les suffrages… Nous apprenons au passage son nom. L’auteur dévoile ensuite "les secrets politiques associés au Livre".



  23. La sexualité de la Pucelle

    Le 24 octobre 2020, le Wikipédia français a créé, à partir de la page correspondante en anglais, la page titrée "Travestissement, identité de genre et sexualité de Jeanne d'Arc". Une importance, à mon avis démesurée, est donnée au fait que Jeanne s'habille en homme. C'est pourtant bien compréhensible pour des raisons pratiques quand on veut faire la guerre comme un capitaine au milieu de ses soldats, et aussi, notamment en prison, quand on veut éviter d'être violée (P.-S.. Jehanne l'aurait été, d'après un article de Raymond Mauny, dans le bulletin 1979 "Jeanne d'Arc" des "Amis du vieux Chinon" : 1 2 3). Que cela ait choqué, surtout chez les ecclésiastiques et juristes (portant des robes...) et que ce soit mis en épingle lors du procès de 1431, c'est dans l'air du temps. Mais je crois que ce ne sont là qu'apparences, le fond du procès est bien différent et le sujet de la sexualité de la Pucelle ne saurait se limiter à un port de vêtement. Il m'apparaît déplacé de traduire cette quasi-obligation pratique en un questionnement sur une "identité de genre", tant à la mode en ce début du XXIème siècle.

    Cet hors-sujet, ou sujet accessoire, étant écarté, que retenir de l'article de Wikipédia ? Une romancière "suggère" que Jeanne "était peut-être lesbienne". Une autre la "classe" comme "androgyne". En 2020, un romancier la considère plus ou moins comme une "trans" dans un charabia parlant de "performativité de genre". Et tout cela est énoncé sans le moindre indice reposant sur des faits ou déclarations d'époque. Ainsi le très domrémiste Wikipédia aurait pu s'en tenir à un paragraphe "L'habillement de Jeanne en homme" (qui n'est pas un "travestissement") et à un autre sur "Les fantasmes contemporains à propos de la sexualité de Jeanne d'Arc".

    Thierry Dehayes (page 342) : "La 'Pucelle de France" est synonyme de "La Jeune Fille (ou Demoiselle) de la maison de France". Rien d'autre. Le mot"pucelle" sans majuscule, n'a pas la connotation exclusive qu'on lui prête à notre époque".

    Pour ma part, j'ai noté les éléments suivants :
    • Jeanne, à sa naissance, est appelé Philippe, prénom à la fois féminin et masculin. Sans écarter une indécision possible sur le sexe à la naissance, ou une volonté de confusion, c'est un prénom qui peut être donné à une fille.
    • Jeanne est une femme, elle n'est pas un homme. Plusieurs témoignages vont en ce sens, notamment ceux de d'Alençon et de Jean d'Aulon son écuyer, qui évoquent la beauté de sa poitrine ("tétins qu'elle avait fort beaux").
    • Jeanne est ce que l'on appelle communément un "garçon manqué".
    • Jeanne n'aurait pas de règles ("Elle n'avait point le mal secret des femmes") (terme médical : aménorrhée). Cela ouvre des hypothèses médicales comme le vaginisme primaire, "survenant dès les premières relations sexuelles, amenant à l'échec de toute tentative de pénétration", ce qui pourrait amener à se maintenir pucelle...
    • Jeanne s'est mariée avec Robert des Armoises. Ils n'ont pas eu d'enfant (sans que ce soit certain, voir fin du chapitre 5).


    Dans l'album "Jehanne la Pucelle" (Albin Michel 1997), Paul Gillon imagine les amours de Jeanne et Gilles de Rais.
    Pour respecter sa virginité, Gilles passe par derrière...


    "Jeanne au bûcher" de Paul Claudel et Arthur Honegger (1938). "Avec la mise en scène de Roméo Castellucci, et surtout la bluffante 1interprétation d’Audrey Bonnet dans le rôle de Jeanne, l’oratorio de Honegger entre dans la légende de l’Opéra de Lyon" (photo Antonio Mafra, lien). Octobre 2019 : "«Dénaturée», «obscène», «transgenre», «pornographique»: la mise en scène de Castellucci pour le «Jeanne d’Arc au bûcher» programmé à La Monnaie attire les foudres de certains chrétiens. Mais la direction de l’opéra tient bon (lien).

    La page sur "L'anatomie de Jeanne" de jeannedomremy.fr part des mêmes éléments que ceux que je viens d'indiquer en explorant différentes hypothèses et ne retenant pour cause d'aménorrhée que le vaginisme, que je viens d'évoquer, et... le fait que Jeanne ait été enceinte !

