Accès à l'accueil - Adresse courte de la présente page : pressibus.org/martin - The same page in english - Derrière la légende de Martin de Tours
    Martin, Perpet et l'histoire de la ville de Tours
    Les basiliques Saint Martin érigées à Tours
    L'impulsion  communiquée  par  l'évêque  Perpet
    Martin et les Tourangeaux
    Martinus   ad   perpetuum

    Encyclo Martin & Tours


    Sommaire

      A) 371-2020 MARTIN, DEUXIEME EVEQUE DE TOURS
    1. Hors le légendaire Gatien, Lidoire premier évêque de Tours
    2. Martin, le soldat qui partage son manteau
    3. Du soldat obéissant à celui qui défie l'empereur Julien
    4. Martin et Hilaire de Poitiers : Ligugé et intolérance contre l'arianisme
    5. De son élection à sa glorification, l'humble Martin et les citadins de Tours
    6. A Marmoutier, Sulpice Sévère interviewe Martin et c'est un best-seller
    7. Martin et Ambroise de Milan : retenue face à l'hérésie priscillienne
    8. D'Amboise à Candes, l'évangélisateur Martin et les ruraux de Touraine
    9. Martin apôtre bagaude saccageur du patrimoine gaulois
    10. L'écho religieux des miracles martiniens
    11. Martin sous toutes les formes artistiques
    12. Illustrations des épisodes de la vie de Martin sanctifié
    13. Edifications à la gloire de Martin sanctifié
    14. Bribes d'histoire, légendes, reliques, démons, mystifications...
    15. Dix-huit siècles de livres sur Martin et un puissant renouveau contemporain

      B) 398-470 LA BASILIQUE DE L'EVEQUE ARMENCE
    16. Brice, successeur contesté de Martin, est remplacé par Armence
    17. Armence et les Tourangeaux élèvent la première basilique Saint Martin
    18. Les Huns dans la basilique d'Armence et les miracles contés par Perpet
    19. De la famille de Paule et Eustochie, Eustoche et Perpet, évêques aristocrates

      C) 471-994 LA BASILIQUE DE L'EVEQUE PERPET
    20. Le financement, les décorations et poèmes de la basilique de Perpet
    21. Les Wisigoths et sept autres évêques issus de l'aristocratie gauloise
    22. Le passage glorieux de Clovis à Tours et dans la basilique
    23. La reine Clotilde s'installe à Tours, près de la basilique
    24. Radegonde et Brunehaut, deux reines "martiniennes", deux destins
    25. Grégoire de Tours, le culte de Martin et sa virtus
    26. Des Mérovingiens aux Carolingiens, de la cape aux chapelles
    27. Alcuin et Vivien abbés de Saint-Martin, un scriptorium novateur
    28. Luitgarde et Judith, impératrices inhumées dans la basilique
    29. Les Vikings, les remparts de Châteauneuf et Foulques Nerra

      D) 995-1798 LA BASILIQUE DU TRESORIER HERVE
    30. De la cape de Martin aux Capétiens, du roman au gothique
    31. Remous ecclésiastiques et nouvelle prospérité de Châteauneuf
    32. De l'occupation anglaise des Plantagenêts à la reconquête de Philippe-Auguste
    33. A Châteauneuf, les bourgeois sous la coupe du clergé de la basilique
    34. La guerre de cent ans, Charles VI le fou et Jeanne d'Arc à Tours
    35. Louis XI, le roi citoyen tourangeau, et sa bonne ville
    36. Tours capitale des arts de la pré-Renaissance avant le fatal François Ier
    37. La richesse des abbayes de Tours Saint Martin et de Marmoutier
    38. Les abbayes voisines et satellites de Cormery, Beaumont, St Cosme, St Julien
    39. Les cent jours des Huguenots, du pillage au massacre
    40. Tours, première capitale de Henri IV, s'accroche à une modeste prospérité
    41. Regain puis affaiblissement du culte de Martin
    42. Coups fatals des sans-culottes, fin passagère de la basilique et du culte

      E) 1799-2020 LA BASILIQUE DE L'ARCHITECTE LALOUX
    43. Le nouvel axe de la structuration urbaine, l'absence de basilique
    44. L'extension de la ville vers le sud, le passage des Prussiens
    45. Le renouveau martinien du XIXème siècle et la longue polémique
    46. Jules Quicherat et Casimir Chevalier relient Perpet à Laloux
    47. La nouvelle basilique de Victor Laloux
    48. XXème siècle, Martin embaumé passe en arrière-plan
    49. Du patriotisme de la première guerre mondiale à la désolation de la seconde
    50. XXIème siècle et perpète, hommage répété à Martin

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    A) 371-2020 MARTIN, DEUXIEME EVEQUE DE TOURS

  1. Hors le légendaire Gatien, Lidoire premier évêque de Tours

    Introduction : 17 siècles d'histoire martinienne. Martin de Tours, né Martinus en 316 en Hongrie, alors Pannonie, considéré comme un saint de son vivant, décédé en 397 à Candes en Touraine, a exercé la charge d'évêque de Tours à partir de 371, succédant à Lidoire qui se révèle être le premier évêque de ce diocèse, comme il va être expliqué en ce premier chapitre. 17 siècles se sont écoulés depuis et la marque laissée par cet homme reste prégnante, que ce soit dans la ville de Tours, la province Touraine / Val de Loire, dans le pays Gaule devenu France / Allemagne, en Europe et même au-delà. Après avoir retracé ce que l'on sait de sa vie et esquissé le culte qu'il a généré, nous suivrons ces 17 siècles sous une vision tourangelle, avec pour fil directeur les quatre basiliques successives que les Tourangeaux lui ont dédiées, leur évolution, celle du culte, celle de la vie d'une cité qui l'avait choisi et qu'il a servie. Tout cela aboutit à une sorte d'encyclopédie de Martin de Tours, un portail illustré débouchant sur des livres en pdf ou en papier et sur des sites permettant de prolonger la présente étude.

    Gatien n'est pas le premier évêque de Tours. Durant des siècles, les premiers évêques de Tours ont été ceux cités par Grégoire de Tours (19ème évêque de Tours, de 573 à 594). En décembre 1980, une thèse (cf. ci-après) de Luce Pietri, éditée en 1983 sous le titre "Tours du IVème au VIème siècle" a rétabli des faits plus proches des documents du Vème siècle, dénonçant ce qui apparaît légendaire et contraire aux faits historiques reconnus. C'est ainsi qu'il apparaît très probable que Gatien n'ait pas existé, ou n'ait pas exercé comme évêque (pages 31 à 33). Luce Pietri est même catégorique : "Quelque soit sa provenance, le nom de Catianus [Gatien] ne saurait en tout cas être maintenu en tête de la liste épiscopale de Tours". La cathédrale de Tours serait donc dédiée à un personnage imaginé par Grégoire de Tours ou inventé par quelqu'un en qui il avait confiance, éventuellement inspiré d'un personnage réel. Il pourrait notamment être le premier chrétien arrivé à Tours, mais sans y jouer un rôle d'évêque ni même de prêtre ayant quelque audience. Tout ce qu'on raconte sur Gatien, par exemple sur cette page du site Réflexion chrétienne, apparaît historiquement faux.


    Martin instrumentalisé dans l'invention de Gatien. Jusqu'où peut-on aller dans la manipulation des saints ? Ce tableau de la chapelle Saint-Michel, couvent des Ursulines, Notre-Dame-de-l'Assomption à Tours, XVIIème siècle, est intitulé "Saint Martin, par révélation, inventa le corps de saint Gatien" (lien). A droite, une des plus vieilles représentations de Gatien, du XIIème siècle.


    La longue liste des prélats tourangeaux
    Voici un vieil écrit en latin, le "Sancta et Metropolitana Ecclesia Turonensis" de Jean Maan, daté de 1667. L'auteur a eu accès à des documents d'archives dont nombreux ont été perdus à la Révolution ou lors de l'incendie de la bibliothèque de Tours en 1940. Il présente quatorze siècles de la vie des évêques de Tours, à commencer par plusieurs (très grandes) pages sur Gatien. Une seconde partie traite de l'histoire des conciles et synodes tenus dans la province ecclésiastique. Cet imposant ouvrage (dont sont tirées ces deux photos, la seconde présentant le liste des évêques de Tours selon Grégoire) est disponible à la librairie ancienne Denis de Tours (en octobre 2019 + catalogue avec livres sur la Touraine). Une traduction de Paul Letort a été publiée, à tirage très restreint, en 1997 (éd. du Python).
    D'évêques en archevêques. A partir de 1802 les archevêques succèdent aux 120 évêques. En 2020, le 138ème (ou 139ème en comptant l'évêque constitutionnel Pierre Suzor, de 1791 à 1794) est Vincent Jordy. L'énumération complète est sur cette liste de Wikipédia, à laquelle il convient d'apporter le correctif ci-dessous.

    Luce Pietri écrit aussi que Brice s'est très peu soucié du culte de son prédécesseur Martin et qu'il fut un temps exilé et remplacé principalement par Armentius / Armence, avant de revenir assagi après le décès de ce dernier (voir ci-après le chapitre sur Armence). Sur ces bases, voici les deux listes des premiers évêques de la capitale martinienne, avec les liens vers Wikipédia (qui se base encore en 2020, sur la liste de Grégoire) et dates d'exercice de la fonction  :

    Les premiers évêques de Tours
    Selon Grégoire de Tours  Selon Luce Pietri
    Gatien / Catianus (251-304)1Lidoire / Litorius (338-371)
    Lidoire (341-371)2Martin / Martinus (371-397)
    Martin (371-397)3Brice / Brictius (397-430, 436-442)
    Brice (397-442)4Armence / Armentius (430-436)
    Eustoche (442-459)5Eustoche / Eustochius (442-459)
    Perpet (459-489)6Perpet / Perpetuus (459-489)
    • Plusieurs dates sont imprécises, notamment pour Brice et Armence
    • Hormis Armence, tous ces évêques sont canonisés
    • Armence eut Justinien / Justinianus pour prédécesseur, qui n'exerça sa charge que brièvement
    • Luce Pietri n'a pas effectué de numérotation, celle qui lui est ici attribuée a aussi pour but de se rattacher rapidement à la numérotation de Grégoire, d'où la non prise en compte de Justinien
    • Dans sa première présentation, Grégoire prend en compte Justinien et Armence
    • Armentius est traduit en Armence et non Armand / Armantius
    • Deux ans après sa thèse, en 1982, Luce Pietri publia une étude de 70 pages titrée "La succession des premiers évêques tourangeaux : essai sur la chronologie de Grégoire de Tours". On pourra s'y référer pour comprendre les deux numérotations utilisées par Grégoire
    • + extrait de cette étude, un tableau des deux listes de Grégoire, avec ces données pour la période Brice :


    Lidoire, le premier évêque de Tours. 17 ans après sa thèse, dans le colloque 1997 de Tours sur Martin, Luce Pietri revient sur les débuts de l'évêché de Tours, résumant des éléments de son étude : "L'Eglise de Tours avait été fondée, non comme le prétendra plus tard Grégoire, aux temps glorieux des persécutions, mais récemment à la faveur de la Paix de l'Eglise, vers 337/338. Son premier évêque, Litorius [Lidoire], le prédécesseur de Martin, avait rassemblé un petit troupeau composé essentiellement de citadins. A l'intention de ce dernier, il avait élevé, dans la ville ceinte des murs, son ecclesia, la modeste église cathédrale où il réunissait chaque dimanche et lors des grandes fêtes annuelles le peuple chrétien ; il avait aussi dans le suburbium occidental aménagé, à l'intérieur d'une maison cédée par un sénateur, une basilique funéraire destinée à abriter son dernier repos. Mais il n'avait pas tenté d'évangéliser les campagnes de son diocèse dont l'étendue coïncidait à peu près à celle de l'actuel département d'Indre et Loire."


    La non-existence de Gatien recueille maintenant un large assentiment des historiens, comme le montre cette notule de Henri Galinié dans le livre Ta&m 2007 (page 285).

    Lidoire, le premier évêque de Tours. A gauche, fresque par Louis de Bodin de Galembert, avant restauration [oratoire du musée des Beaux-Arts de Tours, 1872, "La légende saint Martin au XIXème siècle" 1997]. Au centre, vitrail de l'église Notre Dame la Riche de Tours (lien) A droite, statue de l'église Notre Dame des Essards en Touraine (lien). + vitrail de Lux Fournier 1912 dans l'église St Martin de Tauxigny, entre Tours et Loches (lien).


    Sanctus Lidorius sous la coupole de l'actuelle basilique Saint Martin de Tours, fresque de Pierre Fritel.

    La christianisation de la Touraine ne commence qu'au IVème siècle. En sa thèse, Luce Pietri évoquait la présence des premiers chrétiens à Tours : "Qu'il y ait eu quelques tourangeaux convertis au christianisme avant l'année 337/338 qui date, selon Grégoire, le début du règne de Litorius, cela est fort probable en cette période de diffusion de la foi nouvelle et même certain, s'il faut en croire l'auteur de l'Historia Francorum, qui affirme que le futur évêque était l'un d'entre eux. Il ne s'en suit pas pour autant que ce groupe de fidèles encore peu nombreux ait constitué dès les premières décennies du IVe siècle une Eglise organisée et indépendante. A considérer ce que l'on sait de l'histoire du christianisme dans l'Ouest de la Gaule tout entier, on a toutes raisons, en effet, d'accepter la date de 337/338 comme celle de la création de l'évêché de Tours."

    Luce Pietri poursuit : "Dans ces régions, avant la venue de Martin, bien peu de gens avaient entendu parler du Christ, comme le remarquaient l'évêque Eufronius de Tours et six de ses collègues, détenteurs de sièges voisins, dans une lettre adressée entre 567 et 573 à la reine Radegonde. Quant à la hiérarchie épiscopale, ce n'est que tardivement et de façon très lente qu'elle s'est organisée. Ainsi, dans le cadre de la province de Lyonnaise Seconde telle que la réforme de Dioclétien l'avait définie, seule Rouen, une ville importante qui devint alors métropole administrative de la nouvelle province, est sûrement dotée d'un siège épiscopal avant 313 ; à Angers et à Nantes, toutes deux situées sur la Loire dans une position analogue à celle de Tours, ainsi qu'au Mans, la présence d'un évêque n'est pas historiquement attestée avant le milieu du IVe siècle. Partout ailleurs il faut attendre le Vème siècle, voire le siècle suivant, pour qu'apparaisse un siège épiscopal."

    La thèse de Luce Pietri, avec des illustres historiens comme président (Jacques Fontaine) et rapporteur (André Chastagnol), approuvant ses travaux, est une remarquable étude critique. Il est peu compréhensible qu'un tel travail n'ait été reconnu que dans un cercle restreint d'érudits et que ses conclusions n'aient pas changé la vision que l'on a de cette séquence d'évènements. Sulpice Sévère et Grégoire de Tours furent pour Martin des panégyristes plus que des historiens. Leurs récits doivent être considérés selon une "critique raisonnée et tempérée", comme l'a écrit Luce Petri et comme l'a fait Jacques Fontaine en sa traduction commentée de Sulpice Sévère en 1969 et en un article de 2005 sur la place de la Vita Martini dans la littérature.

    Au fil des siècles un évêque fantôme usurpateur. Comment croire en l'existence de Gatien à une époque qui n'était pas encore chrétienne, alors que sa première apparition date de trois siècles plus tard dans les écrits de Grégoire ? Et il n'a commencé à être célébré qu'en 1243. Charles Lelong, dans un article titré "Saint Gatien ou saint Maurice" [SAT 1995] considère qu'il y a eu "usurpation" : la cathédrale devrait s'appeler Saint Maurice comme avant 1310 et comme, au même endroit, l'église du temps de Martin. Pire, raconté par Lelong, un conte à dormir debout sur la vie de Gatien fut colporté et approuvé par l'Eglise du XIIIème au XVIIIème siècle. Encore maintenant on laisse croire que Gatien a été "enterré en face de l'église Notre Dame la Riche, dans une crypte où coulait une source (réputée miraculeuse)", ce qui est glorifié par "un monument avec sa statue", réhabilité en 2014 ["Tours secret", Hervé Cannet 2015] + photo. On pourra aussi consulter, raconté par Bernard Chevalier à un colloque de 2011, un débat virulent des années 1860, avec Casimir Chevalier, sur deux origines différentes de Gatien, finalement aussi fausses l'une que l'autre. Et pour bien montrer sa primauté sur Martin, Gatien est censé être décédé dans une grotte de Marmoutier qui porte son nom...

    L'église de Martin était l'église Saint Maurice, située à l'emplacement de l'actuelle cathédrale Saint Gatien. "La cathédrale a été construite à l’emplacement de l’édifice qui au IVe siècle était l’ecclesia prima, c’est à dire l’église de l’évêque de Tours, donc l’église de saint Martin [construite par Lidoire vers 340, reconstruite en 573]. Cette première église portait le vocable de Saint Maurice puis plus tard [au XIVème siècle] les chanoines de la cathédrale en opposition avec ceux de la basilique lui donnèrent le nom de Gatien, premier sur le siège épiscopal de Tours. La cathédrale gothique actuelle remplace l’ édifice roman construit sur la première église. L’actuelle cathédrale possède de nombreux objets et décors ayant trait à saint Martin. [...] Dans la chapelle saint Lidoire, des verrières du XIIe siècle provenant de l’ancienne basilique saint Martin (scènes de la vie saint Jean, saint André et saint Jacques)." [extrait de la page de la cathédrale sur le site saint-martindetours]. Dimensions de la cathédrale : 100 mètres de longueur, 28 m de largeur, 46 m pour le transept, hauteur des voutes 29 m, 68 et 69 m pour les tours (à comparer, plus loin, avec les dimensions de l'église abbatiale de Marmoutier, ici, et les basiliques Saint Martin successives, ).


    Analyse de la construction de la cathédrale de Tours dans l'album Guignolet 1984 + les huit planches : 1 2 3 4 5 6 7 8.


    La cathédrale Saint Gatien de Tours. 1) au XIXème siècle + gravure 1603 [BmT] + peinture par William Turner 1826 + gravure 1841 Clarey-Martineau + gravure 1844 ["Tours, guide de l'étranger"] + quatre gravures LTh&m 1855 : 1 2 3 4 + gravure 1874 sur un plan de Tours. 2) en 2020 + photo 2019 de nuit. 3) La nef. 4) Une fresque sur le partage du manteau, aux couleurs délavées (photo) ici rehaussées (page flickr de Philippe_28]. Cet édifice est d'un classicisme gothique qui fut admiré par Viollet Leduc ["La cathédrale de Tours", Claude Andrault-Schmitt, Geste Editions 2010]. + carte postale 1975 en vue aérienne. + site paroissial (paroisse St Maurice et non St Gatien...). La cathédrale abrite aussi un célèbre tableau de Jean-Victor Schnetz qui sera présenté ci-après.


    Martin à l'honneur dans la cathédrale de Tours avec trois grandes baies dédiées, numérotées 204, 4 et 8. 1) La grande baie, n°204, datée de 1260 environ (lecture de bas en haut) [dessin de Costigliole, "La cathédrale de Tours", Claude Andrault-Schmitt, Geste Editions 2010] + autre reprise dans Lecoy 1881 + photo + extrait + photo des deux autres baies se complétant (n° 4 et 8 vers 1270-1290) dédiées à Martin + extrait baie 8. + deux liens avec détail chronologique de toutes les scènes : 1 (baie 4) 2 (baie 8). 2) Le partage du manteau (baie n°204). 3) Martin délivre un possédé, le diable sortant par sa bouche (la visage a été noirci...) (baie n°8). 4) "Les illuminations de la cathédrale" en été 2018 avec Martin en surimpression (ou alors le fantôme de Gatien ?) + trois autres scènes martiniennes de ce spectacle : 1 2 3 + autre scène. Cette page présentera quelques autres vitraux de ces baies. En 2013, sur le thème de saint Martin, des vitraux à la complexité difficilement lisible, même avec des explications, ont été ajoutés, réalisés par Gérard Collin-Thiébaut et Pierre-Alain Parot, avec cette notice (lien).

    Deux des trois baies de vitraux de la cathédrale sur la vie de Martin proviennent-elles de la basilique Saint Martin ? Ci-dessus en illustrations, trois baies de vitraux retraçant la vie de Martin sont présentées. Celle numérotée 204 est la plus ancienne, environ 1260. Offerte par l'abbaye de Cormery, elle a été réalisée "in situ", c'est-à-dire sur place, pour cet édifice. Elle présente 18 scènes. Les deux autres, numérotées 4 et 8, sont légèrement postérieures, entre 1270 et 1290, disons 1280. Chacune comporte 10 scènes, la seconde série prolongeant la première, donc 20 scènes. Compte-tenu des doublons, les trente huit médaillons de ces trois verrières présentent 24 scènes différentes de la vie et de la mort du saint. On retrouve là les scènes de la baie Martin de la cathédrale Saint Etienne de Bourges, datée de 1215 environ (20 scènes, photo flickr Anne L. + lien) et celles de de la grande baie de Chartres, créée entre 1215 et 1275 (40 scènes, présentation ci-après). Pour Jacques Verrière, en son livre Verrière 2018 : "Les deux verrières jumelles ne sont pas "in situ". Proviennent-elles d'autres parties de la cathédrale ? Ou, comme le vitrail de saint Julien et saint Ferréol qu'elles encadrent, d'une autre église ? Il n'est pas exclu même qu'elles aient pu être transférées de l'ancienne basilique de Saint Martin lors de son démantellement à la fin du Directoire ou sous le consulat, voire un peu avant. Cette hypothèse serait parfaitement conforme à la chronologie, puisque les spécialistes datent les deux verrières des années 1270 au moins, peut-être d'une des deux décennies suivantes. Cela correspond bien à la dernière période de grands travaux qui ont affecté la basilique à la fin du XIIIème siècle". Quelques reliques avaient été sauvées lors de la révolution par le citoyen Lhommais (voir ci-après) et avaient ensuite été récupérées par la cathédrale. Le tombeau des enfants de Charles VIII (ci-après) a été récupéré de la même façon, pourquoi pas ces deux baies n° 4 et 8 ? C'est plausible et même probable. Il y a toutefois d'autres hypothèses, notamment une provenance de l'église voisine St Julien

    Martin de Tours et Maurice d'Agaune, deux saints militaires apparentés. Qui était donc ce Maurice que Martin tenait en si grande considération ? Il est mort martyr avec les légionnaires de sa légion thébaine, au début du IVème siècle pour avoir refusé de mater une révolte bagaude chrétienne (récit illustré, lien). Maurice eut rapidement une grande renommée et il est donc probable que Martin soit passé à Agaune (au nord des Alpes, lieu du massacre) lors de ses pérégrinations. Qu'en est-il de l'histoire racontant un jaillissement du sang du martyr, recueilli par Martin ? Un conte à dormir debout ? Toutefois, comme expliqué en cette étude de 2014 d'Olivier Roduit, on a trouvé à Candes en 1873 une fiole avec une inscription indiquant qu'elle contenait du sang de Maurice... Albert Lecoy de la Marche [Lecoy 1881] estime que Martin, évêque, a pu passer à Agaune et que, par sa renommée, il a pu ramener des fioles du sang des martyrs thébains que des contemporains du massacre avaient conservé.


    Martin et Maurice. A gauche, tapisserie XVème siècle "Saint Martin faisant jaillir le sang de Saint Maurice à Agaune" conservée au Trésor de la cathédrale Saint Maurice d'Angers [Lecoy 1881]. Puis, dans le même édifice, vitrail "Miracle du sang de Maurice" du XIIIème siècle. + deux autres représentations de la même scène dans "La vie et miracles de Mgr saint Martin" : 1 version 1516 [BmT, commentaire par Claude Andrault-Schmitt, "La cathédrale de Tours", Geste Editions 2010]. 2 version 1496 [BnF] + vitrail 1900 [Edouard Didron, église de Saint Martin le Hébert, en Normandie]. Ensuite vitrail de l'atelier Lobin dans l'église Notre-Dame de la Légion d'Honneur à Longué (Anjou) avec les deux saints (Martin à droite) [illustrations Semur 2015]. A droite vitrail de l’église Saint-Nicolas de l’ancienne abbatiale Saint-Maurice de Blasimon. Sur ce tableau de Hans Holbein le jeune 1522, Martin est associé à un autre légionnaire thébain, Ours / ursus de Soleure (lien). + trois pages du site de Nhuan DoDuc présentant des vitraux de Maurice : 1 2 3. + trois vitraux de la cathédrale de Tours illustrant le martyre de Maurice et de ses compagnons de légion [Catalogue 2016]. Il reste à Saint Maurice en Suisse un "vase de saint Martin" dont l'histoire est racontée sur cette page de la "Lettre martinienne" 2005-3 (avec photo de ce vase et celui de Candes).
    ... Et George... En Angleterre, Martin est plutôt associé à George / Georges de Lydda, qui terrassa un dragon, comme sur ces six vitraux : 1 par Margaret Aldrich Rope 1934, église de Hereford(+ cadre élargi) [flickr Glass Angel] 2 par Charles Kempe 1903, église de Edgebaston à Birmingham [flickr Peter Moore] 3 église de Tilney All Saints [flickr Steve Day] 4 église de Guislborough en Angleterre [flickr guilsborough 37] 5 église de Earlswood, flickr Aidan McRTae Thomson] 6 église de Westbourne où la cathédrale de Tours est en arrière-plan de Martin [flickr Alwyn Ladell]. + double sculpture sur le portail principal de l’église de la Translation de saint Martin à La Chapelle sur Loire, à moins que ce soit là Michel l'archange, celui du Mont Saint Michel, qui terrassa aussi un dragon.

    Prudence, analyse et recul des historiens. Nous allons maintenant nous engager dans l'étude de la vie de Martin. Ce que nous venons d'analyser sur la fiction Gatien nous conduit à le faire avec circonspection. La prudence sera de mise, par exemple pour rejeter des propos de Régine Pernoud (page 72 de son livre de 1996 "Martin de Tours, rencontre") affirmant que "Pour Martin, le culte des martyrs exigeait mieux qu'une simple réputation. On ne peut que saluer en lui ce soucis de vérité. [...] Visiblement Martin avait le goût et le sens de l'histoire". Il y a lieu d'en douter, avec ses miracles et ses démons, avec aussi certaines fariboles de ses continuateurs comme Perpet et Grégoire de Tours. Luce Pietri et la plupart des historiens contemporains ont su dépasser à la fois l'approche trop illuminée de certains, comme Régine Pernoud, et celle trop incrédule d'autres, comme Ernest-Charles Babut dont nous reparlerons plus loin. C'est cette voie que nous suivrons.

    Moteurs de recherche et traductions A l'ère du numérique, les moteurs de recherche nous fournissent des masses d'informations sur un personnage aussi connu. Encore faut-il utiliser des critères de recherche pertinents (sans oublier d utiliser les guillemets). "Saint Martin" est insuffisant à cause des patronymes, localités et églises portant ce titre. "Martin de Tours" est meilleur mais doit être accompagné d'autres critères. Pour aller au-delà des seules pages en langue française, il convient d'utiliser les traductions. La page Wikipédia sur Martin de Tours existe en 68 langues, ce qui permet d'utiliser les traductions. En anglais  "Martin of Tours" (et "saint Martin"), en espagnol "San Martin" (et "Martin de Tours"), en italien "San Martino" et "Martino di Tours", en allemand "Martin von Tours", en portugais "Sao Martinho", "Martinho de Tours", aux Pays-Bas "Sint Maarten" et "Martinus van Tours", en hongrois "Szent Marton", en catalan "Sant Marti" et "Marti de Tours", en polonais "Marcin z Tours", en latin "sanctus Martinus" et "Martinus Turonensis"... et les abréviations "St Martin", "St Martinus"...

    Des sites de photos, surtout flickr. Plusieurs sites présentent des bases de données de photos. Certains, comme alamy, akg ou pinterest, sont d'un accès très limité et peu recommandables. A la fois ouvert et très fourni, le site le plus intéressant est flickr. Il a permis de partager ici des photos, souvent de très bonne qualité (l'origine flickr est indiquée, suivie du nom de l'utilisateur). Les recherches peuvent s'appuyer sur le moteur de recherche associé (par exemple ce résultat pour les critères Martin, Tours et vitrail) ou en s'appuyant sur des albums trouvés en commentaires, comme celui-ci "Traces de Saint Martin de Tours ou celui-là "San Martin caballero". On peut combiner, par exemple le groupe "Traces de Saint Martin de Tours en Europe" avec le critère "vitrail" pour ce résultat. Cela permet d'élargir les illustrations de la présente page...



  2. Martin, le soldat qui partage son manteau

    334, le partage du manteau : pas de cheval et pas de manteau rouge ! C'est la scène emblématique de Martin, encore mondialement connue du partage du manteau, aussi appelée Charité de Martin ou Charité Saint Martin ou Charité d'Amiens. Martin a 18 ans quand, à Amiens / Samarobriva, en 334, il partage son manteau avec un miséreux. Presque toutes les représentations, et elles sont innombrables, montrent Martin à cheval, ou à côté d'un cheval, avec une cape rouge. Or la très jeune recrue Martin ne pouvait être qu'un fantassin et il portait une chlamyde, d'ordinaire blanche et non la cape rouge d'un officier. D'ailleurs Sulpice Sévère, son premier biographe, est muet sur ces deux points (Paulin de Périgueux, Venance Fortunat, Grégoire de Tours aussi). Son court texte parle un peu de l'attitude de ses compagnons militaires, qui semblent être du même niveau sans grade. Certains rient, ce qui est très peu illustré, cette image flamande anonyme est une exception (lien). Le contexte n'apparaît pas exceptionnel, car Sulpice l'aurait mentionné tant la scène était déjà importante. Martin n'a été cavalier que plus tard, d'après Sulpice sous Constance II, qui règne à partir de 353. Entre le fantassin d'Amiens en 334 et le cavalier de Constance vers 354, il s'est passé une vingtaine d'années dont on ne sait rien. Un peu plus tard, sous Julien, il est considéré comme un officier de la garde impériale. S'il a été légionnaire (tous les soldats ne l'étaient pas...), c'est au début de sa carrière.

    Face au "pauvre presque nu", la valeur du geste de Martin ne dépend pas du fait qu'il soit à pied ou à cheval, ni de la couleur de son manteau, blanc pour un soldat ou rouge pour un officier. Alors pourquoi user toujours de ce symbolisme d'un officier dominant son interlocuteur ? Les historiens sont d'ailleurs, pour la plupart de cet avis, Jacques Fontaine, au colloque de 1997, qualifiant d'erreur la représentation de Martin en cavalier. Olivier Guillot, en son livre "Saint Martin apôtre des pauvres" (2008) : "C'est très précisément vers 1100 qu'on trouve la plus ancienne figuration de la scène où Martin est à cheval, face au pauvre. [...] La modification n'est pas sans quelque importance : elle tend à faire de Martin un chevalier, un preux. Par là, on dénature forcément l'image du soldat Martin telle que la figurait la Vita, celle du jeune garde de l'empereur pétri de modestie et d'humilité, porté plus à servir l'esclave qui lui est attaché qu'à être servi par lui. [... ] On tend à atténuer ce qui, selon la Vita, faisait le propre de ce saint, le souci qu'il avait toujours eu d'être de plain pied avec le pauvre." Jacques Verrière, citant Sulpice Sévère, s'étonne aussi en une double-page illustrée de vitraux de la cathédrale de Tours [Verrière 2018]. Esther Dehoux dans le Collectif 2019 montre dans un tableau que Martin ne devient vraiment cavalier qu'à partir du XIIIème siècle (+ carte de France des premières représentations) et que cette évolution de piéton vers cavalier se retrouve aussi dans les représentations de Maurice et George / Georges.


    Des illustrations "historiquement correctes". 1) A l'abbaye de Saint Benoît sur Loire, vers l'an 1000 [flickr Odile Cognard, lien]. 2) Fin XIème siècle, église Hilaire le Grand, Poitiers [flickr Philippe 28, lien]. 3) Image extraite du téléfilm Arte (cf. encadré ci-dessous).
    Expression minimaliste. 4) A droite, vitrail de John Piper et Patrick Reyntiens 1974 dans l'église de Sandford St Martin en Angleterre [flickr Aidan McRae Thomson] qui pourrait schématiser chacun de ces trois vitraux : 1 église St Rémi de Maisons-Alfort en Ile de France [atelier Mauméjean] 2 église de Grayshott en Angleterre [flickr johnevigar] 3 église de Herzogenbuchsee en Suisse [flickr Hurni Christoph]. Ce raccourci minimaliste à trois mains peut aussi s'exprimer sur deux visages, comme sur cette image de l'artiste américaine Julie Lonneman ou sur un manteau coupé en deux comme ce symbole du 1700ème anniversaire de la naissance de Martin (lien). La composition peut inversement être plus complexe, comme ce vitrail réalisé par Claude Barre, maître verrier d’Amiens, et par Alain Mongrenier, artiste peintre dans l'église de Blérancourt, dans l'Aisne [LM 2006-1].
    Le téléfilm Arte du 5 novembre 2016 (ici en vidéo Youtube, 52 minutes) retrace la vie et le culte de Saint Martin en s'attachant à la réalité historique. Martin y est présenté comme un jeune fantassin lors du partage du manteau, avec cette remarque : "Dans cette rencontre les regards se croisent à hauteur égale, le mendiant se sent ainsi grandi et revigoré". Andreas Pichler, auteur de ce documentaire, a su représenter Martinus sans cape rouge, sans mitre ni crosse, en sa simplicité d'ermite devenu évêque et resté ermite (image).
    Martin fantassin Vingt trois illustrations sans cheval : 1 XIIème, [Musée d'art de Barcelone, provenance église St Martin de Bourg Madame, Guingueta d'Ix en catalan, Maupoix 2018] 2 (Martin Schongauer, Budapest, vers 1475, flickr Assaf Kintzer) 3 (fin du XVème) 4 (fin du XVème) 5 [abbaye d'Ampleforth en Grande Bretagne, flickr Lawrence OP] 6 [cathédrale de Fribourg en Suisse, Jösef Mehoffer 1896-1936), flickr Lawrence OP] 7 [église de Gospel Oak à Londres, flickr trailerfullofpix] 8 [Edward Burne-Jones 1894, église de Hatfield en Angleterre, flickr Robin Croft] 9 [église de Grimsby en Angleterre, flickr Budby] 10 [1910, église St Martin de Fivehead en Angleterre, flickr David Cronin] 11 [cathédrale de Baltimore aux USA, flickr Lawrence OP] 12 [illustration XIXème siècle] 13 [John and Willis 1931, église de Earls Barton en Angleterre, flickr Rex Harris] 14 [église de Roye dans la Somme, Jean-Hébert Stevens] 15 [église de Mitry-Mory en Ile de France] 16 [église Saint Olave de Londres, Angleterre] 17 [collégiale de Colmar, lien] 18 [R. M. Driffield 1890, Nymet Tracey dans le Devon, Angleterre] 19 [1909, église de Bidborough en Angleterre, flickr johnevigar] 20 [église St Martin de Milford Salisbury en Angleterre, flickr Alwyn Ladell] 21 [église St Martin in the fields à Londres, flickr Patrick] 22 [église St Paul d'Oakland aux USA, flickr St. Paul's] 23 [XIVème siècle italien, Maître des anges rebelles, peut-être Lipo Memmi disciple et beau-frère de Simone Martini, Musée du Louvre, Wikipedia].
    Partage en solitaire. Un soldat seul coupant son manteau en deux peut suffire, même si on peut avoir l'impression qu'il découpe un rideau. En voici neuf exemples, tous en Angleterre : 1 église du quartier de Kingsbury à Londres [flickr Rex Harris 2 [James Powell and Sons 1945, église de Lexden, flickr david.robarts] 3 église de Privett [flickr johnevigar] 4 église de Lewes, flickr Charlie Verrall] 5 cathédrale de Blackburn [John Hayward, flickr, Glass Angel] 6 église de Baslow [flickr Oxfordshire churches] 7 cathédrale de Pècs en Hongrie (lien) 8 église St Stephen de Montréal au Québec [Nguyen DoDuc] 9 [Edward Burne-Jones 1880, église de Dorchester, flickr Rex Harris].
    Comme un détail... Parfois le partage du manteau peut n'être qu'un détail parmi d'autres, petit sur ce tableau de Pietro Montanini [XVIIème siècle, Musée d'Art de Roumanie, flickr Michaël Martin], minuscule (cherchez le...) sur ce tableau de Pieter Snayers 1592 [MBAT, Catalogue 2016, gros-plan]. Un tableau de l'église St Martin de Kophaza en Hongrie montre en arrière-plan Martin âgé, seul, chevauchant un âne [LM 2017-2].
    Pointons le cas particulier de cette miniature du psaultier d'Hungtingfield d'Oxford en Angleterre vers 1220 où c'est l'évêque Martin et non le soldat qui partage son manteau [The Pierpont Morgan Library à New York (lien].

    Le récit initial de Sulpice Sévère : "Un jour, au milieu d’un hiver dont les rigueurs extraordinaires avaient fait périr beaucoup de personnes, Martin, n’ayant que ses armes et son manteau de soldat, rencontra à la porte d’Amiens un pauvre presque nu. L’homme de Dieu, voyant ce malheureux implorer vainement la charité des passants qui s’éloignaient sans pitié, comprit que c’était à lui que Dieu l’avait réservé. Mais que faire ? il ne possédait que le manteau dont il était revêtu, car il avait donné tout le reste ; il tire son épée, le coupe en deux, en donne la moitié au pauvre et se revêt du reste. Quelques spectateurs se mirent à rire en voyant ce vêtement informe et mutilé ; d’autres, plus sensés, gémirent profondément de n’avoir rien fait de semblable, lorsqu’ils auraient pu faire davantage, et revêtir ce pauvre sans se dépouiller eux-mêmes. La nuit suivante, Martin s’étant endormi vit Jésus- Christ revêtu de la moitié du manteau dont il avait couvert la nudité du pauvre ; et il entendit une voix qui lui ordonnait de considérer attentivement le Seigneur et de reconnaître le vêtement qu’il lui avait donné. Puis Jésus se tournant vers les anges qui l’entouraient leur dit d’une voix haute : « Martin n’étant encore que catéchumène m’a revêtu de ce manteau. » Lorsque le Seigneur déclara qu’en revêtant le pauvre, Martin l’avait vêtu lui-même, et que, pour confirmer le témoignage qu’il rendait à une si bonne action, il daigna se montrer revêtu de l’habit donné au pauvre, il se souvenait de ce qu’il avait dit autrefois : « Tout ce que vous avez fait au moindre des pauvres vous me l’avez fait à moi-même. »"



    L'invention d'images militaristes. Déjà au XIIIème siècle, dans les vitraux des cathédrales, c'est en cavalier que Martin déchire son manteau (qui n'est pas encore toujours rouge). Le moine-évêque est devenu un "héros militaire", par exemple sur cette illustration d'un bréviaire de Tours en 1635 [Collectif 2019]. Cette image s'impose et, en France, elle prend une allure officielle au XIXème siècle. Le téléfilm d'Arte s'en fait l'écho en présentant comme référence le tableau ci-dessus à gauche.
    Ce tableau réalisé par Jean-Victor Schnetz en 1824 est exposé dans la chapelle Saint Martin de la cathédrale St Gatien à Tours + trois photos : 1 2 3 (reliquaire) [Wikimédia] + analyse par Véronique Moreau, Catalogue 2016. Il a pu être inspiré par un tableau de 1737 de Louis Galloche [musée Los Angeles] ou par le tableau de Jean II Restout 1735 [église de Saint Hymer dans le Calvados]. Financé par le ministère pour la moitié, la ville de Tours et le département pour un quart chacun, est en quelque sorte le portrait français officiel de Martin et il l'est effectivement devenu par le nombre de variantes créées.
    Les mendiants aux fagots. Certaines de ces variantes sont aisément reconnaissables par la présence d'un fagot de bois. Ainsi ces huit vitraux : 1 [Saint Martin des Champs, Paris] 2 [église de Mosnes en Touraine, atelier Fournier] (variante 1886 à Sorigny) 3 (église d'Anjouin dans l'Indre) 4 (église de Druye en Touraine) 5 [église de Berthenay en Touraine, vitrail d'Amand Clément] 6 reprise du précédent (Julien Fournier 1882, église de Hommes en Touraine, lien) (les églises de Continvoir, Saint Nicolas de Bourgueil en Touraine, Mareuil sur Cher et Le Tranger dans l'Indre ont aussi un vitrail de l'atelier Fournier presque semblable). 7 [église St Mathieu de Quimper en Bretagne] 8 [en Pologne, lien).
    A droite, Martin est même présenté comme le chef d'une escouade de cavalerie [gravure de Ange-Louis Janet]. + fresque 1630 [chapelle St Martin de Richelieu en Touraine, lien] + huit vitraux du même type : 1 [église Saint Martin de Vez dans l'Oise, lien] 2 [atelier Guérithault de Poitiers, église du Grand Pressigny en Touraine, Verrière 2018] 3 [atelier Duclos du Mans, église de Truyes en Touraine, lien] 4 [origine indéterminée, lien] 5 [par René Houille, de Beauvais, 1929, église Saint Denys d'Estrées] 6 église de Valanjou en Anjou (lien) 7 église de Metz en Lorraine [atelier de Maréchal et Champigneulle, Nguyen DoDuc]. 8 [église St Martin de Chaumont le Bois en Côte d'Or]. C'est suggéré plus que montré dans d'autres scènes, comme sur ce vitrail [ Charles Kempe 1868, église de Saundby en Angleterre, flickr Budby]. Et sur ce panneau de l'église de Lyndhurst en Angleterre ou sur ce bas-relief d'origine indéterminée, le cavalier Martin est à la tête d'une troupe fantassins [flickr Sic Itur As Astra].
    Aux XXème et XXIème siècles, la scène se fait plus intimiste comme sur ce vitrail de Veronica Whall 1930 dans l'église de Ledbury en Angleterre [flickr Glass Angel], cette sculpture [Rottenburg am Neckar en Allemagne, flickr dierk schaefer], ce dessin de 2018 (lien) ou ce vitrail de l'église St Martin d'Orly. Martin descend même de sa monture, comme sur ce tableau de l'église Saint Martin in the fields à Londres [lien], ce ex-libris 1922 par "the Welsh lay Dominican David Jones" [flickr Lawrence OP], ce bas-relief d'Eric Gill (Angleterre, flickr Lawrence OP] ou celui-ci sur une porte de la cathédrale St Martin d'Utrecht aux Pays-Bas [Theo van de Vathorst, flickr Jim Forest], cette peinture de Damien Lejeune 2011 pour l'église St Esprit d'Amiens (lien) ou celle-ci de Gionani Canova (lien) et sur ces neuf vitraux : 1 Shrigley and Hunt 1921 [Mémorial WW1 de Skipton en Angleterre, flickr Lawrence OP] 2 [église Saint Martin d'Amiens, lien] 3 [église de Juigné sur Sarthe] 4 [chapelle de Fort George en Ecosse, flickr beechgarave] 5 [église de Acklam en Angleterre, flickr Bolckow] 6 [église St Martin de Vernusse, en Auvergne, flickr Martine Sodaigui] 7 [Lawrence Lee 1962, cathédrale de Coventry, en Angleterre, flickr Simon Knott] 8 [Krista Steiner-Jörg 1941, église St Severus de Boppard en Angleterre, flickr Hen-Magonza] 9 Paul Woodroffe 1935 [église de Edith Weston en Angleterre, flickr Peter Jones]. En sens inverse, et c'est exceptionnel, le cheval peut devenir la vedette, comme sur ce vitrail de Emma Blount 2015 dans l'église de Bladon en Angleterre ou le vitrail de l'église St Basle de Dombasle en Lorraine, comme s'il avait invité son maître à partager le manteau.
    La scène classique du XIIIème siècle pourrait être ce vitrail conservé au Musée de Cluny, National du Moyen-âge, à Paris, provenant d'une abbaye de Varennes-Jarcy en Ile de France ou de Gercy en Picardie [flickr Michaël Martin]. Assez proche, bien que plus loin en Angleterre, et un peu plus tardif vers 1320, ce vitrail de la cathédrale d'Oxford [flickr Lawrence OP]. + Quatre illustrations classiques des XVIème et XVIIème siècles du Lecoy 1881 : 1 [Liberale da Verona] 2 ["La légende dorée", Nicolas Couteau] 3 ["Le tableau de la Croix", François Mazot] 4 [Daniel van Papenbroeck]. + la scène en deux planches BD par Maric - Frisano 1994 : 1 2 (Martin est à cheval, avec un manteau blanc) + la page Wikipédia titrée "La charité de saint Martin".
    Certaines scènes ont une allure surprenante. Ainsi, sur cette sculpture et celle-ci, toutes deux à Mayence en Allemagne, on se demande si Martin doit couper son manteau en trois [flickr hen-Magonza] (ou en quatre sur cette fresque de l'église Marienkirche d'Oldendorf en Allemagne, flickr Oldendorf), sur cette sculpture du square St Martin de Cochem en Allemagne, Martin et son cheval piétinent un pauvre hère [flickr Wayne Hopkins], sur cette fresque à Trévise en Italie, le partage se fait en musique [LM 2008-1] et sur ces cinq vitraux : 1, le Christ se positionne entre Martin et le mendiant [Arthur Schouler vers 1982, église St Martin de Pierrevillers en Moselle, lien] 2, la vierge Marie se positionne devant Martin et le mendiant dans la basilique San Lorenzo de Milan [LM 2007-2] 3, le partage se fait en centre-ville [église St Martin de Linxe dans les Landes] 4, le décor apparaît duveteux et théâtral [église de Hanbury en Angleterre, flickr jacquemart] 5 le pauvre est vêtu d'un riche habit élimé et rapiécé [église de Sturminster Newton en Angleterre, flickr johnevigar]. Aussi sur ces cinq tableaux : 1 l'évêque donateur Gottfried Werner de Zimmern tire la la cape à son avantage [Maître de Messkirch vers 1540, église de Karlsruhe en Allemagne, flickr jeanlouis mezieres] 2 un autre évêque tire davantage encore la couverture à soi [Lucas Cranach l'Ancien, Wikipédia] 3 les deux protagonistes sont nus [Giocomo Vittone, Tenno en italie, flickr Luc&Ca] 4 Martin donne l'intégralité de son manteau [XIXème siècle, école de Jacques-Louis David, Musée du service des Armées, flickr Michel & Carole Alcamo] 5 la scène se déroule au printemps avec un mendiant habillé [église de Villebourg en Touraine, lien].
    Partage dans la foule. A l'inverse des scènes militaristes, certains artistes ont évacué l'aspect militaire en multipliant les mendiants ou en postionnant Martin au milieu d'habitants. Voici trois exemples : 1 tableau du Néerlandais Cornelis Droochsloot, XVIIème siècle 2 tableau de Jan de Coninck 1630 [église St Martin de Courtrai en Belgique, flickr hroenlig]. (extrait ci-dessous) 3 tableau de Jan Brueghel l'ancien, vers 1600 [château de Nelahozeves, République Tchèque, Lobkowicz Collections, lien], extrait ci-dessous.
    Emprunts de style Le partage du manteau en version mésopotamienne [origine indéterminée, flickr Logan Isaac], égyptienne [église St Martin de Oosterend aux Pays-Bas, flickr Jan van den Berg], perse [origine indéterminée, flickr Logan Isaac], ombre chinoise [église St Georg de Tübingen en Allemagne, flickr eagle1effi], polonaise ("polish folk") [origine indéterminée, flickr Aloutka Kazawa], disco (lien), heroic fantasy (lien).
    L'acrobatique découpe d'un manteau à cheval. Il n'est pas évident avec un épée de couper un manteau en deux parties à peu près égales, surtout lorsque l'on est juché sur un cheval qui n'est pas à l'arrêt. Une reconstitution montrerait que ce n'est pas plausible, ce qui, d'ailleurs démontre que le vrai Martin était un fantassin. C'est particulièrement flagrant avec un cheval au galop comme pour cette sculpture de l'église St Martin de Erice en Italie [flickr Anne L] ou un cheval qui se cabre comme sur cette sculpture d'un tympan de l'église St Martin de Bologne en Italie [flickr Jacqueline Poggi]. Lépée peut être magique tant elle coupe le tissu avec facilité, comme dans cette fresque [XXème siècle, Tommaso Della Volpe, église St Martin de Croara en Italie, lien]. Et, encore en cette église de Bologne, cette autre sculpture ne peut conduire qu'à laisser au pauvre une maigre part du manteau, juste une écharpe [flickr Paolo Venturi] ou cette sculpture de Crouy sur Cosson en Orléanais où Martin se démet les vertèbres [colloque 1997 SAT].
    La bonne méthode pour couper un manteau en deux. Il existe pourtant une méthode de découpe en étant à cheval. Certes elle est peu utilisée, peut-être parce qu'elle requiert l'aide du pauvre transi et demande un temps de réflexion préalable, mais elle apparaît efficace. La voici sur une sculpture juchée sur un portique dans l'île de Palma de Majorque en Espagne [flickr Josep Pons i Busquet, lien], sur un vitrail de l'église de Church Westcote en Angleterre [flickr Martin Beek], sur un bas-relief de l'église St Martin de Bénesse-Maremne dans les Landes [flickr Marie-Hélène Cingal] et sur un tableau de Bicci di Lorenzo dans la Propositura di Santa Croce, commune de Greve in Chianti près de Florence en Italie [flickr Jindrich Shejbal]. Ce n'est qu'en position préliminaire sur ce tableau de la Galleria dell'Accademia à Florence en Italie [flickr Valéry Hugotte]. Et même à pied, la méthode est efficace, comme le montre une troisième sculpture de l'église de Bologne [flickr Paolo Venturi].
    Ou encore... En poussant la réflexion préparatoire, on peut trouver plus simple sur ce vitrail de l'église Saint Honoré d'Eylau dans le 16ème arrondissement de Paris [Félix Gaudin 1901, flickr Patrick Berthou]. Finalement, il vaut mieux biaiser, allonger le manteau avec une longue traine comme sur cette statue de l'église du Boulay en Touraine [" Saint Martin de Tours, XVIème centenaire" 1996] ou sur cette statue moderne en résine (lien). Encore mieux et tellement simple : montrer la scène une fois le manteau coupé ! Par exemple sur cette image affichée en l'église St Martin de Vitré en Bretagne, 2019, flickr Marie-Hélène Cingal + zoom arrière.