    Jeanne a-t-elle eu un enfant ? Cette hypothèse là est explorée sur une autre page de ce site, titrée "La descendance de Jeanne". On y apprend les noms du père et de l'enfant, une fille. Ce seraient René d'Anjou (1409-1480), le "bon roi René", fils de Yolande d'Aragon, et Yolande d'Anjou, future duchesse de Lorraine et de Bar (le pays de Domrémy), censée être fille de l'épouse légitime de René, Isabelle de Lorraine. Elle est officiellement née le 2 novembre 1428, mais ce serait en automne 1429. Du coup, la Pucelle aurait une importante descendance... Je ne vois pas de contre-indication formelle à ce scénario, qui peut être plausible. Mais il me paraît peu probable, reposant sur des bases trop fragiles, une chronologie peu compatible avec les démêlées guerrières de Jeanne. La mère a-t-elle certifié, avec grand tralala, la virginité de Jeanne avant ou après le discret passage du fils ? Comme pour l'autre hypothèse de maternité évoquée en fin de chapitre 5, nous verrons si de nouveaux indices rendent davantage probable ce scénario.


    Et revoilà la fameuse statue... Enceinte ? Jeanne avait changé d'armure pour en prendre une plus large, récupérée d'un ennemi.
    Elle était trop à l'étroit dans la première, confectionnée à Tours, offerte par Charles VII, bien connue...
    A droite, une image extraite de la belle page de Patrick Peccatte "Les figurations sensuelles et érotiques dans
    l'imagerie de Jeanne d'Arc
    ", on pourrait y reconnaître Jeanne, René d'Anjou et sa mère...

    J'ajoute une hypothèse : après avoir été enceinte, Jeanne a fait une fausse couche. Toujours à cheval dans une armure, ce ne serait pas étonnant... Sur tout cela, rien ne se dégage vraiment et, comme le dit André Cherpillod : "D'une part nous n'en savons rien, d'autre part cela n'offre guère d'intérêt.". (==>Cherpillod 189)

  24. Un portrait, un portrait robot et des possibles portraits de Jeanne

    "Les représentations de Jeanne réalisées de son vivant, en fresques, esquisses ou peintures, semblent pour le moins limitées, voire quasiment inexistantes... Ce qui nous étonne ! A une époque où le moindre nobliau s'est fait tirer le portrait, on aurait un personnage de stature internationale qui aurait été oublié de tout le monde artistique ? Nous avons donc souhaité recenser dans ce chapitre les images de la Pucelle d'Orléans, du moins celles peintes alors qu'elle était encore en vie, soit jusqu'en 1452." Ainsi débute une page du site jeannedomremy.fr présentant des portraits plausibles de la Pucelle. Le généalogiste Jean-Loup Bretet, en cette page, a également répertorié de très anciennes représentations. Je vais ici en sélectionner quelques unes, à commencer par les plus probantes.


    Etant donné ce que j'en ai dit au chapitre 19, je considère que le portrait ci-dessus est véritablement celui de Jeanne des Armoises donc de Jeanne d'Arc.



    Je trouve que Jeanne a le front, le nez, la bouche et le menton des Valois, en particulier de son frère ou demi-frère Charles VII. J'ai donc effectué cette comparaison par le site Betaface. Le résultat est plutôt bon, mais ce n'est qu'un vague indice, complémentaire à l'avis de chacun.
    A gauche, portrait d'époque par Jehan Fouquet (Le Louvre), à droite, inspiré par Fouquet, portrait du XIXème siècle par Henri Lehmann (château de Versailles)



    La sculpture de tête casquée, sur l'image de gauche ci-dessous en arrière plan, a déjà été présentée en fin de chapitre 5, pouvant être celle de Jeanne d'Arc ou celle de Saint Maurice, voire celle de Saint Georges. Elle présente de fortes ressemblances avec le portrait de la dame des Armoises. "Des recherches menées par le Pr. Dr Ursula Wittwer Backofen ont fait l'objet d'un documentaire dans la série Terra-X de la ZDF. Ursula Wittwer a comparé les deux représentations pour en arriver à la conclusion que c'est la même femme qui a posé, à plusieurs années d'intervalle bien sûr ! De cette étude, les chercheurs concernés ont tiré un portrait robot" (jeannedomremy.fr). Le voici, à droite.


    Ci-dessous des possibles, probables ou improbables, portraits de Jeanne : la statue restaurée déjà montrée aux chapitres 12 et 21, puis une représentation supposée imaginaire de Jeanne La Pucelle lors de la prise d'Orléans le 10 mai 1429 en marge du registre du Parlement de Paris par Clément de Fauquembergue, qui ne l'aurait jamais vue, mais qui a pu en connaître une description. Enfin une carte à jouer du XVème siècle, par Jehan Personne, représentant la Pucelle en dame de pique et ayant quelques ressemblances avec le portrait de la dame des Armoises. En poussant les ressemblances, Jeanne est entourée par ses demi-frères, Charles VII roi de pique et Dunois valet de pique, encore une fichue coïncidence... (==>Cherpillod 193) Jusqu'à la fin du XVème siècle, on peut estimer que des artistes se sont inspirés de portraits qu'ils savaient véridiques...


    Terminons ce chapitre par cette remarque du site jeannedomremy.fr (page citée précédemment), sachant tout de même que, pour la la plupart, ces très anciens portraits ne se ressemblent guère entre eux... "Le lecteur peut aisément s'apercevoir que les représentations de Jeanne faites au XVème sont fort nombreuses, mais "oubliées" de la version officielle... Pour diverses raisons bien sûr ! La plupart d'entre elles ne correspondant pas à l'image de Jeanne que la "Légende Dorée" veut nous faire accroire... On nous présente une paysanne... Mais ses portraits révèlent une grande dame aux magnifiques atours, Une analphabète... Mais en relation épistolaire avec l'Empereur Romain Germanique... Une fervente catholique... Mais qui assume son haut grade dans un mouvement ésotérique, voire hérétique... les Charbonniers ! Nous affirmons donc que les représentations de Jeanne sont volontairement passées sous silence, car contraires au dogme..."

  25. Conclusion sur la personne de Jeanne : quelle fulgurance, quel caractère !...

    Le but de ce dossier est de concaincre le lecteur que Jeanne d'Arc n'est pas morte sur le bûcher de Rouen, avec certitude, on a vu pourquoi, et de le convaincre qu'elle est soeur ou demi-soeur du roi Charles VII, en une intime conviction s'appuyant 1) sur un très fort réseau d'indices concordants, 2) sur l'absence d'un autre scénario explicatif, 3) sur la faiblesse d'argumentation des domrémistes, inventant une multitude de coïncidences, s'arc-boutant sur la croyance en la légende d'une native de Domrémy périssant sur le bûcher de 1431. L'essentiel a été présenté, quelques éléments seront ajoutés en annexe, surtout pour apporter à quelques épisodes johanniques un éclairage cohérent avec ce qui précède.

    J'ai l'impression que les domrémistes ont une image très idéalisée de Jehanne, une sorte de super-héroïne moyenâgeuse habitée par de hauts idéaux. Ne plus y croire la rabaisserait à une femme parmi les femmes, une guerrière parmi les guerriers, une exaltée parmi les exaltés. C'est le contraire : on apprend qu'elle est une femme comme nulle autre pareille dans l'histoire de France, une guerrière qui en quelques mois inflige un revers décisif à une armée ennemie qui ne s'en remettra pas et une personnalité ayant réussi, là où tant d'autres ont échoué, à réunir des provinces encore disparates en un sentiment d'unité nationale, s'articulant sur un roi et un Dieu et permettant d'aller au-delà, au fil des siècles.

    Donc dévoiler la fausseté de la légende n'ôte pas grand chose à l'importance de Jeanne d'Arc dans l'histoire de France. Seuls les catholiques intégristes peuvent regretter que l'image de leur Dieu soit écornée et les nationalistes populistes peuvent regretter que la Pucelle ne soit pas sortie du bas-peuple. Jean-Paul II, Georges Marchais et Jean-Marie Le Pen peuvent effectivement sentir s'échapper l'effigie artificielle, construite par Eugène Tisserant et Jules Michelet, qui leur convenait tant : Jeanne d'Arc n'était ni une sainte, ni une incarnation d'un peuple opprimé. Les historiens domrémistes, eux-mêmes, ont, pour la plupart dénoncé ces interprétations, ayant déjà écorné la légende. Alors pourquoi refuser de vraiment la dénoncer ? Là, j'ai du mal à comprendre : on peut s'être trompé et le reconnaître, après avoir étudié le sujet sous un autre angle, avec des informations injustement marginalisées... Lisez Cherpillod ! (pdf au chapitre 3)

    Je suis personnellement fasciné par l'extraordinaire réussite de la "mission Bergère" pour laquelle Jehanne a été préparée. D'accord, cette préparation était très soignée, mais il fallait un sacré tempérament pour l'accomplir si rapidement jusqu'au sacre de Reims. Jeanne est tellement investie qu'elle s'impose à tous : le roi, ses conseillers, les juges de Poitiers, ses chefs de guerre. Elle parle d'égal à égal à chacun d'eux, sachant alterner les moments d'attente (par exemple devant Troyes) et ceux de fonce-dedans (à Orléans et Patay, bien sûr) avec une rare intelligence, emportant la cohésion de son camp derrière elle. Oui, quelle fulgurance !


    8 mai 1429, l'entrée triomphale dans Orléans, tableau de Jean-Jacques Scherrer 1887, musée des Beaux-Arts d'Orléans.
    Couronnement de Charles VII à Notre-Dame de Reims, le 17 juillet 1429. Enluminure du XVème siècle ornant un manuscrit de la "Chronique abrégée des rois de France" (BnF). A droite, Jeanne tient la bannière des rois de France.

    Cet état de grâce où Jeanne réussissait tout ce qu'elle entreprenait ne pouvait pas durer. Les causes en sont sûrement multiples : un effet de surprise qui s'estompe ; une opposition désarçonnée qui se reprend et s'organise dans tous les camps, anglais, français, bourguignon ; une Pucelle qui a un peu pris la grosse tête et devient trop confiante en elle-même, ayant tendance à mésestimer les adversaires ; un roi devenant méfiant envers une demi-soeur qui pourrait lui faire de l'ombre. Une succession de sévères échecs succède alors à la prodigieuse épopée. Comme on l'a vu au chapitre 15, sur les cinq volets de la mission que Jeanne voulait accomplir, trois échecs ont succédé aux deux succès d'Orléans et Reims.