    Tout au long de cette page, nous revenons sur le partage du manteau, notamment selon les époques : fin du moyen-âge et époque classique ci-après, au XIXème siècle ci-après, au XXème siècle ci-après et encore ci-après.


    L'abbaye Saint Martin aux Jumeaux d'Amiens sur le lieu de partage du manteau. Construite en 1073, avec une église Saint Martin du Bourg où Thomas Becket célébra une messe en 1165, ses batiments furent utilisés comme palais de Justice après la Révolution. Ils se révélèrent inadaptés et furent démolis en 1860 pour laisser place à un palais de Justice flambant neuf. A gauche l'abbaye, au centre les plans superposés de l'abbaye et du nouveau palais de Justice. A droite, la sculpture de Justin-Chrysostome Sanson, 1880, sur un des murs, à l’endroit présumé où Martin partagea son manteau. Elle est légendée par deux plaques (photo). + lien avec informations complémentaires. Ajoutons l'image anachronique de Martin devant la cathédrale d'Amiens (origine indéterminée, lien).


    La partage du manteau est l'estampille martinienne. Comme l'illustrent ces quelques exemples, reproductions de Lecoy 1881, la scène du manteau partagé est un des facteurs essentiels de la popularité de Martin à travers les siècles. Elle ne peut que désigner Martin, comme une signature, une estampille. 1) Pion pour un jeu de tables sculpté dans une défense de morse [XIIème siècle, Musée Ashmolean d'Oxford]. 2) Assiette en faïence peinte [XVIIIème siècle]. 3) Broc à cidre [collection de l'abbé Guiot, 1761].
    Les sceaux. 4) Sceau de Jacques d'Arfeuille, prévôt de Saint Martin de Rodera [XVème siècle] + trois autres sceaux présentés dans Lecoy 1881 : 1 prieuré de St Martin des Champs à Paris, fin XIIème siècle 2 1233 Aubri, doyen de St Martin de Tours 3 archevêques de Mayence XIIIème siècle + trois sceaux présentés dans le livre Maupoix 2018 : 1 1273 doyen de Saint Martin de Tours 2 1278 doyen de Saint Martin de Tours 3 1406 chambrerie de Saint Martin des Champs, Paris. + page de sceaux saint Martin en Europe [LM 2006-3].
    Objets divers en plus des précédents. En voici onze : 1 fer à hosties, pour mieux s'imprégner de la charité de Martin 2 pierre tombale : [XVème siècle, basilique St Martin de Liège, lien] 3 reposoir à Chinon, là où Martin se serait reposé (lien) 4 tabatière de fin du XVIIIème siècle. 5 crosse de cardinal [Mgr Meignan, Tours, XIXème siècle, " Saint Martin de Tours, XVIème centenaire" 1996] 6 bâton abbatial 7 dessus de soufflet 8 aumônière brodée 9 bénitier en marbre de la basilique St Martin de Martina Franca [Maupoix 2018] 10 drapeau 11 boite de camembert [flickr Michael Studt]. Et deux cadrans solaires (lien) : 1 2. Un cierge (lien) et un autre de la basilique de Tours ou une bougie. De l'encens. Un parfum (lien). + Un article de La NR 2016 sur le marketing Saint Martin.
    Cette estampille peut être discrète, un détail pour reconnaître Martin, comme sur ce tableau de Jean-Hubert Tahan [1838, église St Martin de Fressines], lien]. Ou en sous-plan, comme sur une image du XIXème siècle de Louis-Joseph Hallez. En juillet 2020, sur le moteur de recherche "startpage", la recherche "Martin of Tours" délivre 19 images sur 20 avec le partage du manteau (copie d'écran) (17/20 pour "Martin de Tours").

    La première illustration connue de la scène du manteau partagé. Bruno Judic : "Au VIlle siècle, Boniface, missionnaire anglo-saxon, fonda l’abbaye de Fulda, en Hesse. A la fin de ce même siècle, cette abbaye entretenait des liens étroits avec Tours. Le jeune Raban [Raban Maur], moine de Fulda, vint étudier à Tours sous la direction d’Alcuin. Les images de la basilique tourangelle furent connues à Fulda et ont certainement inspiré le décor du sacramentaire de Fulda. Certains manuscrits de ce sacramentaire, réalisés à la fin du Xe siècle, portent la première représentation connue aujourd’hui de la Charité d’Amiens sans doute à partir du décor même de la basilique tourangelle. Cette image est exceptionnelle : sur la partie gauche, devant la porte de la ville, Martin, à pied, sans cheval, partage son manteau avec le mendiant en vis-à-vis, mais sur la partie droite, Martin est figuré endormi sur un lit, et au-dessus, au centre de l’image, le Christ, que Martin contemple dans sa vision nocturne, porte la moitié de manteau donnée au mendiant. L’image est ici étroitement liée au texte même de Sulpice Sévère et manifeste la signification profondément christique de la célèbre scène. C’est encore cette inspiration que l’on retrouve sur un chapiteau de Saint-Benoît sur Loire autour de l’an mil [sculpture déjà présentée en début de ce chapitre]".

    Des reproductions d'une scène de la basilique de Perpet ! Déjà, en 1956, en conclusion d'un article titré "Les Miracles de Saint-Martin. [Recherches sur les peintures murales de Tours au Vème et au VIe siècle]", Tony Sauvel avait énoncé l'hypothèse séduisante et probable reprise par Bruno Judic : "Je ne sais si je m'aventure trop loin dans le sentier toujours glissant des hypothèses... Mais je crois permis de voir, dans notre miniature de la fin du Xème siècle [celle de Fulda, ci-dessous], la réplique d'une peinture monumentale beaucoup plus ancienne, d'y voir la version ottonienne d'une oeuvre précarolingienne. Rappelons que les peintures de Grégoire de Tours étaient en nombre impair, et ceci tend à placer l'une d'elles au centre des six autres ; la scène d'Amiens était, dès cette époque, infiniment plus connue que tous les autres miracles et c'est elle seulement que Fortunat évoquait lorsqu'il voulait dire en quelques mots qui était saint Martin. Conçue comme à Fulda, c'est-à-dire avec ses deux épisodes et avec un Christ en majesté en son milieu, cette scène peut très bien avoir trouvé place dans la cathédrale de Grégoire de Tours, derrière un autel, les autres miracles étant répartis trois par trois à ses côtés.". Eric Palazzo reprend aussi cette hypothèse dans un article du Catalogue 2016.


    Voici donc la fameuse miniature de Fulda, la plus ancienne illustration connue de la Charité de Martin, où un jeune soldat habille de la moitié de son manteau un malheureux grelottant de froid et le revoit en songe la nuit suivante comme son Dieu. Datée de 975 environ, elle provient d'un sacramentaire de l'abbaye de Fulda, en Allemagne [bibliothèque de Göttingen, lien). Le manteau n'est pas rouge et il n'y a pas de cheval. On en connaît trois variantes, les deux présentées ci-dessus et celle-ci [Maupoix 2018, Catalogue 2016].


    Permanence de la double scène. On retrouve les deux scènes des miniatures de Fulda dans cette peinture monumentale (7 m de long) de 1941 du peintre basque Isaak Diez De Ibarrondo, réfugié en France après la guerre d'Espagne, dans l'église St Martin d'Oydes en Ariège (lien). Le double titre est inscrit en bordure : "Martin encore catéchumene partage son manteau d'officier avec un pauvre" et "Le soir même Martin voit le Christ qui lui dit : "Tu m'as revêtu de ce manteau". La seconde scène présente deux rangées d'anges, comme dans les miniatures de Fulda. Cette double scène se retrouve sur ces trois miniatures : 1 psautier de Saint Alban vers 1130 [Maupoix 2018] 2 "Martinellus" 1110 [BmT] 3 manuscrit de Richer de Metz de la même époque [après 1102, Bibliothèque de Trèves]. Sur trois fresques : 1 cathédrale de Bayonne [flickr Marie-Hélène Cingal] 2 église St Martin de Brull en Catalogne [flickr 11299883] 3 église St Martin de Wangen im Allgäu en Allemagne [Gebhard Fugel, 1900, flickr János Korom]. Et sur trois doubles tableaux : 1 [Félix Villé vers 1895, église St Martin des Champs à Paris] 2 [Fidelis Schabet 1846, église St Martin d'Unteressendorf (Hochdorf), Allemagne, Wikimédia] 3 [Francesco d'Antonio del Chierico, oratoire Saint Martin de Florence, Italie, lien].
    Et il y a, bien sûr, de nombreux vitraux de la double scène, comme ces treize là : 1 [église Saint Martin de Baume les Dames, dans le Doubs, lien] 2 [église Saint Martin de Sarralbe, dans la Moselle, avec un troisième niveau, oie et blason de Tours lien + documentation avec deux chansons]. 3 [basilique Saint Martin de Tours, avec une scène préliminaire, atelier Lobin] 4 [cathédrale de San Francisco aux USA, flickr Lawrence OP] 5 [église Saint Martin de Chelsfield en Angleterre, flickr Glen] 6 [Christopher Whall 1907, cathédrale de Leicester en Angleterre, flickr Simon Wilkinson] 7 [Margaret Rope 1920, cathédrale de Shrewsbury en Angleterre, flickr Ernest Denim] 8 [église de Fornham St Martin en Angleterre, flickr window (17)] 9 [église St Martin de Gilocourt dans l'OIse] 10 [cathédrale du Mans, Wikimédia] 11 [cathédrale de Bourges, flickr Paco Barranco] 12 [église de Saint Martin de Boscherville, flicke Images de Normandie] 13 [Christopher Whall 1905, cathédrale St Martin de Leicester en Angleterre, flickr Aidan McRae Thomson]
    Et cinq représentations avec les deux scènes dans le même instant : 1 [église de San Martín de las Pirámides à Mexico, flickr Tacho Juarez Herrera] 2 [église St Martin des Champs à Paris, flickr P.K.] 3 église St Martin d'Aoste en Italie [Semur 2015] 4 palais St Martin de Luvigliano en Italie [XVIème siècle, Girolamo da Santa Croce, lien] 5 [Père Silouan, école Our Lady of Mercy de New York, USA, flickr Jim Forest].


    Scène 2 du partage du manteau : le songe de Martin. La demi-cape donnée du pauvre réapparaît en songe couvrant Dieu / le Christ. Deux illustrations du livre Maupoix 2018 : vitrail de la collégiale de Candes, de Félix Gaudin 1900, et tableau de la basilique Saint Sauveur de Pavie en Italie (+ vue d'ensemble, Semur 2015). + du même livre : un vitrail de la cathédrale de Chartres et un tableau anonyme de l'église Saint Julien de Tours, 1687 + dix-sept autres illustrations : 1 [vitrail de la cathédrale de Tours, baie n°4] 2 [panneau de retable, Francisco de Osona, début XVIème siècle, Musée Goya de Castres Catalogue 2016] 3 (Hongrie) 4 bas-relief en bois de Figeac dans le Lot, en présence des saints Pierre et Paul (lien) 5 tableau de l'église Saint Martin de Dormelles en Ile de France (liens : 1 2) 6 [Leconte et Colin 1891, église St Martin de Moutiers en Bretagne] 7 [Jacques Stella, Musée de l'Ermitage à Saint Petersbourg, Russie, lien] 8 [église St Martin de Bazeilles dans les Ardennes, lien] 9 [Louis de Bodin de Galembert, église de Saint Martin du Limet en Mayenne] 10 [1886, Olivier Durieux, église St Martin de Esquéhéries en Picardie] 11 [1701, église de Saint Martin de Jussac dans le Limousin, lien] 12 [Victor-Casimir Zier, 1854, église St Martin de Meillac en Bretagne, lien] 13 [église St Martin de Cublize dans le Rhône] 14 [église St Martin de Macquigny dans l'Aisne] 15 [Christopher Whall 1905, cathédrale St Martin de Leicester, flickr Aidan McRae Thomson] 16 miniature du bréviaire de Salisbury [Lecoy 1881] 17 tableau de Winifred Knights vers 1930 (lien).



  3. Du soldat obéissant à celui qui défie l'empereur Julien

    La naissance de Martin. Martin a vu le jour en 316 à Savaria / Sabaria dans la province romaine de Pannonie. Savaria s'appelle aujourd'hui Szombathely et est située en Hongrie, près de la frontière autrichienne. Son père est un gradé de l'armée, tribun militaire, alors en garnison dans cette ville. Il est ensuite muté à Pavie en Italie du Nord, où Martin passe la majeure partie de son enfance.


    La naissance de Martin imaginée sur une fresque de l'église San Martino de Siccomario (Italie) [Semur 2015] et sur une aquarelle d'un artiste de son pays d'origine, la Hongrie (lien). + un médaillon de dalmatique de la collégiale Saint Martin de Courtrai, XVIème siècle [Maupoix 2018], + un vitrail du XVIème siècle de l'église de Saint Florentin dans l'Yonne. + miniature de l'évangéliaire de Pannonhalma en Hongrie, avec Martin qui voit le jour dans une étable [bibliothèque de l'abbaye de Pannonhalma vers 1510, Lorincz 2001]


    La Hongrie et Martin. A gauche, Szombathely, le lieu de naissance de Martin. En arrière-plan l'église Saint Martin. En avant-plan une statue de Martin bénissant sa mère [sculpture de Istvan Rumi Rajki 1938, liens : 1 2] et sur la droite le "puits de saint Martin". + vue du ciel [Lorincz 2001] + vue ancienne avec le premier nom de Sabaria [Collectif 2019] + coupe par périodes de construction de l'église [Colloque 1997 SAT] + maquette de la statue [Catalogue 2016]. A droite, à 92 km de Szombathely en Hongrie, l'abbaye de Pannonhalma sur le mont Saint Martin, fondée en 996, classée au patrimoine mondial UNESCO, lieu touristique et de pélerinage, abritant 45 moines bénédictins [photo Wikipédia]. + autre photo [Lorincz 2001] + la bibliothèque de l'abbaye [Semur 2015] + vitrail représentant l'évêque Martin.et deux scènes [flickr Zsolt Andrasi]. Propos de Konkoly Istvan, évêque de Szombathely, en 2001 : "Notre premier roi, Saint Etienne, fit broder l'image de Martin sur ses drapeaux. Durant son règle, saint Martin devint, après la vierge, le deuxième patron de la Hongrie. En 1903, au concile de Szabolcs, notre roi Ladislas déclara Saint Martin fête publique obligatoire dans tout le royaume, précédée d'un jeune de trois jours."


    L'enfance de Martin à Pavie. Apparemment fils unique, Martin grandit dans la cité italienne de Pavie, fréquentant probablement une école. A gauche, médaillon de dalmatique [XVIème siècle, Courtrai en Belgique, Maupoix 2018]. A droite, Martin, en vert, apprend à lire en suivant les lignes avec son doigt [vitrail de l'église de Saint Florentin en Bourgogne]. + planche de BD Utrecht 2016, case ci-dessous.


    L'enfance de Martin dans les BD pour enfants. Le dossier en 7 pages "Saint Martin" de Catherine Leroudier est ainsi composé de trois chapitres : "L'inventeur de la paroisse", "Elu évêque par le peuple", "Des chrétiens enfin libres". Lien avec aussi la scène de partage du manteau en 4 cases à colorier, un dossier de 6 pages avec des jeux et une bande dessinée "La vie de saint Martin" de cinq pages, sur scénario de Benoît Marchon et dessins de Louis Alloing (extrait du tome 15 de la série Les chercheurs de Dieu, 2006, couverture) : 1 2 3 4 5 (avec une naissance en 336 au lieu de 316, extrait ci-dessous).

    Une scène semblable dans un autre dossier, avec une BD d'auteurs non indiqués, de trois planches : 1 2 3.

    Livres ou livrets, parfois de coloriage ou jeux, permettent aux enfants de connaître qui était Martin, souvent dans un contexte religieux. Un dossier pếdagogique est paru en 2016, voir ci-après. + dessin 1997 d'enfants à Saint Martin Lacaussade en Gironde [LM 2008-5).

    Le départ pour l'armée. Régine Pernoud : "En 331 paraît un édit de l'empereur Constantin Ier qui oblige tous les fils de vétérans à s'enrôler dans l'armée romaine". A 16 ans environ, donc en 332, bien que se sentant appartenir à la communauté chrétienne, Martin n'a pas d'autre choix, d'autant plus que son père l'y oblige : il s'engage dans l'armée romaine pour une période de 25 ans. Durant cette longue période militaire, Martin se trouve en contradiction avec ce qu'était son idéal chrétien, surtout depuis son baptême vers l'âge de 18 ans. Ce ne sera qu'à la fin de son engagement qu'il refuse de combattre. De son vivant même, cela lui a été reproché..


    Le jeune Martin contraint par son père de s'enrôler dans l'armée. Maric - Frisano 1994 + la planche + broderie du XIVème au New York Metropolitan Museum of Art où l'enfant Martin annonce à ses parents sa volonté de devenir chrétien.


    Martin soldat. Le jeune Martin, enrôlé dans l'armée romaine, prête soldat : vitrail (atelier Lobin) puis chapiteau dans l'actuelle basilique Saint Martin de Tours. Au centre-droit, vitrail de la cathédrale Saint Martin de Leicester en Grande-Bretagne + son environnement [photos flickr Lawrence OP]. A droite, vitrail de l'Ile de Saint Simon aux Etats-Unis [photo flickr pmcdonald851]. + fresque présentant cet enrôlement comme un adoubement de chevalier [Simone Martini, chapelle Saint Martin d'Assise, 1325] + trois vitraux : 1 cathédrale de Tours (baie n°204) où Martin prête serment à un représentant de l'empereur, alors que son esclave lui fixe une guêtre [photo flickr Paco Barranco] 2 cathédrale de San Francisco aux USA [flickr Lawrence OP] 3 James Powell and sons 1921, église d'Oxted en Angleterre [flickr Robin Croft].

    La vie de Martin en quelques dates
    316 : naissance en Pannonie (Hongrie)
    321 (5 ans) : enfance à Pavie (Italie)
    332 (16 ans) : engagement dans l'armée
    334 (18 ans) : partage du manteau à Amiens, baptême
    356 (40 ans) : sortie de l'armée
    360 (44 ans) : fondation du monastère de Ligugé
    371 (55 ans) : élection à l'évêché de Tours
    372 (56 ans) : fondation du monastère de Marmoutier
    385 (69 ans) : voyage à Trèves, affaire Priscillien
    397 (81 ans) : décès à Candes

    Le baptème de Martin eut lieu peu après le partage du manteau à Amiens, alors qu'il avait 18 ou 19 ans. On n'en connaît pas les détails, on ne sait pas qui le baptisa et où. Peut-être encore à Amiens ? Probablement en Gaule...


    A gauche case couplée avec le partage du manteau sur une miniature de Maître François 1460 [BnF]. Au centre, vitrail de l'église de Saint Martin le Beau en Touraine [atelier Lobin]. A droite, vitrail de l'église Saint Martin de Restigné en Touraine [atelier de Félix Gaudin, Paris, Verrière 2018] + sept autres vitraux : 1 cathédrale de Tours (baie n°204) 2 cathédrale de Chartres 3 cathédrale de Bourges [Verrière 2018] 4 église de Saint Martin es Vignes dans l'Aube 5 église de Saint Florentin dans l'Yonne 6 [église St Martin de Wimy dans l'Aisne] 7 [église St Martin de Rumilly lès Vaudes dans l'Aube, Nguyen DoDuc] + broderie islandaise conservée au Louvre, vers le XVème siècle [Maupoix 2018] + image de La Bonne Presse XXème siècle. .

    Martin a-t-il versé le sang ? Baptisé à 18 ans (peu après le partage du manteau), il a été à la fois soldat et chrétien durant 22 années. Charles Lelong répond à cette question en son livre "Martin de Tours, vie et gloire posthume" (CLD 2000) : "Normalement, il aurait dû participer à la bataille de Brumath [en 356 contre les Alamans, lien] : Sulpice n'aurait-il pas omis de le signaler ? Faut-il supposer que Martin aurait été versé dans des troupes non combattantes ? Ou encore que son corps n'a rejoint l'armée qu'après la bataille ? En tout cas"il est difficile de penser (en chronologie longue) que Martin n'ait pas versé de sang" (J. Fontaine)." Régine Pernoud, tout en adoptant la chronologie longue de Fontaine, pense que Martin n'a pas versé de sang durant vingt ans et que, voyant venir ce risque longtemps craint, il s'est décidé à demander son départ. Eventuellement avec la compréhension de ses supérieurs, il a effectivement pu traiter du maintien de l'ordre ou de la logistique ou de la communication... Puis, les chrétiens étant de plus en plus nombreux dans l'armée, cette souplesse aurait disparu...

    Les empereurs régnant sur la Gaule durant la vie de Martin, et leurs lieux de résidence
    (ceux qui la gouvernent effectivement, qu'ils soient Auguste ou César, officiellement reconnus ou dits usurpateurs)
    Constantin Ier 310-337 Arles, Trèves, Sirmium, Constantinople
    Constantin II 337-340 Trèves
    Constant Ier 340-350 Sirmium, Milan
    Magnence 350-353 Lyon, Arles, Rome
    Constance II 353-355 Sirmium, Constantinople
    Julien 355-363 Vienne, Sens, Paris, Constantinople
    Jovien 363-364 Constantinople
    Valentinien Ier 364-375 Milan, Trèves
    Gratien 375-383 Trèves
    Magnus Maxime 383-388 Trèves
    Valentinien II 388-392 Milan, Vienne
    Théodose Ier 392-395 Arles, Rome
    Flavius Honorius 395-423 Rome, Ravenne
    Martin a rencontré trois empereurs : Julien, Valentinien Ier et, par deux fois, Maxime.

    356, la rencontre de Martin et de l'empereur Julien, près de Worms, en Allemagne. Lors d'un donativum (largesses faites à des soldats), le soldat Martin essaya de concilier l'obéissance à son empereur Julien avec celle à son Dieu. Jusqu'à demander au premier de ne pas combattre. Quoique cette rencontre ait été contestée par Albert Lecoy de la Marche qui la postionne beaucoup plus tôt avec un autre empereur, cet épisode apparaît en concordance avec d'autres faits. C'était donc en 356, peu avant que Martin quitte l'armée.


    Durant de longues années, Martin aurait-il porté son épée comme une croix ? [vitrail de l'église de Vegreville au Canada].


    A gauche, la Gaule de 367 à 388 sous Gratien et Magnus Maxime, durant l'épiscopat de Martin, et aussi de 355 à 361 sous Julien.
    Au centre vitrail de l'église St Martin de Saint Martin du Lac, en Bourgogne (photo Odile Cognard, lien + autre vitrail montrant Julien et Martin [église d'Avallon en Bourgogne, flickr Grangeburn]. A droite deux cases de Brunor - Bar 2009 + trois planches : 1 2 3. + la même scène en deux planches par Maric - Frisano 1994 : 1 2 + la même rencontre dans un tableau de Simone Martini [fresque dans la chapelle Saint Martin d'Assise, en Italie, vers 1325] + dans sa copie aux couleurs restaurées [flickr Hen-Magonza] + dans sa reproduction [Lecoy 1881], dans une miniature du "Martinellus" 1110 [BmT]. et dans un vitrail de Nouans les Fontaines en Touraine [atelier Lobin 1876, Verrière 2018].

    En son Maupoix 2018, Michel Maupoix amène à s'interroger : Martin était-il un agent secret de l'empereur Constance II ? "Il convient de relire l'épisode du donativum refusé. Martin est par ses fonctions un proche de Julien, auquel il peut accéder directement. Le César ne remet pas en personne le donativum à plusieurs milliers de personnes, mais seulement à sa garde rapprochée. Martin appartenait déjà à la garde rapprochée de Constance qui l'a affecté, autant pour le surveiller que pour le protéger, au César Julien. Cette hypothèse serait conforme à tout ce que l'on sait de Constance, de sa méfiance, et de la manière dont il avait procédé auparavant avec le César Gallus, frère de Julien, que l'empereur soupçonneux n'avait pas hésité à faire exécuter par ceux-là même qui furent un temps chargés de veiller à sa sécurité... et qui sont les mêmes auprès de Julien. Martin, dans cette hypothèse, aurait accompagné Julien depuis son départ de Milan, le 1er décembre 355, et on le retrouve logiquement avec l'armée, à l'été 356, devant la cité de Worms. Sulpice indique que Martin a servi sous Constance et le César Julien." En extrapolant un peu plus, on peut estimer que Julien était soulagé d'avoir trouvé un prétexte pour se débarrasser de Martin qu'il savait trop proche de son adversaire Constance II. Cela aurait donc été un bon arrangement à la fois pour Martin et pour Julien...


    A gauche, Martin dépose casque et armes et quitte l'armée [église Saint Martin de Berthenay, en Touraine, Amand Clément 1878, Verrière 2018]
    Julien aurait-il pu fonder un empire des Gaules ? Si Constance II l'avait laissé en paix, Julien aurait eu la stature pour créer les bases d'un empire de longue durée... Il pouvait instaurer fermement le bref empire des Gaules créé par Postume un siècle plus tôt... "Apostat" est une série de BD, créée en 2009 aux Pays-Bas, réalisée par Ken Broeders, comportant sept albums et un hors-série (éditions BD Must). Julien en est le héros. Il est vrai que sa vie extraordinaire se prête à une grande saga. Celle-ci est réalisée avec soin et lyrisme. A suivre Michel Maupoix, Martin y avait sa place... Ci-dessus à droite une case du tome 4 + deux planches du tome 1 (2012 en version française) : 1 2 (355, Julien nommé César) + quatre pages du tome 5 (2018) : 1 2 3 4 (octobre 361, mort de Constance II, Julien devient Auguste, couverture). On pourra aussi consulter cette page du site peplums.info. + article de Robert Turcan 1987 à propos du livre "Julien dit l'apostat" de Lucien Jerphagnon. >>>En page voisine, on pourra lire le chapitre titré "355-361 Julien césar des Gaules, avant de devenir l'empereur Julien l'Apostat".

    Martin déserteur ou héros militaire ? Bruno Judic, toujours dans l'émission d'Arte, estime que l'appropriation de Martin en Saint Patron par Clovis et les Mérovingiens modifie son rôle symbolique : "A l'opposé de sa biographie, Martin est présenté comme un héros militaire, "le protecteur de l'armée franque". Le roi part en guerre en portant la banière de saint Martin, c'est-à-dire sa cape ou sa chape. Il devient un saint militaire.". Luce Pietri, au colloque de 2016, le considère davantage comme un "soldat de la paix". Aujourd'hui encore, Martin est célébré par l'armée française, par exemple ici le 13 novembre 2018 pour la Saint Martin. Pourtant, rappelons-nous que l'empereur Julien et ses officiers, avaient considéré Martin comme un déserteur... Il est remarquable que, dans d'autres circonstances, au XXème siècle, Martin a de nouveau été considéré comme un déserteur, ainsi que le raconte Bruno Judic en préface du Collectif 2019 : "Au lendemain de la première guerre mondiale, le révérend Dick Sheppard, à St Martin in the Fields (Londres), s'employa à une grande activité caritative, mais aussi à promouvoir un pacifisme et un antimilitarisme qui trouvèrent un certain écho dans la société anglaise. Or, il plaçait son action pacifiste sous l'égide de saint Martin le "déserteur" de Worms.".

    Un handicap devenu avantage. Ainsi en un siècle, le plus gros reproche fait à Martin, y compris par son disciple Brice, celui d'avoir été "souillé" par son passé militaire, est devenu un titre de gloire. Luce Pietri, en sa thèse de 1980 (page 82), rappelle que : "Dans les milieux ecclésiastiques, on n'avait sans doute pas oublié que Martin avait été consacré malgré l'opposition initiale de plusieurs prélats conviés à la cérémonie; à une époque où les textes canoniques manifestaient une hostilité croissante à l'intrusion dans les rangs du clergé d'anciens militaires. Le passé de Martin devait, au sein de l'épiscopat, prévenir bien des esprits contre lui. [...] Le sacerdoce est interdit à ceux qui ont exercé le pouvoir dans le siècle et servi dans la militia après le baptême. Du vivant de Martin, cette interdiction est répétée à plusieurs reprises par le pape Sirice (384-398)". Un siècle plus tard, le christianisme devenu pratiquement obligatoire s'est diffusé, y compris dans l'armée, la notion de "guerre juste" se répand et la loi de Dieu devient compatible avec celle des officiers supérieurs. L'exemple d'un saint militaire ne pouvait que plaire à Clovis et à l'aristocratie franque, Martin étant alors le seul, avec Maurice d'Agaune, à avoir ce profil.



  4. Martin et Hilaire de Poitiers : Ligugé et intolérance contre l'arianisme


    A gauche, les principaux voyages de Martin [Semur 2015] + deux autres cartes avec quelques compléments : 1 [Catalogue 2016] 2 [LM 2007-4].
    Martin s'est-il arrêté sur le tombeau de Vitaline ? A droite, une des étapes possibles de Martin, en Auvergne à Artonne où, à en croire Grégoire de Tours, il se serait reccueilli sur la tombe de Vitaline. Si cet arrêt apparaît plausible, il y a de quoi être circonspect sur le dialogue rapporté par Grégoire : "« Dis-nous, vierge très sainte, si tu as déjà mérité la présence du Seigneur » ; ce à quoi Vitaline répondit que non, car elle avait péché en se lavant les cheveux un jour de Vendredi Saint (cette coquetterie lui valait donc le Purgatoire). Les prières de Martin lui ouvrirent le Paradis." [wikipédia]. Vitrail de l'église St Martin d'Artonne [flickr Martine Sodaigui], la date précise du passage y est indiquée : 25 mars 390.
    D'autres anecdotes légendaires pouvant marquer le passage de Martin seront évoqués sur la présente page. Pour le long voyage à travers l'Italie, ajoutons le passage par Pont Saint Martin en vallée d'Aoste (article, LM 2008-2) et la reconstitution de son trajet à travers les Alpes (article, LM 2008-1).

    356, Martin devient exorciste. A sa sortie de l'armée, Martin se tourne vers un chrétien pour qui il a une forte estime, Hilaire, évêque de Poitiers, qui l'accueille d'abord brièvement, Estimant peut-être que son passé militaire lui interdisait de devenir prêtre, Martin refusa en un premier temps le poste de diacre qu'Hilaire lui proposa pour accepter celui d'exorciste. Quand il sera évêque, Martin gardera cette fonction d'exorciste, ce qui explique ses fréquentes rencontres avec le diable et les démons.


    Martin affronte les démons. A gauche, vitrail de l'église Saint Martin de Ligugé où Martin est ordonné exorciste par Hilaire. A droite tableau de l'église Saint Martin d'Asse, en Belgique [vers 1880, lien]. + tableau de la cathédrale de Tours [Maupoix 2018] + broderie [Metropolitan museum of art de New York, Maupoix 2018] + gravure où Hilaire donne à Martin l'habit des religieux [BmT 1516, Lecoy 1881] + quatre vitraux : 1 [XIIIème siècle, église Saint Martin d'Anctoville-sur-Boscq, Manche, lien] 2 [Jacques le Breton, Jean Gaudin, Paris, 1935, église St Martin de Restigné, en Touraine, Verrière 2018]. 3 Hilaire tonsure Martin (avec des ciseaux modernes !) [un des neuf tableaux de la verrière St Hilaire de l'église St Hilaire de Menétréol sous Sancerre dans le Cher, lien] 4 [cathédrale de Bourges, flickr Paco Barranco]

    Martin, un énergique opposant à l'hérésie arienne. Dans la seconde moitié de sa vie, après son départ de l'armée, outre son combat contre les païens, Martin a lutté contre les chrétiens considérés comme hérétiques. Il était un nicéen pourfendeur des ariens, pratiquant l'arianisme, un christianisme refusant la Trinité. Sous l'empereur Constantin Ier, le concile de Nicée en 325 (Martin avait 9 ans) avait rejeté une grande partie des chrétiens. Comme l'indique Georges-André Morin en son article "L’Islam, un arianisme qui a réussi ?" (lien) (+ sur ce sujet, cet autre page et cette page de débat), Constantin lui-même, dans les dernières années de sa vie fut arien (extrait 1) et son fils Constance II fut un fervent défenseur de l'arianisme. La liberté des cultes, établie par Julien, eut un court effet paradoxal (extrait 2), puis Théodose imposa en 380 (Martin est évêque depuis 9 ans) le christianisme nicéen comme religion d'état (extrait 3), laissant la liberté des cultes jusqu'en 392 (5 ans avant la mort de Martin). Après son premier passage à Ligugé, Martin fit un long voyage, de 356 à 360, retrouvant ses parents à Sirmium, convertissant sa mère, pas son père, et passant par Milan et Rome, séjournant un temps dans l'ile de Gallinara. Ce voyage soulève des interrogations ; Sirmium est le lieu de résidence de Constance II et, en 357, il s'y est tenu un grand concile qui vit le triomphe du parti arien. Il est étonnant que Sulpice Sévère passe cela sous silence... A Milan, Martin défie l'évêque arien. Serait-il missionné par Constance II, toutefois favorable à l'arianisme, comme il aurait pu l'être face à Julien, selon l'hypothèse de Michel Maupoix ? L'intransigeance de Martin à l'encontre des ariens lui amène de nombreux déboires. A Milan, il est bastonné et humilié.


    Sa mère, pas son père. Après avoir accompli ses longues années d'obligations militaires et avoir brièvement connu Hilaire, évêque de Poitiers, Martin voyage durant quatre années, de 356 à 360. Il revoit ses parents, convertit sa mère, mais pas son père. La même scène à gauche dans une gravure de Jacques-Emile Lafon [Lecoy 1881]. A droite, le père de Martin oppose un refus argumenté à son fils, qui "ne savait pas quoi lui répondre" [Brunor - Bar 2009]. + tableau de Bernard Benezet en l'église de Buzet sur Tarn (lien). + trois vitraux : 1 [Candes , atelier de Félix Gaudin de Paris, Verrière 2018] 2 [église St Martin de Beaupréau, lien] 3 [église St Martin d'Ammerschwihr en Alsace].

    Au milieu du IVème siècle, les évêques de Gaule adoptent l'hérésie arienne. Michel Laurencin, dans "Saint Martin de Tours XVIème centenaire" (CLD 1996) dresse un tableau de l'épiscopat gaulois, soulignant l'importance d'Hilaire : "La crise née de l'arianisme a laissé des sequelles au sein de l'épiscopat des Gaules et le soutien apporté par l'empereur Constance à l'hérésie, à partir des années 350, a directement influencé ce corps épiscopal. Au concile tenu à Arles en 353, seul Paulin de Trèves (qui est ensuite déposé et exilé en Phrygie où il devait mourir) s'oppose à la déclaration portant condamnation d'Athanase d'Alexandrie. La victoire arienne est donc totale, comme au concile de Milan en 355 : Denis, l'évêque de la cité, hostile à l'arianisme, est remplacé par un évêque favorable aux adversaires d'Athanase. Au concile de Béziers en 356, Hilaire de Poitiers paie son orthodoxie nicéenne par l'exil en Phrygie tandis que le clan de l'arianisme, parmi les évêques gaulois, trouve ses principaux défenseurs en Saturnin d'Arles et Paterne de Périgueux. [...] La déchirure au sein des Eglises de Gaule est complète. [...]. Au concile de Rimini en 359 une quinzaine d'évêques irréductibles sur plus de quatre cents présents condamnent la doctrine d'Arius à la suite de Phébabe d'Agen. Il faut en fait attendre l'accession de Julien à l'empire et le retour d'exil d'Hilaire de Poitiers pour qu'au concile de Lutèce (Paris) en 361 prenne fin la crise arienne en Gaule avec l'adhésion des évêques à la foi nicéenne et la condamnation des évêques semi-ariens.".


    Martin humilié par les ariens à Milan. A Milan, parfois considéré comme un sabellien (disciple de Sabellius) (on comprend les critiques de division des chrétiens émises par le père...), Martin est fouetté et chassé par les ariens et l'évêque Auxence (auquel succédera le nicéen Ambroise). Ce passage à Milan est représenté à gauche par une case de Maric-Frisano 1994 et au centre dans un vitrail de Saint Florentin (Yonne, baie sur la vie de saint Martin, lien) (avec l'anachronisme d'un Martin habillé en évêque). + la même scène sur un vitrail de l'église Saint Martin de Louveciennes, Yvelines (lien). + trois variations du passage à Milan en trois planches de bande dessinée : 1 [Brunor - Bar 2009] 2 [Maric - Frisano 1994] 3 [Mestrallet, Fagot - d'Esme 1996].
    Martin gravement malade dans l'île de Gallinara. Après ses mésaventures à Milan, Martin s'isola durant quatre ans sur la petite île de Gallinara (photo), où il subit une grave intoxication alimentaire, illustration de droite [Mestrallet, Fagot - d'Esme 1996 + la planche + la même scène sur une planche de Maric - Frisano 1994 + planche de BD Utrecht 2016. Cette île a été achetée 10 millions d'euros en 2020 par un Ukrainien résident à Monaco (lien) + un reportage [LM 2008-3] sur l'île et la ville voisine d'Albenga (photo) où Martin a séjourné (+ miniature italienne présentant Martin sur l'île, lien).


    La tentation de saint Antoine est un thème récurrent de nombreux tableaux de peintres. Antoine, l'ermite retiré dans le désert d'Égypte, y subit la tentation du Diable sous la forme de visions des voluptés terrestres. Ici une version de David Teniers le Jeune [vers 1650, musée de Lille, Wikipédia], qui, très inspiré, en réalisa au moins cinq autres : 1 2 3 4 5 [4 et 5 : musée du Louvre] (lien). + (sans résister à la tentation...) quatorze autres tableaux [Wikipédia] : 1 [Michel-Ange vers 1487, Musée Kimbell, au Texas] 2 [Jérôme Bosch vers 1500, National Museum of Ancient Art Lisbonne] 3 [Joachim Patinier vers 1522, Musée du Prado, Madrid] 4 [Pieter Coecke van Aelst vers 1547, Le Prado, Madrid] 5 [Pieter Huys vers 1547, Le Louvre, Paris] 6 [Jan Wellens de Cock 1521, National Gallery of Art, Washington] 7 [Paul Véronèse vers 1553, Musée des Beaux-Arts de Caen] 8 [un suiveur de Pieter Brueghel l'Ancien vers 1560, National Gallery Washington] 9 [Pieter Brueghel le jeune vers 1600, Palazzo Spinola di San Luca, Gênes] 10 [Jacques Callot 1635, National Gallery of Art, Washington] 11 [Josse van Craesbeeck vers 1650, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe] 12 [Henri Fantin-Latour vers 1875, National Museum of Western Art, Tokyo] 13 [Paul Cézanne vers 1877, Musée d'Orsay, Paris] 14 [Félicien Rops 1878, Bibliothèque royale de Belgique]


    La tentation de saint Martin, aucun tableau n'ait ainsi titré, et pourtant, en cherchant... A gauche, tableau placé dans la chapelle de Burgley House en Angleterre [flickr Billy Wilson, lien]. A droite, une peinture de Peter Pietri. Même si les femmes y sont très habillées, la légende de ce vitrail est explicite : "Le diable use de tout son pouvoir pour le tenter" [église St Martin de Grandville en Champagne]. Même le partage du manteau peut être compris comme une tentation lorsque "le pauvre presque nu" expose son jeune corps androgyne complètement nu sur ce tableau d'Anton Faistauer [Musée Léopold de Vienne en Autriche, flickr Michaël Martin].

    Martin, disciple d'Hilaire de Poitiers, crée le monastère de Ligugé. A son retour dans le Poitou, en 360, Hilaire installe Martin à Ligugè, à 8 km de Poitiers ; il y vit en ermite, créant le premier monastère en Occident, comme l'avait fait en Orient Athanase (297-373), évêque d'Alexandrie, figure majeure de l'Eglise. Avec le soutien d'Hilaire, Martin s'en est inspiré, avec deux autres grands précurseurs du monachisme, Antoine le Grand et (251-356) et Pacôme (292-349). Tout trois ont exercé en Orient, Martin est le premier à introduire la vie monastique en Occident.


    Dialogue entre Martin et Hilaire. [Brunor - Bar 2009] + deux planches : 1 2
    planche montrant Martin à Ligugé [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996]


    A gauche , en 350, Hilaire est élu évêque de Poitiers. Au centre, en 359, Hilaire combat l'arianisme au concile de Sébacée. A droite, rencontre allégorique de Martin, habillé en évêque (après 371), avec celui qui l'a formé à Ligugé, Hilaire (décédé en 367). [église Saint Hilaire de Montcuq, lien] + tableau représentant Hilaire foulant au pied le dragon arien [église St Hilaire à Payré, dans la Vienne].


    Sanctus Hilarius sous la coupole de l'actuelle basilique Saint Martin de Tours.

    Plus tard : l'abbaye Saint-Martin de Ligugé. Après le départ de Martin vers Tours, ce lieu devenu vénérable est resté occupé par des moines, avec des interruptions lors de l'occupation des Wisigoths au Vème siècle puis au VIIIème siècle et lors des invasions normandes. L'abbaye est restaurée au Xème siècle par la comtesse de Poitiers, Adèle, fille de Rollon de Normandie (une Normande !... prénommée Gerloc avant son mariage) et épouse de Guillaume Tête d'Etoupe, le puissant comte de Poitiers. La règle bénédictine est alors adoptée, et l'abbaye dépend de celle de Saint-Cyprien, à Poitiers. Elle perdure de destructions en reconstructions, passant provisoirement sous l'ordre de Cluny puis celui des Jésuites, servant aussi de lieu d'étude, où est passé Rabelais (portrait 1904 de l'hôtel de ville de Tours). Ligugé est alors en retrait du culte de Martin, alors que Marmoutier rayonnait. Disparition à la Révolution, restauration de la vie monastique au XIXème siècle, expulsion en 1901, retour en 1923, le pouvoir de régénérescence du lieu est puissant. Depuis 1945, l'abbaye abrite un atelier d'émaillage. Il accueille des personnes désirant y faire retraite (des oblats), notamment Paul Claudel. Aujourd'hui il compte un trentaine de moines sauvegardant l'esprit de Martin.


    Abbaye de Ligugé, la bibliothèque et l'office au Moyen-âge ["La dame de Ligugé", tome 3 de la série "Le maître de pierre", textes de Daniel Bardet, dessin de Jean-Marc Stalner, Dargaud 2004] + la planche + photo de la bibliothèque [flickr Jean Pierre Février]. Le préau et la terrasse de l'abbaye Saint-Martin de Ligugé et sa vue du ciel. + gravure [Lecoy 1881] + le livre "Saint Martin et son monastère de Ligugé", 1873, par François Chamard, 415 pages [Gallica] + photo commentée de la crypte (lien) + autre photo de la crypte et photo d'une pierre tombale [" Saint martin de Tours, XVIème centenaire" 1996] + dépliant sur l'église St Martin de Ligugé.

    Martin champion anti-arien. Après sa mort, Martin a été utilisé pour continuer à combattre les hérétiques ariens. Bruno Judic (dans l'article "Les origines du culte de saint Martin de Tours aux Vème et VIème siècles") : "Cette église de Ravenne avait été construite au début du VIème siècle par Théodoric sous le vocable du Christ. Mais Théodoric était arien et, après la reconquête justinienne de 540, il fallait débarrasser les églises ravennates des souvenirs des goths ariens. Cette église reçut un nouveau patronage, saint Martin, San Martino al ciel d’oro, avec un nouveau décor de mosaïques. Cette grande réalisation ravennate achève, en quelque sorte, le développement d’un aspect initial essentiel du culte de saint Martin, la lutte de l’orthodoxie contre l’arianisme. Martin est le champion de saint Hilaire, selon le texte même de Sulpice Sévère. Cette dimension anti-arienne est très certainement capitale dans l’essor du culte au Vème siècle et tout spécialement en Italie où la présence arienne est plus sensible qu’en Gaule. Rappelons que le patrice Ricimer est le vrai maître de Rome entre 455 et 472 et qu’il est arien. Un peu plus tard, Théodoric, envoyé avec son armée ostrogothe par l’empereur Zénon contre Odoacre en 488, était également arien. Cet arianisme gothique avait sans doute avant tout une fonction politique: distinguer le groupe des guerriers goths du reste de la population italique. Mais les évêques devaient néanmoins réaffirmer la position orthodoxe. Le culte de saint Martin apparaît comme un moyen d’affirmer l’orthodoxie nicéenne.". Bref, le culte de Martin s'accordait à des visées politiques.


    A Ravenne, Martin est le premier des saints. En 402, Ravenne avait remplacé Rome comme capitale de l'empire romain d'occident. Après sa chute en 476, elle devint capitale du royaume d'Italie d'Odoacre, puis à partir de 493, celle du royaume des Ostrogoths dirigé par Théodoric le Grand (455-526), de religion arienne, avant d'être prise par le général de l'empire d'Orient Narsès (478-573) en 552. Cette mosaïque de la basilique Saint Apollinaire le Neuf, construite par Théodoric, date de 560 / 570. Elle montre une procession de saints. Martin est le premier d'entre eux en habit pourpre honorifique, suivi de Clément, Sixte, Laurent, Hippolyte, Apollinaire et les douze apôtres [photos flickr Nick Thompson]. Cette première place s'explique par la volonté d'extirper l'hérésie arienne ancrée dans cette ville en vénérant celui qui l'a le mieux combattue. + trois vues d'ensemble de la fresque : 1 (lien) 2 (lien) 3 [flickr Marie-Hélène Cingal] + une figuration de Martin dans un écoinçon [Maupoix 2018]. Cette mosaïque nous montre la plus ancienne représentation connue de Martin. Sa forte influence en Italie se mesure aussi sur la mosaïque de Torcello [commentaire de Michel Maupoix, Maupoix 2018].



  5. De son élection à sa glorification, l'humble Martin et les citadins de Tours

    Evolution de la ville de Tours 1/7 : Turonorum, Caesarodunum et Turonis. Caesorodunum, a été créée au Ier siècle après J.-C. comme capitale des Turons / Turones (du nom des Celtes provenant probablement des environs de la Thuringe arrivés au IVème siècle avant J.-C.). Elle avait un grand amphithéâtre, un remarquable temple rond, un aqueduc de 25 km en canalisation enterrée (+ article de Cyril Driard, Ta&m 2007), un pont sur la Loire (+ article de Jacques Seigne et Patrick Neury, Ta&m 2007).

    Tours existait-elle avant Caesarodunum ? La ville des Turons située aux alentours d'une colline (dunum signifie colline en gaulois) a été désignée par plusieurs noms : Caesarodunum (la colline de César) / Turonis (c'est ainsi que l'appelait Sulpice Sévère et donc Martin) / urbs Turonum / Tours... Ce tableau répertorie tous les noms latins de la ville [Ta&m 2007 page 282). Il y manque ce qui fut probablement la première mention, trouvée dans un souterrain du musée des Beaux-Arts : photo (lien) + autre photo (lien). Il s'agit de l'inscription "Civitas Turonorum libera" disant que Tours est une ville libre. + explicatif [Alain Ferdière, Ta&m 2007]. Cette inscription est généralement datée de 50 environ, et même avant sous le règne de Tibère, de 14 à 37. Sa traduction (Turonorum étant un génitif pluriel) est "La cité libre des Turons". Le réemploi de "civitas Turonorum" étant attesté au Vème siècle, cette désignation a probablement été continuellement employée du Ier au Vème. La dénomination Tours / Turonorum serait donc au moins aussi vieille que Caesarodunum. D'où ces questions : Tours, sous un nom proche (Turonos en gaulois ?) préexistait-elle à Caesarodunum ? Caesarodunum n'est-elle qu'une désignation administrative d'apparat recouvrant temporairement celle de Tours ? On sait qu'avant l'occupation romaine, les lieux ont été occupés par un bourg gaulois (article de Raphaël de Filippo Ta&m 2007). Toutefois, la capitale des Turons semblait alors être Amboise / Ambacia, les Romains auraient imposé un nouveau lieu, plus à leur convenance. Sur ce sujet, lire l'entretien avec Pierre Audin dans un article du Mag. Touraine 2010 n°114 : 1 2.