    C'est dans l'adversité qu'on reconnaît les grands hommes et les grandes femmes. Comme on l'a vu au chapitre 9, Jeanne eut une attitude courageuse dans le procès de Rouen en 1431, tenant tête aux juges alors qu'elle est tiraillée entre la volonté de cacher son secret de naissance et celle de dire la vérité, entre la volonté d'accomplir sa mission et celle de sortir de ce mauvais pas. Jeanne a tenu tête à ses juges durant cinq mois. Il a fallu cette menace de finir sur le bûcher pour qu'en sa "seconde abjuration", elle renonce enfin et accepte d'être considérée comme morte et d'être exfiltrée pour rester dans l'ombre.




    23 mai 1430, Jeanne capturée à Compiègne. Tableau de Adolf Alexander Dillens vers 1850, Musée de St Petersbourg.
    1431, Jeanne en prison à Rouen. Tableau de Gillot Saint-Evre 1833, Madrid.

    Après avoir fait pénitence quelques années en prison, Jeanne a essayé de rester à l'écart, elle s'est installée en province, s'est mariée avec Robert des Armoises, s'est faite prénommée Claude... Mais comment s'éclipser quand on a été à ce point exposée en pleine lumière ? Comment renoncer à tout ce qu'elle a appris dans sa formation, guerroyer au service de Dieu ? Elle devient Jeanne des Armoises mercenaire, notamment au service de Gilles de Rais, et elle s'enhardit à se faire reconnaître, d'abord à Metz, auprès de sa famille adoptive, puis à Orléans, auprès de sa famille biologique, y compris le roi. Celui-ci, on l'a vu au chapitre 6, finit poliment par lui demander de respecter son engagement de discrétion. Elle s'y résigne. Après son décès vers 1449, Charles VII tente, par un procès d'annulation, de 1450 à 1456, d'effacer tout ce qui dérange pour construire une légende qui transforme la Pucelle d'Orléans en Jeanne d'Arc, nom qu'elle n'avait jamais voulu porter. La renommer ainsi vise à la dénaturer, à forger un autre personnage. Oubliée la famille biologique, seule doit rester la famille adoptive que tout le monde doit aussi considérer comme biologique. Quant à Jeanne des Armoises, elle doit être marginalisée, réduite à n'être qu'une fausse pucelle parmi d'autres. L'Histoire est falsifiée, la Légende est forgée.

    On se rend compte, comme l'observe Marcel Gay, que ""Au XVème siècle comme aujourd'hui, on manipulait l'opinion publique. Jeanne d'Arc, c'est de la diplomatie secrète. La légende est belle, mais la vérité l'est encore plus."

    Mon regard sur la Pucelle, malgré l'admiration que je viens de souligner, est tout de même critique en ce qu'elle était une sacrée fanatique de son Dieu ! Cherpillod (page 254) cite sa lettre haineuse aux Hussistes (les hérétiques partisans du tchèque Jan Hus, excommunié en 1411) : "Si je n'apprends bientôt votre amendement, votre rentrée au sein de l'Eglise, je laisserai peut-être les Anglais et me tournerai contre vous pour extirper l'affreuse superstition avec le tranchant du fer et vous arracher ou l'hérésie ou la vie". Elle incite aussi à la croisade contre les "Sarrazins", "guerriers d'Allah". Et, au combat, elle préfère tuer que capturer (Dehayes page 88 et suivantes)...

    Exercer son esprit critique, pour l'honneur de Jehanne, fin de conclusion de Thierry Dehayes, "La fabrique de Jeanne d'Arc", 2022.

    En histoire, il ne s'agit pas de croire ou de s'émerveiller ; il faut constater et exercer son esprit critique. Il ne faut pas écrire l'histoire d'un personnage aussi étonnant que Jehanne à partir d'une fiction politique, relue à la fin du XIXème siècle selon une double perspective religieuse et patriotique.C'est pourtant ce qui a été opéré presque constamment. Un auteur du début du XXème siècle, Joseph Fabre, le disait : "A force de vouloir trouver en elle le divin, on lui ôte son humanité : l'héroïne [...] devient une entité froide" ou encore "Il ne faut ni affubler Jehanne des défroques de la légende dorée, ni la déguiser sous le masque de l'esprit moderne". A-t-il été entendu,ou plutôt : a-t-on bien accepté de l'entendre ?

    Pour l'honneur - mot qui avait un plein sens au XVème siècle, peut-être moins à notre époque - de Jehanne, il serait pourtant nécessaire de la reconnaître dans l'intégralité de son parcours de guerrière et de femme, qui l'a reconduite à nouveau dans sa bonne ville d'Orléans, où l'on lui fit fête huit ans après sa "mort" sur le bûcher.

    Jeanne d'Arc, comme on ne l'a jamais appelée de son vivant, pourrait-elle rester en arrière-plan pour enfin laisser la place à Jeanne la Pucelle d'Orléans, comme on devrait l'appeler, ou Jeanne la Pucelle de France, comme on appelait Jeanne des Armoises ?

  26. Annexe 1 : autres épisodes révélateurs de la vie de la Pucelle de France

    Juillet 1428, la Justice de Toul autorise la Pucelle à se séparer de son fiancé !
    Article de Marcel Gay du 21 octobre 2021. L’événement historique est toujours gravé sur une plaque de marbre près de la cathédrale de Toul. On lit : "En l’an de grâce 1428 Jeanne d’Arc diocésaine de Toul comparut ici devant l’officialité de l’Evêque Henri de Ville, présidée par Frédéric de Maldemaire, doyen de Saint-Gengoult, dans un procès matrimonial que lui fit un jeune homme de Domrémy. Ses juges l’ayant déclarée libre de tout lien, Jeanne d’Arc put entreprendre sa merveilleuse chevauchée et sauver la France".
    Nous avons évoqué l’ouvrage d’un avocat parisien [chapitre 22 et lien] qui, en recoupant plusieurs sources historiques, donne un nom à ce jeune homme. "L’avocat identifie, de façon certaine pour lui, le fiancé de Jeanne comme étant le fils d’un nommé Jean Biget, habitant de Domrémy.". Cependant, un autre chercheur avant lui avait identifié ce fiancé : il s’agit d’un descendant de Jean Biget, originaire des environs de Domrémy. C’est lui, Denis Bichet, qui publie ce roman historique intitulé "L’Étrange fiancé de Jeanne d’Arc" avec pour sous-titre : "Deux descendants dans la tourmente de l’héritage de Jeanne d’Arc".

    Ce jugement daterait de juillet 1428. Pour Thierry Dehayes (page 290), Jehanne ne peut être poursuivie en Justice que si elle a plus de 20 ans. Elle est donc bien née en 1407 et non en 1412. Et des fiançailles à 21 ans sont plus crédibles qu'à 16 ans ! De nombreux autres indices vont dans ce sens, Thévenin les étudie sur une longue et précise page du site jeannedomremy.fr.

    Février 1429, le voyage à Nancy de la Pucelle
    En pages 261 à 265, André Cherpillod présente le voyage de la Pucelle à Nancy, les 11 et 12 février 1429, en préparation du voyage à Chinon. Elle y est invitée par le duc Charles II de Lorraine lui-même, lequel a pour gendre René d'Anjou, le fils de Yolande d'Aragon. A l'aller Jeanne est accompagné par Jean de Dieulouard. Il "n'est pas le premier venu : il est l'écuyer de René d'Anjou, le fils de Yolande. Qui peut être encore persuadé que Jeanne n'est qu'une humble paysanne poussée par ses "voix" ?". Surtout, René semble bien être présent au rendez-vous du duc et de Jehanne. "En 1986, Régine Pernoud, pourtant brillante égérie des domrémistes, reconnaît aussi que "Robert de Baudricourt et le jeune René d'Anjou sont très liés, et l'on peut penser que lorsque Jeanne s'est rendue à Nancy auprès du duc Charles, son voyage a été organisé et concerté entre le capitaine et le duc de Bar"". Cela cadre pleinement avec l'opération Bergère organisée par Yolande d'Aragon.

    Mars 1429, le secret que la Pucelle révèle au roi de France
    C'est la fameuse scène de la rencontre de Jeanne et du roi dans la grande salle du château de Chinon, celle qui débute par la reconnaissance du roi déguisé en courtisan, racontée au chapitre 1. Sa date est incertaine, Cherpillod l'estime au 9 mars 1429. Il continue (page 286) comme suit.
    Jeanne se présente donc : "Gentil dauphin, j'ay nom Jehanne la Pucelle ; et le roi des cieux vous mande par moi que vous serez le lieutenant du Roi des cieux, qui est roi de la France" (déposition de Pasquerel Duparc, IV, p. 72). Toujours d'après la déposition de frère Pasquerel, "Après plusieurs questions posées par le roi, Jeanne dit à nouveau : "Moi, je te dis, de la part de Messire, que tu es vray héritier de France et fils du roy..."". Jeanne et le roi s'écartent de la foule des courtisans dans l'embrasure d'une fenêtre. Et là, ils ont un entretien secret de deux heures. Les courtisans, intrigués, épient les expressions et la physionomie du roi pour chercher à deviner l'objet d'un entretien aussi long. Soudain, ils voient le visage de Charles VII, habituellement morose, s'illuminer de joie. Il se met même à pleurer d'émotion. Quelques courtisans veulent s'"approcher, mais le roi les en dissuade d'un signe de la main. [...] Cet entretien est d'une importance capitale, c'est l'un des mystères de la vie de la Pucelle. Que se sont-ils dit ?
    Pour les domrémistes, Jeanne à rassuré le roi sur sa naissance, en lui disant que Dieu lui avait révélé qu'il était bien fils de Charles VI (ce qu'elle a déjà dit, devant tous, en début d'entretien...). Il est davantage vraisemblable que Jeanne lui ait révélé qu'elle est sa demi-soeur... Là, oui, c'est un véritable secret ! Peut-être davantage ? (à ce sujet, voir l'hypothèse de Robert Ambelain sur cette page de jeannedomremy.fr, en lien avec les Templiers) N'oublions pas que c'est ce "secret qui est entre vous et moy" dont parle Charles VII à Jeanne des Armoises en 1439 (cf. chapitre 6). Ah, non, une coïncidence ?...