    A gauche vers 150, ville ouverte, avec son premier pont + autre plan vers 150 ["Tours et son Histoire", Bernard Chevalier, Privat 1985]. A droite vers 400, suite aux invasions barbares, la ville est rétrécie et fermée en ses remparts, avec son deuxième pont et avec le cercle de l'amphithéâtre sur la moitié duquel s'appuie, en orange, l'enceinte gauloise [Ta&m 2007] Ce sont les Gaulois habitants de ce castrum (lieu fortifié) alors nommé Turonorum qui choisissent Martin comme évêque.
    Un des plus grands amphithéâtres de l'empire romain. Ci-dessus, au centre, un vomitoire de l'amphithéâtre de Caesarodunum, beaucoup plus accessible du temps de Martin que plus tard et actuellement (dans des caves privées...). L'amphi fut même oublié durant plusieurs siècles avant d'être redécouvert au XIXème siècle (premier relevé de 1844, comte de Galembert, SAT). Ces vomitoires ne sont pas à confondre avec les souterrains le long des remparts, déjà indiqués ci-dessus ou sur cette photo de Gérard Proust [La NR]. C'est probablement sous le règne de l'empereur Hadrien (117-138), que fut créé un amphithéâtre de 112 mètres sur 94. Les gradins n'étaient pas en pierre mais en terre battue, probablement avec des structures mobiles en bois. La capacité devait être insuffisante puisque, au milieu ou dans la seconde moitié du 2ème siècle, l'ouvrage fut agrandi de façon spectaculaire : 156 mètres sur 134, permettant d'accueillir presque 34.000 personnes. Il est alors l'un des cinq plus vastes amphithéâtres de l'empire romain, avec ceux d'Autun (Augustodunum), Milan, (Mediolanum), Santiponce (Italica) et Carthage (Carthago). Etant donnée la faible population de la cité, on doit supposer que la population rurale se déplaçait à des dizaines de kilomètres à la ronde. Ce lieu de loisirs devint très rapidement une citadelle de défense. + article de Jacques Seigne, Ta&m 2007 + restitution en sa version initiale non agrandie par Cossu-Delaunay 2020.


    Voilà à quoi ressemblait Tours quand Martin était son évêque (avec le 2ème pont et l'amphithéâtre agrandi).
    Cette vue est un peu plus tardive, 50 ans plus tard, vers 450, puisqu'une construction de l'évêque Eustoche, est mentionnée + quatre autres illustrations du même ouvrage Cossu-Delaunay 2020 : 1 (ville ouverte vers 100, avec légendes, 1er pont) 2 (le forum) 3 (les thermes) 4 (ville ouverte vers 150, 1er pont, ruisseau la Boire, amphi non agrandi) En enlevant l'église Saint Gervais et Protais, notée G, on peut considérer que l'on a ci-dessus l'état de Turonis durant l'épiscopat de Martin. De plus, cette église, était plutôt située dans le coin sud-ouest de l'enceinte, comme indiqué sur ce schéma du livre de Pierre Audin 2002, que l'on reverra ci-après. + article collectif "L'espace urbain vers 400" [Ta&m 2007]. Suites en Evolution 2/7, 3/7, 4/7, 5/7, 6/7 et 7/7.


    A gauche, restitution du temple rond et à droite, restitution des remparts [Ta&m 2007). Au centre, Tours, capitale de la Lyonnaise Troisième + carte des diocèses.
    Un temple rond peu ordinaire. Martin n'a connu que les ruines de ce temple circulaire qui ne pouvait pas être transformé en église et qui était en dehors de l'enceinte fortifiée. D'un diamètre imposant de presque 30 mètres, il n'est pas sûr qu'il ait été recouvert d'un toit. On ne sait pas quel dieu y était célébré. + article de Anne-Marie Jouquand, Ta&m 2007 + restitution par Cossu-Delaunay 2020.

    Les remparts de Tours 1/5 : l'enceinte gauloise. A cette époque l'Egypte n'était pas égypto-romaine, l'Espagne n'était pas hispano-romaine et la Gaule n'était pas gallo-Romaine, elle était gauloise. Ce sont bien des Gauloins qui ont construit les premiers remparts de la ville, ceux que Martin a franchis à de multiples reprises. Ils n'ont pas eu besoin des conseils des Romains, même s'ils se sont appuyés, au sud, sur un monument importé par les Romains, l'amphithéâtre, même s'il était désigné par le mot romain de castrum (= camp) (il est probable qu'il était aussi nommé par un mot gaulois). + autre plan de Tours vers 400 (lien). + article de Jacques Seigne "La fortification de la ville au Bas Empire, de l'amphithéâtre-forteresse au castrum" + restitution (avec commentaire sur l'évolution de l'équipement des soldats gaulois et romains) et raisons (se protéger des raids barbares) par Cossu-Delaunay 2020. Il apparaît probable que la construction du 2ème pont, judicieusement placé, et l'abandon, voire la destruction, du premier pont ait accompagné l'édification de l'enceinte.


    Martin, Armence, Perpet, Clotilde, Grégoire et bien d'autres ont connu ces murailles de la Civitas Turonorum, appréciées des Tourangeaux et Tourangelles d'aujourd'hui ["Histoire de la Touraine" par Pierre Audin, Gestes Editions 2016]. A gauche et au centre (A rouge du plan au-dessus), la tour sud-ouest, qui (sans le toit et les fenêtres ajoutées) a vu Martin entrer en son ecclesia, là où se trouve la cathédrale, en arrière-plan. + gravure de Oury - Pons 1977. A droite (B rouge du plan au-dessus), portion du rempart et tour sud-est. + deux autres photos : 1 2. +  deux gravures LTh&m 1855 : 1 2. Suites en Remparts 2/5, 3/5, 4/5 et 5/5
    .

    Ta&m 2007. En 2007, le volumineux ouvrage collectif "Tours antique et médiéval", coordonné par Henri Galinié, a tracé l'évolution de la ville de Tours. Comme il est résumé sur le site de l'INRAP, l'ouvrage commence avec l'étape Protohistoire présentant un "important établissement gaulois" pour une occupation qui a pu être assez brève. Puis ce fut le Haut-Empire avec la création de la ville de Caesarodunum (Ier et IIème siècle). Puis la ville se réduit de façon spectaculaire : "Après que la ville ouverte eut atteint son extension maximale au IIe siècle, on observe à partir de l’an 200 une rétraction lente de la zone urbanisée, débutant par ses marges. L’amphithéâtre fut transformé en fortin dans l’est de la ville ouverte.". Dans le Bas-Empire, la cité se recroqueville autour de l'amphithéâtre en une ville close, ceinturée par des murailles. Il fallait résister aux invasions barbares (dix ans à se retrancher derrière ses remparts). Au quatrième siècle, Turonis se redresse et devient capitale de la province "Lyonnaise troisième". + présentation par Bruno Dufay, 2008 + page d'accès aux 159 chapitres du livre + préambule (historique et archéologique) et conclusion ("Deux, trois ou quatre villes ?") d'Henri Galinié.

    Martin aurait-il aidé à ce que Tours devienne capitale régionale ? Bien qu'agglomération modeste, Tours est devenu capitale de la région Gaule lyonnaise Troisième, comprenant Armorique, Maine, Anjou, Touraine (liens : 1 2). En un article titré "Les avatars de la civitas Turonorum" [Ta&m 2007], Alain Ferdière estime que cette nomination eut lieu, non pas vers 350 comme on l'a cru, mais entre 364-369 et 388. En 2013, en son étude sur le château de Tours, Vassy Malatra avance la date de 374. Martin ayant pris ses fonctions d'évêque en 371, il apparaît étonnant qu'aucun historien ne semble s'être interrogé sur la possibilité que le prestige naissant de l'apôtre des Gaules ait pu avoir une influence sur cette décision. Martin a pourtant rencontré, l'empereur Valentinien Ier avant la mort de ce dernier en 375. La question est donc légitime, même si une réponse apparaît impossible...

    C'est à partir de la fin du IIIème siècle que l'habitude est prise peu à peu de ne plus nommer les grandes villes par leur nom romain mais par le territoire qu'elles commandent. Ainsi Lutèce, capitale des Parisii devient Parisius / Paris et Caesarodunum devient ad Turonos (chez les Turons) / Civitas Turonorum / Turonis / Tours. Martin fut donc évêque de Turonis davantage que de Caesarodunum, comme il est parfois écrit. En 1996, Nancy Gauthier a rédigé un article de 14 pages titré "L'évêque Martin et la ville de Tours". En voici des extraits.

    Martin patron de la cité de Tours. "Ce que Martin, uniquement préoccupé de Dieu et des hommes, n'avait pas fait pour sa cité de son vivant, il le fit après sa mort. Modestement enterré sans aucun apparit dans le cimetière public de la ville, il jouit, après quelques décennies, d'une telle renommée que son successeur Brictio [Brice], quoique sans enthousiasme, est bien obligé d'admettre qu'on célèbre son souvenir dans une petite basilique élevée sur sa tombe. C'est dans la deuxième moitié du Vème siècle que la situation change du tout au tout. L'évêque Perpetuus lance une véritable campagne de promotion sur le thème « Martin, évêque de Tours ». Thème neuf puisque, nous l'avons vu, l'admiration de Sulpice Sévère s'adressait à la figure de l'ascète et du thaumaturge dans ses dimensions universelles et sans référence particulière au siège de Tours. Perpetuus remplace donc le modeste sanctuaire funéraire de Brictio par une immense basilique, pour laquelle il commande des peintures et des inscriptions destinées à exalter les mérites et la puissance de Martin en tant qu'évêque de Tours. Il commande aussi à Paulin de Périgueux une vie en vers où, comme l'a bien montré Luce Pietri, la Vita de Sulpice Sévère est réécrite avec la préoccupation de donner tout son lustre à la cité tourangelle. Désormais, si Martin est l'apôtre envoyé pour évangéliser la Gaule, Tours est l'Urbs Martini. Martin y est « tout entier présent, manifestant de toute sa grâce ses pouvoirs », comme le souligne une inscription près du tombeau. Il est à jamais le patron de la cité dont il fut l'évêque."


    Martin couronné par son dieu, détail d'une fresque du XIème siècle dans la tour Charlemagne de la basilique Hervé (on devine une main tenant une couronne sur sa tête) [Lelong 1986, photo Collon-Arsicaud). Au XXIème siècle, du haut de sa basilique Laloux, Martin veille sur la cité de Tours et son diocèse, dont il fut le deuxième évêque au IVème siècle. + autre photo de 2018, aussi prise du haut de la tour Charlemagne + carte postale.

    [...] "A la fin du VIe siècle et grâce à l'exploitation méthodique du souvenir laissé par Martin et des miracles survenus sur son tombeau, Tours est devenue ce qu'elle n'était pas du vivant du héros : une grande ville de pèlerinage, un centre politique. important, une cité ornée de toute une parure de somptueux édifices religieux. Grégoire montre qu'un véritable pôle d'occupation s'est constitué autour de la basilique Saint-Martin, avec baptistère, monastères, logements pour les réfugiés venus bénéficier du droit d'asile, etc. Ses descriptions sont partiellement confirmées par la fouille réalisée dans l'atrium de Saint-Martin où, à une utilisation funéraire aux IVème - Vème siècles, succède à partir du VIème siècle une occupation domestique dense et continue. Mais ce noyau d'occupation se limite à Saint-Martin et à ses annexes. C'est sûrement bien peu de choses en termes démographiques ou économiques. Le renom de Tours ne doit pas faire oublier la modestie de la réalité matérielle. H. Galinié parle ď « une ville sans vie urbaine ». Cette médiocrité n'est nullement l'exclusivité de Tours et montre seulement que, pour penser la notion de ville au haut Moyen Age, nous devons changer nos catégories mentales. Tours est bien devenue, enfin, une « grande » ville, mais, ce qui fait sa grandeur, c'est d'être sanctifiée par la présence du corps de saint Martin. Tours prend place, à l'égal de Jérusalem, parmi les « lieux saints » où Dieu manifeste préférentiellement sa puissance."


    Objets qu'a pu connaître Martin. Ils ont été trouvés à Tours et sont présentés dans le livre de Pierre Audin "Tours à l'époque gallo-romaine", éditions Alain Sutton 2002. Ils sont, pour la plupart, dans la collection SAT. Ci-dessous un miroir en bronze trouvé rue Albert Thomas vers 1884.
    Un grand Martin pour une méprisable cité de Tours ? "Ainsi donc, du vivant de Martin, ce n'est pas Tours qui a fait la grandeur de Martin, ni même y a contribué en quoi que ce soit ; c'est Martin qui faisait la grandeur de Tours. [...] Martin doit son influence à son aura personnelle ; le siège de Tours n'y joue aucun rôle. Il ne sort de l'anonymat que parce que Martin en est l'évêque". Plus tard, raconte Guy-Marie Oury dans "Histoire religieuse de la Touraine", l'auteur d'un sermon pour la fête de saint Willibrord (657-739) dira : "Que dirai-je de toi, cité de Tours ? Tu es petite et méprisable par tes murs, mais grande et digne de louange par le patronage de saint Martin. Qui viendrait chez toi pour toi-même ? N'est-ce pas plutôt à cause de son intercession très sûre que les foules de chrétiens convergent vers toi ?"

    Nancy Gauthier écrit ensuite que : "Au Vème siècle, le processus s'inverse grâce à Perpetuus, dont l'action sera opiniâtrement poursuivie par ses successeurs. Désormais, c'est Tours, sous l'impulsion de ses évêques, qui assure la promotion de Martin et de son culte. Il devient l'apôtre et le protecteur non seulement de la Touraine mais de toute la Gaule, envergure que, quoi que prétende Sulpice Sévère, il n'avait jamais eue de son vivant."


    Un subterfuge des Tourangeaux pour attirer Martin. 1) Martin ne voulait pas être évêque [Jean-Bruno Gassies, 1827, Collégiale St Martin de Colmar, "La légende de Saint Martin au XIXème siècle" 1997]. 2) Pour qu'il vienne à Tours, un habitant, Rusticius / Ruricius, prétexta que sa femme était malade et demandait à être secourue [Couillard - Tanter 1986 + trois pages sur la vie de Martin à Tours et aux alentours : 1 2 3]. 3) Il implora ensuite Martin de lui pardonner... [Karl Girardet, gravure d'Adolphe Gusmand, LTh&m 1855]. + même scène [tapisserie des Gobelins, Maupoix 2018].


    Des membres du clergé ont accueilli Martin avec déférence à son arrivée à Tours [Gebhard Fugel, 1910, Allemagne, Wikipédia], mais d'autres ont montré une vive opposition [Nikto - Kline 1987] + les deux planches : 1 2.


    Defensor, l'évêque d'Angers, et d'autres prélats et notables se sont opposés à l'élection de Martin... [Brunor - Bar 2009]
    (+ deux planches : 1 2) + La même scène par Maric - Frisano 1994 : 1 2 et planche de BD Utrecht 2016.


    Emeute à Turonis ! Autre regard sur cette élection de Martin à l'évêché de Tours par Jean Loguevel en cette page :
    "Comme pour saint Ambroise à Milan, cette élection se fait dans un climat proche de l'émeute, et malgré l'opposition des
    notables gallo-romains
    ". C'est illustré, ci-dessus, dans la BD de Proust - Martin, Froissard 1996 + deux planches : 1 2


    Martin est ordonné évêque, la foule en liesse à gauche, les évêques contrits à droite [vitrail de l'église de La Translation de Saint Martin à La Chapelle sur Loire, en Touraine, Amand Clément 1892]. + la même ordination sur une miniature de sacramentaire 1180 [BmT], sur une peinture de retable [musée de los Caminos dans le palais épiscopal de Astorga en Espagne, flickr Santiago Abella], sur une miniature de Jeanne de Montbaston [légendier vers 1330, BnF] et sur trois vitraux : 1 [vers 1315, église d'Anctoville sur Bosq en Normandie, lien] 2 [atelier de Olivier Durieux 1873 à Reims, église St Martin de Wimy dans l'Aisne, flickr Patrick] 3 où Dieu est assimilé à l'alpha et l'oméga [1925, atelier grenoblois de Louis Balmet, église de Tournon Saint Martin dans l'Indre, lien]. .

    Martin est d'abord l'élu des Tourangeaux. A cela, il convient d'apporter un bémol essentiel : une ville n'est-elle pas aussi constituée d'hommes et de femmes ?
    Guy-Marie Oury commence son second tome de "La Touraine au fil des siècles" sur la ville de Tours (CLD 1977) par cette phrase : "La décision prise en 371 par le peuple chrétien de Tours de choisir pour évêque un ascète qui jouissait déjà d'une réputation de thaumaturge, de préférence à un membre de l'aristocratie cléricale, devait avoir pour la cité des conséquences incalculables." Effectivement, à cette époque où les fidèles élisaient démocratiquement leur évêque, ce sont des habitants de Tours qui sont allés chercher l'ermite en sa retraite de Ligugé et l'ont amené, contre sa volonté première, à occuper le siège épiscopal [+ récit de l'arrivée de Martin à Tours et de son élection, première page écrite par Jacques Fontaine du livre collectif "Histoire religieuse de la Touraine", CLD 1962] . Sans eux, Martin ne serait pas devenu l'évangélisateur permettant aux campagnes gauloises d'adopter la nouvelle religion qui, avant lui et ses continuateurs, n'était que citadine. En cela, la grandeur de Martin a été déclenchée par des Tourangeaux. Et même soutenue par tous les Tourangeaux de l'époque, car il apparaît que les habitants de Turonis ont constamment soutenu leur évêque Martinus. Au point, après son départ, de se montrer très virulents contre son successeur Brice, l'obligeant à plier bagage pour lui donner deux remplaçants, le second Armence relançant enfin le culte de Martin [thèse de Luce Pietri, voir ci-après le chapitre sur Armence]. Pour cela, la première basilique devrait être considérée comme étant celle d'Armence, soutenu par les Tourangeaux, et non comme celle de Brice, chassé par eux.


    Martin obtient la libération des prisonniers du gouverneur / comte de Tours Avitianus / Avitien (par erreur nommé Aretien) [Maric - Frisano 1994] + deux planches : 1 2. + la même scène en trois planches par Proust - Martin, Froissard 1996 : 1 2 3

    Conflit entre l'évêque et le gouverneur de Tours. Pierre Audin, en son livre "Tours à l'époque gallo-romaine" (en fait époque gauloise sous occupation romaine) [édité par Alan Sutton en 2002], Pierre Audin raconte : "Comme les autres évêques de son temps, Martin se considérait comme le défenseur de la cité. C'est ainsi qu'il n'hésita pas à s'opposer au comte de Tours (ou de la IIIème lyonnaise) Avitien, ancien gouverneur d'Afrique et maintenant fidèle de l'empereur usurpateur [pour les Romains, pas pour les Gaulois] Maxime. A ce titre, Avitien pourchassait férocement dans toutes les villes les partisans du défunt empereur Gratien, récemment assassiné. Aussi, lorsqu'il revint à Tours, au terme d'un long périple, suivi d'une cohorte de prisonniers (dont probablement de simples débiteurs du fisc, insolvables, et des colons en fuite) qu'il avait l'intention de faire supplicier, Martin se rendit aussitôt au palais. Mais il faisait nuit, et les portes étaient fermées. Il en fallait davantage pour arrêter l'évêque, qui pria longuement : la légende dit que le comte, averti dans son sommeil par un ange, vint lui-même ouvrir la porte du palais (qui se trouvait peut-être déjà dans l'angle nord-ouest du castrum, là où en 869 on éleva la résidence du vicomte de Tours avant la construction du château comtal). Et Martin parvint à convaincre Avitien et son tribun Dagridus de relâcher les prisonniers. Quelques temps plus tard, Martin pénétra dans la salle d'audience du palais et, si l'on se réfère à la tradition, aurait vu "un démon sur les épaules du comte". Il souffla sur lui et le fit disparaître, ce qui eut pour effet de rendre nettement plus doux le cruel Avitien. Et si celui-ci ne semble pas s'être converti au christianisme, son épouse était chrétienne. Malgré son mari, elle n'avait d'ailleurs pas hésité à faire bénir par Martin une fiole d'huile destinée à soigner des malades."

    Dans son étude de 1996 "L'évêque Martin et la ville de Tours", Nancy Gauthier estime que le lobying répugne à celui qu'elle considère comme un "original un tantinet provocateur". Elle reconnaît certes que cet épisode Avitien montre que Martin est attentif aux Tourangeaux qui l'ont élu et accomplit consciencieusement sa tâche d'évêque. Mais "On ne le voit jamais se soucier de la bonne marche de la ville de Tours ou se préoccuper d'accroître son prestige ou sa parure monumentale. En ceci, il se distingue des autres évêques qui, issus de la classe dirigeante, conservent tout naturellement au service de l'Église les préoccupations de service public qu'ils avaient sucées au berceau. Ce fut certainement une déception pour une partie au moins des Tourangeaux. Mais ce que Martin, uniquement préoccupé de Dieu et des hommes, n'avait pas fait pour sa cité de son vivant, il le fit après sa mort", sous l'impulsion de Perpet, dont le rôle lui apparaît décisif à la fois pour la réputation de Martin et le développement de Tours... Mais Perpet aurait-il existé sans l'action préalable de Sulpice Sévère ?



  6. A Marmoutier, Sulpice Sévère interviewe Martin et c'est un best-seller

    Marmoutier 1/3 : là où Martin se retire et s'installe. Un an après son élection, Martin, souhaitant prendre du recul avec sa fonction d'évêque et retrouver le retrait de l'ermite entouré de disciples, s'installe à Marmoutier, sur la rive opposée de la Loire, en amont, à environ 2 km des murs de Tours. Le pont en bois reliant la Cité à la rive opposée était encore présent et facilitait le passage (il s'agit du pont n°2 d'après l'étude de Jacques Seigne et Patrick Neury, Ta&m 2007, sachant que plus tard, de la fin du Vème siècle au début du Xème, il n'y avait plus de pont...). Alors que Sulpice Sévère écrit que Martin aurait fondé son monastère dans un endroit qui n'avait "rien à envier à la solitude du désert", les récentes enquêtes archéologiques montrent que ce lieu faisait déjà l'objet d'une occupation antique et avait même été récemment réaménagé quand Martin choisit d'y établir son monastère... C'est un exemple prouvé de la tendance à l'exagération de Sulpice Sévère. Martin habita son ermitage jusqu'à son décès, entouré d'environ 80 disciples. C'est le début d'une longue histoire pour ce site qui accueillit un puissant monastère quelques siècles plus tard, dont il reste peu.


    Martin préfère s'éloigner de la ville. [Proust - Martin, Froissard 1996] + trois planches présentant l'arrivée de Martin à Tours et à Marmoutier : 1 2 3. A droite, illustration de Gebhard Fugel 1910.


    Martin à Marmoutier [Maric - Frisano 1994].


    Plan de gauche : Marmoutier est à environ 2 km de la cité de Tours, en accès direct [schéma de Charles Lelong 1989, avec ajout du pont de bois présenté au chapitre précédent]. Au centre la grotte dite "Le repos de saint Martin", entrée ["Histoire de la Touraine", Pierre Audin 2016] et intérieur [Fasc. NR 2012] + photo d'extérieur 1950 + carte postale avec photo d'intérieur. Même si la configuration des lieux a beaucoup changé, Charles Lelong estime que cette grotte "a bien abrité le sommeil de Martin". A droite extrait d'une icône orthodoxe. + vitrail de l'église de Saint Martin du Lac, en Bourgogne, présentant Martin comme un " ami de la solitude" [flickr Odile Cognard]. Voir aussi Marmoutier 2/3 3/3.

    Entretiens avec Martin et ses compagnons. La page dédiée à saint Martin sur le site catholique "Nouvelle évangélisation" présente la façon dont l'avocat aquitain Sulpice Sévère (363-410) a rencontré Martin à Marmoutier et s'est entretenu avec lui de sa vie : "Peu de temps après sa conversion, Sulpice Sévère vint à Tours visiter saint Martin. [...] On croit communément que cette première entrevue eut lieu vers l’an 393. Sulpice fut accueilli avec les témoignages les plus touchants de bonté et d’affection, de la part de saint Martin. L’humble évêque le remercia d’abord de ce qu’il avait entrepris en sa considération un si long et si pénible voyage. Il le fit asseoir à sa table : faveur qu’il accordait rarement, surtout aux grands du monde. [...] Ainsi commença pour Sulpice Sévère cette douce familiarité avec notre saint évêque, qui fit l’honneur et la consolation de sa vie. Durant son séjour à Tours, Sulpice étudiait la vie et les vertus de saint Martin, comme le meilleur modèle à suivre ; déjà même il avait conçu le dessein de mettre par écrit tout ce qu’il avait appris des actions de notre illustre évêque. Jamais projet littéraire ne porta plus bonheur à un écrivain : la postérité connaît surtout Sulpice Sévère comme l’historien de saint Martin. Quoique notre saint prélat eût l’habitude de ne jamais parler de lui-même, et de cacher les grâces particulières que Dieu lui accordait, Sulpice cependant affirme qu’il apprit de sa propre bouche une partie des faits racontés dans son histoire. D’autres traits, avec quantité de circonstances intéressantes, lui furent révélés par les clercs de l’Eglise de Tours ou par les moines de Marmoutier. Peu d’auteurs ont eu la même bonne fortune. Aussi son récit peut-il être considéré comme entièrement digne de foi, puisqu’il s’appuie constamment sur le rapport de témoins oculaires, quand il ne reproduit pas les paroles, mêmes de saint Martin. "


    Martin et Sulpice dans Proust - Martin, Froissard 1996 + la planche.


    Les mêmes dans BD Utrecht 2016 par Nico Stolk et Niels Bongers + deux planches : 1 2.
    517, le manuscrit de Vérone. A droite un extrait du plus ancien manuscrit connu de la "Vita Martini", réalisé par un dénommé Ursicinus, terminé en août 517 (avec un écrit de Jérôme de Stridon), en écriture onciale, toujours conservé dans la bibliothèque capitulaire de Vérone [Fasc. NR 2012]. Dans son étude sur les origines du culte de saint Martin, Bruno Judic : "Le manuscrit de Vérone est aujourd’hui le témoin le plus ancien - et de loin - de la tradition manuscrite. Son contenu en fait un recueil “monastique” ou ascétique et correspond à une image fortement monastique et ascétique de Martin. Mais un tel manuscrit suppose l’existence d’autres manuscrits, antérieurs, qui ont permis la diffusion de ce texte jusqu’à Vérone." De 397 à 517, 120 ans de multiples copies disparues...


    Les mêmes dans le téléfilm d'Arte déjà présenté (ci-avant). Trois couvertures récentes de la "Vita Martini" de Sulpice Sévère (illustrations : Anonyme XVème siècle Budapest, Simone Martini vers 1325 à Assise (original), Anonyme XIIème Cambrai ou Tournai).

    Sulpice Sévère offre à Martin une extraordinaire célébrité littéraire. Bruno Judic dans un article de 2009 titré "Les origines du culte de saint Martin de Tours aux Vème et VIème siècles" montre l'importance du succès immédiat de la "Vita Martini" : " Le culte des martyrs et des saints part de leur tombeau. Dans le cas de Martin nous avons aussi cet aspect topographique essentiel avec l’action des évêques Perpetuus et Grégoire. Mais il se pourrait bien que le facteur premier dans l'essor du culte martinien ne soit pas le tombeau mais la Vita rédigée par Sulpice Sévère. C’est en effet la diffusion de ce texte à Rome et en Italie qui, seule, peut expliquer la célébrité de Martin dans le contexte romain et italien. Cette célébrité était peut-être si importante qu’elle aurait en quelque sorte fini par rejaillir sur les milieux gaulois et tourangeaux.". En cela, Michel Fauquier le qualifie de "premier saint moderne", dans une étude de 2019. + récit par Sulpice Sévère lui-même (faisant comme si on s'adressait à lui...) du rapide et extraordinaire succès mondial (c'est-à-dire pour l'époque méditerranéen) de son ouvrage, en quelque sorte devenu un best-seller, comme le raconte Joshua Peeters en une double-case de BD Utrecht 2016. Alors que Martin n'a rien laissé d'écrit et, n'étant pas un orateur, n'a pas laissé de discours, Sulpice Sévère a comblé, et de quelle façon, ce qui aurait pu être un handicap.

    Quelle crédibilité accorder à Sulpice Sévère ?. L'auteur de la Vita Martini est fasciné par Martin. Il a voulu en faire le reflet occidental d'Antoine le Grand (251-356, décédé apparemment à 105 ans), le premier ermite, en Egypte, père du monachisme chrétien, allant jusqu'à dire que ": “Avec le seul Martin, l’Europe peut se tenir au même rang que l’Egypte”. Ce pourrait être la première utilisation du mot Europe au sens géographique. Nombre des épisodes qu'il relate lui ont été racontés par des disciples eux aussi fascinés par l'évêque de Tours. Son ouvrage est une suite d'épisodes merveilleux qu'il est difficile de croire au pied de la lettre. Or c'est la matière première de ce que nous savons sur Martin. Les historiens s'y sont donc penchés très attentivement, surtout Ernest-Charles Babut et Jacques Fontaine. Cette double page de Charles Lelong en son livre "Vie et culte de Saint Martin" (CLD 1990) en témoigne. Bruno Judic, en cette page de son étude de 2009 conclut pareillement  : "Comme Babut, mais avec une plus grande sympathie pour Martin, Jacques Fontaine s’attache avant tout au texte de Sulpice et part de Sulpice. Comme Babut, il évoque une part éventuelle de fiction. Mais il aboutit finalement à un résultat bien différent. La vérité historique de Martin émerge au sein même de la fiction littéraire. Il peut ainsi distinguer des niveaux de stylisation, c’est à dire des formes de conventions littéraires.". Pierre Courcelle, dans un article de 1970 est très sévère envers Sévère : "Même si Sulpice a des circonstances atténuantes et s'il nous préserve un précieux « noyau historique », l'on ne saurait, je crois, éluder de faire en fin de compte son procès : ne s'est-il pas complu, pour se concilier la masse des lecteurs, à fondre et confondre sainteté et folklore ? N'est-il pas l'un des principaux responsables de l'invasion du « merveilleux » en Occident ? Le succès même de son livre n'a-t-il pas contribué à abaisser le niveau du christianisme pour dix siècles ? "


    En 396, devant la grotte de Marmoutier, Sulpice Sévère présente la première version de son livre à Martin, un an avant sa mort à 81 ans [tableau de René-Théodore Berthon, 1822, musée de Budapest (en 1904 à Marmoutier), flickr Logan Isaac]. Analysé dans le Catalogue 2016 par Anna Tüskés, ce tableau y est titré "Fondation de l'abbaye de Marmoutier par Saint Martin". Martin, situé à droite, consulterait les plans de la future abbaye de Marmoutier. C'est invraisemblable, car d'une part il n'a pas voulu y bâtir une abbaye de type monument et d'autre part il était vêtu humblement comme le personnage de gauche. Et, celui-ci a son âge de 80 ans en 396, alors que le personnage de droite a l'âge de Sulpice, 33 ans. On a donc une superbe représention de Sulpice montrant à Martin la première épreuve de son livre. En fait le cadre du tableau est réduit, une construction se monte sur la gauche et l'artiste a voulu montrer une allégorie avec un bâtisseur d'un siècle postérieur, Jean-Baptiste Guizol (1756-1828), montrant à un Martin rematérialisé la chapelle qu'il construisit sur les ruines du clocher de l'abbaye. Mais la rencontre de Sulpice et Martin est un symbole si fort...
    Des illustrations représentant Martin en bâtisseur de Marmoutier (où il n'a construit aucun bâtiment en pierres), sont assez fréquentes. Ainsi ces sept vitraux : 1 1925 de l'atelier Louis Balmet de Grenoble [église saint Martin de Tournon Saint Martin dans l'Indre, Verrière 2018] 2 John Hayward 1991, dans l'église Saint Martin de Brasted en Angleterre (+ en cadre élargi) [flickr Jules & Jenny] 3 église Lace Market de Nottingham en Angleterre [flickr Lawrence OP] 4 église de St Florentin dans l'Yonne 5 église de Soulaire en Anjou (lien) 6 [Etienne Lobin 1926 dans l'église de Ports sur Vienne, Martin soutient le portail de l'abbaye (lien] 7 atelier Lorin de Chartres 1947 pour la reconstruction de l'église Saint Martin de Barentin en 1947 avec une légende explicite "Saint Martin fondant le monastère de Marmoutier" (lien). .

    La lecture facile de Sulpice Sévère. La "Vita sancti Martini" / "Vie de saint Martin" est un document court à la lecture facile : texte de 16 pages, [lien Communauté Saint Martin]. + la version en latin (lien). + les lettres et dialogues sur le site remacle. Les trois lettres et les trois dialogues sont postérieurs au décès de Martin. Le 2ème et le 3ème dialogue laissent la parole à un disciple de Martin, Gallus, qui raconte ce qu'il sait de son maître (+ article LM 2007-1 sur une conférence de Jacques Fontaine, présenté par Bruno Judic). Ils sont donc censés donner un autre éclairage que celui de la Vita. + sur une double page, un exemple d'analyse de texte montrant, par des détails, la véracité du témoignage (ici Gallus), et la personnalité de Martin ["Saint Martin apôtre des pauvres", Olivier Guillot 2008]. + article de Sylvie Labarre 2004 titré "La composition de la Vita Martini de Sulpice Sévère".

    Martin est historiquement vrai, contrairement à des saints soupçonnés d'être fabriqués. Même en tenant compte de ses silences, de ses exagérations et de celles de ses sources, Sulpice Sévère a écrit la biographie de Martin d'une façon sérieuse et en cohérence avec d'autres sources. Le personnage qu'il présente a donc existé et a vécu les épisodes racontés, quitte à les corriger de la perception orientée de Sulpice. On est loin d'un personnage ayant surgi tardivement, sans écrit d'époque, comme Gatien de Tours, déjà évoqué (voir ci-avant), ou Denis de Paris (décédé en 258, il n'est cité que vers 520) ou Jacques de Compostelle (cité dans les évangiles et qui serait allé en Espagne, ce qui n'est su qu'après 600 environ), qui peuvent être considérés comme mythiques et sans existence historique. De plus, Sulpice nous raconte la vie en Gaule à la fin du IVème siècle, témoignage très précieux, compte tenu là encore des corrections effectuées par les historiens.


    Témoignages. Voici deux exemples prouvant l'existence de Martin, en dehors des écrits de Sulpice Sévère et des écrits religieux. 1) Il a été retrouvé à Vienne (sur le Rhône) l'épitaphe d'une femme nommée Foedula enterrée au début du Vème siècle qui rappelle qu'elle avait été baptisée par "sa grandeur Martin" [cité par Charles Lelong en 2000, détails dans l'article de Jean Doignon 1961]. 2) Le documentaire d'Arte de 2016 (voir ci-avant) présente , à Ligugé, une tombe découverte en 1958 avec une inscription montrant qu'elle est celle d'un jeune Wisigoth de 10-12 ans nommé Ariomeres, élève du maître Martin ("domini Martini"). D'après une étude de Francis Salet en 1961, il serait décédé au Vème siècle, après 419, date d'arrivée des Wisigoths, donc au moins 20 ans après la mort de Martin, encore considéré comme le maître [+ étude archéologique de Carol Heitz, 1992].

    Parmi les interrogations, il y a notamment un doute sur la date de naissance de Martin, 316 ou 336, et la durée de son service militaire, 5 ou 25 ans. L'hypothèse de durée longue, usuelle (pourquoi aurait-il été engagé pour cinq années seulement ?), ici prise en compte, déjà adoptée par Grégoire de Tours, rencontre un consensus désormais très large. Sur ce point précis, Sulpice Sévère aurait dit vrai en écrivant que Martin était septuagénaire en 385 et en lui faisant prononcer cette phrase avant sa mort : "Seigneur, si tu veux que je serve encore sous ton étendard, j'oublierai mon grand âge". Il aurait aussi dit faux en estimant que Martin n'aurait fait que cinq ans de service militaire, voulant minimiser le long épisode guerrier (y compris après son baptême), indigne d'un évêque. Certains catholiques ont tendance à éluder le sujet, comme sur cette page, ou à opter pour la durée courte, comme sur une page du site du diocèse de Tours, où, sans indiquer la date de naissance, il est écrit : "à 18 ans, il fut baptisé et quitta peu après l’armée". Plus étonnant, parmi les historiens, Charles Lelong a aussi défendu la durée courte. Et, récemment, Olivier Guillot et Dominique-Marie Dauzet. A l'époque, l'âge moyen de décès était certes bas, mais les septuagénaires ou octogénaires, quoique peu nombreux, n'étaient pas rares.

    Pierre Leveel, dans La lettre martinienne 2006-1 (page 14) résume ainsi les conclusions des historiens : "Les commentateurs s’accordent à écrire qu’après son incorporation difficile, Martin resta plusieurs années dans une sorte de préparation militaire des adolescents, et qu’il ne fut versé dans la militia armata qu’après l’âge de 20 ans. On ne saurait voir Martin que courageux et discipliné, fidèle aux « serments militaires », évitant toutefois avec habilité de donner des gages d’adoration dans la religion qui restait celle de la plupart des soldats romains de l’époque. On comprend, sans qu’un document le prouve, que sa conduite fut appréciée de ses supérieurs, lesquels le jugèrent digne d’accéder à un corps très convoité: « C’est sous l’empereur Constance que Martin est passé des troupes régulières dans le corps d’élite que constituait la garde impériale montée »". Ce doute désormais levé (1700ème anniversaire en 2016, pas en 2036 !) sur la date de naissance en lève un autre sur l'âge de baptême, à 18 ans, à Amiens après le partage du manteau, donc en 334 / 335, et non en 354 / 355. Et ce n'est pas Hilaire qui baptisa Martin, comme c'est parfois représenté, par exemple dans un vitrail de Saint Florentin en Bourgogne(1528).

    Il y a aussi un doute sur la date de décès de Martin. En un article de 1908 titré "Paulin de Nole, Sulpice Sévère, saint Martin, recherches de chronologie", Ernest-Charles Babut conclut que Martin n'est probablement pas décédé le 8 novembre 397 comme généralement convenu, mais entre novembre 396 et la mort d'Ambroise de Milan, le 4 avril 397 (mars 397 lui apparaît le plus probable), donc presque un an plus tôt (voir aussi ci-après la mort d'Ambroise). Cela n'a pas été retenu par la suite, notamment pas André Chastagnol en une étude de 1984 titrée "Autour de la mort de saint Martin" où il tient pour certaine la date du 11 novembre 397. Plus généralement, ce qui est vrai de la vie de Martinus a-t-il pu transiter autrement que par les écrits de Sulpice Sévère et quelques autres repères historiques ? Par les noms de lieux et les légendes colportées ? A titre personnel, avec mon expérience de généalogiste amateur habitué à soupeser la valeur des dates, la lecture des arguments échangés sur la date de naissance de Martin m'a convaincu de sa naissance en 316. Par contre, pour le décès, je n'ai pas de conviction. Les arguments de Babut ne m'apparaissant pas irréfutables et, n'ayant pas trouvé de contre-argumentation (je suppose qu'il y en a ...), je me plie à l'opinion générale du 8 novembre 397.

    Paulin de Nole trait d'union entre Martin et Sulpice. Né dans une riche famille bordelaise, Paulin de Nole (353-431) "souffrait depuis longtemps des yeux et la cataracte commençait à se former lorsque Martin lui ayant touché les paupières avec un pinceau, le mal disparut par enchantement" (lien). Paulin devint évêque de Nole, près de Naples, en 409. C'est lui qui apprit à Sulpice Sévère "l'existence d'un évêque hors-norme à Tours" (lien). Paulin de Nole fut l’un des plus grands poètes latins chrétiens (on a gardé de lui 35 poèmes). Une autre partie de son oeuvre est constituée par de longues lettres (49 ont été conservées) écrites à de grandes personnalités de son époque comme le poète Ausone, saint Jérôme de Stridon, saint Augustin d'Hippone et donc Sulpice Sévère. Paulin eut aussi un rôle dans la diffusion de l'oeuvre de Sulpice Sévère, qui l'écrit lui-même dans ses dialogues : "Celui qui le premier a introduit ton livre dans la ville de Rome, c'est ton grand ami Paulin de Nole. Là, dans toute la ville, on s'arrachait le volume. J'y ai vu les libraires exulter, déclarant que rien n'était pour eux une meilleure affaire, que rien ne s'enlevait plus vite et se vendait plus cher."


    Martin guérissant Paulin ["Martinellus" 1110, BmT]. Au centre-gauche, Paulin en un vitrail de la cathédrale de Linz (Autriche). Au centre-droit Paulin prêchant [lien]. A droite sanctus Paulinus dans l'actuelle basilique ventant les mérites du livre de Sulpice Sévère [atelier Lorin]. + six autres images de Paulin : 1 [calendrier de Jacques Callot (1592-1635)] 2 3 4 (avec celui qui l'a baptisé, Delphin, évêque de Bordeaux environ de 380 à 403, correspondant avec Sulpice Sévère, lien) 5 (Paulin de Nole aurait initié la coutume de faire annoncer les offices par la sonnerie des cloches) 6 [François Verdier, lien].

    .
    A gauche, Sulpice Sévère envoie (à Paulin de Nole ?) un messager porteur de son livre sur Martin [BmT, lettrine vers 1325]. Au centre, Sulpice voit Martin en songe puis apprend sa mort [Médiathèque Le Mans, XVème siècle, Maupoix 2018]. Sulpice a fait des émules qui, au cours des siècles, ont rédigé une vie de saint Martin, tel Richer, abbé de Saint Martin de Metz, au XIIème siècle. A droite, il écrit sous l'inspiration de Sulpice qui lui présente son ouvrage [médiathèque d'Epinal, Maupoix 2018].



  7. Martin et Ambroise de Milan : retenue face à l'hérésie priscillienne

    A la fin du IVème siècle, l'église catholique, alors appelée nicéenne, eut à combattre une autre hérésie, le priscillanisme. Une lutte n'autorisant aucun compromis, plus terrible encore que celle contre l'arianisme puisque pour la première fois, des chrétiens ont assassiné des chrétiens. Martin de Tours s'en offusqua, avec un autre évêque, célèbre aussi, Ambroise de Milan. Si Milan reste gouvernée par Rome, les habitants de Turonis et Martinus vivent en Gaule. A cette époque, au IVème siècle, elle a des frontières changeantes, dépendant soit de l'empire romain et de sa capitale Rome, soit, officieusement ou officiellement gouvernée à partir de Trèves, aujourd'hui en Allemagne, par Valentinien Ier, de 364 à 375, par son fils Gratien de 375 à 383, puis par Magnus Maxime de 383 à 388. Selon les époques la [Grande-] Bretagne insulaire et l'Espagne peuvent s'ajouter au périmètre de la Gaule, qui remonte jusqu'à l'embouchure du Rhin.


    A Trèves, Valentinien Ier reçoit Martin sans se lever, un soldat l'avertit que son siège prend feu... A gauche, peinture de Noël Hallé [Musée des Beaux-Arts d'Orléans, lien], à droite vitrail de l'église Saint Martin de Pau [extrait d'une rosace de 24 scènes sur Martin, lien]

    Par trois fois, Martin interpelle l'empereur des Gaules. A son époque, l'évèque Martinus est déjà un personnage très important, ayant une aura, écouté des plus grands. Il s'appuie sur eux pour renforcer son action, en particulier contre l'arianisme. Par trois fois, il se rendit à Trèves, la capitale des Gaules, pour y rencontrer les empereurs successifs, Valentinien Ier et, par deux fois, Magnus Maxime (voir cette page). Les deux dernières rencontres seront délicates, car il s'oppose à ce que Maxime, avec l'accord de l'empereur byzantin Léon Ier, exécute, à Trèves, l'évêque hérétique Priscillien et ses principaux disciples.

    Ascétisme et luxe. Quittant avec quelques disciples son habitat troglodytique de Marmoutier, le moine et évêque Martin part à Trèves rencontrer l'empereur. En haut, centre-droit, il quémande un entretien [Luc-Olivier Merson, Lecoy 1881] devant le palais impérial. En haut à droite, inspiré par un ange, il trouve une porte pour approcher Valentinien [vitrail de l'église de Sorigny en Touraine, Lobin, + la verrière en entier]. + vitrail de la cathédrale de Tours où l'ange montre la porte [baie n°4, vers 1280, Verriere 2018]. Les autres illustrations sont extraites de la bande dessinée de Proust - Martin, Froissard 1996. + quatre planches présentant l'entrevue de Martin avec l'empereur des Gaules Maxime 1 2 3 4 (dans cette séquence, les trois rencontres sont réunies en une seule). + sur la scène du repas, broderie [New York Metropolotan Museum of Art, Maupoix 2018], vitrail de l'église Saint Etienne de Tours vers 1870 [atelier Lobin, commentaire Verrière 2018] et vitrail de l'église St Martin de Nonancourt dans l'Eure (lien).


    Un original à la table de l'empereur. Martin ne craignait pas de trangresser les usages, qu'ils soient gaulois ou romains, du bas peuple ou de l'aristocratie. ici à sa première rencontre avec l'empereur Maxime [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996] + la planche. A droite, les trois mêmes protagonistes dans une miniature du "Martinellus" 1110 [BmT]. + la même scène dans une fresque du sous-sol de la basilique de Tours, voir ci-après et dans quatre vitraux : 1 [église St Martin de Nonancourt en Normandie] 2 [atelier de Maréchal et Champigneulle, église St Martin de Metz en Lorraine] 3 [église de Romilly sur Seine dans l'Aube] 4 [église de Sucy en Brie].


    En 385, Ithace / Ithacius, évêque d'Ossonoba, essaye de convaincre Martin de la nécessité de condamner Priscillien à mort. [Brunor - Bar 2009] + deux planches consécutives à cette scène : 1 2 + lien. Cette volonté de Martin de séparer les affaires de l'Etat et des Eglises apparaît moderne. Serait-il un précurseur de la loi de 1905 ? Martin serait-il un défenseur de la laïcité ? Un opposant à l'inquisition ?

    La modération de Martin face à l'hérésie priscillienne. En 383, Magnus Maximus, dit Maxime, est proclamé empereur par ses troupes de [Grande-]Bretagne et prend le pouvoir en Gaule et en Espagne. Il règne cinq ans jusqu'en 388, se plaçant dans l'orthodoxie nicéeenne, soutenant notamment Ambroise, évêque de Milan contre les ariens. A la même époque, l'évêque d'Avila, en Espagne, Priscillien (345-385) s'éloigne d'une autre façon des principes nicéens. Il est un mystique chrétien voulant vivre un christianisme proche des origines selon une vision très personnelle. Si, pour son ascétisme il est proche de Martin, il s'en éloigne en s'appuyant sur des livres apocryphes. Il s'ensuit un vif débat qui va mener, pour la première fois, au meurtre de chrétiens par d'autres chrétiens. Ses adversaires, deux évêques espagnols, Hydacius / Hydace et Ithacius / Ithace, jouent avec acharnement le rôle d'accusateurs demandant à l'empereur Maxime la mise à mort de l'hérétique. Convoqué à Trèves, Priscillien est mis en accusation. L'intervention de Martin le sauve momentanément, mais il ne peut rien faire lorsque ce dernier est condamné à mort pour hérésie en 385. Il est décapité à Trèves, avec quatre autres chefs de son mouvement. Priscillien fut ensuite vénéré comme martyr par ses disciples; et, après la chute de Maxime, la secte se répandit dans toute l'Espagne. Son exécution provoqua des déchirements chez les évêques gaulois et les intellectuels chrétiens. Ambroise de Milan est du côté de Martin de Tours, qui refuse de participer à d'autres assemblées sacerdotales. Augustin d'Hippone et Jérôme de Stridon soutiennent la condamnation. Finalement, le pape Sirice proteste aussi contre cette mesure, l'empereur romain Théodose Ier aussi, Hydace et Ithace quittent leur charge d'évêque. Un siècle et demi plus tard, en 563, par un mouvement de balancier, le concile de Braga réhabilite Ithace et condamne très fermement Priscillien. Sous l'influence d'Hydace, plus souple qu'Ithace, et plus tard de Grégoire de Tours, le rôle de Martin dans cette affaire Priscillien est marginalisé.


    Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996 + deux planches : 1 2


    Le deuxième rencontre de Martin et Maxime [Brunor - Bar 2009] + la planche.


    Deux illustrations du Lecoy 1881 : "Saint Martin intercède pour les priscillianistes auprès de l'empereur Maxime"
    par Joseph Blanc (+ version vitrail à la collégiale Saint Martin de Beaupréau, en Anjou, lien),
    puis réconforté par un ange [reproduction d'une illustration du "Martinellus" 1110, BmT].

    En son livre "Martin de Tours, Rencontre" (Bayard 1996), Régine Pernoud conclut ainsi sur l'affaire priscillienne : "Elle a pesé lourdement sur Martin : avec raison car elle a représenté au cours des siècles, une tentation permanente à laquelle l'Eglise n'a pas toujours su résister. Il faut remarquer d'ailleurs que lorsqu'elle a succombé en instituant l'Inquisition, cette mesure n'a pas tardé à se retourner contre elle. [... Philippe le Bel et les templiers... Jeanne d'Arc au bûcher... l'Inquisition en Espagne aux XVIème et XVIIème siècle...] Il est significatif à nos yeux qu'à ces mêmes époques le pèlerinage de saint Martin, si fréquenté aux siècles précédents, ait été peu à peu déserté, que son tombeau ait été alors détruit et ses ossements dispersés. Peut-être même si elle fut totalement inconsciente, y-eut-il plus qu'une coïncidence ?". Si Martin a su tracer une limite à son intolérance (ariens, païens, priscilliens), pour ne pas aller jusqu'à la persécution, ses condisciples de tous temps n'ont pas toujours su garder cette mesure. De l'intolérance naît l'exclusion violente.


    A gauche Priscillien enchaîné (lien). Puis, Martin essaye d'empêcher la décapitation de Priscillien [tableau de l'église Saint-Martin de Maimbeville]. A droite, livre de Ramon Chao en 2004 estimant que les restes de Priscillien sont ceux attribués à Jacques de Compostelle

    Révélation : ce seraient les restes de Priscillien qui reposeraient dans la crypte de Saint-Jacques de Compostelle !. C'est même écrit sur la page Wikipédia de Priscillien : "Priscillien a longtemps été honoré comme martyr, notamment en Galice, et dans le Nord du Portugal, où l’on prétend que son corps serait revenu. Certains historiens comme Philippe Martin [en son livre "Les Secrets de saint Jacques-de-Compostelle", Vuibert 2018] considèrent que le corps retrouvé au IXe siècle et identifié comme celui de saint Jacques de Compostelle était en fait celui de Priscillien". Il y a lieu d'en douter, tant les preuves sont minces, mais, après tout, cela apparaît davantage plausible que d'attribuer ces restes à l'un des douze apôtres... Et ça résonne comme une revanche narquoise de Priscillien à ses persécuteurs ! En 2016, Diego Play Augusto, en une solide étude titrée "Le lieu d'enterrement de Priscillien", estime que " Malgré l’ attrait de cette hypothèse, nous ne disposons d’aucune référence qui permette d’ établir une relation entre Priscillien et la ville de Saint-Jacques-de-Compostelle" et il argumente pour proposer un autre lieu.

    En un article de 1913, René Massigli pensait que Martin était très proche des Priscilliens et avait été directement visé par une lettre du pape Sirice en 386-387 "où il est question de ces moines dont on fait des évêques qui tous guindés d'orgeuil courent à l'hérésie". L'auteur réfute l'idée que le prestige de Martin ne soit dû qu'aux écrits de Sulpice Sévère et Paulin de Nole : "Comme sa qualité de moine n'a certainement pas suffi à le distinguer, force est bien d'admettre qu'un prestige spécial, dû sans doute à ses dons personnels, l'environnait". + article de Charles Guignebert, de 1909, sur une étude d'Ernest-Charles Babut traitant du priscillianisme + le chapitre 'Martin et les priscillianistes" du livre de Charles Lelong "Vie et culte de Saint Martin" (1990).

    Ambroise de Milan, un alter ego de Martin ?. Ambroise, comme Martin, a été élu évêque (de Milan en 374) par la volonté populaire, contre son gré et contre la volonté des évêques voisins. Comme lui, il est intervenu pour que Priscillien soit gracié. Toutefois, contrairement à Martin, Ambroise n'avait rien d'un moine ascétique. D'origine très aristocratique (permettant d'établir de lointains liens de cousinage avec Charlemagne : 1 2 3), il avait l'envergure d'un haut dirigeant politique. Il serait décédé le 4 avril 397, après avoir appris le décès de Martin. Il y aurait alors lieu de douter que Martin soit décédé le 8 novembre de la même année, mais plutôt en mars 397, comme l'estime Ernest-Charles Babut (voir ci-avant), voire en novembre 396, à moins que l'erreur vienne d'ailleurs... + texte d'Ambroise sur Martin. L'affaire priscillienne a révélé un axe Martin - Ambroise qui fit contrepoids aux évèques voulant dominer les autorités politiques. Après que le christianisme se soit imposé, ce fut la première crise de ce genre en Europe. Il y en eut bien d'autres depuis, sous diverses formes, penchant d'un côté ou de l'autre... Nous verrons plus loi, avec Paulin de Nole, Mélanie la Jeune, Eustoche et Perpet que cette concordance de vue entre Martin et Ambroise permettra la mise en place d'un axe Milan-Tours.


    Ambroise sur la même longueur d'onde que Martin. A gauche, vitrail de l'église Saint Augustin à Paris réunissant les deux saints (Martin à gauche). Au centre, Ambroise ayant la révélation de la mort de Martin, prieuré saint Martin des Champs à Paris, tableau de Félix Villé. A droite, vitrail de la cathédrale de Bourges, 1214, ou Ambroise asperge d'eau bénite le corps de Martin [Verrière 2018]. + deux fresques de Simone Martini dans la chapelle Saint Martin d'Assise sur ce songe d'Ambroise, avec récits de Sulpice Sévère et Gilles Berceville dans le livre "Saint martin de Tours" de Sulpice Sévère traduit par Jacques Fontaine aux éditions du Cerf 2016 : 1 2. + retable avec Ambroise entouré de Martin et Sébastien [Nicolo Corso, XVème siècle, galerie Sabauda à Turin, Italie, flickr jean louis mazieres]
    La fraternité d'Ambroise et Martin glorifiée dans un retable de Barcelone. Le retable des deux évêques a été réalisé par Juan Mates de 1411 à 1415 pour la cathédrale de Barcelone. + deux vues déjà montrées en fin du chapitre de l'affaire priscillienne, marquée par la solidarité entre Ambroise de Milan et Martin de Tours : 1: 2 + extraits et étude en deux pages de ce retable par Michel Maupoix en son Maupoix 2018 : 1 2.


    Deux extraits d'une très ancienne mosaïque dans la basilique Saint Ambroise de Milan [photo Wikipedia au centre]. A gauche, même scène qu'au-dessus au centre, Ambroise endormi vit la mort de Martin. A droite il est présent à son enterrement. Cette imposante mosaïque, scène centrale de la basilique milanaise, est ici dans sa reproduction en aquarelle par Henri Toussaint pour le livre Lecoy 1881, qui présente une analyse précise de l'oeuvre. La mosaïque y est datée du IXème, Xème ou XIème siècle, Wikipédia la date des VIème et VIIIème siècle, largement remaniée aux XVIIIème / XIXème siècle. On peut donc supposer que les thèmes traités dans chaque scène viennent du VIème siècle. + bas-relief en or au maître-autel dans la même basilique [IXème siècle, Lecoy 1881].


    Sanctus Ambrosius sous la coupole de l'actuelle basilique Saint Martin de Tours



  8. D'Amboise à Candes, l'évangélisateur Martin et les ruraux de Touraine


    Tours et la Touraine sont au croisement de voies dites romaines mais en fait gauloises : "L'opinion générale selon laquelle les Romains seraient à l'origine de l'ensemble du réseau de voies antiques en Gaules n'est pas exacte" (lien Wikipédia). A gauche le réseau routier des Turons, au centre une route d'époque près de Tours ["L'Indre et Loire", Pierre Audin, éditions Bordessoules 1982, lien]. A droite la table de Peutinger en Touraine ["Caesaroduno" au centre]. + deux planches de Couillard - Tanter 1986 : 1 2 + autre carte (lien).

    L'évangélisation de la Touraine. Les Tourangeaux et Tourangelles sont aussi bien les habitants de Tours que ceux de la Touraine. Si les premiers ont été dès le début acquis à Martin, les seconds se sont montrés rétifs et attachés aux cultes ancestraux. Celui qui est nommé "l'apôtre de la Gaule" a le premier évangélisé les campagnes gauloises et ses multiples disciples ont poursuivi son action durant deux ou trois siècles, les royaumes Francs étant alors christianisés. En sa thèse (cf. ci-après), page 796, Luce Pietri présente une carte des monuments chrétiens en Touraine au VIème siècle. En pages 793 à 795, sont indiquées les églises rurales créées par les évêques Martin (Langeais, Saunay, Amboise, Ciran la Latte, Tournon Saint Pierre, Candes + carte C. Lelong 2000]), Brice (St Julien de Chédon, Brèches, Pont de Ruan, Brizay, Chinon), Eustoche (Reignac, Yzeures, Loches, Dolus), Perpet (Montlouis, Esvres, Mougon, Barrou, Balesmes, Vernou), Volusien (Manthelan), Injuriosus (St Germain sur Vienne, Neuillé *, Luzillé), Baud (Neuillé *), Euphrone (Thuré, Céré, Orbigny) et Gregoire (Artanne, Joué lès Tours, Mareuil sur Cher, Pernay, Le Petit Pressigny). * : Neuillé Pont Pierre ou Neuillé le Lierre. + article d'Elisabeth Zadora-Rio "Lieux, espaces et territoires de la Touraine" de la fin du IVème siècle à la fin du XIIème [Ta&m 2007].

    Amboise, première église créée par Martin. Ambacia / Vicus Ambatiensis / Amboise est l'ancienne capitale des Turons, d'avant la conquête romaine et la création de Caesarodunum / Tours. "Vers 374, Martin y envoya un de ses prêtres, nommé Marcellus, et lui recommanda à plusieurs reprises de détruire ce repaire d'idolâtrie. Mais une armée aidée de la population entière et donc encore moins de quelques faibles moines ne pouvait renverser ce monument imposant : une tour ronde construite en pierre de taille et en forme de pyramide. Las d'attendre, Martin se rendit lui-même à Amboise. Il passa une nuit à prier. Le lendemain matin, un ouragan très puissant se déchaîna et démolit entièrement le temple. "Je tiens le fait de Marcellus, qui en fut le témoin", dit Sulpice Sévère. Aussitôt, Martin fit élever à la place une église, peut-être à l'emplacement de l'actuelle église Saint-Denis, et fonda ainsi la première église rurale de Touraine, comme l'atteste Grégoire de Tours. Puis vinrent d'autres paroisses. Elles se situaient loin du chef-lieu de diocèse, et constituaient en fait des relais spirituels dirigés par un clerc. Une moitié se situe sur un cours d'eau : Candes au confluent de la Loire et de la Vienne, Amboise et Langeais sur la Loire. L'autre moitié se situe sur le plateau, deux au sud, Ciran et Tournon Saint Pierre et une au Nord, Saunay. " (document, pages 46, 47)


    La destruction du temple d'Amboise vers 375 (début de l'épiscopat de Martin) [Maric - Frisano 1994] + planche + intérêt patrimonial de ce temple [Mag. Touraine n°62, 1997]. L'église Saint-Denis d'Amboise, peut-être édifiée à l'emplacement de ce temple, a un vitrail où Martin détruit une idole...

    La méthode Martin. Sur la page titrée "Qui était saint Martin ?", Jean Loguevel : " On a souvent dit que saint Martin avait fondé les paroisses rurales de France. C'est un raccourci qui est en partie vrai, mais qui risque de cacher la vérité... Comme l'ont très bien observé le très sérieux Jacques Fontaine et Luce Pietri, historienne remarquable de Tours, saint Martin a fondé, à l'époque, une "communauté nouvelle" centrée sur la prière certes, mais, tournée vers la compassion et l'évangélisation. Les villages et les campagnes sont évangélisés par ces missionnaires. Quand les conversions se produisent, on fonde sur place une église ou un ermitage et on laisse une petite "succursale" de la communauté nouvelle constituée de moines et de convertis. Avec le temps, elle se transformera en “paroisse”. Ainsi, “chacun, quel que soit son état, quelle que soit sa mission, et en quelque lieu du diocèse qu'il exerce celle-ci, conserve le sentiment d'appartenir à une communauté dont Martin est l'Abbé autant que l'Evêque”. Il semble en effet que Martin n'ait pas seulement agrégé des moines, au sens que ce mot revêt aujourd'hui. Autour de lui, se sont également développées diverses formes de vie chrétienne, engagées et communautaires, comme en donnent le témoignage Paulin de Nole et Sulpice Sévère, grands propriétaires de 'Aquitaine. Une fois convertis, ces notables mariés constituent en effet autour d'eux des communautés laïques et religieuses, vivant selon l'esprit de saint Martin. Cet esprit renvoie en premier lieu à l'amour du prochain (cf le pauvre d'Amiens, et l'homme auquel il donne ses habits dans la sacristie, alors qu'il est évêque, le baiser au lépreux à Lutèce...). Cet esprit comprend encore compassion pour les malades, évangélisation, espérance et confiance en l'infinie bonté du Rédempteur, recours à la prière contre les embûches du démon."


    A gauche, "Saint Martin prêchant dans les bois de Touraine" par André Beauchant (1873-1958) (document, page 64) [MBAT]. A droite tableau de Félix Villé (1819-1907) [église Saint Martin des Champs à Paris (lien)] + sur le même thème un tableau [Anonyme XVIIème siècle, cathédrale de Tours, Maupoix 2018], un tableau sculpté d'origine indéterminée (lien) et quatre vitraux : 1 [église de Trémeheuc en Bretagne] 2 [église St Martin d'Olivet en Orléanais (lien) 3 [église d'Acigné, près de Rennes (lien) 4 [église de Beverley Minster en Angleterre, flickr Gordon Plumb]. Pour cette tâche, Martin est obéi par les moines de Marmoutier, comme le montre ce vitrail de l'église St Martin de Wimy dans l'Aisne [Nguyen DoDuc]. + image XXème siècle montrant Martin et le rôle des moines et prêtres dans l'encadrement de la population. Ci-dessous, vitrail de l'église St Martin de Ligugé [Maupoix 2018].



    A gauche, après un violent orage calmé par Martin, une fontaine jaillit pour laver ses plaies [église Saint-Martin de La Chapelle Blanche Saint Martin, atelier Lobin 1900/1912, lien). A droite résurrection d'un enfant [église Saint Martin de Marcilly en Gault, vitrail de Julien Fournier 1895, lien] + vitrail de l'église de Saint Martin du Lac, en Bourgogne, présentant Martin comme l'"apôtre des campagnes" [flickr Odile Cognard].


    Extérieur et intérieur de la chapelle St Laurent de Veigné, à droite chevet et source sacrée.
    + trois photos : 1 (la source, derrière la chapelle) 2 (entre séquoia et saule pleureur) 3 (photo Sylvie Clochard, mai 2021, P.-S.) . En de nombreux lieux de Touraine et d'ailleurs, le passage de saint Martin, le Martinus d'origine ou un continuateur dévoué, baigne dans un hallo de mystère, renforcé par le charme des vieilles pierres. Il est difficile de trancher, prenons cet exemple.
    Martin a-t-il bu à la source de la chapelle Saint Laurent de Veigné ? Elle se trouve à moins 10 km au sud de Tours, cela penche pour une réponse positive. L'historien Pierre Audin apporte d'autres arguments en son étude de 1997 "Les fontaines martiniennes en Touraine" : "Selon la tradition locale, un édifice païen protégeait une fontaine sacrée, vénérée par la population des environs. Saint Martin y vint et détruisit l'édicule, qu'il remplaça, sur la source même, par un modeste oratoire en bois "au toit de chaume", qu'il dédia à Saint Laurent. Cet oratoire fut remplacé vers le XIème siècle par un édifice en pierre, reconstruit au XVIème siècle : c'est l'actuelle chapelle, désaffectée depuis 1867. Un petit édicule maçonné abrite la source, tout contre l'abside de la chapelle. Jusqu'à la dernière guerre, la source fut fréquentée par les malades atteints de dartres. Bien que la fontaine soit comme la chapelle dédiée à Laurent, le site reste fortement imprégné du souvenir de saint Martin, dont chaque pèlerin évoquait le nom". Ces propos sont repris en 2017 dans un article de La NR et sur une page du site Monumentum. La contradiction vient par la page Wikipédia : "Cette légende, probablement basée sur une inscription présente au-dessus de la baie axiale de l'abside, doit être prise avec beaucoup de précautions. Il est plus probable que cette inscription presque illisible maintenant, attribuait la construction de la chapelle au chapitre de Saint-Martin, à l'époque romane". Un autre élément accrédite la première hypothèse : au pied de la chapelle coule le ruisseau Saint Laurent qui arrose ensuite le parc du château de Candé et c'est parce que Martin aurait béni ce ruisseau (encore la tradition...) que son propriétaire fit réaliser, en peinture sur émail par Giuseppe Devers en 1857, un tympan en céramique du partage du manteau ornant la porte d'entrée de la tour carrée du château [Wikipédia]. + dossier.

    Partout en Touraine ? Albert Lecoy de la Marche, en son livre de 1881, est un de ceux qui élargissent à l'extrême le champ d'action de Martin : "Nous retrouvons encore la trace du passage de Martin dans plusieurs autres localités de son diocèse, notamment à Neuilly, où il releva par la vertu du signe de la croix un arbre tombé qui encombrait la voie publique, arbre dont les fidèles arrachèrent plus tard l'écorce pour s'en faire des remèdes ; à Martigny ou Port-Martigny, près de Tours, où il alla souvent prier dans un oratoire qui subsistait encore au temps de Grégoire ; à Notre-Dame de Rivière, ancienne dépendance de Marmoutier, à laquelle ses visites firent une célébrité ; à Saint-Senoch, où un religieux de ce nom trouva, avec des ruines de constructions romaines, une vieille chapelle également fréquentée par lui, et la restaura. Il est probable que le saint pontife ne laissa pas en Touraine un seul bourg, ni surtout une seule église, sans y porter la lumière ou l'encouragement : une foule de légendes, pieusement conservées dans le pays, pourraient venir à l'appui de cette proposition. Nous voudrions avoir plus de détails sur le bien moral et matériel que sa présence produisit, sur l'état de ces chrétientés naissantes que sa prédication avait fait surgir dans les campagnes tourangelles, sur les progrès ou les réformes amenées par ses visites. Son biographe, malheureusement, ne nous en parle pas ; ébloui par l'éclat de ses miracles, il néglige presque tout le reste, et nous prive de renseignements qu'il devait à coup sûr posséder, mais qui avaient à ses yeux moins de prix.". Même s'il est vrai que Sulpice fut loin d'être exhaustif, les historiens modernes, notamment Luce Pietri, sont beaucoup plus réservés sur la prise en compte de ces indices...

    Sur un arrière-plan de destruction de statue romaine, Martin évangélise à la fois le citadin de Tours et le rural de la Touraine [Luc-Olivier Merson, Lecoy 1881, frontispice]. A droite, Martin prêche la lumière et repousse les ténèbres [1987, église de Dolni Loucky en République Tchèque, lien].


    A gauche, Martin, comme un officier, donne des instructions à ses disciples de Marmoutier [Maric - Frisano 1994]. A droite, après sa mort, il est montré comme exemple par un nouvel évangélisateur [Maître François 1460, BnF] + vitrail d'un prêche de Martin [église St Martin de Lure en Bourgogne] + encore avec la présence seulement spirituelle de Martin, ce tableau montrant une prédication de St Martin à Sienne en Italie [Sano di Pietro, LM 20018].

    Candes, dernière étape de l'itinéraire de Martin. A 81 ans, Martin était encore actif. Avec ses disciples, il avait parcouru une cinquantaine de kilomètres pour calmer une querelle entre clercs dans le bourg de Candes, maintenant appelé Candes Saint Martin, où il avait créé une église. Malade, il y mourut le 8 novembre 397. Refusant qu'il soit enterré sur place ou amené à Ligugé, son entourage tourangeau en pleine nuit subtilisa le corps de Martin pour le ramener par la Loire à Tours. Sur le passage de l'embarcation, la végétation aurait refleuri, les oiseaux auraient chanté des louanges comme un dernier hommage, c'est devenu l'été de la Saint Martin (autre lien). En présence d'une foule importante, Martin est enterré le 11 novembre. A cette époque de vénération de reliques (aggravée par Hélène, la mère de Constantin Ier, lien), l'acte consistant à garder et rester maître du corps d'un déjà saint n'était pas désintéressé, mais il témoigne, une fois de plus, de l'attachement des Tourangeaux à leur évêque. Candes a ensuite honoré Martin, qui y avait élevé une église dédiée à saint Maurice, avec une imposante collégiale Saint Martin, des XIIème et XIIIème siècle, classée monument historique dès 1840, avec un riche décor, notamment en son entrée. + article de Paul Antin 1964 "La mort de saint Martin".


    La mort de Martin à Candes le 8 novembre 397. A gauche, vitrail de Lux Fournier 1955 [église de Beaumont la Ronce en Touraine, Verrière 2018]. A droite case de Maric - Frisano 1994 + deux planches : 1 2 + planche de Proust - Martin, Froissard 1996. + gravure [LTa&m 1845] + gravure sur un dessin de Jacques-Emile Lafon [Lecoy 1881]. + deux fresques : 1 Simone Martini dans la chapelle Saint Martin à Assise, vers 1325 2 Johannes Aquila 1392 dans l'église de Martjanci en Slovénie (lien). + sept tableaux : 1 [Fidelis Schabet 1846 dans l'église St Martin d'Unteressendorf en Allemagne, Wikimédia] 2 [István Dorfmeister, Hongrie] 3 [Gebhard Fugel, 1910, Allemagne, Wikipédia] 4 [anonyme français XVIIIème siècle] 5 [abbaye Notre Dame d'Evron en Mayenne, flickr Logan Isaac] 6 [XVIème siècle, Maître de St Lazare, Valence] 7 [musée de los Caminos dans le palais épiscopal de Astorga en Espagne, flickr Santiago Abella] + six vitraux : 1 église St Martin le Grand d'York en Grande Bretagne, 1437 [flickr Lawrence OP] 2 église St Martin de Vendhuile en Picardie (lien) 3 [église St Martin d'Ammerschwihr en Alsace] 4 [atelier de Olivier Durieux 1873 à Reims, église St Martin de Wimy dans l'Aisne, flickr Patrick] 5 [église St Denis d'Amboise, atelier Lobin vers 1870, Verrière 2018] 6 église de Metz en Lorraine [atelier de Maréchal et Champigneulle, Nguyen DoDuc]. + deux illustrations de Semur 2015 : 1 (vitrail de l'église St Etienne de Chinon, atelier Lobin (+ son double très proche en l'église de Saint Patrice, en Touraine, lien) 2 (bannière de l'église Saint Martin de Landivy en Mayenne).
    Non recuso laborem. Les paroles de Martin prononcées avant de mourir "Non recuso laborem" ("Je ne refuse pas le labeur") renvoient à la force de caractère dont il faut faire preuve dans l'adversité. Elles ont acquis une certaine célébrité, comme en témoignent cette fresque de 1864 dans l'église St Brice de Montbazon en Touraine ou ce vitrail de l'abbaye d'Ampleforth en Angleterre [flickr Lawrence OP] ou cette image d'origine indéterminée [flickr Monceau]. + cinq blasons ou logos : 1 commune de Viviers lès Montagnes dans le Tarn 2 collège de Douvres en Angleterre (lien) 3 collège St Martin de Balacain aux Philippines (lien) 4 institution St Martin de Tours à Buenos Aires en Argentine (lien) (aussi un haut-relief de la bibliothèque Agustinana de cette ville, lien) 5 école St Martin à Johannesburg en Afrique du Sud (lien). Nombreux sont aussi les évêques à afficher cette devise sur leur blason, tel celui du bien nommé Mgr Aron Marton, évêque de Transylvanie en Hongrie (lien). Une autre sentence est liée à Martin et à son songe : "Quod uni ex minimis meis fecistis, mihi fecistis", ce qui peut se traduire par "Ce que vous faites au plus petit entre les miens, c'est à moi que vous le faites". Elle se trouve sur ce vitrail [Jozef Mehoffer, cathédrale de Friboutg en Allemagne, Nhuan DoDuc]. <


    A gauche, le corps de Martin évacué par une fenêtre [Proust - Martin, Froissard 1996] + les deux dernières planches: : 1 2. + la même scène en une gravure reprenant un vitrail de Candes [Lecoy 1881, d'après un dessin de Claudius Lavergne]. A droite retour du corps à Tours par la Loire, gravure de Luc-Olivier Merson [Lecoy 1881 + esquisse, Musée de Moulins] + fresque du même bateau, sous l'angle arrière, de Gebhard Fugel 1910 (Allemagne) [Wikipedia]. + gravure [LTh&m 1855]. Au centre l'évacuation et le retour [lettrine sacramentaire 1180 BmT] + sa gravure dans Lecoy 1881 + deux vitraux : 1 [cath. Chartres, flickr Paco Barranco] 2 [égl. St Martin de Fresnay, Normandie, lien].


    Photos de la collégiale de Candes (lien photo de gauche) + page sur Candes + photo en vue latérale + photo en vue aérienne + photos des décors : 1 2 3 4 5 6 + compléments 2023 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 + gravure XIXème siècle avec en avant-plan un "paquebot de la Loire" ["Histoire de la Touraine" Pierre Leveel 1988] +  trois gravures LTh&m 1855 : 1 2 3 + trois autres gravures : 1 [Lecoy 1881] 2 [Robida 1892] 3 [Bedel 1835] + une page du Magazine de la Touraine n°63 (1997) montrant que la collégiale était une église-forteresse. + trois illustrations extraites de la thèse de Claude Boissenot 2011 (699 pages, 22 Mo) : 1 2 3. + extraits d'un dépliant présentant la collégiale : 1 2. Ci-contre vitrail de Claudius Lavergne 1860.

    Là où Martin serait mort...
    Candes saint Martin : une belle collégiale dans un beau village au bord d'un beau fleuve : c'est un plaisir pour les photographes. Voici douze clichés provenant tous de la plateforme flickr : 1 [Rémi Marchand] 2 [Ivan Nadador] 3 [Ella] 4 [Guy Moll 2018, guymoll] 5 [Brian Dunning] 6 [jerome Beaulinette] 7 [France3744] 8 [Michel Purën] 9 [Florent] 10 [Jean-Loïc Marescot] 11 [Luc Méaille] 12 [Jean Christophe Coutand-Méheut] et ci-dessous [Ludovic Grenu] :

    A-t-on conservé le lieu où Martin est mort ? C'est possible, d'après l'article de Bertrand Lesoing dans le Collectif 2019 : "L'édifice de la fin du XIIème siècle est construit sur un site particulièrement malcommode, marqué par une forte déclivité. Plusieurs aménagements ont été nécessaires pour surmonter cet obstacle naturel. On peut se demander si la décision de construire un édifice d'une telle ampleur sur un site aussi accidenté ne s'explique pas par la volonté de conserver, pour reprendre l'expression de Grégoire, le lieu saint, gardant la mémoire des derniers instants de Martin." Ce même article explique que la collégiale dépendait de l'archevêché de Tours et non de la collégiale Saint Martin de Tours. Ainsi l'autorité épiscopale, repoussée sur les lieux saints de Tours et Marmoutier, s'exerçait sur un autre sanctuaire martinien chargé d'une force symbolique.



  9. Martin apôtre bagaude saccageur du patrimoine gaulois


    A gauche "Au temps des royaumes barbares", série "La vie privée des hommes", Hachette 1984, dessin Pierre Joubert
    Au centre et à droite, "Histoire de la Bretagne", textes Reynald Secher, dessins René le Honzec, tome 1 RSE 1991

    Les révoltes bagaudes. Du IIIème au Vème siècle, la Gaule est traversée par une guerre civile larvée qui voit des parties rurales importantes de son territoire (jusqu'aux deux cinquièmes) refuser de payer l'impôt de l'empereur et vivre de diverses manières, notamment autarcie et brigandages. Cela s'appelle les bagaudes, les insurgés sont les bagaudés. Ce phénomène a des conséquences importantes pour la sécurité du pays, aussi très menacé par les Barbares. Il est en effet difficile d'entretenir une armée quand les impôts rentrent mal. Vers 450, Attila a essayé en vain de s'appuyer sur les bagaudes, qui, in extremis, s'étaient ralliées à son ennemi Aétius. La fièvre était retombée, mais les bagaudes subsistaient (cela est discuté, Isabelle Drouin, dans son mémoire 2010 "L'identité bagaude aux IIIème et IVème siècle" estime qu'il y eut des brigands non bagaudés, différence ténue...). Elles ne disparaîtront qu'avec l'arrivée des Francs autour de l'an 500, plus tôt en Touraine, vers 448 d'après Luce Pietri [sa thèse, page 103]. L'état d'esprit bagaude est donc encore présent quand Martin devient évêque en 371. Auparavant, il s'était d'ailleurs heurté à une bagaude, dans les Alpes. C'est l'épisode dit "des brigands" ainsi résumé pour la première illustration ci-dessous : "En traversant les Alpes, Martin s'égara et tomba sur des brigands. Les bras en croix, il est attaché par les poignets à un arbre, un homme lève sur lui une hache qu'un autre retient ; un troisième, une lance à la main, se tient près de lui. Resté seul avec l'un des bandits, il va le convertir." .


    Martin victime de brigands de bagaude. A gauche en haut, miniature du "Martinellus" 1110 [BmT]. A gauche en bas, vitrail de la cathédrale de Chartres (lien), proche du vitrail de la cathédrale de Bourges, le vitrail de la cathédrale de Tours (baie 204) étant davantage différent et plus violent. + six autres vitraux : 1 [église St Martin de Les Bordes en Orléanais] 2 [Michel Foucher, église de Villy en Auxois en Bourgogne] 3 [église de Saint Florentin dans l'Yonne] 4 [collégiale St Martin de Colmar en Alsace] 5 [église St Martin de Wimy dans l'Aisne] 6 [église de Beverley Minster en Angleterre, flickr Gordon Plumb] + tableau de la basilique St Martin de Trévise en Italie [LM 2009-1]. A droite en haut, extrait de la même scène par Mestrallet - Fagot - d'Esme 1996 + deux planches : 1 2. A droite en bas, autre extrait par Brunor - Bar 2009 + deux planches : 1 2. + planche de la même scène par Maric - Frisano 1994 + par Proust - Martin, Froissard 1996 : 1 2.

    Maurice Bouvier-Ajam, dans "Les empereurs gaulois", 1984, estime que Martin est bien reçu en pays Bagaude : "Les évangélisateurs sont manifestement mieux reçus et écoutés en pays bagaude. Saint Martin (316-397), ce soldat pannonien qui quitte l'armée romaine pour entrer dans "l'armée du Christ", cet ascète qui deviendra malgré lui évêque de Tours, cet humble qui fait trembler les puissants, est et veut être l'apôtre des pauvres et des déshérités. A Amiens, en plein hiver, il fend son manteau en deux pour couvrir les épaules d'un miséreux. Il dénonce les survivances du paganisme comme responsable de l'oppression sociale et ne ménage pas ses critiques aux "seigneurs évêques" trop riches et trop orgueilleux des grandes cités.". Dans un pays soumis depuis des siècles à l'oppression romaine, régulièrement secoué par des révoltes, en un territoire divisé par le séparatisme bagaude, la destruction des statues romaines et des temples romains a été accueillie comme un soulagement, même si cela s'accompagnait du refus des croyances celto-gauloises, il est vrai moins (officiellement) vivaces et omniprésentes.

    Eradiquer les anciennes croyances pour imposer la sienne. Cette volonté de repartir sur de nouvelles bases, de changer de civilisation, de ne rien conserver du passé amène Martin à détruire les représentations du passé qu'il estimait "consacrées au démon" (Sulpice Sévère V.2 13.1). Dans un chapitre titré "Saint Martin christianise énergiquement les campagnes", Pierre Audin écrit en son ouvrage "Histoire de la Touraine" (Geste Editions, 2016) que l'évêque Martinus monta des expéditions "contre les temples païens qui subsistaient dans la région, tout en opérant des miracles et en christianisant les fontaines sacrées des Gaulois : il intervint ainsi à Candes, à Tournon saint Pierre et à Saunay, trois villages aux limites de son diocèse où il fait construire une église après avoir détruit le temple. A Amboise, Martin renverse une colonne votive...".

    Les faits de ce type étaient multiples, Langeais, Amboise, Levroux, Chisseaux, Autun, Châtres... Arthur Auguste Beugnot dans son "Histoire de la destruction du paganisme en occident" (1835) (lien), s'appuyant sur la "Vita Martini" de Sulpice Sévère : "Martin déployait dans les deux provinces qu'il avait choisies pour théâtre de ses exploits une ardeur belliqueuse qui ne cessa qu'avec sa vie". Luce Pietri, dans le colloque 1997 de Tours dédié à Martin lui attribue une stratégie militaire où "aux côtés du chef chaque soldat combat à son rang sur le champ de bataille" : "Car Martin a déclaré la guerre aux temples, avec pour premier objectif leurs destructions. Chaque fois qu'il le peut, il s'efforce de convertir d'abord les paysans par sa prédication et de les amener ainsi par la persuasion à renverser eux-mêmes les sanctuaires païens. Mais il se heurte en de nombreux cas à la résistance des ruraux attachés aux dieux de leurs ancêtres ; et c'est donc au contraire par une démonstration de puissance, dans une épreuve de force à l'issue de laquelle doit éclater la supériorité du Dieu des chrétiens sur les idoles, qu'il entend frapper les esprits et les amener à la loi du Christ."


    A gauche et à droite, gravures sur bois. Une idole païenne est décapitée [XVIIème siècle, lien], un arbre sacré est abattu (lien). Au centre, vitrail réalisé en 2003 par Norbert Pagé (1938-2012) dans l’église Saint-Martin de Marcé-sur-Esves présentant "Martin évangélisant les campagnes en brûlant les temples des faux dieux" (lien). + tableau de Franz Anton Zeiller 1753 dans l'église Saint Martin de Sachsenried en Allemagne (lien) + scène brodée anciennement dans la basilique Saint Martin de Liège, XIVème siècle. .


    Ce superbe vitrail (atelier Lobin, 1904) de l'église de La Chapelle Blanche Saint Martin (en Touraine) exalte la destruction d'un beau temple et d'un bel arbre avec l'encouragement de gentils petits anges guerriers... (liens : 1 2). Au fronton du temple en démolition l'inscription Tarvos Trigaranos désigne un dieu celte / gaulois, représenté par un taureau accompagné de trois grues (+ modele de l'image du fronton, lien).
    Un saccage miséricordieux ? Sur la vidéo de cette page, Bruno Judic essaye de relativiser la brutalité de ces deux scènes en espérant convaincre qu'il y a là, non pas de la violence, mais de la miséricorde... C'est l'occasion de signaler que Martin est souvent appelé "le miséricordieux", notamment dans l'église orthodoxe ; à ce sujet, on pourra lire ce document de David Gilbert (lien) (qui ne considère pas les démolitions et abattages comme des exemples de miséricorde).
    La pile de Cinq-Mars, le seul monument gaulois de Touraine ayant survécu, illustration de droite. Il subsiste en Touraine, en bord de Loire, à 20 km de Tours en aval, une tour de fin IIème ou début IIIème siècle, de 30 mètres de hauteur : la pile de Cinq-Mars, qui, heureusement, n'était pas un temple païen... Mais, plus tard, on l'a cru puisqu'au Moyen-âge on tenta de la vouer à Saint Nicolas... {J.-M. Couderc "La Touraine insolite" 1, 1989]. + illustration [collection Gaignières 1699] + gravure [LTh&m 1855] + gravure ["La Touraine", Maurice Bedel 1835] + page Wikimédia + lien RACF. Signalons aussi, mais sans le moindre soupçon d'utilisation religieuse, en grande partie détruit mais avec de beaux restes, l'aquaduc de Luynes, un peu en amont de Cinq-Mars (photo vers 1990). + deux illustrations du livre "recueil d'antiquités dans les Gaules" 1770 de Félix Le Royer de La Sauvagère ("ancêtre de tous les antiquaires" ?) (lien) : 1 la pile 2 l'aqueduc (l'auteur croyait alors que Caesarodunum pouvait être localisée à Luynes...). Comme vestige à peu près reconstituable, il reste le pilier d'Yzeures sur Creuse dont des blocs ont été retrouvés dans les fondations d'une église. Et c'est à peu près tout.

    Un prosélytisme violent. Le patrimoine gaulois, qu'il soit bâti religieux (temples dits "païens"), statuaire religieux (désignés comme "idoles") ou arboré (arbres ancestraux ayant le malheur d'être sacrés) est la cible de Martin et ses disciples. Seul leur dieu doit exister, les autres doivent disparaître. Des temples gaulois appelés fana (fanum au singulier), il ne reste que des soubassements. On en compte près de 700 qui ont laissé des traces, comme le montre Yves de Kisch dans un article de 4 pages de "Science et Vie Hors Série n°224 de 2003 (ici la première double page). Ce désastre patrimonial enclenché par Martin en Gaule est rarement souligné. Je n'en ai trouvé qu'une seule mention, en un article, non signé, du Magazine de la Touraine n°62, en 1997. Les historiens, en leurs écrits, semblent l'ignorer. Quant à se préoccuper des arbres...

    Des églises bâties sur des temples. Camille Jullian, dans "Histoire de la Gaule", 1920, admirateur de celui qu'il nomme "le principal héros du christianisme triomphant", confirme en lui donnant raison : " Il s'arrêtait dans les villages, allait droit au temple païen avec la troupe de ses disciples, convoquait ou ameutait le peuple, prêchait avec sa vigueur coutumière, c'était souvent la conversion subite et spontanée de la foule, le temple attaqué, les idoles mises en pièces, les murailles renversées, les pins sacrés abattus. Mais c'était parfois aussi, quand les paysans se montraient récalcitrants, de vraies batailles, et peut-être les soldats de l'empereur accourant pour prêter main-forte à l'évêque. En sa qualité d'apôtre, Martin tenait moins à convaincre qu'à vaincre, et la liberté des consciences ne l'intéressait guère. Mais il ne détruisait que pour rebâtir aussitôt. Des oratoires chrétiens se dressèrent sur les ruines des temples ; des prêtres de Marmoutier étaient laissés pour les desservir ; et les dévots des villages, au lieu d'être obligés à de longues courses pour aller adorer leur nouveau Dieu en l'église épiscopale, lui apporteraient leurs prières et leurs voeux par les chemins familiers du terroir et aux places traditionnelles de leurs assemblées : on avait changé la nature de leur divinité, mais on n'avait point touché aux sentiers et aux lieux de culte.". Parfois, des indices confortent cette appréciation, ainsi au mont Beuvray, dans le Morvan selon ce récit extrait de la page titrée "La fin du Paganisme en Gaule, les Temples remplacés par les églises". Toutefois, dans le Spécial Historia n°24 de 2015, Bruno Dumézil tempère ce jugement pour les monuments importants : "En réalité, l'implantation d'une église dans un ancien sanctuaire représente un phénomène rare. D'abord les lois romaines stipulent que tous les temples majeurs appartiennent à l'empereur. Or ce dernier n'a guère envie d'aliéner son patrimoine immobilier. Il faut ensuite considérer l'architecture des lieux. Un temple païen a pour vocation d'abriter la statue du dieu ; dans cet espace étriqué et voué au silence, les foules n'ont pas leur place. A l'inverse, les assemblées chrétiennes nécessitent des édifices spacieux et une bonne acoustique". Cela semble peu convaincant, car le temple apparaît détruit, ne gardant que ses fondations sur lesquelles l'église est construite avec les matériaux d'origine, dans une nouvelle configuration. Grégoire le Grand, pape de 590 à 604, l'a même écrit : " Il faut que les sanctuaires voués au culte des faux dieux soient consacrés au culte véritable, pour que les païens convertis l'adorent dans les lieux mêmes où ils avaient l'habitude de venir".


    Vitré (Ile et Vilaine) (lien).

    Condat sur Trincou (Dordogne), IIème siècle (lien)

    Origine inconnue (lien)
    Voici, en quelques sculptures ayant échappé à la destruction, une "idole païenne" facilement reconnaissable, le dieu tricéphale gaulois (passé, présent et avenir ?). Cette divinité aurait été détournée par l'église catholique pour représenter la Trinité en des "trifrons", voir cette page ou celle-ci. Pour en savoir davantage sur les dieux gaulois, on se reportera à la page de Jean-Louis Brunaux titrée "La religion gauloise".

    Martin hors-la-loi. Certes, les césars et empereurs régnant sur la Gaule à partir de Constantin Ier étaient chrétiens (sauf Julien de 355 à 363), certes l'empereur Gratien avait procédé entre 375 et 383 à la séparation du paganisme et de l'Etat, certes, le 8 novembre 392 (Martin a 76 ans), l'empereur Théodose avait prohibé la pratique du paganisme dans tout l'empire. Mais, même si en campagne les bagaudes ont estompé la domination romaine, détruire le bien d'autrui, privé ou public, était répréhensible à cette époque où s'appliquait le droit romain. Albert Lecoy de la Marche le reconnaît : "Saint Martin n'avait ni mandat ni permis ; il violait les lois de son temps" [Lecoy 1881, page 335]. C'est donc en hors-la-loi, comme un brigand de bagaude, que Martin s'est comporté, détruisant au nom de son dieu, comme les conquistadores le firent des siècles plus tard en conquérant l'Amérique. Il fallait que disparaisse la culture gauloise pour que s'impose l'idéologie chrétienne. L'humilité et la persuasion de Martin et ses continuateurs, soutenues parfois par des actes de fermeté et de brutalité, furent plus efficaces que des opérations armées.


    Destruction d'un temple de Jupiter [Luc-Olivier Merson, Lecoy 1881] (l'auteur s'est inspiré de la statue de Zeus / Jupiter Olympien par Phidias, illustrée en 1815 par Quatremère de Quincy). + sur le même thème, illustration d'origine indéterminée (lien), + tableau de Félix Villé en l'église Saint Martin des Champs à Paris, + vitrail de l'église de Noyers sur Cher, Loir et Cher [Julien Fournier 1886, Geneste 2018]. + deux vitraux de destruction de temple : 1 [Romilly sur Seine dans l'Aube] 2 [Nonancourt, en Normandie].

    L'église catholique ignore ou cache cette face sombre de Martin. Dans l'ouvrage "Saint Martin XVIème centenaire" (CLD 196), Guy-Marie Oury, moine de Solesme, minimise exagérément : "La campagne de destruction ne porterait que sur cinq ou six ans de l'épiscopat de Martin, celles qu'a connues Sulpice Sévère. Quand Martin, à la fin de sa vie, ordonne une destruction, c'est parce que les lois impériales le requièrent et que les autorités publiques ont reçu des ordres à ce sujet". Donc durant les 21 premières années de son épiscopat, il n'y aurait pas de destruction, puis sous le prétexte d'une interdiction de culte, Martin, aurait parcouru la campagne pour détruire les temples, ce qui va bien au-delà du refus du paganisme... La loi du 8 novembre 392 (texte exact, lien) ne recommandait pas du tout de détruire des temples ou abattre des arbres. Elle ne remettait pas en cause la liberté de conscience. Ce n'est qu'en 435 que Théodose II, régnant sur l'empire d'Orient, petit-fils de Théodose Ier (le dernier à régner sur l'Orient et l'Occident), a décidé de détruire tous les temples païens et encore, en Orient, cela ne se fait que de façon ponctuelle à cause "d'initiatives individuelles et non de l'application de lois générales", le processus de dégradation étant long [Catherine Saliou, "Le proche-orient", Belin 2020]. C'est bien par son intiative personnelle, s'affranchissant des lois et des comportements ordinaires que Martin, certes en précurseur, certes souvent, probablement, avec le soutien silencieux des autorités en place, pratiquait un prosélytisme énergique appelé évangélisation.

    Ce faisant, Martin a été un vecteur de christianisation des bagaudes. Il n'était certes pas le premier, puisque Maurice et ses légionnaires ont été massacrés pour avoir refusé de mater une révolte bagaude chrétienne (rappel : récit illustré, lien), mais cela ne se généralisa qu'à partir de Martin. Il a donné l'impulsion de la christianisation des campagnes sous le contrôle et l'énergie épiscopale. L'anecdote suivante, relatée par Bruno Pottier, est caractéristique : "Le culte dédié à un bandit à proximité de Tours supprimé par Martin vers 370 peut avoir été dédié en fait à un chef Bagaude de l’époque d’Amandus et d’Aelianus ou à un célèbre brigand local. Le maintien de pratiques d’inspiration celte de cultes héroïques dans la Gaule de l’Antiquité tardive ne serait en effet pas étonnant. On peut évoquer un parallèle relatif à une autre région de l’Empire. Nicetas, évêque de Remesiana dans le pays des Besses des Balkans, évoque à la fin du IVème siècle, parmi les erreurs païennes locales, le culte rendu à un paysan pour sa force exceptionnelle. Supprimer un culte dédié à un bandit permettait à Martin d’imposer l’exclusivité de son patronage sur les populations locales lors d’une période marquée par une forte agitation sociale. Martin de Tours est intervenu en effet à plusieurs reprises vers 370 pour protéger la population de son diocèse contre les abus de fonctionnaires".

    Maurice Bouvier-Ajam va dans le même sens : "Grâce à lui et ses disciples, la "bonne parole" est entendue des bagaudes, les fortifie dans leur volonté d'indépendance, mais adoucit leurs moeurs, les décide parfois à accepter une certaine frugalité et à renoncer à des expéditions profitables. L'église bagaude se fait éminemment populaire, charitable, le prêtre étant proche de ses ouailles, guide moral, source de réconfort, éducateur des enfants et souvent des adultes. Malgré les graves troubles qui engendreront les hérésies, elle ne contribuera pas peu à policer progressivement les Barbares."

    Selon le point de vue, on approuvera donc ou pas que "son "auctoritas" fut constructive" (Christine Delaplace dans "Histoire des Gaules"). En ce qui concerne saint Martin, face à l'évidence chrétienne, l'opinion païenne est trop souvent ignorée des historiens. Il convient toutefois de prendre en compte que les traditions celtiques se sont déjà estompées lors des premiers siècles de domination romaine. Dans son étude "Peut-on parler de révoltes populaires dans l’Antiquité tardive ?", Bruno Pottier [15 chapitre 30] le souligne à propos d'un débat entre chercheurs relatif à la persistance du druidisme dans l'Antiquité tardive : "Ce débat a cependant été mal posé. Il s’est en effet surtout axé sur la possibilité de l’existence en Gaule au IIIème et IVème siècle de véritables druides, comparables à ceux connus pour l’âge du Fer. Ceci est très improbable, étant donné l’absence de témoignages relatifs entre le premier siècle et l’époque d’Ausone. Relier ce rhéteur de Bordeaux, Phoebicius, à une lignée de druides armoricains montre seulement le prestige intellectuel que pouvait obtenir un individu se réclamant d’une telle tradition."

    Pour Bruno Pottier l'attitude intransigeante de Martin envers les traditions celtes n'était pas partagée par tous ses contemporains chrétiens, modérés (comme Ausone 309-394) ou non engagés religieusement (comme Eutrope décédé vers 390) [15 chap. 34] : "Eutrope a donc marqué un intérêt prononcé pour les traditions paysannes celtes. Il semble avoir été curieux comme Ausone de traits culturels celtes. Il pouvait ainsi comprendre, sans la justifier, l’étrange prise d’arme des Bagaudes." En cela, on ne peut pas dire que Martin agissait en conformité avec l'état d'esprit de l'époque. Il pouvait être considéré comme un "extrémiste" de la foi chrétienne...


    A gauche, Saint Martin ordonne à des païens d'abattre un arbre sacré [sacramentaire de la basilique Saint-Martin, vers 1180, BmT, Histoire de la Touraine par Pierre Audin [Le Geste, 2016)]. Au centre, l'arbre dédié à Cybèle est retombé sur les paysans, qui gisent assommés. Celui à terre armé d'une épée, montrait l’opposition violente à l'évangélisation de Martin. [vitrail de la cathédrale de Chartres, lien]. + quatre autres vitraux : 1 cathédrale d'Angers [Maupoix 2018] 2 église de Varennes en Ile de France [musée de Cluny à Paris, Catalogue 2016] 3 église St Martin de Chagny en Bourgogne [flickr Odile Cognard] 4 église St Martin de Ammerschwihr en Alsace [Nguyen DoDuc]. A droite, Martin imagine des démons pour éradiquer les croyances gauloises [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996]. + Le même "miracle du pin" sur un tympan de la basilique St Martin d'Ainay à Lyon, sur un chapiteau 1120 de la basilique de Vézelay dans l'Yonne [Lorincz 2001], sur un tableau de Franz Anton Zeiller 1743 [bibliothèque de l'abbaye de Pannonhalma en Hongrie Lorincz 2001], sur une tapisserie du trésor de la cathédrale d'Angers et sur un reliquaire de l'abbaye de Maredsous en Belgique (lien)

    Un précurseur faisant école. L'évêque de Tours eut une influence bien au-delà du peuple Turon, comme le souligne Christine Delaplace, dans "Histoire des Gaules", 2016 : "Evêques, moines, ermites missionnaires, tous reprirent, avec plus ou moins de zèle et de dons thaumaturgiques, l'exemple de Martin dans les campagnes du diocèse de Tours. La christianisation passa d'abord par l'éradication des coutumes païennes. La lutte, toujours spectaculaire et miraculeuse de l'évangélisateur avec les démons, suscitait les conversions collectives et la destruction des temples païens. Ce premier temps de la christianisation se prolonge jusqu'au VIème siècle dans certaines contrées reculées, si l'on en juge par certains épisodes de vies d'ermites rapportées par Grégoire de Tours". Un anathème est même lancé au concile d’Arles en 451, réunissant 44 évêques : "Si dans la juridiction de quelque évêque, des infidèles allument des torches, ou rendent un culte aux arbres, aux fontaines ou aux pierres ; si l'évêque néglige de détruire ces objets d'idolâtrie, qu'il sache qu'il est coupable de sacrilège. Si le seigneur ou ordonnateur de ces pratiques superstitieuses ne veut pas se corriger, après avoir été averti, qu'il soit privé de la communion."