    Mars 1429, Jeanne est nommée "demoiselle d'Orléans"
    L'anecdote est présentée sur la page des hypothèses du site jeannedoremy.fr (autres mentions : 1 2 ).
    En mars 1429, la Pucelle aurait échangé une correspondance avec l'empereur romain germanique Sigismond Ier de Luxembourg (1368-1437), ce qui apparaît étonnant étant donnée l'importance du personnage et la date très précoce. C'est relaté sur un parchemin orné de trois enluminures (extrait du "livre de Sigismond" comportant 174 images en couleur de grande taille, échelonnées de 1427 à 1470, dessins de Diebold Lauber). Le 22 mars 1429, Jeanne répond à une lettre que Sigismond lui a envoyée quelques semaines plus tôt. Et dans la légende, la Pucelle est nommée "demoiselle d'Orléans". A cette époque où elle n'a pas encore délivré Orléans, Sigismond connaissait-il le secret de sa naissance ?

    Ci-contre, deux des enluminures : un messager confie à Jehanne la lettre de Segismond, puis un message de Jehanne amène à Sigismond la réponse. La Pucelle est ici présentée habillée comme une princesse royale, c'est probablement ainsi que l'imaginait Sigismond... Remarquez le blason bleu à trois fleurs de lys des Capétiens. Une coïncidence ?
    Descriptif des trois images, 112, 113, 114 sur un catalogue de vente. 112, folio 144r, le roi Sigismond ordonnant à un messager agenouillé de remettre une lettre scellée à "la Vierge qui a fait beaucoup de miracles" (Sainte Jeanne d'Arc, en robe rouge bourgogne et avec une coiffe blanche ; notez que cette peinture et les deux suivantes sont presque certainement les premières représentations de Jeanne d'Arc), 295 mm. par 260 mm ; 113, folio 146r, Jeanne d'Arc (ici "la jeune fille d'Orléans") ordonnant au même messager de revenir avec une lettre pour le roi Sigismond (la lettre, donnée dans le texte, est datée du 22 mars 1429), 295 mm. par 260 mm ; 114, folio 149v, Jeanne d'Arc chevauchant à la tête d'une colonne de chevaliers français armés, alors que les forces anglaises se retirent devant elle en jetant leurs arcs et leurs flèches, 285 mm. par 260. mm

    Juillet 1429, au sacre de Reims, la préséance de Jeanne sur les autres capitaines

    Le blason de Dunois le Bâtard d'Orléans
    et celui du duc d'Alençon (selon Wikipédia)
    Extraits de la page 283 du livre de Thierry Dehayes. Au sacre de Reims, pourquoi l'étendard de Jeanne, et donc sa personne, a-t-elle préséance sur celui de tous les autres capitaines ? Question capitale en effet, quand dans l'assistance se trouve le bâtard d'Orléans, le duc d'Alençon et Charles de Bourbon, tous trois arborant des fleurs de lys sur leurs bannières. En réalité, Jehanne a la place d'honneur au sacre parce qu'elle représente la famille d'Orléans en l'absence de son chef, le duc Charles, détenu à Londres.

    Auparavant, en page 282, Dehayes compare les blasons de Jeanne (cf. chapitre 16), de Dunois et d'Alençon. Il explique pourquoi Jehanne n'a pas la barre oblique de bâtardise du blason de Dunois et pourquoi elle a la couronne de Dunois, absente du blason de d'Alençon. "Pas de barre de bâtardise sur les armes de Jehanne ; celle du Bâtard d'Orléans en comportent une parce qu'il ne porte qu'à demi le sang de France, ce qui n'est pas le cas de Jehanne. Le sang des Valois, par son père Louis d'Orléans mêlé à celui de la reine Isabeau, coule dans ses veines".

    Décembre 1429, Jeanne d'Arc n'a pas été anoblie
    Olivier Bouzy, en page 86 de son livre, conteste que la Pucelle n'ait jamais été appelée Jeanne (ou Jehanne) d'Arc (ou Darc) de son vivant. Il estime que trois textes en font mention : un acte d'anoblissement de 1429, le procès de condamnation de Jeanne en 1431 "où Jeanne explique elle-même qu'elle s'appelle d'Arc ou Romée" (dans une déclaration, elle évoque un surnom d'Arc ou Romée ajoutant : "dans mon pays, les filles portaient le surnom de leur mère") et son procès dit de "réhabilitation" en 1450-1456 (Jeanne est décédée, c'est le fameux procès où on veut, rétrospectivement, l'appeler d'Arc...). Revenons sur l'anoblissement, en date du 29 décembre 1429, qui anoblirait le Pucelle Jeanne et toute la famille d'Arc. Dans un chapitre titré "Un anoblissement fort douteux" (page 346 à 352), André Cherpillod en démonte précisément les invraisemblances, indique que tout cela est "évanoui comme par miracle en juillet 1456" lors du procès d'annulation. De plus, "Jacques d'Arc et Isabelle de Vouthon, dite Isabelle Romée, étaient déjà de petite noblesse. Il n'était donc pas question de les anoblir". Il conclut : "L'argument domrémiste, selon lequel cet acte de décembre confirmerait que Jeanne porta le nom d'Arc tombe à l'eau : quand bien même ces lettres auraient existé, écrit J. Jacoby, elles ne confirment ni ne démentent rien, car Jeanne était officiellement une d'Arc et non une Orléans, comme le duc de Morny était officiellement le fils du sieur Demorny et non du comte de Flahaut et de la reine Hortense". On a vu, au chapitre 16, que la Pucelle s'est vue attribuer des armoiries très proches de celles de la maison d'Orléans...