    Martin, celui qui calma les bagaudes ? Durant l'épiscopat de Martin, les bagaudes sont fortes, sans être toutes en rupture avec le pouvoir central. Notamment Magnus Maxime, l'Auguste des Gaules de 383 à 388, que Martin a rencontré deux fois, a une "administration sage ; il destitue les administrateurs incapables que Gratien avait nommés ; il renonce à toute exaction, à toute pressurisation excessive ; il est populaire jusque dans les pays de bagaude" [Bouvier-Ajam]. Ces années d'accalmie vont cesser trois ans avant la mort de Martin : "A la mort de Théodose le Grand, donc à l'aurore de l'année 395, la Bagaude atteint en Gaule sa plus considérable ampleur et la conservera à peu de chose près jusqu'à la généralisation de l'installation franque, qu'elle facilitera plus qu'elle ne perturbera". Les Gaulois de bagaude, les Barbares et les Chrétiens, bien qu'initialement très différents, avaient pour volonté commune la chute de l'empire romain. Ils ne réussirent vraiment qu'en s'unissant et ils le firent sous l'égide du christianisme. Est-ce sous l'impulsion de Martin pour les Bagaudés, et, nous le verrons plus loin, sous celle de Clotilde, la Burgonde mariée à un Franc, pour les Barbares ? Le phénomène est complexe, car les Romains sont devenus chrétiens avant les Gaulois bagaudés et les Barbares, sans pour cela réussir à maîtriser la situation. Comme vient de l'indiquer Bouvier-Ajam, les Gaulois de bagaude acceptent l'Espagnol Magnus Maxime et refusent le Romain Théodose, tous deux chrétiens. L'aversion envers l'impérialisme romain ne permettra un apaisement qu'après sa chute. Avec un siècle et demi de recul, en 566, les participants du concile de Tours sont allés jusqu'à écrire, dans une lettre adressée à la reine Radegonde : "Avant saint Martin la foi apportée en Gaule, dès l'origine du christianisme, comptait peu d'adeptes, mais sa seule prédication a fait autant de conversions que celle des apôtres dans tout l'univers" [lien]. C'est en officier-prêcheur d'avant-garde que Martin a participé à l'éclosion d'un nouvel ordre européen.


    Musée St Rémi à Reims (lien), Bavay (Nord) IIème siècle (lien), Valliège (à côté d'Evian) (lien)



  10. L'écho religieux des miracles martiniens

    Sans miracle, Martin aurait-il évangélisé ? Ou est-ce parce qu'il a évangélisé que Martin a fait des miracles ?

    Son premier grand miracle : il ressucite un mort. Nous avons vu déjà plusieurs miracles de Martin, certains comme le partage du manteau, malgré la scène 2 du songe de Martin, pouvant ne pas être compris comme de véritables miracles. Le premier à vraiment l'être est le plus spectaculaire qui puisse être : ramener un mort à la vie. Il eut un fort retentissement, Martin fut dés lors considéré comme un saint. Cela s'est passé alors qu'il était exorciste en l'abbaye de Ligugé. D'après Sulpice Sévère :"Un jour, dit-on, saint Martin ayant dû s’absenter, un jeune catéchumène malade avait demandé à être baptisé d’urgence.  Les compagnons de Martin avaient tant tergiversé pour aller le chercher que le jeune homme était mort sans avoir reçu le sacrement. Martin, de retour, commença par pleurer, puis il fit sortir tout le monde de la cellule où gisait le corps. Demeuré seul, il pria avec tant de confiance et d’amour que deux heures plus tard le Seigneur permit une sorte de transfusion de vie entre le vivant et le mort. Le défunt ouvre les yeux, remue ses membres, se redresse et reprend vie.".


    La résurrection du catéchumène. A gauche la scène en un vitrail du XIIIème siècle de la cathédrale Saint Gatien de Tours (baie n°4) (le gros plan est superbe) + sa copie par Lucien-Léppold Lobin, 600 ans plus tard (1873) pour l'église de Rigny-Ussé en Touraine [Verrière 2018]. Au centre, "Saint Martin ressuscite un catéchumène" par Félix Villé, église Saint Martin des Champs, Paris (lien). A droite, vitrail d'Auguste Labouret [église Saint Martin de Ligugé, lien]. + tableau en apothéose de Godfried Maes [1687, église Saint Martin d'Alost, en Belgique] + fresque de Paul et Albert Lemasson, 1925, dans l'église Saint Martin du Cellier (lien) + trois vitraux : 1 [Amand Clément, église de Continvoir en Touraine, Verrière 2018] 2 [Louis-Victor Gesta dans l'église Saint Martin de Biscarosse, lien] 3 [église St Martin le Grand dans la ville d'York, en Angleterre, flickr Gordon Plumb].


    Dès 370, les miracles de Martin eurent un grand retentissement à Poitiers et au-delà, jusqu'à Tours... + planche [Maric - Frisano 1994] et une autre planche des mêmes auteurs racontant cinq miracles.
    Résurrection d'un jeune enfant, à droite [Lecoy 1881] + reproduction d'une tapisserie du XIIIème siècle, musée du Louvre, Lecoy 1881 + tableau de Fidelis Schabet 1846 dans l'église St Martin d'Unteressendorf en Allemagne [Wikimédia] + panneau central du retable en bois de noyer de l'église de Vic en Bigorre [Simon Boysson 1681] + deux vitraux du XIIIème siècle : 1 cathédrale de Chartres 2 cathédrale de Tours [baie n°204, Verrière 2018].
    D'autres résurrections. Deux miniatures présentant la résurrection de l'esclave Lupicinus qui s'était pendu : 1 ["Martinellus" 1110, BmT] (+ reprise complétée et commentée dans Lecoy 1881). 2 [manuscrit de Zwiefalten vers 1135, Maupoix 2018]. + vitrail de la cathédrale de Chartres + fresque où Martin rescite des soldats morts pour le Christ [Johannes Aquila, Martjanci en Slovaquie, Lorincz 2001] et une miniature à deux scènes, l'une avec le jeune enfant, l'autre avec les soldats, Miroir historial de Bruges 1455, par Guillaume Vrelant [BnF, Catalogue 2016]. On retrouve ces trois jeunes gens dans un vitrail de l'église St Martin de Nonancourt en Normandie [Nguyen DoDuc] et sur une fresque de Melchior Buchner en 1738 (lien).

    Martin thaumaturge Une des bases du succès de Martin est la réalisation de ses miracles : il est un thaumaturge, celui qui guérit de manière miraculeuse. Sulpice Sévère en fait l'essence de son livre, Grégoire de Tours fera de même deux siècles plus tard. Luce Pietri souligne que “c'est en partie grâce à ses succès de guérisseur qui soulage la souffrance des corps que Martin a conquis son pouvoir de médecin des âmes confiées à sa vigilance sacerdotale.” Un guérisseur et exorciste, avec des dons en psychologie et mysticisme, aurait des prédispositions pour accomplir des miracles. Sulpice et Grégoire eux, étaient doués pour en assurer la médiatisation. Et Perpet a su prolonger l'occurrence des miracles autour du tombeau. D'après Wikipédia : "Le sociologue Gérald Bronner n'obtient pas de différences statistiques significatives entre les miracles de Lourdes et les rémissions spontanées en milieu hospitalier (soit 1 cas pour 350 000)". Est-ce juste ? Quoiqu'il en soit, la scène la plus marquante, le partage du manteau, ne tenait pas d'un miracle et c'est une autre cause, tout à fait différente, du succès de Martin...


    Martin et les oiseaux. La palette des miracles de Martin est large et va bien au-delà des guérisons. En voici un exemple, à gauche dans l'église Saint Martin des Champs à Paris, dessin de Félix Villé (lien). "Des paysans, qui tiraient principalement leur subsistance de la pêche dans un lac, virent s’y abattre un grand nombre d’oiseaux qui pêchaient les poissons sans arrêt et les entassaient dans leur jabot. Craignant la perte de leurs ressources, ces paysans firent appel à saint Martin. Venu au bord du lac, celui-ci expliqua à la foule accourue que ces oiseaux étaient à l’image du démon. Ils tendent leur piège aux imprudents, les capturent et dévorent leurs victimes, sans pouvoir s’en rassasier. Seules la prière et la confiance absolue en Dieu en viennent à bout.  Au terme de son exhortation, saint Martin, faisant le signe de croix, commanda aux oiseaux de quitter les lieux et de n’y plus revenir, ce qu’ils firent immédiatement." Y-avait-il des martins-pêcheurs ? A droite la même scène par Luc-Olivier Merson ["saint Martin" Lecoy 1881]. + vitrail 1900 de l'église de Saint Martin le Hébert, en Normandie [Edouard Didron] + broderie islandaise, détail, vers 1400 [musée du Louvre, Collectif 2019]. Il y eut d'autres miracles mettant en scène des animaux, comme celui où Martin chasse le démon d'une vache furieuse (reproduction d'une tapisserie, musée du Louvre, Lecoy 1881) ou celui de l'ours porteur de bagages (article de Fasc. NR 2012).


    La guérison des malades est un grand classique de la vie des saints et Martin sait y faire. A gauche, panneau de l'atelier du Maître de Janosret 1483 [retable 1483 de l'église de Csereny / Cerenany en Slovaquie avec au centre Martin, Jean l'évangéliste et Nicolas, Musée National de Hongrie à Budapest, flickr Rex Harris]. Au centre, tableau de Johann Lucas Kracher 1770 [église St Martin de Tiszapuspoki, Hongrie, Lorincz 2001]. + autre tableau [1605, Vérone en Italie, Zeno Donise, lien]. A droite, une sculpture de l'église St Martin in the Bull Ring à Birmingham en Angleterre [flickr Glass Angel]. + cinq vitraux : 1 [église St Martin de Sucy en Brie] 2 [église St Martin de Wimy dans l'Aisne] 3 [église St Martin de Metz] 4 [collégiale St Martin de Colmar en Alsace] 5 guérison d'une paralytique à Trèves devant l'ébahissement des témoins [cathédrale de Chartres, flickr Paco Barranco]. Dans la plupart de ces illustrations, le faste des habits de Martin apparaît inconvenant, au contraire de sa simplicité dans les deux illustrations précédentes de Villé et Merson.


    A gauche, "Saint Martin et le lépreux de Paris" par Joseph Blanc [Lecoy 1881].
    Le baiser au lépreux. Huit versions en vitrail [Semur 2015] : 1 Julien Fournier 1886, église Saint Martin de Continvoir en Touraine 2 Jean Clamens, 1906, église Saint Martin de Beaupréau, en Anjou (lien) 3 [cathédrale de Bourges] 4 [cathédrale de Chartres] 5 [abbaye Saint Martin de Massay] 6 [Edouard Didron, église de Saint Martin le Hébert en Normandie] 7 [église de Louveciennes en Ile de France, flickr Patrick Berthou] 8 [église de St Martin de Fresnay, Normandie, lien]. + tableau de Félix Villé dans l'église Saint Martin des Champs à Paris + miniature du "Martinellus" 1110, BmT + broderie du musée des tissus à Lyon [Maupoix 2018] + fresque de Gebhard Fugel 1910 (Allemagne) et, sur Paris même, une fresque dans l'église St Nicolas des Champs (lien).
    A droite, "Le baiser au lépreux", gemmail 1988 des gemmistes de France, réalisé d'après une toile de René Margotton [basilique St Martin de Tours, flickr melina1965]. Tours eut un musée du gemmail, fermé en 2011 (article La NR 2012). + affiche du musée.


     
    [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996]. Martin aurait aussi rescité un jeune homme : tableau de Sébastien Bourdon [collection Changeux, Paris, LM 2008-2].


    Saint Martin chez les orthodoxes et les protestants luthériens. En tant que saint de l'Eglise orthodoxe, Martin bénéficie d'un hymne acathiste, chant d'action de grâces avec une représentation iconique. A gauche l'icône correspondant à cet acathiste [paroisse orthodoxe française, rue Saint Victor, Paris Vème]. Puis une autre icône, réalisée par Alain Chenal 1995, avec sa présentation (lien) + quatorze autres : 1 2 3 4 5 6 7 8 [Louise Marie Rosseli] 9 10 11 avec commentaire (lien) 12 [père Silouan de New-York, flickr Jim Forest, lien] 13 (lien) 14 [Monique Roumy, lien]. + mur porteur d'icônes dans l'église (catholique) Saint Martin d'Ardentes dans l'Indre [La NR 2018]. Saint Martin donne aussi son nom à des églises allemandes protestantes, que cette nomination soit antérieure à la naissance du protestantisme ou postérieure. Plus à droite statues (de 1984) à l'Eglise Saint Martin (Martinskirche) de Sindelfinge et un vitrail de l'église Saint Martin de Bonn. + vitrail d'Edouard Hosch sur un dessin d'Ernest Biéler 1900 dans le temple St Martin de Vevey en Suisse [Wikipedia] + image de Martin, par Theophilia, dans l'église St Martin de Louiville aux USA (Kentucky), sur un site luthérien (lien).


    Luther, père du protestantisme, se prénommait Martin. Il fut nommé et baptisé un 11 novembre (1483), le lendemain de sa naissance, en l'honneur de l'évêque tourangeau + la planche. Il y eut ensuite un Martin Luther King, mais il est né au mois de janvier (1929)...
    Martin, un saint protecteur ? Pour être nommé patron de Tours et d'autres villes, ou pour être considéré comme l'apôtre des Gaules puis le patron des royaumes francs et carolingiens, Martin a souvent été considéré comme un saint protecteur. Aussi pour la guerre de 1914-1918 (ex-voto de 1915 dans la basilique de Tours, LM 2008-2), on le reverra plus loin. Toutefois, la traduction artistique apparaît faible. Il y a tout de même une fresque de l'église St Martin de Palestro en Italie, où Martin protège la ville des affres de la bataille de Palestro en 1857 [LM 2008-1].

    Martin prônait la fin de l'esclavage. Voici l'histoire de Martin et Tétradius (lien) : "A la même époque [vers 380-386], l'esclave d'un certain Tetradius, un ancien proconsul, donc de haut rang, vivant peut-être en retraite dans l'un de ses domaines, était possédé d'un démon qui le torturait atrocement. Saint Martin donna l'ordre de faire amener le malade, mais il était impossible de l'approcher, tant il se jetait à belles dents sur ceux qui s'y essayaient. Tetradius supplia alors Martin de descendre lui-même jusqu'à la maison. Mais Martin refusa, car Tetradius était encore païen. Ce dernier promit de se faire chrétien si le démon était chassé de son jeune esclave. Alors, Martin accepta, imposa les mains sur le possédé et en expulsa l'esprit impur. C'est le geste rituel de l'exorcisme, que le prêtre orthodoxe utilise encore au cours de la célébration du catéchuménat. A cette vue, Tetradius eut foi dans le Christ et devint aussitôt catéchumène et reçut peu après le baptême. Il garda toujours une affection extraordinaire pour Martin.". Il est probable que, dans cette scène qui se passe à Trèves, Martin ait eu plus de compassion pour l'esclave que pour Tétradius, car, de façon constante comme d'autres chrétiens à l'époque (notamment Mélanie la Jeune, on le verra plus loin), il traitait les esclaves d'égal à égal. C'était déjà ainsi lorsqu'il était militaire avec l'esclave qui lui était attribué.


    A gauche, Martin achète des esclaves pour les libérer [église de Sorigny en Touraine, atelier Lobin, lien]. Au centre, Martin délivre un démoniaque, l'esclave de Tetradius qui observe la scène d'en haut [Jacques Jordaens 1630 [Musée de Bruxelles] + quatre variantes : 1 [National Gallery of Art, Washington, lien] 2 (lien) 3 [Bristish museum] 4 (esquisse). + reprise en gravure [Lecoy 1881].
    Martin, Tetradius et les généalogistes Martin n'eut pas de descendant, on ne lui connaît pas de neveux et on ne sait presque rien de son ascendance. Aucun généalogiste ne peut donc prétendre être de sa famille. Mais, si on est remonté jusqu'à Charlemagne, on a un ancêtre, Tetradius (335-387), qui a connu Martin et a bénéficié d'un de ses miracles, comme expliqué ci-dessus.
    Autres représentations de Tétradius, son esclave et Martin : sur un vitrail de la cathédrale de Chartres, le possédé est fermement tenu, les bras liés, le proconsul Tetradius a une coiffe jaune, signe de son paganisme. [vitrail de la cathédrale de Chartres, lien], sur une broderie du Musée des Tissus de Lyon [Maupoix 2018] et sur une tapisserie, le démon sort par la bouche de l'esclave [collégiale Saint Martin de Montpezat de Quercy].

    Les hallucinations de Martin. A côté des miracles qui peuvent avoir une assise dans la vie réelle, on peut considérer que Martin effectue une transcription religieuse de ses rêves quand il annonce rencontrer de temps en temps les saints Pierre et Paul et la vierge Marie entourée de sainte Agnès et Sainte Thècle (résumé de l'épisode, lien). A gauche, tableau d'Eustache le Sueur [1654, Musée du Louvre]. A droite, fresque de Félix Villé [1897, église Notre Dame des Champs à Paris, flickr P.K.]. + vitraux de Thècle, Marie et Agnès dans la basilique St Martin de Tours [atelier Lorin 1900, lien].

    Terminons ces prodiges de Martin par là où nous les avons commencés, le partage du manteau aussi appelé "la charité de Martin" ou "La charité d'Amiens". Il existe la deuxième charité de Martin, aussi appelée "la charité de Tours", "le pauvre de Tours" ou "la messe de saint Martin ou "le miracle du globe de feu" ou de la boule de feu. C'était du temps où l'évêque Martin officiait en son église Saint Maurice (rappel : à l'emplacement de l'actuelle cathédrale). En préparation de son sermon, il donna, discrètement, une partie de ses habits avec un pauvre homme. Comme pour la première Charité, où Martin voyait en songe Dieu prenant les formes du mendiant avec sa demi-cape, une vision moralisatrice et christologique apporte une conclusion : Dieu place une boule de feu au-dessus de la tête de Martin lors de son sermon. Dans les deux charités, les deux scènes peuvent être présentéesl'une sans l'autre et la seconde scène, importante pour les croyants, peut apparaître accessoire, rêvée, voire inventée. Mais, cette fois-ci, c'est la seconde scène qui est beaucoup plus connue que la première.


    Scène 1 : la charité de Tours. A gauche, case de Proust - Martin, Froissard 1996 + deux planches : 1 2 (sans le miracle du globe de feu) + la même scène en tapisserie [collégiale Saint Martin de Montpezat de Quercy, flickr apaillous]. Au centre, tableau de l'église St Martin de Souvigny en Sologne [1629, Collectif 2019] + photo en son environnement. + le récit qu'en fait Sulpice Sévère en ses "Dialogues" (ce sont des écrits postérieurs à la Vita Martini)
    Un évêque faisant aumone. Assez bizarrement, cette scène de la charité de Tours traitant d'un don de vêtement, est confondue avec un don d'aumone. Ainsi, à droite, Lecoy de la Marche a titré la reproduction d'une lettrine "Saint Martin et le pauvre de Tours" [lettrine du livre d'heures du marquis de Paulmy, XVème siècle, BnF, Lecoy 1881]. Il en est de même pour les sept illustrations suivantes : 1 image néerlandaise (lien) 2 estampe d'Anton Wierx vers 1550 [Pays-Bas, lien] 3 anonyme vers 1560 (lien). 4 Frei Carlos (peintre portugais d'origine flamande) vers 1530, où Martin est accompagné des saints Vincent et Sébastien [musée Alberto Sampaïo, lien] 5 Wouter Michiels van Zammel, 1631 [église St Dimpnakerk d'Anvers en Belgique, flickr groenlig] 6 [Hans Holbein le Jeune, Lecoy 1881] 7 atelier du Maître du martyre des apôtres 1490 [musée chrétien d'Esztergom, Hongrie, Lorincz 2001].
    Aumone et partage du manteau. Assez bizarrement, l'aumone est aussi associée à la charité d'Amiens. En voici deux exemples sur des miniatures : 1 [Livre d'heures de Catherine de Clèves vers 1440 en Belgique, flickr Peter] 2 ["La légende dorée", bibliothèque de Mâcon, Semur 2015].


    Scène 2 : le miracle du globe de feu au-dessus de la tête de Martin. A gauche, tableau "La messe de saint Martin" d'Eustache le Sueur [flickr Ondra Havala]. Ce tableau et celui du même peintre montré un peu plus haut, tous les deux aujourd'hui au musée du Louvre à Paris, ont été peints, vers 1654, pour l'abbaye de Marmoutier (lien). Au centre, "La messe de saint Martin", tableau du XVIIIème siècle [abbaye St Martin de Mondaye (Calvados), Maupoix 2018]. A droite, vitrail de Max-Ingrand, vers 1960, dans l'église St Symphorien d'Azay le Rideau [Verrière 2018].
    La scène la plus représentée après le partage du manteau ? On la trouve sur une sculpture de la cathédrale St Martin de Lucques (Italie), sur un reliquaire de l'abbaye de Maredsous en Belgique (lien), sur un tableau d'un anonyme vers 1440 [musée de Allentown, USA, flickr Itinerant Wanderer], deux vitraux en Touraine, de l'atelier Lobin : 1 Truyes (presqu'identique à celui de Rochecorbon) 2 Semblançay (lien) et deux autres de l'atelier Fournier, le père Julien en 1896 et le fils Lux en 1936 : 1 Mareuil sur Cher (atelier Fournier, lien) 2 Chambourg sur Indre. Ce dernier et un vitrail de Rigny-Ussé sont comparés et commentés par Verrière 2018. Et ces sept vitraux : 1 copie du tableau de Le Sueur [église St Martin d'Avallon en Bourgogne, flickr Grangeburn] 2 [église St Martin de Baugy dans le Cher], 3 [chapelle St Martin de l'abbaye de Bourgueil] 4 [église de l'Sucy en Brie] 5 [église St Martin de Lure en Bourgogne] 6 [cathédrale d'Evreux en Normandie, flickr Walwyn] 7 [Jacques le Chevalier, église St Martin de Le Cateau-Cambrésis en Picardie, flickr Patrick]. Continuons avec une reproduction d'un vitrail du Mans [Lecoy 1881], un tableau de Claude-Amédée Bidot en l'église St Aignan de Meilly sur Rouvres (Franche-Comté), un dessin de Giovanni Lanfranco ver 1640 [New York, The Metropolitan Museum of Art, lien], un tableau de Félix Villé à Saint Martin des Champs, Paris vers 1895, un tableau italien d'origine indéterminée [LM 2007-1], une sculpture sur bois, église de Savigny en Véron, Touraine (lien), une image du milieu du XXème siècle.
    Les scènes 1 et 2 sont réunies sur ce panneau gauche d'un retable de l'église de Joch dans les Pyrénées (lien). Terminons par la réunion de la scène 1 de la charité d'Amiens et la scène 2 de la charité de Tours dans un vitrail [église de La Roche Clermault en Touraine] et dans un tableau de François Fayet 1674 [cathédrale de Montauban, Wikipédia].


    [Maric - Frisano 1994] + la planche.



  11. Martin sous toutes les formes artistiques

    Arts graphiques et sculpture seront traités dans ce chapitre. L'architecture et la littérature le seront dans des chapitres suivants. La musique sera traitée autour de Jean de Ockeghem, ci-après, dans l'évocation de chants religieux. Le théatre sera évoqué ci-après à travers un mystère du Moyen-âge (+ illustration reprise plus loin), auquel s'ajoute une autre pièce décrite et illustrée sur cette page du Maupoix 2018. Il y en eut bien sûr d'autres avant d'arriver au XXIème siècle et "L'affranchi de Tours" de Djamel Guesmi en 2008 (article LM 2008-5) et "La vie de saint Martin" en 2014 d'Alain Pastor (article du Mag Touraine HS novembre 2015). Les bandes dessinées sont traitées de façon presque exhaustive. Donc, même si la vision est parfois partielle, même si le cinéma a oublié Martin (mais un solide documentaire télévisuel de Arte a déjà été signalé ci-avant), il n'est pas excessif d'estimer que toutes les formes d'art se sont intéressées à celui qui a partagé son manteau.

    Martin fut-il vraiment l'apôtre des Gaules ? Vers 390, l'évêque de Tours est connu dans toute la Gaule. Quinze années plus tard, avec les écrits de Sulpice Sévère qui en font l'égal d'un apôtre, sa renommée s'étend sur tout l'empire romain. Toutefois : "Bien qu'il soit sorti plusieurs fois de son diocèse et même qu'une tradition en fasse « un des apôtres, le treizième auquel a été réservée l'évangélisation de la Gaule (L. Pietri) » (p. 70), il est clair que s'il « est intervenu avec éclat en dehors de son diocèse, ce fut occasionnellement » (p. 69) ; cet apostolat dans toute la Gaule est donc une légende à écarter" [Charles Lelong, Michel Carrias, en un article de 1997]. Quoiqu'il en soit, la renommée de Martin fut celle d'un apôtre, bénéficiant au cours des siècles d'innombrables illustrations sur tous les supports possibles.


    1) terre cuite polychrome (hauteur 38 cm), collégiale St Martin de Trôo (Loir et Cher) vers 1600 [Catalogue 2016] (P.-S. : sur place et vitrail) 2) Statuettes des églises de région parisienne élargie (lien) + autre planche avec quatre statuettes. 3) Statue de la ville de Twello aux Pays-Bas [photo flickr Willem Alink]. 4) tympan de l'église St Martin de Villers-sur-Mer, Calvados.
    Statuettes et statues s'intérieur. En voici dix-huit : 1 vers 1520, sud de la Souabe, Allemagne [château-musée de Saumur, Catalogue 2016] 2 deuxième moitié du XVIème siècle à Crépy en Valois dans l'Oise [photo Jean-Michel Guinot, musée de Crépy, lien] 3 église de Great Mongeham en Angleterre [flickr Jeltex] 4 première moitié du XVIème siècle [musée Santa Cruz de Tolède en Espagne, flickr Pepbear] 5 Croatie XVIème siècle (lien) 6 église de Ligueil en Touraine 7 [musée d'histoire du Danemark, flickr Thomas Quine] 8 [église St Ferréol de Saint Fargeau, Ile de France) 9 [cathédrale de Valladolid en Espagne, flickr albTotxo] 10 [Frederick Charles Shrady, New York, LM 2008-2] 11 [Pays-Bas XVIIème siècle, musée d'Aix la Chapelle, Colloque 1997 SAT] 12 [vers 1490, musée de Cleveland en Angleterre, Wikimedia] 13 [début XVIIème siècle, Pietro Bernini, musée de Naples, Wikimedia] 14 [Lancusi en Italie, lien] 15 (Bonn en Allemagne, lien) 16 (Egid Quirin Asam 1720, lien) 17 Fresnoy le Luat dans l'Oise [musée du valois, lien] 18 [Georg Rafael Donner 1735 Bratislava en Slovaquie, flickr Victoria Lea B]. + deux autres en Touraine, sélectionnées dans le portfolio du Mag. Touraine HS 2015 : 1 (église St Martin de Berthenay) 2 (église St Martin de Cangey). De nombreuses statuettes présentent Martin en évêque impersonnel reconnu seulement par une inscription, comme sur cette page du Semur 2015. Et quatre statues habillées ou semi-habillées : 1 église de San Martín de las Pirámides à Mexico [flickr 2009] 2 à Taal en Philippines (lien) 3 église de Bocaue en Philippines [flickr Fritz Rinaldi de Asis...] 4 église de Bingen am Rhein en Allemagne [flickr Hen-Magonza].
    Figurines. Statuettes de petite taille, on en trouve en vente. Cette figurine de résine peinte à la main (21 cm de hauteur), sans cheval et avec cape rouge, est disponible sur cette page du site "La boutique de l'espérance", et cette autre figurine, de 14 cm, l'est sur cette page du site "Traditions monastiques". + d'autres figurines ou santons : 1 2 3 4 5. 6 7 8 9 10. 11 12 13 14 15. 16 17 18 19 20. 21 22 23 24 25. 26
    Statues d'extérieur. En voici onze : 1 (Hongrie, lien) 2 surmontant une fontaine (1935, Cochem en Allemagne, flickr onnola] 3 (Ligugé, lien) 4 [Piqua aux USA, flickr tomcomjr] 5 [église de St Martins in the Fields à Londres, flickr Patrick] 6 [Odolanow en Pologne, Wikipédia] 7 [abbaye Saint Martin de Weingarten en Allemagne, flickr Frank Lammel] 8 (Pologne, lien) 9 trait d'union entre deux lieux de pélerinage, offert par le diocèse de Tours en 1929 [sur l'esplanade de la basilique de Lourdes, flickr Lawrence OP] 10 [A. Edelstahl 1997, Mayence en Allemagne, LM 2007-3] 11 [Carl Miles 1955 (original à Herserud en Suède, flickr Gösta Knochenhauer), Lidingö en Suède, flickr Gösta Knochenhauer, lien]. Et admirons l'élégance de la sculpture de Anna Chromy à Roquebrune Cap Martin sur la côte d'azur [LM 2008-2]
    Tympans et frontons sculptés. Treize tympans : 1, église St Séverin de Paris, par Jacques-Léonard Maillet 2, cathédrale Notre Dame de Paris (lien + sa gravure dans Lecoy 1881) 3 église St Martin de Bussy-Albieux, dans la Loire 4 église St Martin d'Amiens (lien) 4 église St Martin de Los Angeles, USA (lien) 6 église de Louisville aux USA [flickr M W] 7 église de Brampton en Angleterre (on croirait un bas-relief romain d'époque...) [Ellen Mary Rope 1906, flickr Rex Harris] 8 cathédrale d'Ourense en Espagne [flickr Milan Tvrdy] 9 église St Martin de Nàdasd en Hongrie où martin habille le Christ [LM 2008-1] 10 église de Villalonga del Camp [Maupoix 2018] 11 1916, 1600ème anniversaire de la naissance de Martin, sur le tympan de l'église de Olten en Suisse [flickr Hurni Christoph] 12 église St Martin de Beaupréau en Anjou [Semur 2015] 13 église >St Martin de Pise en Italie [Maupoix 2018] (P.-S.). La statue de Martin dans la nef de l'église St Martin de Cires lès Mello dans l'Oise a la particularité de reprendre la sculpture du tympan (photos Dominique Vermand, lien]. Pour les tympans et frontons peints, voir les façades ci-avant.
    Hors catégorie, un carreau de poêle en terre vernissée du XVIIème siècle en Hongrie [Lorincz 2001].


    Basse, à mi-hauteur ou haute... A gauche statue à SaintMartinville en Louisiane aux USA [LM 2008-2]. Au centre statue dans la ville de Nagymaros en Hongrie (lien + autre vue) A droite, statue de la cathédrale de Liège en Belgique [flickr Live From Liege + vue d'en bas, photo Jean-Pol Grandmont]. + six autres statues : 1 en Hongrie, vandalisée (la crosse à terre), article 2 à Dugo Selo en Croatie [LM 2007-2] 3 à Arlon en Belgique, où, en double, l'évêque bâtisseur partage son manteau [LM 2007-2] 4 sur une fontaine du monastère St Martin de l'Escalier à Palerme en Italie [LM 2007-3] 4 à Lerné en Touraine [Semur 2015] 6 [François Alfred Grevenich, église de la Madeleine à Paris, lien).
    En haut du clocher ou du pignon, ou du dôme... La statue de Martin surplombe les alentours, comme en la basilique de Tours. Voici cinq de ces statues : 1 église St Martin d'Ambleny en Picardie où Martin semble devenir Bouddha [flickr Marc Roussel] 2 église St Martin de Cadillac en Gironde [flickr mconn19 + vue d'en bas] 3 église St Martin de Vitré en Bretagne [Wikipédia + vue d'en bas] 4 sur la porte d'entrée de la vieille ville de Martina Franca en Italie [flickr Marie-Hélène Cingal + vues d'en bas avant et après nettoyage] 5 église de Nouans les Fontaines en Touraine (photo Marc Jauneaud 2016.
    Bas-reliefs ou hauts-reliefs. Dans une porte de l'abbaye de Ligugé [photo flickr Martin], sur un chapiteau [abbaye de Moissac en Aquitaine, flickr Alien'or], sur une dalle funéraire d'un dénommé Jean Pauli [XVème siècle, collégiale de Liège , Maupoix 2018]. Une sculpture adossée le long d'un mur [église St Martin de Chevreuse en Ile de France, flickr Oeil de verre]. Six bas-reliefs  1 1997 dans la cathédrale d'Amiens (lien) 2 de petite taille réalisé par Patrick Damiaens avec expication sur sa réalisation en cette page de son site 3 à Trévise en Italie [LM 2008-1] 4 cathédrale de Nevers en Bourgogne (lien) 5 église de Bassenheim vers 1240 (en Allemagne la représentation la plus célèbre de Martin) [Maître de Naumbourg, Catalogue 2016] 6 Musée de la Chartreuse St Martin de Naples [Maupoix 2018] (P.-S.). Deux hauts-reliefs : 1 place du marché à Lviv en Ukraine [LM 2006-2] 2 campo St Martin à Venise en Italie [LM 2007-2]. Remarquons quatre bas-reliefs en bronze, de facture récente, sur la porte de la cathédrale de Szombathely en Hongrie (liens :1 2) : 1 2 3 4. Et un autre bronze de l'artiste allemand Joseph Krautwald (largeur 8 cm, lien). Et, probablement en plâtre peint, une sculpture sur mur à Evenos dans le Var [flickr Only Tradition].
    Des sculptures peintes. En voici trois, sur le partage du manteau, provenant de flickr : 1 église St Martin de León en Espagne [manuel m. v.] 2 église de Maastricht aux Pays-Bas [Bim Bom]
    Et une sculpture en cours de réalisation [Raymond Debenais, Mag. Touraine n°62 1997]...

     
    Mosaïques et enseignes. Nous avons vu ci-avant que la plus ancienne représentation connue de Martin est une mosaïque de Ravenne. A gauche, 1892, église St Martin d'Eindhoven aux Pays-Bas [flickr Frans van Beers]. Au centre, église Saint Martin de Worms en Allemagne [flickr Hen-Magonza]. A droite en haut, enseigne de l'hôtel Saint Martin à Colmar [flickr filoer]. A droite en bas, enseigne de pélerinage présentée dans l'encadré dédié ci-dessous..
    Mosaïques En voici cinq autres : 1[église St Martin de Nieppe dans le Pas de Calais, lien] sur une 2 (origine italienne) 3 [église St Martin in the Fields à Londres, flickr Henk Schrijvers] 4 [Barcelone, la Caixa del Clot, succursale St Martin, flickr Arnim Schulz + vue d'en bas] 5 [2019, église de Tampa aux USA, flickr giveawayboy]. 6 Marguerite Naville 1930, église St Martin de Lutry en Suisse [flickr Jean-Louis Pitteloud]
    Enseignes. En voici sept : 1 camp de rassemblement (lien) 2 église Saint Martin de Worms en Allemagne [1915, flickr Hen-Magonza + vue d'en bas] 3 à Candes Saint Martin [flickr Carlos Pinho] 4 hôtel à Auxerre dans l'Yonne LM 2006-2 5 auberge à Bouilland en côte d'Or LM 2006-2 6 restaurant en bord de Garonne à Langoiran [LM 2008-5) 7 à La Canourgue en Lozère [LM 2009-1]. Et pourquoi pas un réverbère à Londres [flickr Glass Angel] ?
    Enseignes de pélerinage. Ce sont des petites plaques de plomb, médailles ou figurines, qu'on pouvait accrocher à un vêtement et que l'on rapportait comme souvenir d'un pélerinage. Dans le [Catalogue 2016], Véronique Moreau en fait la présentation avec en illustration, ici ci-dessus à droite en bas, une enseigne de pélerinage plomb-étain (4,5 cm < 5,2 cm) trouvée à Paris dans la Seine. Ce type d'objet populaire est maintenant rarissime. + deux autres objets martiniens trouvés dans la Seine par Arthur Forgeais [Lecoy 1881] : 1 plombs 2 autre enseigne de pélerinage (commentaire de son découvreur).


    Clés de voûte. Ci-dessus, en l"église St Martin de Tours de Salamanque en Espagne [flickr ctj71081 + gros-plan, flickr Lawrence OP]. En voici quatre autres : 1 [collégiale St Martin de Colmar, lien] 2 [église St Martin de Groningue aux Pays-Bas, flickr groenling] 3 église St Martin le Grand dans la ville d'York, en Angleterre (lien) 4 église St Martin de Vendôme [XVIème siècle, Lecoy 1881].
    Des céramiques martiniennes. Sept céramiques de partage du manteau : 1 émail limousin fin XIIème siècle [Musée de la cathédrale d'Ourense, Maupoix 2019] 2 (lien) 3 4 5 (Paul Bony 1973, église St Martin de Masevaux (Haut Rhin), lien) 6 église Notre Dame de Chambly en Picardie (lien) 7 (Philippe Deshoulières, lien). Et des verres à Riesling à Rüdesheim am Rhein [flickr PHH Sykes]. Cela nous mène aux assiettes en émail du trop méconnu artiste tourangeau Charles Jean Avisseau, disciple de Bernard Palissy + dossier Avisseau. Et cette plaque de la place San Martin à Madrid [Carlos Cuerda] :


    Broderies : les bannières de procession. cette page présente d'autres types de broderies, notamment des tentures et des tapisseries (voir ci-après). nous nous attardons ici sur les bannières paroissiales, nombreuses puisque les paroisses dédiées à Martin sont nombeuses. 1) église de Eynsford en Angleterre [flickr Jelltex] 2) église St Martin de Ménetou-Râtel dans le Cher [lien] 3) église St Martin de Moutiers en Bretagne [lien]. 4) église St Martin de Stamford en Angleterre [flickr jmc4] En voici cinq autres : 1 [église St Martin de Neuvy en Dunois en Eure et Loir, Catalogue 2016] 2 [cathédrale de Szombately en Hongrie, lien] 3 [église St Martin de Beuvron en Auge en Normandie, flickr Barnie76] 4 [église St Martin de Nàdasd en Hongrie, LM 2008-1] 5 [église St Martin de Nagymaros en Hongrie, LM 2009-1]. Et cinq autres en Touraine : 1 Tournon Saint Martin 2 Charnizay 3 La Chapelle Blanche Saint Martin 4 Hommes 5 Cangey (lien). Et deux pages de bannières dans le Semur 2015 : 1 2 . Beaucoup plus rare, une chape épiscopale, celle de Mgr Rumeau, évêque d'Angers à la fin du XIXème siècle [Semur 2015].
    Les blasons Saint Martin Trois blasons : 1 en Ukraine [LM 2009-1] 2 [origine indéterminée, Maupoix 2018]. 3 de Saint Martin de Castillon et quatre pages de blasons saint Martin en Europe [LM 2007 et 2008] : 1 2 3 4.
    Des monnaies à l'effigie de Martin. Trois types de pièces anciennes [Lecoy 1881] : 1 Colmar vers 1500 2 des Mérovingiens à Philippe-Auguste 3. Suisse autour de 1600 D'autres seront présentées plus loin (1 2). voici trois pièces plus récentes : 1 République de Lucques en 1741 [LM 2008-2] 2 2008 des Iles Cook [LM 2009-1] 3 du Vatican. Et un billet de banque suisse (lien)

    Vitrail : les ateliers Lobin, Fournier, Lorin... Plusieurs vitraux de ces trois ateliers sont présentés tout au long de cette page. L'atelier Lobin, créé en 1848, fermé en 1905, installé à Tours (rue des Ursulines), a d'abord été dirigé par Julien-Léopold Lobin (1814-1864) puis par son fils Lucien-Léopold Lobin (1837-1892). Il a réalisé pour l'actuelle basilique Saint Martin à Tours les vitraux avec scènes. Le musée du vitrail de Curzay sur Vonne présente cette rosace sur Saint Martin. + un ornement de la cathédrale de La Rochelle, 1881 (lien). + courtes biographies du père et du fils dans Mag. Touraine HS novembre 2000 + page d'un article de 9 pages dans Mag. Touraine n°54 (1995) + article 1994 sur les vitraux de la cathédrale de Tours et de l'atelier Lobin + page de Monique Roussat sur la famille Lobin Il y eut d'abord une concurence puis une suite avec l'atelier Fournier de Tours (aussi rue des Ursulines) animé d'abord par Julien Fournier et Amand Clément, puis Julien seul, puis son fils Lux Fournier puis Van Guy. L'atelier Lorin de Chartres, créé par Nicolas Lorin (1833-1882) en 1863, encore en activité, a réalisé pour l'actuelle basilique Saint Martin à Tours les vitraux avec portraits sur pieds. + Son site. Chartres accueille aussi un centre international du vitrail (lien + page Monumentum). + Liste de maîtres verriers.

    "Le vitrail, reflet de Saint Martin ?", tel est le titre du livre Verrière 2018 de Jacques Verrière. Extrait du quatrième de couverture : "Eblouissants ou modestes, tous ces vitraux racontent saint Martin. Certains disent bien les miracles et la foi, l'homme d'espérance et de miséricorde. Mais dans l'ensemble, le saint Martin qu'ils nous présentent est un personnage de convention qui n'aurait été qu'à peine soldat, et toujours à regret, qui n'aurait été qu'à peine moine, et surtout pas ermite, et sans cesse obsédé par l'image du diable ; un évêque tout à fait comme il faut, amèrement pleuré, lorsqu'il vint à mourir, par tous ses frères évêques... Bien souvent, les vitraux nous en révèlent plus sur leurs concepteurs ou sur l'époque où ils ont été conçus que sur saint Martin lui-même." L'auteur tisse aussi quelques liens, notamment entre les vitraux de la cathédrale de Tours et ceux de l'atelier Lobin, avec l'exemple de la chute de l'escalier, vitrail de l'église Saint Etienne de Tours.


    Un vitrail parmi les nombreux autres de cette page. Daté de 1912 ou peu après, il orne l'église St Dunstan de Lytchett Minster en Angleterre [flickr Michael Day] + vue d'ensemble. + quinze autres vitraux sur le partage du manteau sinon (provenance d'église sauf indication, provenance générale du site Nguyen DoDuc) : 1 basilque de Martina Franca en Italie [flickr Marie-Hélène Cingal + zoom avant, flickr Francesco Montuoro] 2 Sacré Coeur de Köszeg en Hongrie [Lorincz 2001] 3 collégiale St Martin de Colmar en Alsace 4 St Martin de Montigny le Bretonneux en Ile de Fance 5 Cormatin en Bourgogne 6 musée du Louvre à Paris 7 St Martin de Sartrouville en Ile de Fance 8 cathédrale de Dol de Bretagne 9 château du Haut-Koenigsbourg à Orschwiller en Alsace 10 Sondernach en Alsace 11 musée de Cluny à Paris 12 Tigy dans l'Orléanais 13 Chanzeaux en Anjou 14 basilique St Patrick de Montréal au Québec 15 St Martin de l'Isle Adam en Ile de Fance + trois vitraux sur Martin évêque : 1 église St Martin de Nouans les Fontaines [Verrière 2018] 2 église St Denis d'Amboise [Verrière 2018] 3 église de St Benoît du Lac au Québec + deux vitraux sur Martin soldat : 1 église de Brienon sur Armençon en Bourgogne 2 basilique de Domrémy en Lorraine.
    Vitraux en stock. Les pages du site de Nhuan DoDuc contiennent jusqu'à une dizaines de vitraux chacunes, représentant "Saint Martin avec le mendiant" : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10, "Saint Martin évêque" : 1 2 3 4, dans la cathédrale de Tours : 1 2, et encore : 1 (Romilly sur Seine, 10) (Troyes, 10) 2 (Sucy en Brie, 94) 3 (Grandville, 10) 4 (Nonancourt, 27) 5 (Rumilly lès Vaudes, 10) 6 (Saint Florentin, 89) 7 (Saint Dié des Vosges, 88) 8 et 9 (Saint Martin es Vignes, Troyes 10) 10 (Jouy en Josas, 78) 11 12 13 14 (basilique Tours, 37) 15 (cathédrale Bourges, 18) 16 (Epernay, 51) 17 (cathédrale Chartres, 28) 18 (Les Bordes, 45) 19 (Etampes, 91) 20 (Colmar, 68) 21 (Macquigny, 02) 22 (Wimy, 02) 23 (Ammerschwihr, 68).
    Pour les vitraux présentant plusieurs scènes en série, voir au chapitre suivant ci-après.

    Effectivement, davantage que dans les autres modes de représentation, les inombrables vitraux représentant Martin sont d'une confondante médiocrité historique, heureusement rehaussée par la qualité artistique. Non seulement la scène du partage du manteau abuse du cavalier à la cape rouge dominant son interlocuteur alors que Martin était à pied avec une chlamyde blanche (voir ci-avant), mais les évêques, qui ne portaient ni mitre, ni crosse à l'époque de Martin et durant le premier millénaire, en sont très souvent affublés. Cela dépasse le seul cas de Martin, l'iconographie chrétienne est envahie d'anachronismes et, même au XXIème siècle, les progrès sont rares, hormis la bande dessinée pour la mitre et la crosse. La mitre n'est portée par les évêques d'Occident que depuis le XIIème siècle. Martin, Brice et bien d'autres ne l'ont donc jamais portée... Si le bâton pastoral (un long bâton recourbé), semble être utilisé par les évêques dès le Vème siècle, la crosse à volute, parfois existante au Xème siècle, ne deviendra leur attribut qu'au XIIIème siècle. Quant à l'auréole, elle existait déjà dans l'empire romain, donc avant le décès de Martin... De même, le pallium, vêtement des évêques, n'apparaît qu'au Vème siècle, donc après la mort de Martin. En cela les toiles de Félix Villé (celle-ci déjà montrée), apparaissent correctes. + éventuellement cette statuette de Martin dans l'église de Repentigny, en Normandie, avec un couvre-chef contestable... Par contre ce tableau (titré "Le miracle de saint Martin") de l'église St Martin de Cuy dans l'Yonne, malgré une belle symbolique facilement compréhensible, est totalement inapproprié...


    Des retables surtout en Espagne et en Allemagne. 1) basilique St Martin et Ste Marie de Treviglio en Italie [Barnardo Zenalo et Barnardino Butinone, flickr dvdbramhall + vue d'ensemble] 2) Martin entouré de Jean l'évangéliste et Sébastien [Bartolomeo Vivarini XVème siècle, Académie Carrara en Italie, flickr raffaele pagani] 3) église de Xanten en Allemagne [flickr groenlig] 4) église St Martin dArtieda en Espagne (lien). Huit autres retables ou polyptiques, peints et/ou en relief : 1 (église Saint Martin d'Hauteville-Gondon à Bourg Saint Maurice en Savoie, lien) 2 Valence en Espagne, début du XVIème siècle [musée de Cluny à Paris, flickr Yann.O] 3 chapelle St Martin de Bürgstadt en Allemagne, à côté d'une statue [flickr pitpix2010] 4 musée des retables (ancienne église St Esteban) à Burgos en Espagne [flickr Santiago Abella] 5 Martin, Jérôme et Sébastien [Jaume Ferrer vers 1450, Musée de Barcelone, flickr Michaël Martin] 6 Martin à droite, saint Blaise à gauche [portes de l'église médiévale de North Crawley en Angleterre, flickr Lawrence OP]. On trouvera d'autres retables et panneaux peints dans le chapitre suivant 7 église luthérienne de Marbourg en Allemagne [Collectif 2019] 8 panneau de retable du musée diocésain de Rottenburg en Allemagne [Maupoix 2018]. Suite des retables et panneaux dans le chapitre suivant ci-après.


    Miniatures de partage du manteau.... Les miniatures sont très présentes sur cette page. Voici un complément concernant le partage du manteau, sauf indication "évêque" contraire. Ci-dessus, enluminure de la BnF (cote Latin 920, fol. 300v). Et six miniatures du musée The Pierpont Morgan Library à New York (lien) : 1 psautier de Gand en Belgique vers 1280 2 livre d'heures de Nantes vers 1445 [Maître de Jeanne de Lavel]. 3 livre d'heures d'Angers vers 1470 [Jean Colombe, le frère de Michel] 4 livre d'heures de Tours vers 1520 [Maître de Claude de France] 5 idem (évêque). 6 sacramentaire du Mont Saint Michel vers 1065 (évêque). + onze autres miniatures : 1 manuscrit de la British Library [Maupoix 2018] 2 lettrine de la "Vie et miracles de saint Martin de Tours" [début XIIIème siècle BnF, Maupoix 2018]. 3 missel à l'usage de Tours commandé par Simon Renoulph archevêque de Tours de 1363 à 1379 [BmT, Catalogue 2016] 4 recueil d'écrits du XIIème siècle sur parchemin [Bibliothèque Ste Geneviève de Paris, Catalogue 2016] 5 légendier vers 1330 par divers artistes dont Jeanne de Montbaston [BnF, Catalogue 2016] 6 livre d'heures à l'usage de Rome, enluminures du Maître de la chronique scandaleuse (le Maître de Martainville et trois autres enlumineurs tourangeaux anonymes ont aussi travaillé sur les miniatures) [BmT, Catalogue 2016] 7 [Bibliothèque de Mâcon, Colloque 1997 SAT] 8 psautier dit de Lambert le bègue, vers 1290 [Bibliothèque de Liège, Colloque 1997 SAT] 9 "Horae beatae Mariae virginis", Paris 1515 [Université de Harvard] 10 bréviaire de Belleville, Jean Pucelle 1326 [BnF, Gallica] 11 graduel festif à l'usage de Notre Dame la Riche de Tours adapté à l'usage d'Amiens [Bibl. d'Amiens, Catalogue 2016]. Et des miniatures en plusieurs scènes dans le chapitre suivant ci-après.