    Septembre 1439, après les bourgeois de Metz et d'Orléans, ceux de Tours reconnaissent la Pucelle de France
    André Cherpillod ne les a pas cités dans sa liste des personnes qui ont reconnu la Pucelle en Jeanne des Armoises : il y eut aussi les bourgeois de Tours. Thierry Dehayes en fait la démonstration.
    Fin septembre 1439, un document atteste de la présence de Jehanne à Tours. A nouveau, elle ne se cache pas le moins du monde, puisqu'elle va trouver le bailli de Touraine, également capitaine de Tours, représentant du roi, pour une requête dont on ignore hélas tout à fait l'objet, mais qui met ce seigneur dans une situation inconfortable. [...] S'il est évidemment regrettable d'ignorer la teneur de ces courriers, on notera du moins que le bailli de Touraine n'a pas jugé déraisonnables les requêtes de la dame des Armoises, puisqu'il les a transmises à Charles VII. Or à Tours, comme à Orléans, Jehanne est en terre où elle est bien connue. [...] Mais surtout, s'est-on suffisamment intéressé à l'identité du bailli de Touraine, que Jehanne des Armoises a selon toute vraisemblance rencontré ? Il a une importance toute particulière dans "l'épopée johannique" de 1429. En effet Baudoin de Champagne, seigneur de Tucé [...] a fort bien connu et côtoyé plusieurs semaines durant la Pucelle quand elle séjournait à Tours. [... Il] est donc un témoin incontestable pour juger de l'apparence physique de Jehanne et il partage avec elle de nombreux souvenirs. [...] Ajoutons que côté témoins susceptibles de reconnaître Jehanne à Tours, il faut à nouveau compter à peu près tous ceux qui vivaient déjà dans cette ville dix ans plus tôt.
    Et Dehayes cite quelques uns de ces Tourangeaux qui ne pouvaient pas être dupés par une fausse Pucelle. (==>Dehayes 237 238 239 240 241).

    Février 1450, lancement par le roi du procès d'annulation
    Thierry Dehayes (page 357) : "Le trucage de l'histoire de Jehanne n'est pas le fait des écrivains "survivalistes" ; il est le fait de Charles VII et de l'Inquisition, pour des raisons politico-religieuses. Le roi veut prouver qu'il doit son trône à une envoyée de Dieu ; les inquisiteurs veulent faire oublier leur rôle peu glorieux lors du procès de Rouen".
    André Cherpillod : "Charles VII s'estimait déhonoré par le jugement rendu en mai 1431 contre la Pucelle : il devait son sacre, donc son trône, à une hérétique. [...] Il fallait à tout prix effacer cette condamnation qui jetait le discrédit sur le sacre, et imposer définitivement la légende, imaginée dans les années 1420, de la bergerette inspirée par le ciel. [...] On ne pouvait engager un procès en vue d'annuler celui de 1431, tant que cette dame vivait et en dehors d'elle : il eût fallu reconnaître que la condamnée à mort était encore en vie et publier les raisons de cette apparente résurrection. Il était donc prudent d'attendre. En 1450, la Pucelle des Armoises était morte : un procès en annulation pouvait être envisagé."
    C'est le 15 février 1450 que le roi veut "sçavoir la vérité dudit procès & la manière comme y a été procédé". Les domrémistes estimeront, encore une fois, que cette date, un an après le décès supposé de Jeanne des Armoises, est une coïncidence. Une de plus...

    Juin 1455, lancement par le pape du procès d'annulation
    Le jugement de 1431 a été délivré par un tribunal ecclésiastique, présidé par l'évêque Cauchon. Seul le pape peut donc déclencher un procès en nullité. Nicolas V, décédé le 24 mars 1455, ne l'a pas voulu, préoccupé par la fin de l'empire d'Orient, tombé aux mains des Turcs, en 1453, qui est aussi la date de fin de la guerre de cent ans, qui aura duré 116 ans. C'est habituellement considéré comme la date de fin du Moyen-âge. Son successeur, un Borgia, Calixte III signe le 11 juin 1455 un "rescrit" qui ordonne la révision du procès de 1431. "C'est dans ce texte que, pour la première fois, Jeanne la Pucelle est désignée sous le nom de Jeanne d'Arc. [...] En revanche, il est notoire qu'aucun des 126 témoins qui seront interrogés au cours des diverses enquêtes ne la nomme ainsi : pour eux, ce nom n'existe pas" (Cherpillod page 497). Il s'agit, au maximum, de rattacher Jehanne à la famille d'Arc. D'ailleurs, c'est sa mère adoptive, Isabelle Romée, qui a été sollicitée par le roi pour, auparavant, demander au Vatican l'ouverture de ce procès. Elle n'assistera qu'à la première séance.
    Page 501 et suivantes, Cherpillod titre ses paragraphes : A la fois juge et partie !, Aucune sincérité des témoins, Des réponses dictées, Des témoins complaisants, Des témoins réticents, Des témoins ignorants, Des témoins amnésiques, Des témoins censurés. Commencé le 1er juin, le procès, sans aucun caractère contradictoire, s'est terminé le 7 juillet 1456. L'annulation du jugement de 1431 est entérinée. Ce n'est pas une réhabilitation, personne ne songe à rendre son honneur à Jeanne, encore moins à la sanctifier...
    Un des buts de ce procès était d'imposer à tous la légende de la naissance dans la famille d'Arc et de la mort sur le bûcher, pour maquiller définitivement une histoire qui l'était déjà en très grande partie. Les fuites révélant la vérité vont alors se faire rares, des indices disparaissent, la légende officielle doit s'imposer à tous, les domrémistes se chargent de marginaliser les hérétiques.

    Mai 1920, Jeanne d'Arc devient une sainte
    C'est très tardivement, quatre siècles après le procès en nullité, vers 1860, que la volonté de canoniser celle que tout le monde appelle alors Jeanne d'Arc apparaît. Cela se fera plus pressant après la défaite de 1870 et la montée d'un nationalisme revanchard. En 1874, l'évêque Félix Dupanloup entreprend des démarches auprès du pape. En 1883, 15 cardinaux, 23 archevêques, 183 évêques réclament la canonisation. Le 27 janvier 1884, Jeanne d'Arc est déclarée "vénérable", première étape. Des réticences apparaissent Et puis il faut au moins trois miracles... Heureusement trois religieuse sont miraculeusement guéries en implorant Jeanne d'Arc. Le 6 janvier 1904 est officiellement proclamé le 492ème anniversaire de la naissance à Domrémy, le contester devient un péché... (quel succès pour le petit texte sans date de Perceval de Boullainvilliers, cf. chapitre 12). Le 21 janvier 1909, deuxième étape, Jeanne est déclarée bienheureuse. Pour devenir sainte, il faut deux autres miracles, on en trouve trois. Arrive la première guerre mondiale, on perd cinq années. Le 7 mai 1920, les cardinaux votent à l'unanimité en faveur de la canonisation, officiellement proclamée le 16 mai. Alleluia, on peut mettre une auréole sur la tête de Jeanne d'Arc, pardon Sainte Jeanne d'Arc. Elle devient intouchable. Qui donc se soucie de condamner l'Eglise qui aurait fait périr cette sainte en la traitant d'hérétique ? Une Eglise censée être infaillible...

    Heureusement derrière tous les apparats fabriqués de Jeanne d'Arc, il reste l'héroïque femme que fut Jeanne la Pucelle. Et cette histoire, qui se cherche la plus proche de la vérité et rejette les dissimulations, traverse les siècles et, même, commence à s'imposer. Certains contours restent hypothétiques, mais l'essentiel est là : Jeanne était soeur biologique (ou demi-soeur) du roi de France et elle n'est pas morte sur le bûcher de Rouen.
  1. Annexe 2 : épisodes dessinés, de 1483 à 2023

    Voir la page voisine.
    Ce chapitre reprend, avec présentation, les quatre pages de la bande dessinée "La dame des Armoises", de Fred et Liliane Funcken, parue dans le journal Tintin en 1967. Et bien davantage...

  2. Annexe 3 : le portfolio Jehanne de Yetchem

    Voir la page voisine.
    Ce chapitre présente des dessins inédits de Jeanne d'Arc par quelques auteurs renommés de bande dessinée.

  3. Annexe 4 : textes de référence

    Voir la page voisine.
    Ce chapitre reprend les pages de textes de David-Darnac, Gay, Bouzy, Cherpillod, Dehayes déjà accessibles en liens (précédés par : ==>).

    Appel à témoins. La lecture de ce dossier montre la découverte récente d'informations relatives à Jeanne d'Arc des Armoises. De nouvelles révélations sont possibles. Par exemple le contrat de mariage de Jehanne et Robert des Armoises peut avoir été mis à l'abri dans un château auprès de Fresnes-en-Woevre, au moment de la première guerre mondiale. Ou trouver le testament ou le tombeau de Philibert des Armoises. Aussi une indication du passage de Jeanne du Lys des Armoises... Je suis joignable (alain (at) pressibus.org) pour transmettre à qui pourra les analyser. De façon plus étendue, j'ajouterai des Post-Scriptum en cas d'avancées...
    Voir aussi la page de recherches du site jeannedomremy.fr.

    Alain Beyrand.
    Dossier réalisé, pour l'essentiel, du 13 au 29 juin 2023.
    Sous licence Creative Commons by-sa.
    Accueil.

    Deux pdf disponibles :

    Le livre d'André Cherpillod (576 pages, 77 Mo) et le présent dossier (112 pages, 43 Mo).