    Et encore des fresques... Enduit peint, un temps dans le musée St Martin de Tours, en provenance de la tour Charlemagne + deux photos d'origine : 1 [Lelong 1986] 2 (P.-S.) [Arsicaud, archives dép. 37] + une autre fresque sur l'évêque de Tours, en l'église de Saint Martin d'en Haut prés de Lyon (lien). Aussi des églises décorées de fresques ci-après et les fresques de façades peintes ci-avant.
    Et le partage du manteau... Douze fresques de partage du manteau : 1 église d'Elmelunde au Danemark, en partie effacée (décor recouverts de plâtre par les protestants, redécouverts dans les années 1880, lien) [Maître d'Elmelunde] 2 église St Martin de Lenningen en Allemagne [paramedix] 3 église St Martin de Oberwölz en Autriche [Josef Adam Mölk 1718, Wikipédia] 4 église de Jaleyrac en Auvergne [XVème siècle, Wikipédia] 5 église de Jeantes en Picardie [Charles Eyck 1962, flickr PepBear Enjoyadventure + zoom arrière avec à droite au-dessus Martin en habit d'évêque] 6 fresque 1512 de la cathédrale d'Albi avec la présence curieuse de sainte Livrade [Anne L.] 7 tympan intérieur peint de l'église St Martin de Varennes sur Morge dans le Massif Central [Martine Sodaigui + zoom arrière] 8 église St Martin de Granges en Bourgogne [LM 2006] 9 église de Martjanci en Slovénie [Maître Johannes Aquila, LM 2008-1] 10 église de La Sauve en Girone [Collectif 2019] 11 1623, Bominaco, oratoire de San Pellegrino en Italie [Maupoix 2018 + vue d'ensemble] 12 pilier de la basilique Saint Nicolas de Port en Lorraine (lien).



    Et encore quelques tableaux et peintures sur le partage du manteau... Outre celles nombreuses réparties le long de cette page, voici ci-dessus un gros plan sur un tableau de1836 d'Alfred Rethel, artiste génial devenu fou (courte bio, lien) [Hambourg en Allemagne, flickr Amber Tree]. et voilà quinze autres peintures, rattachées au partage du manteau : 1 église St Martin de Leobersdorf en Autriche [Johann Nepomuk Höfel, flickr Josef Lex] 2 Ligugé [flickr Marie-Hélène Cingal] 3 musée des pélerins à Santiago de Compostelle en Espagne [flickr Josercid] 4 église saint Germain l'Auxerrois à Paris [flickr Anne L] 5 un Martin effeminé d'origine péruvienne [école de Cuzco] 6 peinture d'une sculpture [Maître de l'abbaye d'Affligem 1475, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles, flickr PepBear] 7 un tableau, une bannière et une statue dans l'église St martin de Kraichtal-Landshausen en Allemagne [flickr pitpix2010] 8 anonyme XVIIIème siècle [Musée national d'art de Bolivie, LM 2006-1] 9 [galerie nationale de Hongrie, Budapest, Lorincz 2001] 10 [église St Martin de Szombathely, Hongris, Lorincz 2001] 11 [Csaba Toth, propriété de l'artiste, Lorincz 2001] 12 [origine espagnole, fin XVème siècle, musée Bonnat de Bayonne, [Maupoix 2018] 13 [Lorenzo di Bicci vers 1385, Florence en italie, Catalogue 2016] 14 Léo Schnug 1906 avec Martin ressemblant à Don Quichotte [Wikimédia] 15 [Martin Fréminet 1567, musée du Louvre à Paris, LM 2018].



  12. Illustrations des épisodes de la vie de Martin sanctifié

    Nous avons surtout vu les épisodes de la vie de Martin en scènes isolées. Ce chapitre traite de la succession des scènes sur les différents supports, suivant des formes diverses.


    La vie de Martin en une succession d'images. La vie et les miracles de Martin sont célébrés de multiples façons. A gauche broderie islandaise, entre XIVème et XVIème siècle, conservée au musée du Louvre [2,80 m x 2,1 m, lien Wikimédia + la scène du manteau partagé, Maupoix 2018]. Au centre un vitrail de la collégiale de Candes Saint Martin, vers 1900 [flickr Stephen Shankland]. Nous avons vu d'autres successions de scènes de la vie de Martin dans des baies des cathédrales de Tours et de Chartres et, bien sûr, de la basilique de Tours, comme cette baie de l'atelier Lobin. A droite, exposition dans le jardin du Carmel de Tours en septembre 2019, parcours ludique. + dessins d'enfant en Allemagne (lien).


    Tentures de la collégiale Saint Martin de Montpezat de Quercy, Lot et Garonne. Originaires des Flandres, elles ont été installées au début du XVIème siècle et sont toujours restées à la même place [photo flickr Vaxjo]. Outre celle au-dessus de la vue d'ensemble, voici huit des scènes : 1 le diable attaque Martin dans son sommeil (+gros-plan, flickr Vaxjo) 2 la chûte de l'escalier 3 de partage du manteau [Wikimédia], 4 de destruction d'un temple et guérison d'une malade [flickr Vaxjo), 5 d'abattage du pin [flickr Vaxjo), 6 déjà présentée de Tetradius, 7 déjà présentée de la deuxième charité. 8 deux femmes bavardant pendant la messe [commentaire "Les renaissances", Philippe Hamon, Belin 2013]. + une autre vue d'ensemble incluant deux tableaux peints [flickr Patrick Chabert] + une vue d'extérieur [flickr Pittou2].
    Autres broderies. Après l'islandaise du Louvre et celles de Montpezat, voici deux grandes pièces d'étoffe ornées de scènes de la vie de Martin  1 antependium du XIVème siècle, jadis dans la basilique St Martin de Liège , maintenant dans un musée de Bruxelles (lien), avec détail à triple scène, et autre détail [Maupoix 2018] 2 : trois broderies d'un autre antependium, dit de Malines, en région germanique vers le XIIIème siècle [Musée de Cluny, Paris, lien] : 1 2 3. 3 : sept broderies du XIVème au New York Metropolitan Museum of Art [lien] : 1 2 3 4 5 6 7. Et, scène isolée, une tenture du cloître de l'abbaye de Vendôme (lien).


    Les épisodes de la vie de Martin en une grande verrière de la cathédrale Notre-Dame de Chartres. Nombreux sont les vitraux présentant des scènes de la vie de Martin (on a déjà vu, ci-avant, les trois baies de la cathédrale de Tours). Une baie de Chartres, ici au centre, en montre une quarantaine. Elle est remarquable, exécutée entre 1215 et 1275, classée monument historique en 1840. Une page Wikipédia le décrit précisément, avec ce commentaire pour l'illustration de gauche présentant l'ordination à Tours : "Deux évêques assistent l'évêque officiant, qui pose un évangile sur le dos de Martin : il symbolise par là que la charge de l'évêque est de porter l'évangile au peuple qui lui est confié. Martin est en prostration devant l'autel". A droite, Martin voyage sur son âne.
    Des verrières Saint Martin. Voici seize autres baies rassemblant des scènes de la vie de Martin : 1 cathédrale St Etienne de Bourges (lien) 2 église de Kaiserslautern en Allemagne [flickr Josef Lex] 3 église de Castelnau Montratier dans le Lot [flickr Jean Pierre Fevrier] 4 [église de Arbon en Suisse, flickr Hurni Christoph] 5 [cathédrale de Bayonne, flickr Marie-Hélène Cingal] 6 [église St Martin de Castelnau-Montratier dans le Lot, flickr Jean-Pierre février] 7 [église St Martin de Brême en Allemagne, flickr Rex Harris] 8 [église St Martin de Metz en Lorraine, flickr PepBear] 9 [église de Saint Ouen les vignes en Touraine, lien] 10 [atelier de Olivier Durieux 1873 à Reims, église St Martin de Wimy dans l'Aisne, flickr Patrick] 11 [Louis-Victor Gesta, église St Martin de Biscarosse, dans les Landes, avec explications, lien] 12 [Louis-Victor Gesta en l'église St Martin de Biscarosse, dans les Landes, avec explications, lien] 13 [église St Martin de Saint Valéry sur Somme] 14 atelier de Maréchal et Champigneulle à Metz en Lorraine (lien + 15 église de Chagny en Bourgogne + 16 église St Etienne de Tours [atelier Lobin 1874, lien], + deux pages du site Nhuan DoDuc : 1 2).
    Vitraux en série. Dix-huit vitraux 1900 de l'église de Saint Martin le Hébert, en Normandie présentés par deux ou trois [Edouard Didron, lien] : 1 2 3 4 5 6 7 + cinq vitraux de l'abbatiale St Ouen de Rouen (lien) : 1 2 3 4 5 + six vitraux de l'abbatiale St Martin de Clamecy dans la Nièvre (lien) : 1 2 3 4 5 6. + sept vitraux de Gustave Pierre Dagrant dans l'église St Martin de Réalville en Tarn et Garonne (lien) : 1 2 3 4 5 6 7. + une grande verrière de l'église St Martin de Laon décomposée en trois (Nhuan DoDuc) : 1 2 3.
    Suites de modernes vitraux martiniens. Vers 1935, les douze vitraux de l'église Saint Martin de Perpignan, sont créés par le maître verrier toulousain André Rapp [flickr Martine Sodaigui, lien) : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12. En 1980, Didier Gallet a créé pour l'église St Martin d'Ury, en Ile de France, une série de treize vitraux conçus comme une sorte de bande dessinée racontant la vie de Martin. Les voici, avec une double explication, par cette page et ce document : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
    Contrairement aux panneaux peints, les vitraux d'un bloc comportant plusieurs scènes de la vie de Martin sont rares. En voici un d'origine indéterminée (lien). Autres vitraux notamment dans le chapitre précédent ci-avant.


    Séries de miniatures. Sur cette page, les enluminures sont montrées généralement de façon isolée, notamment dans le chapitre précédent ci-avant. Voici deux séries. Reprises en partie dans les quatre illustrations ci-dessus, cinq doubles miniatures de Maître François [Miroir Historial, parchemin Poitiers 1460, BnF, lien] : 1 2 3 4 5. Quatre scènes d'un manuscrit du XVème siècle de la bibliothèque du Mans, médiathèque Louis Aragon [Maupoix 2018] : 1 (partage) 2 (songe) 3 (apparition du diable) 4 (mort) et, déjà montrée, l'annonce de la mort de Martin à Sulpice Sévère. Voir aussi ci-avant les miniatures du livre offert au roi de France en 1496. Et une miniature décrivant cinq scènes [Maître de Jean Rolin II 1455, Les heures de Simon de Varye, Wikimedia].


    Scènes se succédant sur des panneaux peints ou sculptés, retables..., souvent des retables et polyptiques. Comme les baies de vitraux, les retables permettent d'exposer les scènes de la vie de Martin. Celui à gauche, peinture en détrempe sur bois, d'origine inconnue, pourrait provenir d'un atelier de Vic, en Catalogne, au XVème siècle, l'auteur pourrait être Nicolau Verdera. La particularité de ce retable est d'en représenter un autre sur l'autel en bas en droite (1,80 m de hauteur, lien). A droite, un panneau en bois peint du XIIème siècle provenant de Sant Marti in Puigbo en Espagne [Musée épiscopal de Vic], avec un Christ entouré de quatre épisodes de la vie de Martin + gros-plan [flickr François Chédeville]. Quatre scènes du retable du maître de Riofrio [vers 1500, huile sur bois, dorure à la feuille d'or, 1,65 m de hauteur, Musée Goya de Castres, Maupoix 20181 partage du manteau 2 résurrection de l'esclave de Lupicin 3 ordination de Martin 4 mort de Martin (avec lecture d'un livre d'enlumlinures...) + documentation avec d'autres panneaux]. Six autres panneaux multi-scènes : 1 parement d'autel avec six scènes dans l'église Sainte Marie de Palau de Rialb en Catalogne [école de Lleida, dernier quart du XIIIe siècle, peinture en détrempe sur bois, musée de Santiago de Compostelle, Espagne] 2 retable de l'église Sant Marti Sescorts d'Osana, en Catalogne, première moitié du XVème siècle, peinture en détrempe sur bois de 3,7 m de hauteur [Le Maître des figures anémiques, lien + quatre scènes Maupoix 2018) 3 musée de Los Caminos à Astorga en Espagne [flickr Santiago Abella + partie 2] 4 Museo de Arte de Cataluna (lien) 5 le retable de l'église de Repentigny, en Normandie, présente six scènes expliquées sur ce lien 6 Autel vers 1520 de Bergkirchede de Sighisoara en Roumanie [Lorincz 2001].
    Successions de reliefs divers sur bois, ivoire, céramique, pierre... Le retable de l'église St Martin de Llanera, en Espagne, est une oeuvre sculptée remarquable réalisée par Joan Grau vers 1651, le Maupoix 2018 nous en présente les six scènes : 1 2. Deux autres retables sculptés : 1 église St Martin d'Isar-Burgos en Espagne [Domingo de Amberes 1552, flickr Santiago Abella] 2 musée des Beaux-Arts de Houston aux USA [flickr B. Trousers]. Les scènes sont réduites à deux, consécration et partage, dans ce curieux diptyque en ivoire de Cologne vers 1350 [9 cm de largeur, musée de Cleveland, lien]. + volet d'un autre diptyque en ivoire [autour de 1400, collection Maillet du Boulay, Lecoy 1881]. Il arrive que les scènes sculptées se succèdent en haut des piliers, comme ce chapiteau [flickr Nick Thompson] ou les chapiteaux de l'abbaye de Saint Martin de Boscherville en Normandie [flickr Olivier Denel] A Tettens, en Allemagne, les scènettes scuptées se succèdent [flickr groenlig]
    Début des retables et panneaux dans le chapitre précédent ci-avant.


    Une vie en une seule image. En un seul tableau, le partage du manteau et les résurrections de l'enfant et du catéchumène [Winifred Knights vers 1930, cathédrale de Canterbury, en Angleterre, lien]. + fresque [chapelle Saint Martin de Szombathely, Hongrie, Béla Kontula 1942, Lorincz 2001] + vitrail de Max Ingrand [église St Martin de L'Aigle en Normandie] + vitrail de l'église de Viège en Suisse [Paul Monnier, flickr Jean-Louis Pitteloud] + vitrail de l'église Saint Martin de Worms en Allemagne [flickr Hen-Magonza]. A droite, tableau de Egbert Modderman [2017, Pays-Bas], comme une fermeture de rideau...


    Trésors à découvrir dans des édifices Martin. Avant de traiter les quatre décors remarquables illustrés ci-dessus, ajoutons en un cinquiéme, déjà présenté au long de cette page (récapitulatif en annexe 3), il s'agit des fresques de Simone Martini dans la chapelle St Martin d'Assise en Italie, en voici deux vues d'ensemble : 1 2 (lien).
    1) La petite Sixtine de Sillegny, commune de Moselle (480 habitants) détail d'une fresque du jugement dernier dans un décor de 1540 qui transforme cette modeste église St Martin en une petite Sixtine [flickr Patrick] + vue du jugement dernier + détail avec la présence surprenant d'un Saint Antoine (lequel ?) et un partage du manteau singulier, sans le pauvre, expliqué par Maupoix 2018 + autre représentation de Martin + vue d'extérieur + liens : 1 2 3. Et même lorsqu'il y a un décor fastueux inondé de scènes bibliques et évangéliques, la photo d'une église St Martin comme celle de Häselgehr en Autriche peut contenir une mignonne petite statuette du partage du manteau.
    2) Les extraordinaires fresques du XIIème siècle de l'église Saint-Martin de Nohant-Vic dans l'Indre. Elles ont été découvertes en 1849 par l'Abbé Jean-Baptiste Périgaud, qui avec l'aide de George Sand, obtint, grâce à l'intervention de Prosper Mérimée, le classement de l'église en monument historique. L'abside et le choeur sont ornées de scènes que cette page Wikipédia décrit en détail. Deux d'entre elles ont rapport avec Martin, pour son décès et l'évacuation de son corps : détail [flickr Patrick et flickr Martine Sodaigui]. Le partage du manteau est aussi présent en deux images se complétant : détail expliqué par Maupoix 2018. Ces fresques ont été reconstituées à l'identique à la Cité de l'architecture et du patrimoine de Paris, palais de Chaillot, et au Musée d'art Ōtsuka à Naruto (Tokushima) au Japon. + vue d'extérieur.
    3) Le fantastique plafond de l'église Saint Martin de Zillis. Zillis est un petit bourg suisse dont l'église St Martin protestante a un plafond de l'époque romane constitué de 153 plaques carrées (9 rangées de 17) d'environ 90 cm de côté dont la plupart sont fabriqués en sapin recouvert d'une fine couche de plâtre, puis peintes avant d'être insérées dans le plafond [flickr Xavier de Jauréguiberry]. Deux de ces plaques (147 et 148) représentent le partage du manteau : photo, une troisième plaque (149) montre l'ordination de Martin exorciste par Hilaire [Maupoix 2018]. + vue d'extérieur.
    4) Les impressionnantes fresques de la chapelle Saint Martin de Bürgstadt en Allemagne. Vue de loin, cette chapelle ne paye pas de mine. On découvre d'abord une belle porte d'entrée avec Martin sculpté sur le tympan). L'intérieur est couvert de fresques, murs et plafond, datant de 1590 environ. On y trouve une double-scène martinienne de guérison d'un malade et de la mort de Martin et aussi, sur l'autel et à côté, un tableau et une sculpture du partage du manteau : photo. Illustrations de Wikipédia et flickr pitpic2010.


    Evoquons des exemples plus communs qui montrent que, hors des cathédrales et autres majestueux monuments, des modestes églises Saint Martin peuvent déceler, même en petit nombre, des beautés artistiques pouvant souvent ne pas se rapporter à Martin. Ci-dessus, un chapiteau de l'église St Martin de Landiras en Gironde, pouvant représenter Martin aux prises avec ses démons (+ vues). Ou des fresques du XIIème siècle en la chapelle St Martin de Fenollar, bourg des Pyrénées Orientales (lien + vues) N'oublions pas que de telles peintures rescapées sont rares et que de nombreuses fresques ont disparu ou ne présentent que quelques vagues traces, comme le montre cette vue [flickr Ellen Bouckaert] de l'intérieur de l'église de St Martin d'Ougy en Bourgogne avec cette partie de fresque conservée (lien). Rappel : des fresques (moins géantes...) dans le chapitre précédent ci-avant.

    L'apparence de Martin en ses églises Bruno Judic, dans Collectif 2016 (aussi en cette page) : "Parler de la « figure martinienne » laisse entendre une représentation, une image, un portrait. On serait pourtant bien en peine de montrer un portrait datable de l’époque du saint, du moins en apparence. [...] Martin a le visage rayonnant mais quel visage ? Aucun détail n’est donné ; il faut se résigner à une image déjà transformée, à une intensité de rayonnement, à un assemblage nécessairement « surhumain » des différents rôles occupés par Martin. [...] La plus ancienne représentation connue de la figure de saint Martin est une mosaïque de Ravenne datable de 570 environ [voir ci-avant]. [...] La basilique tourangelle fut la source de nombreuses images martiniennes. [...] Vers la fin du VIe siècle, Grégoire de Tours fit reconstruire la cathédrale et introduisit des scènes martiniennes que Fortunat a évoquées dans un poème : on pouvait voir un triptyque avec la guérison du lépreux, le partage de la chlamyde et la messe du globe de feu ; on y trouvait aussi les résurrections opérées par le saint, le pin coupé, les serpents, le faux martyr, la guérison de la fille d’Arborius et les idoles renversées." Ce sont là toutes les scènes qui vont être reproduites de siècles en siècles, dans les édifices et ouvrages religieux. Récemment, les bandes dessinées, par la multiplicité et la continuité des images sont allées un peu au-delà, mais sans vraiment oser s'en éloigner. Il y a pourtant matière.

    Trois peintres raconteurs de Martin. Autour de 1900, ces trois peintres, spécialisés dans l'art religieux, ont renouvelé la figure de Martin en la débarrassant de ses oripaux anachroniques et de son air supérieur pour se rapprocher de la simplicité qui fut sienne. Chacun des trois l'a mis en scène en plusieurs tableaux, présentés au long de cette page, regroupés dans l'annexe 3.
    Luc-Olivier Merson (1846-1920) avait 35 ans quand il a collaboré au Lecoy 1881 et plusieurs des six tableaux qu'il a réalisés sont devenus des modèles pour d'autres artistes. + autre photo.
    Félix Villé (1819-1907) avait plus de 70 ans quand il a réalisé bénévolement, de 1890 à 1897, une dizaine de grands panneaux peints pour l'église Saint Martin des Champs (aussi appelée St Martin des Marais) à Paris (lien). Autre photo de ses oeuvres dans l'église + vue d'extérieur + sa notice nécrologique par Ubald d'Alençon (1908).
    Gebhard Fugel (1863-1939), de nationalité allemande, installé à Munich, a réalisé, à presque 50 ans, une demi-douzaine de fresques sur Martin en 1910 / 1912 pour le plafond de l'église St Martin de Wangen im Allgäu en Allemagne (vue d'extérieur, flickr Michael Mertens). Autre vue de ses oeuvres sur le plafond [flickr János Korom] + sa page Wikipédia en allemand et sa page en anglais, davantage illustrées.



    Les quatre albums de bande dessinée sur Martin dont des cases et planches sont présentes à plusieurs reprises sur cette page. 1) Maric - Frisano 1994 : "Saint Martin", textes Raymond Maric, dessins Pierre Frisano, couleurs de Marie-Paule Alluard, éditions du Signe 1994, réédition 2016. 2) Proust - Martin, Froissard 1996 : "Martin de Tours", textes Pierre-Yves Proust (voir encadré ci-dessous), dessin Freddy Martin et Vincent Froissard, éditions Glénat et La NR 1996. + dos de couv. 3) Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996 : "Le XIIIème apôtre, Martin de Tours", textes Frédéric Fagot et Eric Mestrallet, dessins Lorenzo d'Esme, éditions Fagot de Maurien 1996. + dos de couv. 4) Brunor - Bar 2009 : "Martin, Partager la vérité", textes Brunor, dessins Dominique Bar, couleurs Géraldine Gilles, éditions Mame-Edifa 2009 + deux dernières pages "Que sont-ils devenus ?" avec les principaux personnages : 1 2.
    Autres BD. Il y eut aussi en 1987, aux éditions Fleurus "Clé de route", l'album noté Nikto - Kline 1987 "Chrétiens en Touraine" avec 20 pages de bandes dessinées sur texte d'Irène Nikto et dessin de Kline (couverture). BD Utrecht 2016 : en 2016, l'association tourangelle (d'Artannes sur Indre) "Le Figuier" a édité en français la BD hollandaise "Sint Maarten, een levende legende" sous le titre "Saint Martin une légende vivante". Elle présente trois récits de 16, 12 et 12 pages : "Sa vie" texte de Nico Stolk dessin de Niels Bongers, "Sa légende" par Joshua Peeters, "Et Utrecht" par Albo Helm. + couverture hollandaise, couverture française, présentation (avec le rôle du Conseil Saint Martin d'Utrecht à l'origine de cette BD). Plus brièvement, des récits complets on raconté la vie de Martin. Ainsi, un récit de 1997 en quatre planches (lien) : 1 2 3 4. Et aux USA, dans le comics Treasure chest, un récit "The mantle of charity" de trois planches sur Martin, en avril 1947, par Silvio A. Bedini : 1 2 3 (+ couverture, lien). Voir aussi ci-avant des récits courts pour enfants. + première planche d'un autre récit. Un récit anglais en six planches par Edward Ned McConaghy : 1 2 3 4 5 6 et l'ensemble avec couvertures et intro. Un fascicule espagnol de 1962 scénarisé par Javier Penalosa, dessiné par Hector Insunza, en 32 planches, dont voici l'intégrale et trois planches extraites : 1 (Martin soldat et son esclave) 2 (destruction du temple d'Amboise) 3 (résurrection d'un enfant). Deux planches argentines (lien) : 1 2. Et un récit italien en huit planches [texte Gimmi Rizzi, dessin Bruno Dolif + couverture) : 1 2 3 4 5 6 7 8 (dessin ci-dessous).
    Martin et le scénariste de BD. Propos de Pierre-Yves Proust, scénariste de le 2ème BD présentée ci-dessus dans Mag. Touraine n°62 1997 : "Martin, c'est un personnage fabuleux, près des gens, fort, malin, sévère, drôle. C'est une bonne cause : je l'aurais suivi. Il n'est pas un béni-oui-oui. Nous l'avons vu comme un ancien officier, le crâne rasé, le visage austère. Quelque part entre Anthony Quinn et Clint Easwood."



  13. Edifications à la gloire de Martin sanctifié

    Le culte de Martin a commencé par le texte de Sulpice Sévère et sa propagation à travers l'empire romain. Il se poursuit sous d'autres formes, comme le montre Bruno Judic dans "Les origines du culte de saint Martin de Tours aux Vème et VIème siècles"". Il y décrit la multiplication des monuments de culte édifiés en son nom : "La première moitié du VIème siècle est marquée par l’essor des dédicaces martiniennes dans le royaume franc: Chartres, Bourges, Paris, Mayence et à partir de Mayence vers la Rhénanie et ultérieurement les territoires francs. [...] La deuxième période, fin du VIIème siècle, est toutefois encore plus “politique”. La deuxième phase correspond en effet à une nouvelle expansion franque en direction du nord et de l’est sous la direction des Pippinides, Pépin d’Herstal, puis au début du VIIIème siècle, Charles Martel. On attribue ainsi à cette deuxième phase Saint-Martin de Cologne et Saint-Martin d’Utrecht. Enfin une troisième période: fin VIIIème - début du IXè siècle avec Charlemagne." On y reviendra.

    De l'écriture à la construction. Bruno Judic relie ces édifications à l'écho rencontré par le livre de Sulpice Sévère : "Tours est certes l’un des éléments essentiels du culte des saints, mais le texte, la Vita, est un autre élément non moins essentiel du culte des saints. Or nous avons, avec la Vita Martini de Sulpice Sévère, un texte exceptionnel, contemporain du saint lui-même, de grande qualité littéraire et de grande inspiration spirituelle. Cette Vita est en outre augmentée de quelques pièces essentielles issues aussi de la plume de Sulpice Sévère, trois lettres en particulier pour évoquer la mort du saint, et les Dialogues.". Sulpice est relayé par Paulin de Nole, " brillant intellectuel, en correspondance avec saint Jérôme et saint Augustin". "Nous avons deux éléments majeurs pour apprécier cette diffusion “italienne”: la construction d’une basilique Saint-Martin à Rome (Saints Sylvestre et Martin) par le pape Symmaque (entre 498 et 514) et la rédaction d’un manuscrit, le Veronensis XXXVIII, bien daté de 517. Ces deux faits sont exceptionnels. Rome est restée attachée jusqu’au VIIème siècle à un culte des saints qui est avant tout le culte des martyrs alors qu’ailleurs on vénérait très tôt les saints évêques. Cela montre quelle étonnante réputation Martin avait acquise, dès le Vème siècle, pour qu’on lui élève une église dans Rome."


    De Trèves à Rome, on construit au nom de saint Martin.Martin fit plusieurs voyage à Trèves, traversant la Porta Nigra en touriste (car elle n'était pas sur son chemin) (à gauche photo vers 1900), pour rencontrer l'empereur Maxime. En ces lieux sera fondée une abbaye Saint Martin (photo suivante, Wikipédia). Cette abbaye pourrait avoir été fondée au VIème siècle sur une église construite par Martin au IVème siècle. + vue de l'abbaye vers 1750. A plus 1500 km, la basilique de Rome Saints Silvestre et Martin, d'abord oratoire dans le courant du IVème siècle, fut construite vers 500 et agrandie ensuite. [Wikipédia] A droite une vue d'intérieur de l'actuelle basilique + vue de l'extérieur + vue de l'intérieur [Lecoy 1881].

    Judic nous invite ensuite à imaginer une corrélation entre les plus anciens édifices au nom de Martin et les lieux de passage de celui-ci : "Peut-on trouver des jalons entre Paulin, au début du Vème siècle, et le début du VIème siècle ? On peut relever au moins un cas : à Pavie, l’évêque Crispinus Ier, mort en 466, est enterré dans une ecclesia sancti Martini in Terra Arsa (aujourd'hui San Martino Siccomario). C’est un texte du XIVème siècle qui rapporte ce fait mais évoque aussi une translation de la dépouille au IXè siècle. Si l’on fait confiance à ce témoin tardif, une église Saint-Martin existait aux environs de Pavie dès le milieu du Vème siècle. Pavie est, selon la Vita Martini, le lieu d’enfance du saint. La lecture de la Vita pouvait inciter à réinstaller Martin sur un des lieux de sa vie. Les églises dédiées à saint Martin sont très nombreuses dans toute l’Italie, ainsi que les localités portant le nom de Saint-Martin. Chaque cas doit naturellement être examiné. Mais il n’est pas impossible que certaines dédicaces puissent remonter au Vème siècle. [...] Deux sont particulièrement importants : Ravenne et le Mont Cassin." En chacune de ces églises, des fresques et statues illustrent le partage du manteau et les miracles de Martin. Il s'agit de ce que nous appellerions aujourd'hui une médiatisation à grande échelle.

     
    Les cathédrales Saint Martin. En voici cinq : 1) Mayence (Allemagne) (+ vue d'intérieur, flickr Kristobalite), 2) Colmar (France, collégiale souvent appelée "cathédrale", située place de la cathédrale) (+ gravure Lecoy 1881 + statue du portail central de la façade Ouest + vue d'intérieur + lien), 3) Utrecht (Pays-Bas), protestante depuis 1580 (+ vue d'intérieur, Wikimedia + le cloître, lecoy 1881), 4) Bratislava (Slovaquie) (+ vue d'intérieur, flickr Harold Stern), 5) Lucques (Italie) [Wikipédia] (+ gravure et reproduction de bas-relief dans Lecoy 1881 + page de LM 2007-2) (+ deux vues d'intérieur [flickr mira66] : 1 2).
    Et d'autres cathédrales (illustrations Wikipedia, e = vue d'extérieur, i = vue d'intérieur) : Rottenburg en Allemagne (e, i), Leicester en Angleterre (e, i), Belluno en Italie (e, i), Pietrasanta en Italie (e, i), Eisenstadt en Autriche (e, i), Moukatchevo / Munkacs en Ukraine (e, i), Spis / Spiska en Slovaquie (e, i), Sogamoso en Colombie (e, i), Kabinda au Congo-Kinchasa (e, i), Mweka au Congo-Kinchasa (e, i), Ypres en Belgique (e, i, gravure Lecoy 1881), Ourense en Espagne (e, i + le portail, Lecoy 1881). Ajoutons, pour l'Eglise anglicane, la cathédrale de Canterbury, plus ancien édifice religieux d'Angleterre (e, i, panneau, historique LM 2006-3) et la cathédrale de Leicester (e, i).
    Les communes et églises dédiées à Martin. Wikipédia répertorie les églises, chapelles, cathédrales, abbayes, basiliques et collégiales dédiées à Saint Martin. Aussi des ponts de Saint Martin, comme à Tolède (lien), Martin est le patronyme le plus fréquent en France (cf. page Wikipédia), Martin / Marten / Maarten / Marti / Martinez / Martins..., Martine au féminin, sont des prénoms répandus en Europe. En France, 246 communes (sans compter les Dammartin, Dommartin, Martainville, Martigny, Pleumartin...) et plus de 3 700 églises portent son nom [Wikipédia]. Plus de 500 monuments lui sont dédiés en Espagne, aussi en Allemagne, plus de 700 en Italie, plus de 350 en Hongrie, plus de 150 en Croatie, preque une centaine en Slovénie... [LM 2008-2]
    Autres innombrables dédicaces à Martin de Tours. Et il y a les lieux-dits, comme la pierre Saint-Martin de Chaussitre, commune de Saint-Genest-Malifaux dans la Loire ou l'impressionnante roche Saint-Martin de Saint Dié des Vosges [flickr floribes]. Et des fontaines Martin, des grottes Martin... Cette page de Wikipédia répertorie des villes Martin, des îles Martin (Saint Martin aux Antilles, lien), un cap, un lac, une rivière... Ajoutons une photo des chutes d'eau Saint Martin en Argentine.


    Une multitude d'églises Saint Martin Voici une très courte sélection chronologique d'églises Saint Martin, toutes en France, inscrites à l'inventaire des monuments historiques : 1) Xème siècle Béthisy Saint Martin (Oise) (+ vue d'intérieur), 2) XIIème Gignac (Lot) (+ vue d'intérieur), 3) XVIème Moutiers (Ile et Vilaine) (+ vue d'intérieur, lien), 4) XXème Le Cellier (Loire Atlantique) (+ vue d'intérieur + fresque de Paul et Albert Lemasson 1925-1932, lien). + page avec d'autres églises Saint Martin. + l'église St Martin de Castelnau-Montratier dans le Lot qui présente quelques ressemblances extérieures avec la basilique tourangelle (lien).
    Au fil des siècles, des milliers d'églises Saint Martin ont été érigées. Cette page Wikipédia, cette recherche sur le site saint-martindetours.com et cette cinquantaine de pages du site shutterstock n'en présentent qu'une partie.


    Martin et les architectes. Il n'y a pas, bien sûr, d'architecture propre aux monuments Saint Martin. Ce n'est pas une raison pour saluer la variété des réalisations. En voici quatre. 1) la chapelle se Saint Martin le Vieux dans les Pyrénées (+ vues commentées d'extérieur, lien), 2) l'abbaye de Saint Martin aux Bois en Picardie (+ gravure Lecoy 1881) (+ vues), 3) la chapelle de Saint Martin de Peille, à côté de Monaco (autre lien) (+ description), 4) l'église Saint Martin de Budapest (lien) (+ vues). L'église Saint Martin de Triel sur Seine à la particularité d'avoir une architecture particulièrement complexe, provenant de différente époques ; Liens : 1 2 3.
    Gravures du XIXème siècle. En 1881, Albert Lecoy de la Marche, en son livre "Saint Martin" (Lecoy 1881) répertoriait, diocèse par diocèse, toutes les églises Saint Martin de France, avec un panel d'illustrations. Voici celles non indiquées ailleurs sur cette page, avec aussi quelques édifices hors de France : Laon (lien), Montmorency (collégiale, lien), Champeaux (collégiale, lien), Saint Martin de Londres en Hérault (lien), Argentan, Bienfaite (lien), Vendôme (tour, lien), Etampes (collégiale avec sa tour penchée, photo [LM 2008-2], lien), Clamecy (lien), Valmeroux (lien), Pont-à-Mousson (lien), Vevey (Suisse) (lien), Souillac (lien), Saint Martin sur Armençon (abbaye, Yonne), Laigle (lien, Normandie), Saint Martin sur Arve (lien, Savoie), Marseille , Schwyz (Suisse, lien), Baar (Suisse canton de Zoug, lien), Canterbury (Angleterre) (lien), Naples (cloître, Italie), Ravenne (Italie), San Martino delle Scale (Italie, lien), Oberwesel (Allemagne), Cologne (Allemagne) (lien), Ségovie (lien, Espagne), Compostelle (Espagne) (monastère, lien). Les gravures signées "H. Toussaint" sont de Henri Toussaint.


    Paris et Martin. 1) La porte Saint Martin depuis le Xème siècle + gravure montrant la porte Saint Martin, partie de l'enceinte de Charles V, au Moyen-âge [Lecoy 1881], 2) le prieuré Saint Martin des Champs depuis 1135 + article Fasc. NR 2012 + vue d'ensemble [Charles Fichot, lien] + quatre illustrations de Lecoy 1881 : 1 2 3 4 + autre vue, 3) le théâtre de la porte Saint Martin depuis 1781 (ici vers 1790), 4) le canal Saint Martin depuis 1825 [liens et illustrations Wikipédia]. Aussi un boulevard, une rue, un faubourg, un marché, un parking, une école. 5) Martinus est passé dans la ville des Gaulois Parisii et aurait guéri un lépreux à ses portes (à sa porte...), comme le montre l'illustration de droite ["Martinellus" 1110, BmT]. La tradition veut que ce baiser au lépreux se soit passé dans la rue Saint Martin (ancienne voie romaine) au voisinage de l'église actuelle Saint Nicolas des Champs. + trois pages de LM 2017 : 1 2 3.

      
    Les ponts Saint Martin de Pont-Saint-Martin en Vallée d'Aoste (Italie), de Vienne en Isère et sur le Guiers Vif, aussi en Isère. Le premier est d'origine romaine et il est assez probable que Martin l'ait traversé. C'est aussi possible pour le prédécesseur antique du second. Le troisième date du XVIIIème siècle, sans antécédent [liens et illustrations Wikipédia]. + le pont saint Martin de Tolède : gravure [Lecoy 1881], photo [Wikipedia].



    La densité des églises Saint Martin par diocèses en France et les diocèses ayant la plus forte densité. Cette carte est établie à partir du relevé effectué par François Christian Semur en son Semur 2015. + les trois pages donnant le détail de ce dépouillement : 1 2 3. En bas à droite le nombre de toponymes Saint Martin par pays [base GeoNames].


    Lyon et Martin. Les curieux et curieuses peuvent contempler une autre basilique dédiée à Martin en France. Au coeur de Lyon, la basilique Saint Martin d'Ainay, voulue par la reine Brunehaut, évoquée par Grégoire de Tours. + trois liens : 1 (patrimoine.lyon) 2 (wiki histoire) 3 [album de photos flickr Kristobalite, 2 extraits ci-dessus à gauche]. + vue d'intérieur + tympan (lien) + vue aérienne (lien) Puis représentation de Martin sur une peinture murale d'Hippolyte Flandrin, 1855, sur la voute de l'abside + vue rapprochée [flickr ChristianLeduc]. A 8 km au nord de Lyon (maintenant dans le 9ème arrondissement), l'abbaye Saint Martin de l'île-Barbe, sur la Saône, est la plus ancienne fondation monastique du diocèse de Lyon, certifiée créée au début du Vème siècle (Mexme / Maxime, disciple de Martin, y séjourna vers 430 avant de s'installer à Chinon). + présentation 2018 de la basilique par Paul-Andreé Bryon.
    Liège et Martin. A droite la basilique Saint Martin de Liège + gravure Lecoy 1881 + visite guidée 2015 + histoire d'Eracle / Héraclius, fondateur de cette basilique en 965 après sa guérison à Tours (lien). + présentation 2015 de la basilique par J.-P. Huyts. Ci-dessous l'édifice en 1735 dessiné par Remacle le Loup et maquette 3D récente (lien).
    .


    La basilique Saint Martin de Taal, en Philippines, pour ces quatre illustrations [photos Ryan Sia, Wikipédia] + liens : 1 [La NR] 2 3. Fondée au XVIème siècle, elle fut reconstruite à plusieurs reprises et mesure 89 mètres de long sur 48 de large.
    Les autres basiliques Saint Martin. Outre celles de Tours, de Rome, de Taal, d'Ainay à Lyon et de Liège déjà vues, voici les autres basiliques dédiées à Martin de Tours (certaines sont rattachées à une abbaye) (illustrations Wikipedia, e = vue d'extérieur, i = vue d'intérieur) : six en Allemagne Bingen am Rheim (e, i, lien), Ulm-Wiblingen (e, i), Weingarten (e, i), Amberg (e, i), landshut (e, i), et Bonn (e, i), six en Italie Bologne (e, i), Magenta (e, i, gravure Lecoy 1881), ), Treviglio (e, i), Martina Franca (e, i) Alzano (e, i) Palerme / Monreale (e, i) et ailleurs Hal (Belgique) (e, i), Mondonedo (Espagne) (e, i), Venlo (Pays-Bas) (e, i), Aime la Plagne (France, non officielle, lien) (e, i).
    Loin de l'Europe... En Louisiane, Martinville a son église Saint Martin depuis 1765 (vues : e i, lien + présentation). Buenos Aires, capitale de l'Argentine, a pour patron saint Martin depuis 1580 (+ deux articles de La NR : 1 2) et la capitale de l'Inde, New-Dehli a une église Saint Martin [LM 2009-1]. L'église St Martin la plus haute, à 3967 mètres d'altitude, est à Potosi en Colombie LM 2018]. Loin de l'Europe, on peut aussi citer une des plus anciennes églises du Chili, à Codpa, dédiée à Martin depuis 1618 (vues : e i), l'église de Mpandangindo en Tanzanie et une chapelle haute perchée à Parras au Mexique LM 2018].


    Façades sculptées et peintes, aussi les tympans et frontons peints. Pour les tympans et frontons sculptés, voir ci-après. Deux belles façades d'églises : la basilique San Martino de Martina Franca en Italie dans les Pouilles (lien + sculpture centrale, 1753 oeuvre de Giuseppe Morgese et ses fils) et l'église Sant Marti de Sant Celoni en Catalogne (décorations achevées en 1762, lien, statue centrale de Martin réalisée en 1953 par Lluís Montané). Les façades peuvent aussi être peintes, comme à gauche, une maison de Wangen im Allgäu en Allemagne [flickr caminanteK] et comme ces douze là, incluant tympans et frontons peins : 1 église St Martin de Tarbes ["Lettre martinienne" 2006-1] 2 abbaye de Beuron en Allemagne [flickr Meinolf Schumacher] 3 maison à Fribourg, en Suisse [flickr Hurni Christoph] 4 église de Tromello en Italie [lien + zoom arrière] 5 maison dans la même ville de Tromello (en vallée d'Aoste, sur le chemin de Sabaria / Szombathely) 6 église de San Martino Siccomario en Italie [Wikipédia] 7 église de Palestro en Italie [lien + zoom arrière] 8 maison de Tropello en Italie [LM 2008-1] 9 bâtiment de Pampelune en Espagne [LM 2009-1]. 10 abbaye de Pannonhalma en Hongrie [Semur 2015] 11 église St Martin de Saint Martin du Limet [Semur 2015] 12 église de Siccomario en Italie [Semur 2015].

    La "Lettre martinienne" 2006-1, en une légende de photo du prieuré St Martin de Cézas, dans le Gard, expose une des raisons de la dédicace à Martin de nombreux anciens monuments : "La situation surélevée du Prieuré peut faire supposer qu'il a été édifié sur un lieu sacré fréquenté depuis la plus haute antiquité et que les cultes païens ont dû s'y succéder jusqu'au christianisme : tertres et collines recevant les premiers rayons du soleil et les derniers, signalaient, en effet, aux yeux de nos lointains ancêtres, une présence divine. D'autre part, la dédicace à Saint Martin, très fréquente, surtout près des anciennes voies de communication, serait aussi un indice de la récupération de croyances païennes: Saint Martin, grand voyageur missionnaire, s'était en effet acharné à lutter contre ces cultes et on donnait son nom en manière d'exorcisme, aux chapelles édifiées à la place d'anciens temples païens. "


    Des chapelles Saint Martin à foison. Parfois en ruines, merci à ceux qui restaurent... 1) Générouillas dans la commune de Saint Pardoux le lac en Limousin + descriptif (lien). 2) Soleure en Suissse, dans l'ermitage de Verena Gorge [flickr Hurni Christoph]. 3) Chapelle St Martin de la commune de Saint Victor la Coste dans le Gard + descriptif (lien). 4) La chapelle St Martin des ermitages del Corb dans le Parc Naturel de la Zone Volcanique de la Garrotxa en Catalogne (lien). 5) la chapelle du vallon de Saint Martin sur la commune d'Escles dans les Vosges. + dix autres chapelles St Martin  : 1 1750 à 1Sankt Martin en Basse Autriche [flickr Alexander Szep] 2 à Glux en Glenne en Bourgogne [flickr Rudy Pické] 3 à Castellane en Provence [flickr Rudy Pické] 4 à Haute-Goulaine près de Nantes [flickr vebests] 5 chapelle St Martin des Champs à Oltingue en Alsace [flickr JV images] 6 à Nimègue aux Pays-Bas [flickr Stewie1980] 7 2004 à Saint Martin dans le Valais en Suisse [flickr Jean-Louis Pitteloud] 8 chapelle Saint Martin de la Roche / Sant Marti de la Roca dans les Pyrénées Orientales, flickr Patrick Chabert] 9 chapelle de Kobilje en Slovénie [LM 2008-1] 10 2017 à Tours Nord (lien). Il y a aussi les chapelles d'église et cathédrales, comme celle de l'église St Julien de Tours vue ci-après.
    En Italie les campaniles. Ressemblant à des clochers sans rien autour, on trouve en Italie des campaniles Saint Martin comme ces trois là : 1 à Bollengo [flickr Bruno Barbero]. 2 à Burano [flickr Maya HK] 3 à Bollengo [flickr mpvicenza].
    Pour la beauté du décor, ajoutons seize autres monuments dédiés à Saint Martin pris dans le catalogue flickr : 1 l'église du Liechtenstein [Cmemens v. Vogelsang] 2 les ruines de l'abbaye de Fara in Sabina en Italie [Andrea Miola] 3 la chapelle de Ribéris dans la commune de Montfaucon aussi dans le Gard (+ descriptif, lien) 4 l'église de Chablis en Bourgogne [Jean-Jacques Cordier] 5 l'église de Taizé dans les Deux-Sèvres [GillouBlues] 6 l'église de Ammerschwihr en Alsace [pierre simonis] 7 l'église de Unteraltertheim en Allemagne [Claudia G. Kukulka] 8 l'église de Rosengarten en Allemagne [Paul McLure] 9 l'église de Saint Martin la Garenne en Ile de France [Olive Titus] 10 l'église de Fromista en Espagne [Fernando Frontela + page Wikimédia] 11 la collégiale de Picquigny en Picardie [roland dumont-renard] 12 l'église de Chavot en Champagne [françois marin] 13 l'église de l'île de Madère au Portugal [Christian] 14 l'église de Navaridas en Espagne [Mackedwars] 15 l'église de Cadenabbia en Italie [ValKamch] 16 l'église de Calonico en Suisse [Christian Hermann] (ci-dessous).


    Villages Saint Martin. Quelques maisons groupées autour d'une église, les villages nichés dans la nature sont visuellement plus attrayants que les gros bourgs et les villes. En voici quelques uns, avec le nombre d'habitants dans la commune. 1) Saint Martin d'Entraunes en Provence, 130 habitants [flickr Gilles Couturier] 2) Saint Martin de Lansuscle en Lozère, 180 habitants 3) Saint Martin d'Oydes en Ariège, 220 habitants [flickr Dirk Motmans] 4) Saint Martin de Castillon en Provence, 800 habitants (lien).


    L'église Saint Martin d'Artaiz, en pays basque espagnol (50 habitants), à 25 km de Pampelune. Elle présente de nombreuses et magnifiques sculptures en art roman. A droite, Martin semble repousser le dieu gaulois tricéphale + vues + liens : 1 2 3 4 5.


    L'abbaye Saint Martin du Canigou, perchée à 1055 m d'altitude, dans les Pyrénées Orientales, érigée en 1101 [photo Sandra di Giusto]. Liens : 1 2 3 + vue d'intérieur + deux gravures Lecoy 1881 : 1 2 + page Wikimédia. A droite, illustration d'une charte de l'abbaye datant de 1195 ["Féodalités", Florian Mazel, Belin 2010]. Le Christ en majesté de l'Apocalypse, revenu juger les vivants et les morts, est ici entouré à gauche de la vierge Marie et à droite de Martin.

    Bien sûr, Tours ne pouvait pas échapper à ce culte, édifier un monument, glorifier le saint de maintes illustrations. Encore fallait-il le faire mieux qu'ailleurs. Nous verrons comment Perpet sut prendre la mesure de l'enjeu.



  14. Bribes d'histoire, légendes, reliques, démons, mystifications...


    Les arbres de Saint-Martin ont-ils une origine païenne ? Ce marronnier de Saint-Martin [ lien) à Continvoir, près de Bourgueil en Touraine, dont il ne reste que la souche, serait celui où Martin aurait prêché en 388 [à gauche vitrail de l'église Saint Martin de Continvoir, Manufacture du Mans 1849, Verrières 2018 + photo en son contexte]. Il a donné son nom à un châtaignier plus jeune [à droite, photo Stephan Bonneau] au lieu-dit voisin "La Blotterie".D'après Jean-Mary Couderc, dans "Arbres remarquables de Touraine" [Berger Editions 2006, photos S. Bonneau] : "La tradition des arbres de Saint Martin (à Neuvy le Roi, Neuilly le Brignon et La Roche Clermault selon Rabelais) se rattache peut-être à l'existence d'arbres sacrés païens (successivement remplacés) ; leur culte aurait longuement perduré et on les aurait christianisés en leur donnant le nom de Saint Martin.". De même que des temples païens sont devenus églises...


    A gauche, case de Albo Helm dans BD Utrecht 2016 + la planche en hollandais et, de façon différente, deux planches en français : 1 2 (ci-dessous à droite). Au centre, fête de Saint Martin au Pérou à Pomahuaca, photo de la procession de 2014 (vidéo) + procession en Italie (lien) + image italienne réunissant enfants aux lampions et partage du manteau (lien). A droite, des folards de Dunkerque (lien + recette) A Dunkerque (affiche 2008) et en Flandres, l'âne de Saint Martin est célébré, son maître ayant transformé ses crottes en de petits pains appelés folards (autre nom : craquelins, récit, lien). + affichette 2019 à Lembach en Alsace (lien) + image allemande 2016 (lien) et trois gourmandises vénitiennes : 1 (lien) 2 (lien) 3 (lien). + document sur les lampions de saint Martin en Pologne + page La NR 2019 sur le "bon pain Saint Martin" des talmeliers de Touraine + page de LM 2008-4 présentant les fêtes de saint Martin en Suède, en Allemagne, en Suisse et au Danemark + les dictons de la Saint Martin [flickr J. M. Gil Puchol].
    Martin et les oies A Ligugé, des oies piaillantes auraient averti le peuple de la cache de saint Martin, refusant obstinément sa chaire d’évêque. Récit par Jacques-Marie Rougé dans Mag. Touraine HS novembre 2002. Est-ce une variante des oies du Capitole ? En Angleterre Martin est parfois représenté avec une oie, comme dans cette image anonyme d'un site anglais (lien), en Croatie souvent, comme pour cette statue du monastère de Sumartin ["Lettre martinienne" 2006-2]; en Hongrie souvent aussi, comme avec cette statue (lien) et sur ces deux tableaux [Lorincz 200181 [Vogl Gergely ?] 2 [école de Maulbertsch ?]. En Touraine, les oies ne sont pas associées à Martin, sauf exception comme un vitrail de la cathédrale de Tours, vers 1440 [Verrière 2018]. Les oies peuvent même être présentes lors du partage du manteau, comme dans ce tableau d'un anonyme allemand dans l'église Saint Martin de Zusamaltheim (lien). Et dans la Suisse jurassienne, ce ne sont ni les oies ni l'âne, en Ajoie la Saint Martin est une fête du cochon (lien).
    Recettes martiniennes. Aurélie Schnel dans le Mag. Touraine HS 2015 présente trois recettes Saint Martin : le pain, l'oie et les filets de garenne. La "Lettre martinienne" 2005 en présente trois en deux pages : 1 une oie aux pommes et aux marrons 2 des petits gâteaux en forme d'oies et des bonhommes en brioche. Et une idée en provenance de Vénétie pour le dessert [flickr elisabetta].
    Les fêtes de Saint Martin. Dans le nord de la France et en Allemagne, aussi aux Pays-Bas (photo Utrecht 2019, flickr Ms Lowlands) et en Pologne (document), des fêtes de la Saint Martin sont encore célébrées de nos jours, le 10 ou le 11 novembre. En Allemagne (lien), c'est l'occasion de processions aux lanternes (lien) et de repas copieux à manger une belle oie. Cela devient la "fête des lumières" (lien). + tableau "Les feux de la Saint-Martin " par Martin van Cleve [musée des Beaux-Arts de Dunkerque] + tableau "La kermesse de Saint-Martin " par Pieter Balten [museum d'Utrecht]. Il y a aussi les foires (liste) et marchés de la Saint-Martin... + affiche d'annonce de la foire de la Saint Martin 2020 à Montrichard (en Touraine mais dans le Loir et Cher). La "Lettre martinienne" 2005 présente une page d'affiches de la fête de la Saint Martin. + deux pages Wikipédia sur les fêtes de la Saint Martin : 1 en Flandres 2 en Allemagne.

    Les fêtes de Saint Martin effacées par des fêtes païennes dans l'Europe du XXIème siècle. Comme indiqué briévement dans la légende ci-dessus, les fêtes de la Saint Martin changent souvent d'orientation, devenant laïques, en particulier en Allemagne où elles prennent le nom de fêtes des lumières. Les catholiques s'en plaignent, comme Clémentine Jallais en un article concluant ainsi : "Le choix du nom « fête des Lumières » est loin d’être anodin. Certes, il se réfère à ces multiples flambeaux qui accompagnent le défilé de la Saint Martin. Mais c’est l’écho, surtout, de ces fêtes païennes qui célébraient jadis les solstices d’hiver ou les solstices d’été, le début des saisons et leur terme… Comme Lyon qui efface peu à peu la signification profondément religieuse de son 8 décembre dans sa propre fête des Lumières, l’Allemagne refoulera sans doute, in fine, son Saint Martin dans les ténèbres... Ainsi, c’est le retour progressif aux cultes païens ancestraux, dont l’universalité et l’ancienneté sont à même de provoquer l’adhésion de tous et un nivellement religieux global.". Cela ne s'accompagne pourtant pas d'une éradication de la religion catholique, il n'y a pas de volonté de venger l'éradication de la religion païenne prônée par Martin. Et il reste heureusement assez de marques de son passage en Europe pour qu'il ne soit pas relégué dans les ténèbres...

    Statistiquement, les légendes martiniennes sont décrédibilisées par leur multitude. Comme on l'a aperçu avec les illustrations ci-dessus, les légendes martiniennes sont très diverses et variées. La marque d'un pas ici, une fontaine par là (exemple dans le pays d'Urfé, dans la Loire)... ou une pierre ou un miracle ou un lieu évangélisé... Il est certes possible que des faits réels aient généré la légende, mais cela n'en concerne qu'un nombre très restreint et les critères pour les reconnaître sont ténus. On retrouve des réactualisations chrétiennes, comme celle, à Luzillé, d'un polissoir du néolithique renommé "pierre Saint Martin" (photo avec article de Jean-Mary Couderc sur la mémoire de Martin en Touraine, "Le patrimoine des communes d'Indre et Loire", éd. Flohic 2001). De plus nombre d'entre elles sont contredites par nos connaissances historiques. Prenons le cas du vin et des vignes de Martin.

    Martin aimait-il le bon vin ? Pour les vignerons du Vouvray, boisson très appréciée des premiers rédacteurs du Canard Enchaîné, l'ascétisme du moine-évêque est compatible avec une légende qui attribue à Martin et ses moines l'introduction de la vigne sur les coteaux de la Loire. La présence de vigne, encore de nos jours, au-dessus des grottes de Marmoutier, sur les pentes du lieu-dit Rougemont, aurait permis de "fournir du vin de messe et d'alimenter les malades et les vieillards passant au couvent". Martin aurait ramené un plant de vigne de son pays natal de Pannonie (Hongrie) et aurait inventé le chenin blanc. Cet alibi culturel permettant de faire de la publicité pour une boisson alcoolisée (qui par sa qualité n'en a pas besoin) (cf. panneau d'exposition 2016 à Tours) a des racines lointaines puisque les fresques du XIIIème siècle de la collégiale de Candes en témoignent, présentant l'âne de l'évêque en train de tailler la vigne. Sans oublier une "cuvée de Saint Martin, symbole du partage" [lien] et, du côté de Chinon, la cuvée du partage [lien]. Aussi du Bourgueil, du Chablis Saint Martin un peu magique, du Bordeaux [LM 2008-5], et jusque vers Prague, des bouteilles labellisées Martin (photo, lien). Les recherches archéologiques montrent pourtant que la vigne était présente en Touraine avant l'arrivée des Romains (cf. "Histoire de la vigne en Touraine", James Derouet 2013). Sans oublier la bière allemande de Kassel (photo, Collectif 2019) et la très bonne eau minérale Sao Martinho du Portugal (photo, LM 2018).


    A gauche Marmoutier avec au-dessus du coteau la vigne du clos de Rougemont. + article de "Tours Infos" 2010 titré "Les vignes de Marmoutier". Au centre, sculpture de l'âne de Martin taillant la vigne, sur la collégiale de Candes [extraits de panneaux de l'exposition "Saint Martin, la vigne et le vin" 2016 en la ville de Tours]. A droite, sculpture dans une grotte en tuffeau à Rochecorbon [Le Magazine de la Touraine n°64, 1997]. + tableau "Le vin de la Saint-Martin" par Pieter Brueghel l'ancien [musée du Prado à Madrid] avec commentaire et deux gros-plans [flickr jean louis mezieres] : 1 2.
    L'âne Martin. Wikipédia légende ainsi un vitrail de Chartres vu précédemment  : " Saint Martin est représenté montant un âne, en signe d'humilité, alors que ses clercs sont montés sur des chevaux. C'est à la suite de cette pratique que « plus d'un âne s'appelle Martin »." + article LM 2006-2 sur l'âne Martin et la vigne de l'abbaye de Bourgueil + vitrail 1923 où l'âne de Martin s'embourbe dans un ruisseau [église de Maresché dans la Sarthe, lien].
    Martin, la Corse, son vin, ses églises... Martin est aussi patron des vignerons corses, car il aurait fait un petit tour par là (lien)... cf. ce vin corse (LM 2008-2), cette page du Semur 2015 et ces deux tableaux dans des églises de Bastia (lien) : 1 [Giovanni Bilivert 1ère moitié du XVIIème siècle] (ci-dessous) 2 [Anton Benedetto Rostino 1806].

    Avec tous ces crus, Martin pourrait être patron de bar. Il ne l'est pas mais, outre celui de la ville de Tours comme on l'a vu, il fut désigné patron des dynasties mérovingienne et capétienne, puis des maréchaux-ferrants, policiers, commissaires des armées, de Buenos Aires, de centaines de communes, de milliers d'églises. Patron des gardes suisses pontificaux (article Fasc. NR 2012), il est aussi patron des piétons avec ce commentaire de blog : "En gros le mec est saint patron d’un peu tout le monde. Sauf les culs-de-jatte, ça va de soi (dixit Georges Brassens)".

    Les reliques de Martin 1/8 : selon les époques... Michel Fauquier, en cet article de 2019 sur le site Aleteia : "Avec l’acceptation progressive par Rome de la religion chrétienne sous sa forme catholique, le martyr s’était largement effacé de l’horizon européen alors que, dans le même temps, fleurissaient partout en Europe des églises, qui étaient demandeuses de reliques de saints à insérer dans les autels. Comme il n’était pas habituel de démembrer les corps des saints pour multiplier le nombre de leurs reliques, l’Eglise se trouva face à une situation de pénurie. Or, au même moment, les catholiques se trouvèrent confrontés à de violents raids en provenance de Germanie. [...] Désemparés face à ces ébranlements et les menaces qu’ils portaient, les catholiques recherchèrent avec encore plus d’ardeur la protection des corps saints : c’est pourquoi les masses adoptèrent immédiatement le nouveau modèle de sainteté qu’un auteur du IVe siècle finissant, Sulpice Sévère, avait dessiné. Ce modèle, il ne l’avait pas inventé : il s’était présenté à lui de façon providentielle en la personne de Martin de Tours, qui devint ainsi le premier modèle de la sainteté moderne, c’est-à-dire de la sainteté non-martyriale. [...] Si Sulpice Sévère prêta à Martin de Tours le désir du martyre, le fait est que ce dernier ne le subit pas, ce qui n’empêcha pas le premier de dire « saint » le second, dès les premiers mots de son oeuvre, avant de le proclamer « apôtre des Gaules » dans un ouvrage plus tardif."


    Les reliques-gadgets d'aujourd'hui... Des porte-bonheurs ? Voici successivement : 1) un médaillon + treize autres médailles : 1 2 3 4, 5 6 7 8, 9 10 11 12 [flickr Army Chaplain Corps] 13 LM 2018]. Le cas particulier de la médaille 2016 du joaillier tourangeau Lecerf installé au pied de la tour de l'horloge, deux articles de La NR : 1 2 (lien vidéo). 2) un porte-clés + quatre autres  1 2 3 4, 3) un pin's + quatre autres épinglettes : 1 2 3 4. 4) un genre d'oratoire miniature (langue anglaise), reprenant un tableau célèbre, visible en partie sur la présente page, avec indication de son célèbre auteur (cherchez donc...). 5) Une image pieuse et quatorze autres "Ora pro nobis" / "Priez pour nous" : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 (lien). 6) Image cartonnée et vingt autres sans caractère religieux affirmé : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 (+ sa figurine). Ci-dessous, un "vitrage" (Suisse). Suites en Reliques 2/8, 3/8, 4/8, 5/8, 6/8, 7/8, 8/8.


    Les timbres autres reliques modernes ? Avec l'omniprésence du partage du manteau. 1) Allemagne 1984 2) France 2017 3) France 1960 4) Monaco 1948 5) Tchécoslovaquie 6) Hongrie 2011 7) Luxembourg 1980 + vingt et un autres timbres : 1 Belgique 2 Allemagne 3 Rwanda 1967 (annulé) 4 Belgique 1941 5 Belgique 1948 6 Belgique 1941 7 Autriche 1985 8 France 9 Belgique 1911 10 France 11 Autriche 1936 12 Autriche 1999 13 Tchécoslovaquie 1999 14 Autriche 15 Allemagne 16 Hongrie 2016 17 Argentine 1968 (lien) 18 Hongrie 1972 [flickr isa 11] 19 Portugal [flickr quevedodovale] 20 Belgique 1910 21 Allemagne 2011 [flickr isa 11] + deux timbres d'Arabie Saoudite [LM 2008-2] + page de LM 2006-1 + page de LM 2006-2 + ces deux pages : 1 2.

    Martin et ses démons. Les démons et le diable sont omniprésents dans les récits martiniens. Ces apparitions sont somme toute logiques pour un exorciste, dont la fonction consiste à les affronter par des exhortations mystiques. Jacques Verrière : "En somme, des diables grimaçants s'agitent, ricanent et glapissent sur beaucoup de vitraux dédiés à saint Martin, et il en est ainsi depuis le XIIIème siècle au moins. Nul n'en sera surpris, tant ce constat est en accord avec une Chrétienté obsédée par le péché. Le discours de l'Eglise était culpabilisant et punitif. [...] Les diables de Martin sur les vitraux ont été mis au service d'une théologie qui accablait le pécheur, alors que Martin n'a jamais cherché qu'à le libérer. A cet égard encore, le message de Martin a été utilisé, accomodé aux conceptions théologiques ultérieures, et, dans une certaine mesure, subverti." [Verrière 2018].

       
    A gauche, l'exorciste Martin expulse par le cul le démon du corps d'un homme possédé [cathédrale de Tours, baie n°8, Verrière 2018]. Puis, Martin démasque une ruse du diable ["Martinellus" 1110, BmT] (lien + reprise complétée et commentée dans Lecoy 1881). Puis "Apparition du diable à saint Martin" [cathédrale de Belluno en Vénétie]. A droite, les dieux paîens sont pour Martin des démons à abattre [église Saint Martin de Clamecy en Bourgogne] + trois autres vitraux où Martin fait fuir un démon : 1 [cathédrale de Bourges] 2 [basilique Saint Martin de Tours, atelier Lobin, Verrière 2018] 3 [église St Martin de Saussey dans la Manche, lien]. + planche de Maric - Frisano 1994 contant une rencontre de Martin et Satan. Autres illustrations sur Martin et ses démons : ci-après.


    Surprise : Martin aurait aussi partagé son manteau avec le diable !. C'est l'illustre peintre Raphaël qui a dessiné cette fumeuse scène. Cela méritait une explication, fournie par Albert Lecoy de la Marche [Lecoy 1881]. A droite, autre surprise, c'est un évêque cornu aux pieds crochus qui s'attaque à Martin, sur une fresque murale de l'église St Salvadoor de Pavie en Italie [Semur 2015]

    Jusqu'au XIXème siècle, une aseptisation de la figure de Martin. Michel Fauquier poursuit : "L'épiscopat chercha à opposer à saint Martin de Tours, un autre modèle qui fût plus présentable à ses yeux : il jeta son dévolu sur saint Germain d’Auxerre [380-448], un ancien très haut fonctionnaire devenu évêque sur le tard, que nous avons proposé de regarder comme le « Martin de coeur des évêques« . Malgré tout, la Vie de saint Germain d’Auxerre, composée entre 470 et 480 par Constance de Lyon, réussit plus à « épiscopaliser » la figure de saint Martin, qu’elle ne l’effaça au profit de celle de saint Germain : c’est en effet celle du premier qui s’imposa à travers toute l’Europe occidentale, mais elle montrait désormais un saint Martin mitré, ganté, porteur de sa crosse épiscopale, d’une chasuble et même… d’un pallium qu’il ne reçut jamais ! En un mot, un saint Martin de Tours parfaitement présentable, représenté comme l’étaient tous les évêques. En ce sens, la figure de saint Martin de Tours connut un destin exemplaire : elle donna un rôle central à l’héroïcité des vertus ― qui devait être reconnue comme la première condition sine qua non permettant d’ouvrir un procès de canonisation, quand cette procédure fut fixée au tournant des XIe-XIIIe siècles ―, mais son « épiscopalisation » ouvrit une autre tendance, celle à présenter aux fidèles ce que Jacques Fontaine appella avec raison des « saints de vitrail », donnant une image lisse des saints parfois très éloignée de ce qu’ils furent effectivement." Ces images du saint vitraillisées, aseptisées, prédominent encore. Quand seront-elles considérées comme datées et inadaptées, autant que les images de Martin chevalier en habit et décor moyen-âgeux ?

    Quelle est la plus absurde des légendes sur Martin ? Il y a l'embarras du choix, diront certains. Je choisis la légende du martinet. Dans le Catalogue 2016, Ingrid Leduc la raconte ainsi : "Cet oiseau dévore les grappes de raisin mûr au grand désespoir des vignerons. Ceux-ci implorèrent Martin de leur venir en aide. Pour contenir les oiseaux, le saint plaça une croix dans les vignes et les oiseaux vinrent s'y poser, obéissant ainsi au saint dont ils prirent le nom." Le martinet est un oiseau migrateur extraordinaire qui préfère les villes aux campagnes, qui ne mange jamais du raisin mais seulement des insectes, qui ne se pose jamais sauf pour pondre, couver et s'occuper de ses petits au nid, restant des mois constamment dans les airs. Bref c'est un seigneur des airs qui ne ressemble pas du tout au chapardeur décrit... Sulpice Sévère heureusement n'a jamais raconté une telle baliverne... Au-delà, il y a des légendes qui n'ont jamais été crues mais qui faisaient rêver tant elles étaient étranges. Ainsi celle de "Saint Martin Faucheur" raconté en une page du "Magazine de la Touraine" hors-série "Contes et légendes de Touraine", 2002 (couverture).


    La mère de Martin : délire post moyenâgeux !. En 1572, un illuminé publia une sorte de science-fiction antique avec pour héroïne une fille de roi de Constantinople, la belle Hélaine, à qui il arrive des histoires à dormir debout et qui devient mère de saint Martin et de saint Brice (rappelons qu'il sont nés avec 60 ans d'écart...). Cet ouvrage, dont on connaît deux éditions, est titré "Le rommant de la belle Helaine de Constantinople, mère de sainct Martin de Tours en Touraine et de sainct Brice son frère". Illustrations : couvertures de deux éditions, gros plan de la seconde, deux autres images. + Lien vers une retranscription sur le site de la médiathèque de Lisieux, + trois éditions intégrales d'une centaine de pages [Gallica] : 1 2 3. Ci-dessous extrait de la généalogie de Martin composée par Ambroise de Cambray pour Louis XI (P.-S.) [archives dép. 37].

    Martin de sang royal ? Plusieurs récits se plaisent à raconter que Martin serait de haute noblesse royale. Outre celui farfelu de la belle Hélaine présenté ci-dessus, Narcisse Cruchet et Augustin-Hubert Juteau, dans leur livre de 1885 "Histoire populaire de saint Martin" racontent cette histoire : "On lui a prêté une généalogie dont les fastes feraient envie aux races les plus illustres. D'après l'histoire des sept dormants, Florus, roi des Huns, au temps de Dioclétien et Maximien, épousa une jeune princesse d'une rare beauté, Brichilde, fille de Chut, roi des Saxons ; il en eut trois fils, Florus, Hilgius, Amnar. L'aîné obtint à son tour la main de Constance, soeur de Julien l'Apostat, qui le rendit père de saint Martin. Proche parent des Césars, allié d'un autre côté aux rois d'Angleterre, l'apôtre des Gaules aurait certainement revêtu le pourpre et ceint la couronne royale de Hongrie, s'il n'eût tout quitté pour se faire moine." Martin neveu de l'empereur Julien, cousin (grand-oncle ?) du futur Attila (né en 395)... Sur cette base, le roi Louis XI fit dresser sur un immense parchemin la "généalogie authentique" de Martin (extrait illustré, BmT), Maupoix 2018). Ces deux élucubrations, le neveu de Julien et le fils d'Hélaine, sont présentées en une double-page de Lecoy 1881.

    Sainte Martine, une supercherie parmi d'autres. Si ce récit de la Vita Martini, apparaît globalement crédible et si le refus de l'esclavage, décrit dans d'autres anecdotes, apparaît certain, il y a lieu de douter de nombreux autres épisodes révélés tardivement. Il y a même des cas où on est sûr que la vie d'un saint ou d'une sainte a été complètement inventée. C'est déjà très probable pour Gatien et Jacques de Compostelle, déjà cités, c'est encore plus flagrant pour sainte Martine. A partir d'une tombe découverte en 1634, un roman cousu de fil blanc (raconté sur cette page) a été inventé, comme l'indique aussi la page Wikipédia. Le lien avec Martin semble absent, on peut supposer qu'il n'existait pas encore de sainte Martine et qu'il a paru opportun d'en créer une, chaque prénom devant avoir son saint ou sa sainte... Entre ce qui est certain et ce qui ne l'est pas du tout, il y a toute une gamme de probabilités qu'il est difficile d'appréhender... + deux vitraux de Martine (site de Nhuan DoDuc) : 1 [église Sainte Martine de Pont du Château] 2 [église de l'assomption à Montpeyroux dans le Puy de Dôme].

    Les saints d'hier se sont-ils transformés en super-héros ? C'est la question que pose le journal "La Vie" dans un article de 2014 (lien). Le philosophe Paul Clavier y apporte d'intéressantes réponses, comparant super-héroïsme et sainteté, super-pouvoirs et miracles... Et nous ne pouvons que comparer la cape rouge de Superman et sa façon de dominer la situation avec une autre cape rouge et une autre domination du haut de son cheval... En son livre "Martin de Tours, vie et gloire posthume" (1996), Charles Lelong présente quelques-uns des exploits des saints super-héros racontés un peu avant le Vita de Sulpice Sévère. Dans la vie d'Antoine, écrite par Athanase vers 357 : "On y voit le saint lutter avec le diable, chasser d'un mot les bêtes sauvages, faire jaillir l'eau en plein désert, guérir à distance, bénéficier du don de double vue". Dans "Vie de saint Hilarion" écrite par Jérôme : "Hilarion est présenté comme doté de pouvoirs inouïs, exorcisant un chameau, paralysant des pirates, arrêtant un énorme raz-de-marée". Alors quand Sulpice Sévère, bercé par ces récits, comme aussi ses interlocuteurs à un autre degré, déclare "Tout ce que j'ai dit, tout ce que je vais dire, je l'ai vu moi-même ou je le tiens de source certaine, le plus souvent de Martin lui-même", on comprend que les historiens les plus récents aient tenté de démêler le vrai du faux...


    [vitrail corrigé de l'église de Mosne, en Touraine, et affiche du film "Man of steel" 2013]. A qui est la cape ?


  15. Dix-huit siècles de livres sur Martin et un puissant renouveau contemporain

    La longue liste des ouvrages consacrés à Martin. Nous avons fait leur connaissance ou nous la ferons dans d'autres chapitres : Sulpice Sévère, Paulin de Nole, Venance Fortunat, Paulin de Périgueux, Grégoire de Tours, chacun, écrivant en latin, avait son style. Dans le Catalogue 2016, en un article "De la Vita sancti Martini (396) au Mystère de Saint Martin (1496) : onze siècles d’écriture et de réécriture à la gloire de l'évêque de Tours" (lien), Sylvie Labarre analyse finement l'évolution des écrits sur la vie de Martin, résumant "un immense travail de réécriture entrepris à travers les siècles par des écrivains soucieux de célébrer la sainteté et les miracles de l'évêque de Tours et d'édifier leurs lecteurs par l'exposé d'une vie exemplaire". Elle estime que le premier d'entre eux, Sulpice Sévère, "écrit une prose capable de séduire les lettrés aussi bien chrétiens que païens et son souci est d'abord de persuader les incrédules". Elle traite les écrits des Vème et VIème siècle de Paulin de Nole, Venance Fortunat, Paulin de Périgueux, Grégoire de Tours, puis, après des réécritures en vers ou en prose du VIIème au XIIème siècle : "c'est avec des oeuvres écrites en français que Martin entre véritablement dans l'univers culturel médiéval et que sa geste se renouvelle". Martin peut ainsi devenir petit-fils d'un roi de Hongrie, chevalier adoubé par l'empereur Constance II, combattant les Sarrasins... La lecture du texte original nous devient plus accessible. Voici quelques-uns de ces livres parmi les plus marquants, d'abord jusqu'au XIXème siècle.


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    1) Un livre en parchemin de 217 feuillets illustrés (16x22 cm), avec une vingtaine de tableaux en miniatures, "Vie et miracles de saint Martin de Tours", vers 1110 [BmT] + vue d'ensemble des pages illustrées (lien).
    Avec l'aide de Martin, le préfet Arborius contraint sa fille à devenir nonne. L'illustration de gauche, qui date donc de 1110 environ, est impressionnante pour montrer une scène où un père oblige sa fille, visiblement contre son gré, à entrer au couvent, comme l'indique la description du Maupoix 2018.
    2) "Vie et miracle de saint Martin de Tours", texte de Péan Gâtineau (259 feuillets 18,5x29 cm), XIIème ou XIIIème siècle (intégrale dans l'encadré ci-dessous 1300 + la page la plus illustrée, avec gros-plan sur la lettrine) [BnF].
    Les Martinellus. 3) Ce sont des recueils de textes relatifs à Martin (Sulpice Sévère, Grégoire de Tours...), dont le contenu est soumis à variation. Ils sont d'origine franque puis française ou allemande.Ici, une tête de chapitre d'un ensemble de 160 feuillets (19,5x27 cm), dans une version datée entre le XIème et le XVème siècle [BmT]. Le plus ancien Martinellus connu, écrit à Tours date du premier quart du IXème siècle, de la main du prêtre Adalbaldus, sur l'ordre de l'abbé de Saint Martin Fredegisus. Il est à la BnF. Pour plus de détails sur les premiers Martinellus, voir les page 800-802 de la thèse de Luce Pietri.
    4) La légende dorée est un célèbre manuscrit (un best-seller...) de l'archevêque de Gênes Jacques de Voragine, rédigé en latin de 1261 à 1265, dont on connait plus d'un millier de copies manuscrites, de nombreuses traductions et de nombreuses éditions imprimées (plusieurs sur Gallica), avec ou sans illustrations. L'auteur y raconte la vie de 150 saints, dont Martin et Brice. L'illustration sur Martin est évidemment celle du manteau partagé. + trois variantes : 1 2 [vers 1370, bibliothèque Mazarine, Paris, Catalogue 2016] 3 [Maupoix 2018]. 5) "La vie de Saint Martin évêque de Tours" par Nicolas Gervaise, 1699 (intégrale dans l'encadré ci-dessous 1699). + cinq autres vues : 1 2 3 4 5. 6) L'ouvrage d'Ernest-Charles Babut en 1912, 320 pages, permet enfin de sortir de l'hagiographie moralisatrice. 7) Le premier des trois tomes de Jacques Fontaine sur l'étude des textes de Sulpice Sévère (360 pages, en 1967) (s'y ajoute un 4ème tome "Gallus"). On peut aussi citer le "Saint Martin" de Paul Monceaux en 1926 (256 pages) + couverture + critique par Fernand Vercauteren, 1928.
    8) Lecoy 1881. Le gros livre rouge titré "Saint Martin" d'Albert Lecoy de la Marche paru en 1881 chez Mame (à Tours), 770 pages (20,5x28 cm) fut une évènement, tant par le texte qui se voulait alors presque exhaustif sur tout ce qui concernait Martin que par les illustrations, nombreuses et remarquables, largement reprises le long de cette page, réalisées par une quarantaine d'artistes présentée sur une page composée par Luc-Olivier Merson. Même les lettrines de début de chapitre sont ouvragées (exemple avec Adam et Eve). La première page est révélatrice de la volonté de conter "la substitution du christianisme à l'idolatrie". Voir dans l'encadré ci-dessous la date 1881 et 1895 pour obtenir une intégrale et une demi-intégrale. + une page de texte dans la présentation des édifices Saint Martin. + article compte-rendu d'Alexandre Bruel en 1881).

    Livres sur Martin disponibles en intégralité sur le site Gallica
    Le site Gallica, dépendant de la BnF, met à disposition des livres téléchargeables. En voici, par année de parution, qui traitent de Martin de Tours (+ page de recherche avec les critères "Martin" et "Tours"). 837 "Martinellus", une version carolingienne, 240 pages. 1300 "La vie de saint Martin de Tours", par Péan Gâtineau, 520 pages. 1435, extrait de onze pages illustrées (638v à 643v, lien) sur Martin dans le bréviaire de Salisbury. 1496 "La vie et miracles de monseigneur saint Martin, translatée de latin en francoys", version en couleur imprimée par Mathieu Latheron, 220 pages, nombreuses illustrations (cf. encadré ci-dessous). 1699 "La vie de saint Martin", par Nicolas Gervaise, 454 pages (ci-dessus 5). 1852 "Histoire de saint Martin, évêque de Tours", par Achille Dupuy, 504 pages. 1859 "Saint Martin, évêque de Tours", par Mathilde Bourdon, 100 pages. 1861 "Vie de saint Martin", par Sulpice sévère, Jean-Jacques Bourassé, Richard Viot, 133 pages. 1861 "Vie de saint Martin et des principaux saints militaires", 64 pages. 1864 "Saint Martin de Tours", par Maxime de Montrond, 238 pages + illustration. 1864 "Figure historique de saint Martin, étude sur son rôle et son influence", par Casimir Chevalier, 24 pages. 1864 "Vie de saint Martin de Tours", par Jacques Jeancard, évêque de Cérame, 264 pages. 1865 "Saint Martin et sa basilique", par Victor Alet, de la Compagnie de Jésus, 71 pages. 1875 "Vie de saint Martin, évêque de Tours", par Louis Baguet, curé de Béhéricourt, 195 pages. 1876 "L'esprit de saint Martin", par Marc de l'Hermite, 88 pages. 1876 "Vie de saint Martin, évêque de Tours", par D. S., 216 pages. 1881 "Saint Martin", par Albert Lecoy de la Marche, 770 pages (ci-dessus 6). 1885 "Histoire populaire de saint Martin", par Narcisse Cruchet et Augustin-Hubert Juteau, prêtres du diocèse de Tours, 210 pages. 1895 "La vie de saint Martin", par Albert Lecoy de la Marche, 400 pages, version raccourcie de l'édition de 1881 (ci-dessus 6). 1897 "Vie de saint Martin illustrée", par René des Chesnais, 224 pages. Ajoutons des ouvrages de la SAT et le livre 1908 du chanoine Edgard-Raphaël Vaucelle "La collégiale de Saint-Martin de Tours des origines à l'avènement des Valois (397-1328)", 472 pages (avec la liste des abbés, doyens, trésoriers, chantres...). + lien vers une bibliographie.


    Quatre autres "Vie de saint Martin". 1) Martin sur son âne, une des illustrations du livre de 1496 présenté en encadré ci-dessous. 2) ouvrage de même titre, en version populaire noir et blanc d'une centaine de feuillets, "La vie et miracles de monseigneur saint Martin translatée de latin en francois" vers 1500, livret de pèlerinage + une double page [BmT, Catalogue 2016]. 3) "La vie de Saint Martin le Miséricordieux, évêque de Tours" vers 1700, par Dimitri de Rostov, saint de l'église orthodoxe russe, présente une vision chrétienne orthodoxe de Martin ; ici en une réédition de 2009 des "Editions bénédictines". 4)"Saint Martin de Tours", livre belge de 1925 par Marcellin Lissorgues, prêtre du Cantal.
    1496 : un superbe livre enluminé sur Saint Martin offert au roi de France. "La vie et miracles de monseigneur saint Martin translatée de latin en français", Mathieu Latheron pour Jean de Liège (Jean de Marneffe), 1496, version en couleur, est un des premiers livres imprimés de la bibliothèque, encore modeste, du roi Charles VIII au château de Plessis lès Tours [BnF, trois exemplaires connus, intégrale dans l'encadré ci-dessus 1496] + analyse de Pierre Aquilon dans l'ouvrage "Tours 1500 capitale des arts", 2012. Outre l'illustration ci-dessus à gauche, voici quelques-unes des 97 miniatures du livre, d'abord quatre avec le diable : 1 2 3 4, + trois résurrections : 1 2 3 + trois destructions de temple ou arbre : 1 2 3 + puis quatorze autres sur des saints ou scènes présentés sur cette page, Martin étant évêque (la tiare !) ou en son tombeau / chasse : 1 (le pauvre d'Amiens) 2 (Marmoutier) 3 (le lépreux de Paris) 4 (Valentinien) 5 (Maurice) 6 (Mexme) 7 (Ambroise) 8 (Gatien !) 9 (Hilaire !) 10 (Cararic roi de Galice) 11 (Clovis devant le tombeau) 11 (bataille de Vouillé) 12 (les Normands) 13 (le lépreux d'Auxerre) 14 (retour d'Auxerre).

    Ernest-Charles Babut : déconstruction ou hyper-critique ? En 1912, l'historien Ernest-Charles Babut, né en 1875, décédé en 1916 à la guerre de 1914-18, s'est penché de façon approfondie sur l'oeuvre de Sulpice Sévère. Il a le plus vigoureusement "démoli" à la fois le biographe et son héros, dénonçant la Vita Martini comme une "imposture" et un "tissu de contes mensongers", regardant Martin comme un personnage médiocre, bizarre, ayant peu d'autorité sur son clergé et peu de prestige auprès de ses confrères, "peut-être de tous les évêques de Gaule celui qui paraissait le moins désigné pour la gloire ecclésiastique" : c'est le succès de librairie de la Vita qui aurait créé de toutes pièces la popularité, finalement universelle, de l'évêque de Tours (d'après un article de Jean-Rémy Palanque en 1969, on pourra lire aussi l'étude de René Aigrain, de 1921). Ces lourdes et féroces accusations, ce fut démontré notamment par Jacques Fontaine, reposaient sur des postulats erronés, contraires à d'autres sources historiques. Mais toutes ne sont pas à rejeter (notamment ses interrogations sur la date de décès de Martin ?). Un second Babut, du XXIème siècle, débarrassé des défauts du premier, prenant en compte les derniers travaux, serait le bienvenu... Compléments : une analyse de Sylvain Sanchez, 2012, reprenant des propos de Charles Péguy, sa nécrologie par Joseph Calmette, 1919, la biographie de son père, Charles Edouard, pasteur.


    Ernest-Charles Babut (1835-1916) : mort à la guerre de 1914/18, comme 18 millions d'autres victimes que Martin, ni son dieu, n'a pu sauver. Ses prénoms officiels sont Ernest Théodore. Il était professeur agrégé d'histoire.

    Martin : des fables hilarantes ? Photo de cette page de 2016 du site "La Rotative" s'appuyant sur les travaux de Babut pour critiquer vertement la municipalité de Tours, commençant ainsi : "Sur le boulevard qui traverse la ville d’est en ouest, une exposition intitulée « De Martin à saint Martin : sa vie, ses légendes » est proposée au regard des passants. Sur des colonnes rouges estampillées « JC Decaux » et « Ville de Tours », on a droit à une collection de fables qui seraient hilarantes si la mairie ne s’employait pas à les faire passer pour des vérités. Martin guérissant un possédé, Martin guérissant un lépreux, les reliques de Martin repoussant les envahisseurs...". Jacques Fontaine et Bruno Judic sont aussi cités, presque en soutien à Babut, pour un article étayé.


    Ces propos à peine écrits sont confortés par la connaissance d'un article de Robert Beck dans la conclusion du Collectif 2019. Extraits : "L'ouvrage d'Ernest-Charles Babut sur saint Martin de 1912 constitue un véritable travail historique : une étude qui applique la méthode historique la plus rigoureuse et la plus moderne en s'appuyant sur un corpus important de sources. Ce livre, présenté comme le résultat de longues recherches, propose une véritable déconstruction de la figure martinienne. [...] Babut constate de nombreuses incohérences chronologiques qui, à titre d'exemple, s'opposent à la possibilité d'un séjour de saint Martin chez Hilaire à Poitiers.". Beck montre le bon accueil de cette étude avant la guerre de 14 (par exemple cet article de René Massigli en 1913), et son rejet complet après-guerre, quand Martin apparaît comme une figure du patriotisme. Si cela ne remet pas vraiment en cause les critiques très solides de Jacques Fontaine (et déjà esquissées en 1913 en conclusion de l'article précité), une relecture moins systématiquement à charge de Babut, avec un éclairage du XXIème siècle, serait opportune.

    Dans son livre "Vie et culte de saint Martin" (1990), Charles Lelong aborde, loin des représentations ultérieures, l'aspect physique et le mode de vie de Martin : "Sa mise resta toujours pitoyable : la tête rasée, le front sans cheveux et la barbe mal faite, des vêtements sales et sans recherche, en particulier le grand manteau noir de poils rudes, en forme de sac, ceint de cordes grossières, jeté sur une tunique rugueuse... Il effectuait ses tournées diocésaines à pied, en barque ou à dos d'âne comme le Christ. Il refusait de recevoir à sa table les visiteurs de haut rang et n'acceptait aucun de leurs dons pour préserver sa pauvreté. Il permettait à peine qu'une reine se tint un moment près de lui, prêchait la virginité, exaltait la continence... Comme Antoine, il s'interdisait le rire et les pleurs...".

    La personnalité de Martin. Charles Lelong dresse aussi un portrait du militaire devenu évêque-moine. Il est à la fois "taciturne, timide, effacé" et "mordant, violent, agressif", sensible, nerveux, défaillant, énergique, diplomate, dévôt, fanatique, ayant "une doctrine un peu courte", "simple mais familier des grands", combatif, courageux, généreux, d'un "illuminisme naturel". Ses "qualités et défauts contrastés", sa "fausse faiblesse" sont davantage "de nuances que de vraies contradictions". Il a une "force de caractère peu commune pour assumer sa marginalité". Analysant ce portrait, Michel Carrias, en un article de 1997, le résume ainsi: "Avec ses défauts : raideur, crédulité, fanatisme contre les païens, manque d'envergure qui l'empêcha de « s'imposer comme chef d'un parti ... ; qui sont « le revers de ce qui fait... la grandeur du personnage : la totale sincérité de sa foi et une fidélité inflexible à ses convictions ». Paul Mattei, en un article de 2005 considère Martin comme un "évêque hors cadre(s)", d'abord un moine, mais un moine s'étant accompli dans sa mission d'évêque. Camille Julian, historien de référence de la Gaule, estime, en un article de 1923 (partie 4), que Martin était un grand voyageur, "homme d'action, sachant organiser et commander, une intelligence très saine, une volonté très droite", davantage qu'un thaumaturge ou un ascète. + sept autres articles de Jullian sur Martin : 1 (partie 1) 2 (partie 2) 3 (partie 3) 4 (autre partie 2, = 5 ?) 5 (partie 6) 6 (sources) 7 (jeunesse).

    Martin était-il illettré ? Sulpice Sévère écrit, à propos de Martin : "Jamais je n'ai entendu d'aucune autre bouche tant de savoir, tant d'intelligence, tant de talent quant à la qualité et à la pureté de l'expression. D'ailleurs, au regard des "vertus" de Martin, combien mince est cet éloge ! Sauf qu'il est étonnant qu'à un homme illettré, pas même cette grâce n'ait manqué." Olivier Guillot, en son "Saint Martin apôtre des pauvres" de 2008 : "Le fait est que Martin paraît bien être le seul évêque de son époque auquel on ait osé attacher cette épithète d'illettré. Notre conviction est que celle-ci était pleinement justifiée". Cet avis n'est pas partagé par tous les historiens, Martin ayant pu apprendre à Ligugé les bases de la lecture.

    La canonisation de Martin. Dominique-Marie Dauzet, en son livre "saint Martin de Tours" (Fayard 1996) : "A cette époque la canonisation, entendue au sens actuel du terme, n'existait pas. [...] Le culte rendu aux martyrs par les fidèles était immédiat. [...] Ils gardaient précisément en mémoire la date de la "depositio" du défunt dans la tombe, et en fêtaient l'anniversaire, qu'ils inscrivaient au calendrier de leur communauté. Les chrétiens qui venaient prier sur la sépulture et y demander des grâces spéciales étaient eux-mêmes les garants de la "sainteté" du défunt. L'inscription par l'évêque ou son clergé de l'anniversaire dans la liste des fêtes liturgiques avait valeur suffisante de "canonisation"." Puis : "S'agissant de "canonisation" populaire, le cas de Martin est probablement le plus extraordinaire du genre, et d'abord parce qu'il est le premier saint non-martyr à avoir connu une telle popularité. [...] Mais aussi son cas est exceptionnel parce que sa réputation est telle déjà de son vivant que les fidèles l'entourent de pratiques ordinairement réservées aux martyrs défunts."

    Paradoxal culte. Un article d'octobre 1997 du magazine "L'Histoire" (n° 214) souligne les contradictions entre le culte de Martin et sa vie : "On voit bien l'accumulation de conjonctures favorables qui ont contribué à assurer la popularité du culte de saint Martin : une personnalité charismatique, un biographe de grand talent, des successeurs qui s'en sont fait les imprésarios, un prince d'envergure [Clovis, on peut aussi ajouter Charlemagne et Hugues Capet] mettant sa dynastie sous son patronage. Non sans engendrer quelques paradoxes amusants. Le soldat rebelle a soutenu les entreprises guerrières d'un conquérant sans scrupules. L'ascète a assuré à sa ville et à son clergé la manne des générosités royales. L'évêque sans culture que ses collègues méprisaient a bénéficié de l'admiration d'un grand écrivain. La tombe de celui qui avait voulu être enterré de façon quasi anonyme dans un cimetière public a été surmontée de l'une des plus somptueuses basiliques des premiers siècles du Moyen Age. Pourtant, si les voies de sa gloire posthume ont emprunté parfois de curieux cheminements, Martin a toujours été, pour la dévotion populaire, l'homme au manteau partagé, le patron des exclus, le saint de la solidarité immédiate et efficace."

    Une histoire expurgée En 2016, la ville de Tours a fêté le 1700ème anniversaire de la naissance de son second évêque (document municipal). S'il est naturel que l'on célèbre un personnage qui permit, par ses successeurs, à la ville de se développer jusqu'à devenir à la fin du XVème siècle la capitale politique et culturelle de la France, il y a lieu de s'étonner qu'on persiste à gommer les côté sombres du personnage pour ne pratiquer que de l'hagiographie. Son long passé militaire, ses destructions du patrimoine gaulois, son intolérance, que ce soit contre les païens ou les ariens, ne devraient pas être gommés. En sens inverse, il ne faudrait pas noircir celui qui eut le courage de montrer dans l'affaire Priscillien une modération qui ne fut pas celle d'autres saints davantage sectaires, comme Augustin (354-430), qui forgea la notion de "guerre juste".

    Epoque décadente ? Dire, comme Régine Pernoud (1909-1998) en son livre "Martin de Tours, rencontre" (Bayard Editions 1996), que par "l'importance que prend le caractère de sa sainteté", "il inaugure une nouvelle civilisation" peut être vu comme un reproche plutôt qu'un compliment. Longtemps les intellectuels ont regretté l'époque romaine et gauloise, et, assurément aussi, la population, pour des raisons d'abord économiques. Eugène Giraudet ("Histoire de la ville de Tours" 1873) : "La décadence des esprits est à peu près complète. [...] Les écoles civiles fondées par les Romains à Caesarodunum disparaissent ; seule l'école épiscopale subsiste. L'étude de la jurisprudence, de la philosophie, de la poésie est délaissée ; et la littérature sacrée occupe exclusivement les intelligences. [...] La notion du juste et de l'injuste paraît tellement inconnue et la mauvaise foi dans les affaires est poussée si loin que des mesures sont prises pour permettre aux créanciers de réduire en esclavage leurs débiteurs insolvables."

    Martin, un bilan historique nuancé. Martin de Tours a eu dans notre histoire un rôle essentiel. Les campagnes auraient pu rester à l'écart de la christianisation des villes, tant les bagaudes avaient amorcé une sécession. Plus que sa violence (contre ses démons, non contre les hommes), son humilité et sa détermination ont permis de convaincre les campagnes. Les fossés entre urbains et bagaudés et Barbares christianisés se sont réduits. La Gaule était devenue invivable, Martin le premier a trouvé une voie pour une nouvelle façon de vivre ensemble, pour aller vers une cohésion sociale. Son humble intransigeance était adaptée à son époque. Il a fait pivoter les intérêts communs. Il a réussi à établir une manière de se mélanger par le partage d'idéaux novateurs. Ses successeurs évêques, dont Perpet et Grégoire sont les symboles, ont continué dans cette voie à un autre niveau. Venant de l'aristocratie gauloise et romaine et sachant s'associer à l'aristocratie franque, ils ont achevé la transformation d'un impérialisme économique et militaire en un autre impérialisme culturel et religieux, qui portait en lui un poison originel : Martin avait en lui le germe d'une intolérance religieuse qui, relayée par ses continuateurs, fut de plus en plus oppressante au fil des siècles... Un peu comme si la guerre civile qui menaçait alors avait été repoussée à l'époque de la croisade albigeoise et des guerres de religion... Et de l'Inquisition et de la colonisation meurtrière, des débordements que Martin aurait refusés mais que ses lointains continuateurs n'ont pas su contenir.

    Jacques Fontaine, critique éclairé de l'hagiographie de Sulpice Sévère, a présenté ce qui peut être appelé un bilan professionnel du saint, estimant dès 1969 que Martin porte en lui "un christianisme militant vécu par un laïc militaire" (ce qui le distingue notamment de Sulpice Sévère en qui il voit "une redoutable étoffe d'intégriste") et concluant le colloque de 1997 par un article titré "Saint Martin et nous". Extraits : "Moine autant qu'évêque, il a choisi de s'exprimer dans le style sobre des Pères du désert. [...] Cet orant, qui aimait s'adresser à Dieu dans la solitude, demeure aussi pour nous le modèle d'une spiritualité de la rencontre. [...] Martin, comme Dieu lui-même, ne jugeait pas les gens sur la mine, qu'ils fussent gueux ou empereurs, paysans incultes ou riches propriétaires lettrés. [...] Martin n'est donc pas une figure légendaire, surgie de l'univers intemporel des contes populaires et du folklore ; ce n'est pas non plus la fiction trop séduisante d'un hagiographe enthousiaste et d'un écrivain raffiné. [...] Martin n'était pas un illuminé, une cervelle dérangée. Il fut certainement un non-conformiste, un original, avec ce que le mot éveille, à la fois, de sympathie et d'inquiétude, chez ceux qu'un tel caractère attire et surprend. [...] La singularité de Martin résulte d'un approfondissement constant de sa vocation, qui le fit passer sans heurts de la milice à la militance, de la profession militaire à la profession de foi, puis à la profession monastique, enfin à la mission apostolique de l'évêque évangélisateur.".


    Historiens et colloques. Jacques Fontaine (1922-2015, lien), Charles Lelong (1917-2003), Luce Pietri au colloque de 2016, recueils SAT du colloque de 1997 (224 et 310 pages)

    Les historiens de fin du XXème siècle ont permis de dissocier faits historiques et inventions légendaires. Dans sa thèse de 1980 (page 39), Luce Pietri parle ainsi de l'avancée provoquée par Jacques Fontaine (1922-2015) en ses trois ouvrages de 1967 à 1969 d'étude de la Vita Martini de Sulpice Sévère (+ critique de Jean-Rémy Palanque, et critique de Pierre Courcelle, en 1970) : "En dégageant les écrits du biographe de la gangue des lectures et des interprétations partisanes, en les passant au crible d'une « critique raisonnée et tempérée », en les éclairant enfin à la lumière d'une connaissance très sûre du milieu dans lequel ils furent élaborés, le dernier commentateur de la Vita Martini est parvenu à une conclusion solidement étayée qui rend assurance à la démarche de l'historien. [...] La méthode d'investigation, élaborée à partir d'une problématique complètement renouvelée, peut, d'une façon plus générale, guider l'enquête historique". Effectivement, en cet élan, les recherches se sont poursuivies, cristallisées par deux ouvrages de synthèse de Charles Lelong (1917-2003) en 1990 (couverture) et 1997 (après ses ouvrages de 1986 sur la basilique et 1989 sur Marmoutier), par un séminaire - colloque en 1997 et par un autre colloque en 2016. La ville de Tours, la Touraine (département d'Indre et Loire), la région ligérienne (Centre Val de Loire) et la communauté des historiens ont rendu, avec ces deux colloques (auxquels participait Luce Pietri, et Jacques Fontaine pour le premier), un hommage contemporain appuyé à Martin. En 1997, c'était à l'occasion du 1600ème anniversaire du décès de Martin. Quatre ouvrages sur Martin ont alors été édités, commentés par un article de Michel Carrias (+ lien avec deux autres livres). Soulignons aussi le constant travail en profondeur de la Société Archéologique de Touraine (SAT). Ces avancées historiques substantielles demeurent toutefois trop confidentielles, l'image de Martin est restée "vitraillisée"... Le documentaire d'Arte en 2016 (voir ci-avant) et les ouvrages de 2015-2019, malgré leurs qualités, n'ont pas réussi à vraiment reconsidérer l'image de Martin aux yeux du grand public.

    2015-2019 : un aboutissement et une timide avancée vers un nouveau Martin. La commémoration du 1700ème anniversaire de la naissance de Martin a relancé la bibliographie de Martin avec quatre ouvrages épais de 230 à 550 pages parus en 4 ans : les livres 2015, 2016, 32018, 2019 présentés ci-dessous. Tous ont une partie écrite et illustrée conséquente. Les trois premiers bénéficient d'une magnifique iconographie, sur beau papier, les deuxième et quatrième contiennent des analyses poussées. Tous sont cohérents entre eux, s'appuyant sur les travaux de fin du XXème siècle. Aucun toutefois ne met l'accent, comme il est fait ici, sur le côté sombre de Martin, son intolérance et sa destruction du patrimoine gaulois. Serait-ce tabou ? C'est tout de même effleuré en la dernière page de la conclusion de l'ouvrage de 2019 par Robert Beck qui semble appeler à une certaine réhabilitation de Babut. Les historiens ne sont pas complètement libérés de l'hagiographie primitive attachée à Martin. Avec Robert Beck, souhaitons "un nouveau débat, cette fois-ci en dehors de toute considération idéologique".


    1) Semur 2015 ("Saint Martin de Tours, pionnier européen de la solidarité", François-Christian Semur, Editions Hugues de Chivré, 232 pages + dossier de presse). 2) Catalogue 2016 ("Martin de Tours, le rayonnement de la cité", Collectif, MBAT, Catalogue de l'exposition de même titre, 288 pages + dossier de presse). 3) Maupoix 2018 ("Saint Martin de Tours, 17 siècles de récits et d'images", Michel Maupoix, éditions "Rencontre avec le patrimoine religieux", 352 pages). 4) Collectif 2019 ("Un nouveau Martin, Essor et renouveaux de la figure de saint Martin IVème - XXIème siècle", Collectif avec introduction de Bruno Judic, Presses Universitaires François Rabelais, 552 pages, incluant les interventions du colloque de 2016, ici en 40 vidéos + lien vers d'autres vidéos). Sur chaque couverture de ces ouvrages, cheval et cape rouge (en revers ou avers) sont les marques d'un certain conformisme... + les quatre oeuvres originales ayant servi à ces quatre couvertures : 1 (vitrail de la collégiale Saint Martin de Candes) 2 (anonyme et Maître Henri, "Livre d'images de madame Marie, Cambrai ou Tournai, vers 1285, BnF) 3 (Maître de Boucicaut début XVème [Bibliothèque municipale de Châteauroux]) 4 (Blasco de Granen entre 1400 et 1459, Musée d'Art de Catalogne à Barcelone) + sommaires de ces quatre ouvrages, des deux précédents (colloque 1997), de trois autres de Charles Lelong et de six autres, récents, sur Martin.
    Trois autres livres. A ces quatre ouvrages, s'ajoutent quelques autres du début du XXIème siècle, avec une riche iconographie. Verrière 2018 : "Le vitrail, reflet de saint Martin ?" par Jacques Verrière, ciblé sur l'art du vitrail, photos de Jean-Paul Paireault, éditions Hugues de Chivré 2018, 170 pages. + couverture et présentation. Geneste 2018 : sur un thème à la fois plus large, l'art du vitrail, et plus précis, l'atelier Fournier de Tours, est paru en 2018, aux éditions "Rencontre avec le patrimoine religieux", le livre "Fournier & associés" d'Olivier Geneste, 190 page, dessins BmT. + couverture + présentation. Lorincz 2001 est un ouvrage franco-hongrois de Zoltan Lorincz édité en 2001 par C.L.D. à Tours et B.K.L. à Szombathely, titré "Saint Martin dans l'art en Europe", 112 pages. + version intégrale avec filigrane sur chaque page en mek.oszk.hu ou ici, 56 Mo) + couverture. Quant au livre "Le culte de Saint en Martin en Forez" (2009, 208 pages), il montre l'impact de Martin sur une région pourtant éloignée de la Touraine (lien)...
    Publications municipales et NR. En avril 1982, le bulletin municipal "Tours Informations" a publié un dossier (25 Mo) d'une dizaine de pages denses, avec des articles de Pierre Leveel, Charles Lelong, Jacques Sadoux, Luce Pietri, Chantal Leroy, Henri Galinié. Sous son nouveau nom "Tours & moi", un hors-série fut consacré en 2016 au patron de la ville. Fasc. NR 2012 et 2011 : en 2012, La Nouvelle République a publié un fascicule "Martin de Tours, un saint européen" de 50 pages format A5 sous la direction de Bruno Judic (couverture). Un an plus tôt, en 2011, dans la même collection "Patrimoines", sous la direction de Jean-Luc Péchinot, était publié "Tours, une histoire capitale" (couverture avec la place Plumereau). En décembre 2015 , "Le Magazine de la Touraine" (Mag. Touraine) a publié un hors-série saint Martin, couverture, sommaire.
    En vrac, voici d'autres livres sur Martin, des XXème et XXIème siècle, montrant combien ils sont nombreux, d'abord en français : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36. Puis en langue étrangère (y compris des traductions) : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75.

    Le site Persée est une mine de documents rédigés par des historiens. Nombreux ont été ici repris en format pdf. Concernant Martin, il en existe de nombreux autres disponibles sur cette page correspondant aux critères de recherche "Martin" et "Tours".

    Dans un entretien radio à la parution du quatrième ouvrage, Bruno Judic indique que la connaissance du phénomène martinien repose désormais sur une pluridisciplinité des recherches qui amènera de nouvelles avancées. Ainsi l'archéologie a permis de découvrir près de Milan ce qui pourrait être la première église dédiée à Martin, construite par Pinien et Mélanie la jeune, en résonance avec la généalogie qui montre (ci-après) que Mélanie et Eustoche, évêque de Tours, étaient cousins germains. C'est ainsi que le culte du tourangeau Martin, mondialisé (dans l'empire romain) par Sulpice Sévère, avec un foyer près de Milan, aurait, en un retour aux sources, été dynamisé à Tours par la superbe basilique de Perpet, neveu d'Eustoche.



    B) 398-470 LA BASILIQUE DE L'EVEQUE ARMENCE

  16. Brice, successeur contesté de Martin, est remplacé par Armence


    Rappel : Martin est mort à Candes et son corps a été ramené à Tours par la Loire pour inhumation.
    Chapiteau sculpté de l'église de Mura, près de Barcelone, où le diable est repoussé [flickr Algela Llop].


    Le corps de Martin fut inhumé dans le cimetière paroissial de Tours le 11 novembre 397. Ce n'est que 40 ans
    plus tard que son tombeau fut placé dans une basilique. [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996] + planche. + vitrail de la cathédrale de Tours (baie 8) montrant la mise au tombeau + la même scène dans une reproduction d'un bas-relief du IXème siècle de l'église Saint Ambroise de Milan [Lecoy 1881].


    La gloire de Martin. Qu'est devenu Martin après sa mort ? Il serait allé au paradis, accompagné par des anges, avec (à droite) son casque, son épée et sa demi-cape. Voute peinte du choeur de l'église Saint Martin de Montégut-Lauragais (Haute-Garonne), par Bernard Benezet, 1868 (lien) [livre "La légende de Saint Martin au XIXème siècle" 1997]. + Sur le même thème, un tableau de Pierre-Adrien-Pascal Lehoux, 1885 [Musée des Beaux-Arts de Nantes, même livre], une miniature du bréviaire de Salisbury, vers 1435, "L'âme de saint Martin reçue par Dieu dans le ciel" [BnF], un vitrail vers 1955 de l'église St Martin d'Olivet en Orléanais (lien), une fresque, vers 1790, de l'église St Martin de Castelnau-d'Estrétefonds en Haute-Garonne, un tableau de Konrad Huber 1810, avec la cape et l'oie [église de Gundelfingen en Allemagne, lien], un tableau de Wolfgang Andreas Heindl vers 1720 [abbaye de Niederaltaich aussi en Allemagne, lien], puis, extraits du livre Lorincz 2001, quatre tableaux d'Europe centrale à la composition complexe, difficile à comprendre dans le détail, avec en commun la montée aux cieux et la présence du mendiant et sa demi-cape : 1 par Georg Desmarées 1744, Suède [église St Martin de Kaufbeuren] 2 par Georgius Lederer 1738 [église St Martin de Lemerdingen] 3 par Stefan Dorfmaister 1777, Autriche [cathédrale St Martin d'Eisenstadt] 4 par Franz Anton Maulbertsch 1791, Hongrie [cathédrale de Szombathely]. Aussi en couverture d'un livre polonais.
    Martin retrouve le mendiant. Quand tous les saints se réunissent, le mendiant et son évêque sont l'un à côté de l'autre à bavarder, en bas à droite de ce tableau d'origine hispanique indéterminée.

    Brice désigné par Martin. Pierre Audin ["Tours à l'époque gallo-romaine", 2002] : "En 397, Brice succéda à martin. Né dans une riche famille tourangelle, il avait été longtemps disciple de Martin à Marmoutier, mais s'était souvent opposé à lui "à cause de son caractère vaniteux et difficile". On l'accusa d'ailleurs d'élever des chevaux et d'acheter des esclaves, dont de jolies filles. Martin disait de lui : "Si le Christ a supporté Judas, je peux bien supporter Brice !". Plus tard, celui-ci s'amenda, si bien que Martin, épuisé et malade, recommanda aux clercs et au peuple de Tours de le choisir comme son successeur. Quelque temps après son élection, Brice fut accusé d'hérésie par Lazare, futur évêque d'Arles [en fait Lazare, évêque d'Aix de 408 à 411], et dut se rendre à Turin, vers 401, pour se justifier devant un concile.". C'est la première affaire dont on reparlera. Une page du site "Historivegauche" raconte la vie de celui qui, nommé évêque à vingt ans environ, "en dépit d’une réputation pour le moins sulfureuse et d’un épiscopat constamment sujet à diverses difficultés, étonnamment, laisse le souvenir d’un saint".

    Brice vraiment désigné par Martin ? Doit-on croire tout ce que raconte Sulpice Sévère ? En son livre "Saint Martin, apôtre des Gaules" (Fayard 2008), Olivier Guillot a des doutes. Il signale que Brice est élu seulement trois semaines après le décès de Martin, comme s'il y avait eu un coup de force. "Il y a eu une certaine exaspération éprouvée à l'encontre du type d'évêque qu'avait été Martin, et, par contre-coup, puisque Brice avait été à Tours son adversaire notoire, une faveur manifestée coûte que coûte envers lui", ce qui explique à la fois l'élection et les soutiens cléricaux dont bénéficia Brice ensuite. De plus, Brice a été élu très jeune, une vingtaine d'années, et c'est aussi étonnant...

    Brice l'anti-Martin. En sa thèse de 1980, Luce Pietri [page 105 et suivantes], Luce Pietri analyse de façon approfondie l'épiscopat agité de Brice. Le nouvel élu agit rapidement à l'inverse de son prédécesseur Martin : "Tout se passe comme si l'évêque Brice avait voulu faire l'oubli sur son prédécesseur. Nouveau Judas : la comparaison que l'auteur des Dialogues place dans la bouche de Martin, exprime plus vraisemblablement le jugement que portent les disciples sur celui d'entre eux qui, depuis son élévation sur le siège de Tours, a trahi à leurs yeux le Maître. Dans ce reniement faut-il voir la vengeance retardée du clerc auquel ses écarts de langage et de conduite avaient tant de fois attiré les remontrances de son évêque? En fait, l'attitude de Brice paraît moins dictée par un ressentiment haineux nourri contre Martin que par la confiance excessive que lui inspirait sa propre personne. Si Sulpice Sévère a sans aucun doute, dans le chapitre des Dialogues où il le met en scène, quelque peu noirci Brictius, il laisse cependant entrevoir, sous le masque grimaçant de possédé démoniaque dont il l'affuble, le visage authentique d'une personnalité moins perverse que satisfaite de sa propre médiocrité : celle d'un homme persuadé qu'il est juste et marche dans les voies du Seigneur parce qu'il a été élevé dans l'Eglise et qu'il a parcouru suivant les règles canoniques un cursus ecclésiastique dont l'épiscopat était à ses yeux le couronnement normal. La comparaison que Brice instaure à son propre avantage entre Martin et lui-même est à cet égard fort significative : Brice est incapable de comprendre la grandeur et la supériorité du saint qui l'a recueilli et élevé, parce qu'elles se situent en dehors des normes habituelles; en faisant grief à Martin de ses antécédents de soldat et de ses «extravagances» en tant qu'évêque, le prêtre furieux reprochait en fait à son maître de n'être pas conforme, par son passé et sa conduite présente, à l'image toute conventionnelle que lui-même se faisait d'un dignitaire de l'Eglise soucieux de sa respectabilité. Une bonne conscience sans faille, la conviction qu'avec son élection, l'ordre, perturbé par les folies de Martin, était enfin rétabli dans l'Eglise de Tours, voilà ce qui interdisait à Brice de recueillir et de continuer la tradition martinienne, lui aliénait une partie de son clergé et vouait son Eglise déchirée à retomber sous son règne dans une obscure médiocrité."

       Lidoire, Martin et Brice, les trois premiers évêques de Tours. A gauche Lidoire, au centre (au-dessus de l'inscription "Non recuso laborem") Martin mourrant désignant son successeur Brice, à droite une vue d'ensemble de l'"autel et tabernacle dit maître-autel" en marbre, daté de 1901, offert par Lucien Agenet, curé de la paroisse. Les thèmes présentés et les matériaux utilisés amènent à s'interroger sur la concordance entre cette oeuvre et la basilique de Laloux en cours de finition en 1901. + portrait de Gatien le pré-évêque désigné par Grégoire de Tours. + carte postale du début du XXème siècle [église Saint Martin d'Auzouer en Touraine, lien inventaire patrimoine région Centre, photo Th. Cantalupo]

    Dès le début de son épiscopat en 397, il y avait eu la première affaire Brice. "C'est après son intronisation, peu de temps après semble-t-il, que se manifestent les premiers signes d'une rupture qui coupe le nouvel évêque d'une bonne partie de son clergé. De ces difficultés témoignent tout d'abord les poursuites judiciaires dont Brice fut l'objet dans les mois ou les années qui suivirent sa consécration. [...] Quels étaient la nature et les mobiles des accusations portées contre le nouvel évêque de Tours? Encore que les lettres de Zosime ne soient guère explicites non plus sur ce point, les termes employés suggèrent cependant que l'on mettait en cause la vie, c'est- à-dire les moeurs, du Tourangeau. Sulpice Sévère et Grégoire de Tours, bien qu'ils ne fassent, ni l'un ni l'autre, mention des poursuites intentées contre Brice à cette époque, apportent indirectement une confirmation à cette hypothèse. L'auteur des Dialogues se fait en 403-404 l'écho de bruits qui auraient circulé à Tours du vivant de Martin au sujet du prêtre Brice : « Des gens l'accusaient d'avoir acheté non seulement des garçons de race barbare, mais jusqu'à de jolies filles». [...] Il est certes difficile, après tant de siècles écoulés, de rouvrir le premier procès de Brice, alors surtout que font défaut les principales pièces du dossier. On conclura cependant volontiers, quant au chef d'accusation invoqué, à l'innocence de Brice, coupable tout au plus de quelques imprudences dans sa jeunesse : les conciles, qui l'ont en définitive absout, n'ont en effet pas dû rendre leur sentence sans avoir procédé à une enquête sérieuse. Accuser d'immoralité celui que l'on voulait perdre était au reste un procédé habituel de la polémique cléricale." Absout par sa hiérarchie, Brice conserve donc son siège d'évêque de Tours...


    Le bébé par qui le scandale arrive : la mère est une nonne, le père est-il l'évêque ? A gauche, Brice au temps où il était disciple de Martin [Jeanne de Montbaston, légendier vers 1330, BnF]. Au centre gauche, Brice est ordonné évêque [cathédrale de Bourges 1214, Verrière 2018]. Au centre droit, Brice tente de répondre à l'accusation publique [Jean le Tavernier, "Legenda aurea", XIVème siècle, Flandres, lien]. A droite, une huile sur toile de Jean-Daniel Heimlich, 1773, montre Brice face au soupçon de paternité [église Saint Médard de Boersch en Alsace, Wikipédia]. + photo avec cadre [Wikipédia].

    ...jusqu'à ce qu'arrive la deuxième affaire Brice et l'arrivée d'Armence. "Au cours de la 33e année de son règne [en 430], si l'on s'en tient à la chronologie établie par Grégoire de Tours, éclata un scandale retentissant dans lequel l'évêque fut impliqué. L'affaire, que l'historien est seul à relater, est à bien des égards compliquée et étrange : la faute d'une moniale de Tours, qui avait manqué à ses voeux de chasteté, fut révélée à tous lorsque celle-ci mit au monde un enfant; aussitôt le peuple tourangeau unanime accusa Brice d'en être le père. Celui-ci, menacé d'être lapidé par ses ouailles, tenta de se justifier. Mais ni le témoignage que prononça miraculeusement l'infans en faveur de l'évêque, immédiatement soupçonné de magie, ni l'ordalie à laquelle ce dernier se soumit victorieusement devant la sépulture de Martin ne réussirent à convaincre les fidèles de son innocence. Déposé par le peuple, Brice partit en exil à Rome, tandis que les Tourangeaux élisaient à sa place un certain Justinianus. Ce dernier ne jouit pas longtemps de sa charge : les électeurs — inconstants — le sommèrent d'aller rejoindre Brice «pour débrouiller avec lui son affaire» et il mourut durant son voyage, à Verceil. Une nouvelle élection porta alors Armentius sur le siège épiscopal. Cependant Brice, ayant expié dans les larmes et les prières les fautes jadis commises contre Martin, reçut enfin du pape, au cours de sa septième année d'exil, l'autorisation de rentrer à Tours : son arrivée à Montlouis, à six milles de la cité, coïncida fort opportunément avec le décès d' Armentius; Brice recouvra alors son siège sans la moindre difficulté et le conserva pendant sept ans, jusqu'à sa mort survenue durant la 47e année qui suivit sa consécration."

       
    Brice, le sulfureux successeur de Martin, se bonifie en vieillissant [illustrations anonymes, sauf à droite Eliane Mendiburu (lien), à Veigné, en Touraine ; statue à Schöppingen, Allemagne (lien)]. + fresque de la collégiale Saint Ours de Loches (lien + page dédiée) + vitrail vers 1600 de la cathédrale de Norwich en Angleterre, en provenance de Rouen [flickr jmc4]. + Brice évêque dans un tableau de l'église St Brice de Saint Brice sous Forêt en Ile de France [Semur 2015].

    La colère des Tourangeaux contre Brice. Luce Pietri poursuit : "Du récit de Grégoire, on ne peut évidemment retenir non plus comme authentiques les épisodes merveilleux qui sont censés manifester l'intervention divine : ni les coïncidences trop heureuses, comme celle qui fait mourir Armentius au retour de Brice; ni les épreuves apparemment insurmontables dont l'évêque sort miraculeusement justifié : les charbons ardents qui ne brûlent pas l'innocent et surtout la confrontation avec l'enfant qui témoigne en sa faveur, le nouveau-né prenant la parole pour faire éclater la vérité. [...] Dépouillés de tout cet habillage légendaire, apparaissent, dans leur nudité, quelques faits que l'on peut tenir pour authentiques : tout d'abord la déposition de l'évêque en dehors de toute sentence conciliaire, par le seul effet de la volonté populaire. Replacée dans son contexte historique, l'intervention du peuple tourangeau prend toute sa vraisemblance : Brice a très probablement été victime des troubles qui secouent dans la première moitié du Vème siècle tout l'Ouest de la Gaule et qui y ébranlent toutes les assises politiques et sociales. Non qu'il faille tenter, dans une explication trop mécaniste des événements, de mettre sa chute en rapport avec un épisode précis de la Bagaude; le voudrait-on d'ailleurs que l'incertitude de la chronologie grégorienne l'interdirait. Plus vraisemblablement, Brice a subi les effets indirects du nouvel état d'esprit qui s'était instauré dans ces régions : le vent de révolte qui soufflait contre toutes les autorités établies, même dans les périodes de relative accalmie, n'a pas épargné un prélat dont le prestige avait sans doute été fortement ébranlé dans l'esprit des fidèles au début de son règne et qui n'avait pas su rassembler autour de lui, dans l'unité d'une foi et d'une espérance commune, le peuple chrétien dont il avait la charge. Véridique aussi l'intermède au cours duquel deux évêques, successivement élus contre lui, occupent le siège de Tours, tandis que son titulaire légitime prend le chemin de l'exil. Contemporain des événements, Sidoine Apollinaire atteste en effet dans l'un de ses poèmes qu'entre la mort de Martin et l'avènement de Perpetuus, quatre prélats se sont succédé à la tête de l'Eglise tourangelle."

    "Reste à élucider l'affaire au fond : l'accusation d'inconduite, portée par le peuple sur de simples présomptions, n'était vraisemblablement pas mieux fondée que l'inculpation de même nature dont Brice avait été l'objet au début de son épiscopat devant plusieurs assemblées conciliaires. La seconde affaire se présente, selon toute apparence, comme une résurgence de la première : les soupçons anciens, que la sentence des conciles n'avait pas totalement levés, se sont réveillés à la faveur d'une situation qui créait de nouvelles raisons de dissension entre la communauté chrétienne et son évêque. Car le récit de Grégoire laisse entrevoir qu'à l'accusation d'adultère qui servit de prétexte à la déposition de Brice se mêlait un reproche de tout autre nature : celui de ne pas avoir accordé à son bienheureux prédécesseur les honneurs qui lui étaient dus et d'avoir ainsi privé la ville de Tours, à un moment où elle en avait grand besoin, des secours d'un saint patronage."

    Brice et les moeurs dissolues au sein du clergé. Olivier Guillot, en son "Saint Martin apôtre des pauvres" (2008) va aussi en ce sens de négligence envers Martin, sans pour autant effacer les autres accusations envers Brice, en les trouvant même a posteriori probablement justifiées, en analysant le concile de 453 à Angers, présidé par Eustoche, le successeur de Brice : "Sur la douzaine de canons promulgués par ce concile, il y en a trois qui portent sur le cas des clercs qui ont une familiarité coupable avec des femmes, dont l'un d'entre eux prévoit le cas où la femme dévoyée est une vierge consacrée, où la sévérité la plus grande est prescrite. Nous sommes tentés d'y voir, au lendemain du pontificat de Brice, une première tentative de reprise en main consécutive aux désordres de moeurs dont ce personnage, depuis son presbytérat, avait donné l'exemple".

    La louange perpétuelle Dans son livre "Martin de Tours, rencontre", 1996, Régine Pernoud estime que c'est Brice qui institua la pratique de "louange perpétuelle" ou "laus perennis" (que l'on retrouvera plus loin à propos du prieuré de Saint Cosme), qui consiste à ce que des clercs se succèdent jour et nuit pour chanter des psaumes, afin de "perpétrer la louange divine". "Cet usage se maintiendra longtemps à travers d'autres monastères". Et l'évêque Perpet, on s'en doute avec un tel nom, "poursuivit l'usage de la louange perpétuelle, destinée à traverser les siècles, et qui eut une influence sensible dans la liturgie de l'office divin. Le concile de Vannes en 465 prescrivait de réciter l'office dans la manière instaurée à Tours auprès du tombeau de saint Martin."

    Deux disciples de Martin : le Bavarois Florent d'Anjou et le Milanais Maurille d'Angers. Tous deux sont venus de loin attirés par la renommée de l'ermite de Marmoutier, tous deux ont été accueillis avec attention, leur maître les a ordonnés, tous deux sont partis en Anjou évangéliser la population, l'un autour de Saint Florent le Vieil et Saint Florent le Jeune (devenu Saint Hilaire Saint Florent), l'autre autour d'Angers, tous deux ont accompli de nombreux miracles et sont porteurs de légendes assez fantaisistes. Le premier est un ancien soldat de l'armée romaine ayant du mal à vivre sa chrétienté, avec son frère Florian de Lorch tué pour cette raison. Le second, d'une riche famille aristocrate milanaise, avait rencontré Martin à Milan quand il luttait contre les Ariens. Pris comme lecteur par Ambroise, évêque de sa ville, il rejoint Martin encore jeune et deviendra le quatrième évêque d'Angers, de 423 à 453. Tous deux témoignent du pouvoir d'attraction de Martin de son vivant, avant même l'intervention de Sulpice Sévère. Le cas de Maurille, trait d'union entre Ambroise et Martin, est révélateur de la circulation des idées et informations à cette époque. Cette documentation cite aussi, en Anjou, Vérérin à Gennes (église), Maxenceul à Cunault (église), Doucelin à Allonnes (église), Macaire au pays des Mauges (église).


    Florent et Maurille. A gauche, Martin reçoit Florent et l'ordonne [tapisserie de 1524, église Saint Pierre de Saumur] + miniature du sacramentaire de la basilique Saint-Martin où Martin ordonne Florent [vers 1180, BmT, lien] + deux vitraux de Florent dans l'église de St Hilaire - St Florent [Semur 2015] : 1 en chasseur un serpent 2 en évangélisateur + fresque de la Tour Charlemagne à Tours (P.-S.). A droite, le sacre de Maurille par Martin [église Saint Martin de Beaupréau, lien avec 3 autres vitraux] + statue de Maurille à Brain sur Allonnes [Semur 2015] + quatre vues de peintures murales provenant d'une découverte exceptionnelle en 1980 dans la cathédrale St Maurice d'Angers, formant un cycle de la vie de Maurille [3ème quart du XIIIème siècle, lien] : 1 2 3 4 + vue d'ensemble (non accessible au public). .

    Deux autres disciples de Martin : Héros évêque d'Arles et Lazare évêque d'Aix en Provence. Sans doute tous les deux Tourangeaux, formés par Martin au monastère de Marmoutier, tous deux sont nommés évêques en 407 par l'empereur de Gaule Constantin III. Le règne de celui-ci se termine tragiquement en 411 et les deux évêques sont contestés par l'empereur Romain Honorius. Chassés d'Arles et d'Aix, dont ils sont les premiers évêques connus, Héros et Lazare partent en Palestine où ils restent une quinzaine d'années avant de revenir vers 416 en Provence pour Héros, dont on perd la trace, et à Marseille pour Lazare, avec le moine Jean Cassien qui fondera l'abbaye saint Victor de Marseille. Dans une crypte de cette abbaye, il existait une stèle avec pour épitaphe : "Ci gît le pape Lazarus de bonne mémoire qui a vécu dans la crainte de Dieu plus ou moins 70 ans et s'est endormi dans la paix". Il serait décédé le 31 août 441 et ses reliques seraient partagées entre la cathédrale Saint-Lazare d'Autun en Bourgogne, la cathédrale Sainte-Marie-Majeure de Marseille et dans la crypte de l'ancienne abbaye Sainte-Richarde d'Andlau en Alsace. Il y a trop souvent confusion avec le Lazare des évangiles


    Lazare d'Aix : sculpture sur un chapiteau de la chapelle Saint Lazare, dans l'église basse de l'abbaye Saint Victor de Marseille, son épitaphe restituée par Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, en une copie du XVIIème siècle et vitrail dans le bas-côté de l'église Saint Pierre et Saint Paul d'Andlau (photos Yves Boto Campanella, lien). A droite Victrice de Rouen [fresque dans l'église Saint Gervais de Rouen, Wikipédia] + vitrail de Victrice dans la basilique Notre-Dame de Bonsecours + case d'une BD sur Rouen où apparaît Victrice se réjouissant d'accueillir des reliques des saints Gervais et Protais..

    Le conflit entre Lazare et Brice, les deux disciples de Martin. En un article de 1935 traitant des "dissensions des églises de Gaule à la fin du IVème siècle, Jean-Rémy Palenque consacre un chapitre (le 4ème) à "L'affaire de Brice de Tours, traitée par le concile de Turin en septembre 398". Le pape Zosime en fait mention dans une lettre : "Lazare s'est montré, en de nombreux conciles, accusateur diabolique de notre saint confrère Brice, évêque de Tours ; il fut débouté comme calomniateur par Procule de Marseille, qui siégeait au concile de Turin. Et le même Procule le fit évêque de longues années après". Et dans une autre lettre à tout l'épiscopat d'Occident : "Lazare avait été naguère condamné comme calomniateur au concile de Turin par le jugement des évêques les plus respectables, pour avoir attaqué par de fausses accusations les moeurs de Brice, qui était innocent ; par la suite, Procule, qui avait siégé au milieu des autres dans le concile de sa condamnation, eut le tort de lui conférer l'épiscopat." Ainsi, dès le tout début de son épiscopat, Brice était l'objet d'attaques soutenues et bénéficiait déjà du soutien papal. Et l'auteur rappelle que : "C'est du vivant même de saint Martin que Brice fut publiquement l'objet d'accusations d'immoralité". C'était aussi sur fond de l'affaire priscillienne, puisque Brice est qualifié de "Félicien, accusé de mauvaises moeurs par les martiniens. Le « bon parti », au dire de Sulpice-Sévère, était tracassé de mille manières ; mais de son côté il ripostait avec âpreté, et son intransigeance rendait difficile le rétablissement de la communion dans l'épiscopat gaulois.". Ainsi, alors que Martin était opposé à la mise à mort de Priscillien, Brice était dans le camp adverse des Féliciens (du nom de l'évêque de Trêves Félix soutenu par Ithace et les anti-Priscillien)...

    Victrice de Rouen, ami et disciple de Martin. Plus jeune que Martin, ancien militaire, Victrice, né vers 330, était un ami de Martin et de Paulin de Nole. De 390 environ à sa mort entre 405 et 417, il fut évêque de Rouen et y éleva la première cathédrale en 396. On connaît une longue lettre élogieuse que Paulin de Nole lui envoya (lien). Extrait : "Ta sainteté méritoire a donné à Rouen l'entière apparence de Jérusalem, comme elle en a la réputation en Orient, y compris avec la présence des apôtres, qui comparent ta ville, qu'ils ignoraient auparavant, à leur propre demeure".

    D'autres disciples de Martin en Gaule. Martin a eu d'autres disciples devenus évêques, notamment Corentin de Quimper, Mexme de Chinon (voir ci-après), Victeur du Mans (ou Victor), Romain de Blaye, un peu plus tard Yrieix (Arède d'Atane), évangélisateur du Limousin, très inspiré par Martin , qui vint plusieurs fois se ressourcer sur son tombeau. Il semble toutefois exagéré de dire, comme Albert Lecoy de la Marche, que Marmoutier fut "la grande pépinière de l'épiscopat". Son rôle n'en resterait pas moins important, au-delà-même de la mort de Martin, comme on a commencé à le voir avec ses disciples en Gaule. Nous verrons en fin du chapitre suivant qu'il eut aussi des disciples hors de Gaule.


    La
    collégiale de Saint Yrieix la Perche, à gauche, a longtemps été rattachée à l'abbaye de Marmoutier. Une de ses baies, à droite, réunit Yrieix et Martin [atelier Louis-Victor Gesta de Toulouse, fin XXème siècle, lien].



  17. Armence et les Tourangeaux élèvent la première basilique Saint Martin


    Tombe d'enfant trouvée dans une nécropole située "à proximité immédiate, entre quelques mètres et quelques dizaines de mètres, du lieu où l'évêque Martin fut inhumé en 397." [Ta&m 2007], avant que son corps soit déplacé dans la basilique d'Armence. + la page 97 du même livre présentant un atelier de mosaïstes ayant travaillé pour la basilique de Perpet, avec fragment de mosaïque ci-dessus à droite.


    La thèse de 1980 de Luce Pietri, publiée en 1983, révéla l'importance de l'évêque Armence / Armentius
    + photo. Cet ouvrage remarquable est à l'origine de la création de la présente page.
    + le document en son intégralité de 890 pages (68 Mo).

    La basilique dite de Brice est celle d'Armence. Luce Pietri, en sa thèse de 1980, nous a présenté l'expulsion par les Tourangeaux de leur évêque Brice pour le remplacer pendant environ sept années par Armence / Armentius et lancer le culte de Sanctus Martinus. Poursuivons son récit : "Significative est la mention faite par Grégoire, au beau milieu du récit des tribulations subies par Brice, de l'érection, sur le sépulture du bienheureux, d'une première basilique. La présentation des faits ne peut laisser douter que l'hommage ainsi rendu à Martin soit intervenu tardivement, plusieurs décennies après la disparition du saint, et qu'il ait joué un rôle décisif dans la réconciliation du peuple de Tours avec son pasteur légitime. Sur ce point, l'accord est à peu près général. Mais à partir de là, la plupart des historiens ont cru pouvoir conclure que la construction de la petite basilique était à mettre à l'actif de Brice de retour d'exil, durant les dernières années de son épiscopat. S'il en est bien ainsi, cela ne peut signifier qu'une chose : c'est que l'évêque, saisi d'un repentir sincère pour sa conduite passée envers Martin, ou, du moins, éclairé par une triste expérience sur les erreurs de son gouvernement, a regagné à ce prix l'affection et la confiance de son troupeau qui, dès lors satisfait, s'est soumis de nouveau à son autorité. Les récits de Grégoire laissent cependant place à une interprétation du déroulement des faits, sensiblement différente, bien qu'elle permette d'aboutir à une conclusion voisine. Dans son ouvrage sur Saint Martin de Tours, E. -Ch. Babut avait cru pouvoir déduire d'une analyse comparée des textes que le modeste édifice élevé primitivement sur le tombeau du saint confesseur était l'oeuvre de l'un des deux évêques élus contre Brice, celui qui avait réussi à se maintenir plusieurs années sur le siège de l'exilé, Armentius. Son hypothèse s'appuie sur une remarque fort juste : le nom de Brice n'est associé à la construction de la première basilique Saint-Martin qu'une seule fois, dans un texte que l'auteur de l'Historia Francorum a rédigé à l'extrême fin de sa vie, le catalogue De episcopis turonicis. En revanche, ni les auteurs qui, au Vème siècle, évoquent l'histoire des édifices successivement élevés sur la tombe de Martin, Sidoine Apollinaire, Paulin de Périgueux, ni surtout Grégoire lui-même dans ses plus anciens écrits — les notices qu'il consacre respectivement à Brice et à Perpetuus au livre II de son Histoire et le chapitre du de Virtutibus sancii Martini où il rapporte la translation du corps de Martin de la première à la seconde basilique — ne mentionnent l'intervention de Brice."


    A gauche texte de François Coulaud, dessin d'Alain Duchêne + les deux planches : 1 2 ["Tours Information mai 1986], sachant , comme déjà dit, que Tours ne s'appelait plus Caesarodunum A droite, la "basilica" d'Armence vue par le dessinateur Lorenzo d'Esme [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996]. Malgré la clarté de la démonstration de Luce Pietri, rares sont ceux qui attribuent la première basilique Saint Martin à Armence /Armentius. Saluons donc ces propos de Michel Maupoix, en son Maupoix 2018. Olivier Guillot, en son "Saint Martin apôtre des pauvres" (2008) valide aussi l'analyse de Luce Pietri, qu'il juge "remarquable". Il va plus loin : "Nous avouons que nous sommes portés à douter qu'au terme des sept ans de son séjour à Rome, le pape ait préscrit à Brice de revenir à Tours après avoir déclaré son "innocence". Aussi : "Il faut croire que des évêques de la province ont accepté d'ordonner successivement les deux évêques élus pour remplacer celui qui avait été chassé", c'était l'époque où le prestige de Martin prenait vigueur dans l'épiscopat. Et Brice n'a pu revenir que parce qu'il s'est incliné, lui aussi, devant la mémoire de Martin.

    Et, sur un point de détail très révélateur, Luce Pietri renforce solidement et a priori définitivement l'hypothèse Armentius : "A cet argument a silentio avancé par Babut, on peut ajouter un autre indice que fournit la biographie de Brictius dans le catalogue De episcopis. Certes, Grégoire y affirme nettement que Brice a édifié au-dessus du corps de Martin un petit sanctuaire dans lequel lui-même fut ensuite inhumé. Mais on n'a guère remarqué que cette notation s'insérait de façon étrange dans le récit : Grégoire qui vient de nous apprendre que Brice, dans sa septième année d'exil, avait reçu l'autorisation de revenir dans sa ville, lui fait édifier la petite basilique avant même que son retour en Touraine et la mort de son compétiteur lui aient permis de recouvrer son siège. Simple maladresse d'un écrivain qui se révèle en maintes occasions inhabile à conduire clairement un récit, lorsque ce dernier mêle de nombreux protagonistes à travers des péripéties multiples ? L'explication est un peu courte, d'autant que les faits, dans la phase ultime de cette histoire, sont relativement simples et que, dans ces sortes de notices, l'historien coule d'ordinaire ses informations dans un schéma dont le Liber Pontificalis lui offre le modèle : habituellement, il réserve la mention des édifices construits dans la cité comme celle des églises rurales fondées par chacun des évêques de Tours pour un dernier paragraphe qui précède la conclusion. Dans la biographie de Brice, l'auteur a d'ailleurs suivi cet ordre et ne s'en est écarté que sur un point, à propos de l'érection de la basilique Saint-Martin. Ce manquement à une règle, qu'il s'est toujours imposé de suivre, trahit, en introduisant une certaine incohérence dans le récit, les hésitations de l'historien : partagé entre son respect pour des sources d'information qui le portaient à attribuer à Armentius la construction de la première basilica et son désir de parfaire l'histoire édifiante du repentir de Brice d'un dernier trait, il a choisi délibérément, semble-t-il, une formulation ambiguë." Pour Luce Pietri, c'est donc à Armence qu'il convient d'attribuer la première basilique, même s'il se peut que ce soit Brice qui l'ait inaugurée.


    Entre les basiliques d'Armence et de Perpet, un bâtiment provisoire ? Sur le CD associé à l'ouvrage Ta&m 2007 se trouve une vidéo (restitution Thierry Morin) présentant "un bâtiment en bois ordinaire ou un abri pour le corps de Martin ?", avec le schéma de gauche et cette autre illustration. Un texte de Henri Galinié explique comment "il devient possible de proposer que l'édifice servit à exposer momentanément le tombeau ou le corps de saint Martin pour que les fidèles puissent continuer à venir le vénérerque ni la basilique de Brice, démantelée, ni celle de Perpet en voie d'achèvement, n'étaient accessibles.". A droite, une reconstitution parue dans Cossu-Delaunay 2020 avec une explication titrée "Interprêter une donnée archéologique". On verra plus loin qu'il existera, quatorze siècles plus tard, vers 1870, une "chapelle provisoire" entre les basiliques d'Hervé et de Laloux.

    Alors qu'Armence est gommé, Brice finit canonisé. "Si l'on se range à cette hypothèse, il faut admettre que Brice, à son retour d'exil, donna aux Tourangeaux, en faisant pieusement ensevelir «son frère» dans la nouvelle basilique, puis en y faisant préparer sa propre sépulture, des gages suffisants de sa dévotion martinienne, pour que les fidèles, assurés désormais de la sainte protection de l'apôtre, acceptent de le laisser remonter sur son siège et gouverner en paix son Eglise jusqu'à la fin de son existence. Les épreuves endurées par le prélat, son grand âge digne de respect firent oublier les ressentiments passés : Brice, par deux fois impliqué dans des affaires de moeurs, ignominieusement chassé de sa cité par ses propres ouailles, mourut finalement « en odeur de sainteté »."

    17 ans après sa thèse, Luce Pietri revient sur Armence et sa basilique lors d'un colloque universitaire en novembre 1997, avec une étude titrée "Les débuts du culte de Martin à Tours" : juste après sa mort, "alors que Martin paraît oublié à Tours, sa mémoire est pieusement entretenue dans le domaine aquitain de Primuliacum [article de René Aigrain et L. Ricaud sur la villa de Primuliac de Sulpice], où, depuis sa conversion à l'ascétisme en 394/395, fait retraite Sulpice Sévère, rejoint par des Martiniens fervents qui, pour la plupart, viennent de Tours"". Puis, alors que l'inauguration de cette chapelle est habituellement datée de 437 : "La dernière étape de l'évolution que j'ai tentée de retracer nous ramène à Tours. Le long silence qui enveloppait la mémoire de Martin dans son Eglise est pour la première fois rompu une quarantaine d'années après sa mort. A une date que l'on peut situer entre 430 et 435/436, un modeste sacellum est édifié sur sa tombe, soit par le second des évêques élus par les Tourangeaux après qu'ils ont chassé Brice, soit par ce dernier, à son retour d'exil.". Ce second évêque intérimaire est Armence qui exerça de 430 à 436, le premier, Justinien, n'ayant exercé que brièvement et Brice n'étant de retour qu'en 436, donc après la période 430 - 435/436.

    Elle conclut : "Le témoignage de Sidoine Apollinaire, qui évoque avec mépris cette médiocre construction, est corroboré par celui de Grégoire de Tours qui mentionne lui aussi la cellula parva abritant le tombeau. Il s'agit d'une simple chapelle funéraire : très probablement placée sous le vocable de l'apôtre Pierre, comme l'a démontré E. Ewig, elle accueille par la suite la sépulture de deux autres évêques tourangeaux, Brice lui-même, en 442, puis Eustochius, en 458 ou 459. L'exiguïté de l'édifice interdisait la célébration d'un culte réunissant la communauté en l'honneur d'un saint patron."

    Une réévaluation de la basilique d'Armence. Dans le Collectif 2019, Gaëlle Herbert de la Portbarré-Viard n'est pas vraiment d'accord avec cette analyse considérant qu'une "cellula" est une "médiocre construction". Elle s'appuie sur les écrits de Grégoire de Tours pour constater qu'il nomme l'édifice d'Armence (encore attribué à Brice) à la fois "basilica" et "cellula", donnant à ce dernier mot le sens de "petit édifice. Le toit en bois, "construit en un élégant ouvrage", était assez beau et solide pour être réutilisé dans l'église Saint Pierre Saint Paul. Rien ne dit que l'édifice était entièrement en bois. Il ne l'était probablement pas car une analyse serrée d'un texte de Sidoine Apollinaire permet de comprendre que la basilique de Perpet a été bâtie en "repoussant" les murs de la basilique d'Armence, qui aurait donc, de cette manière, perduré en partie. Et elle était assez solide pour servir de point de départ à un édifice monumental.


    428-507 : le temps des invasions barbares en Touraine. En prenant en compte la datation de l'épiscopat d'Armence entre 430 et 437 et celui de Brice en deux séquences, de 497 à 430 et de 437 à 442, les Wisigoths arrivent en 428 sous la première séquence Brice (repoussés, ils reviendront vers 469), les Alains en 438 sous la seconde séquence Brice, les Bretons en 446 sous Eustoche [Couillard - Tanter 1986 ci-dessous].



    Sanctus Bricius en un endroit indéterminé et dans l'actuelle basilique


    Deux vitraux de l'église Saint Laurent de Montlouis sur Loire, signés Lux Fournier (1904), avec la Loire en arrière-plan. A gauche "St Brice à son retour de Rome séjourne à Montlouis et quitte Montlouis pour rentrer à Tours sa ville épiscopale - An 437". A droite "St Perpet fonde l'église de Montlouis et y dépose les reliques de St Laurent - 464-494" (lien). + détail de chacun de ces deux vitraux : 1 2 + dans la même église une sculpture du partage du manteau.

    Des disciples de Martin hors de Gaule. Nous avons vu en fin de chapitre précédent que Marmoutier joua un rôle de pépinière de nouveaux évangélisateurs de campagnes de Gaule au début du Vème siècle. A la fin du Vème siècle et plus tard, d'autres évangélisateurs de terres païennes plus lointaines eurent Martin pour guide spirituel. Gaudence de Novare, près de Milan, est un autre marqueur du lien de cette région avec Tours. Il a la particularité de flotter sur son manteau (fresque de Luca Rossetti 1738), comme un lien avec Martin ? Ninian, qui a pu connaître Martin, fonda la première église en Ecosse, à Withorn vers 397. Elle était appelée Candida Casa et quelquefois aussi "Urbs sancti Martini". Un demi-siècle plus tard, Patrick (380 environ - 460), évangélisateur de l'Irlande, est probablement passé par Marmoutier. Martin de Braga (515 environ - 579), natif de Pannonie comme Martin dont il prit le nom après un pélerinage à Tours, devint archevêque de Braga, au nord du Portugal alors royaume suève, et y developpa le culte de celui qu'il vénérait. Vers 570, Berthe de Kent (539-612), fille du roi mérovingien Caribert Ier devenue reine du royaume de Kent fonda l'église de Canterbury, première d'Angleterre, patronée par Martin. Vers 740, Boniface de Mayence évangélisa la Frise (Pays-Bas), Thuringe, Hesse... Un de ses disciples fonda en 744 l'abbaye de Fulda, si proche de celle de Tours. Et il y eut les disciples des disciples, notamment un disciple de Boniface, Adalbert de Prague (956-997), patron de la Bohême, de la Pologne et de la Prusse, qui avait fait un pélerinage à Tours et séjourné à Mayence.


    A gauche, Patrick et le buisson sur un vitrail de l'église de Saint Patrice (cf. encadré ci-dessous) (liens : 1 2, autre lien où il est dit qu'il connaissait Maurille et Florent). A droite Martin et Patrick sont côte à côte aux pieds de Saint Grégoire (de Tours ? ou le pape ?) [Clayton and Bell 1938, cathédrale de Truro, en Angleterre, flickr Rex Harris]. + dans l'église de Saint Patrice, les vitraux voisins de Martin et Patrick [atelier Lobin]. + texte de Bruno Judic, extrait de l'introduction du Catalogue 2016, montrant d'autres liens entre Irlande et Touraine (par exemple Columba de Terryglass de passage à Marmoutier vers 550, vitrail, lien). Terminons par cette page d'un site irlandais sur Martin, présentant un vitrail de Harry Clarke (début XXème siècle, église de Castletownshend en Irlande).
    Saint Patrick, patron de l'Irlande, en Touraine. Né en Bretagne insulaire entre 373 et 390, il meurt en 460. "Son grand-père Potitus était prêtre, sa grand-mère était originaire de Touraine, en Gaule" [Wikipédia]. Cela apparaît à peu près sûr. Ensuite, de façon tardive, au XIème siècle, il est dit que cette grand-mère Concessa serait une parente, voire une soeur, de Martin de Tours, ce qui semble invraisemblable (pourquoi Sulpice Sévère n'aurait-il pas parlé de cette soeur ?). Il apparaît tout de même plausible que Patrick soit passé par Marmoutier et même, un peu en aval sur la Loire, dans un lieu qui a pris son nom : Patricius puis Saint Patrice. Patrick s'y serait arrêté en hiver, posant son manteau sur un buisson qui, depuis, fleurirait chaque année à Noël. + page de LM 2006-1 + voir ci-après l'historial de Touraine.
    Sur une courte BD américaine de 1947 de George F. Foley, Patrick est présenté comme un parent de Martin par sa mère, puis comme ayant rencontré Martin en tant que neveu. Voici trois extraits de planches (lien) : 1 (dessin de gauche) 2 (dessin de droite) 3.


    Côte à côte dans l'église d'Orton, dans le Devon en Angleterre, l'Ecossais Ninian et Martin. Vitraux 1959 de Stanley Murray Scott (lien). Au centre, Berthe de Kent, statue de Stephen Melton 2004 dans un jardin de Canterbury. Au centre droit, Martin de Braga, statue à Braga, au Portugal. A droite, statue de Boniface, apôtre des Germains, devant la cathédrale Saint Martin de Mayence (lien) + miniature d'un sacramentaire du XIème siècle de l'abbaye de Fulda présentant Boniface baptisant un païen puis mourant en martyr.


    Deux cases de Albo Helm dans BD Utrecht 2016 + la planche. C'est sous le patronage de Martin que Willibrord (658-739) évangélisa la Frise, récemment acquise par les Francs Mérovingiens, à partir de Trajectum / Utrecht. Martin est omniprése nt dans Utrecht, comme le montrent trois autres planches : 1 2 3.

    La règle bénédectine fondée par un disciple de Martin. Benoît de Nursie (480-547) a fondé le monastère du Mont Cassin et l'ordre des Bénedictins, régi par la règle bénédictine. Il l'a fait en s'appuyant sur le patronage de Martin, comme expliqué en ce court article illustré de Bruno Judic dans le Fasc. NR 2012. Cet article présente un autre disciple italien de Martin, Cassiodore (485-580), fondateur du monastère de Vivarium.

    Guillaume le Conquérant et Martin. L'influence martinienne en Grande Bretagne et Irlande fut durable, comme le montre l'épisode suivant conté par Albert Lecoy de la Marche [Lecoy 1881] : "Plus fameuse encore était l'abbaye Saint Martin de la Bataille, non loin d'Hastings. Guillaume le conquérant, en abordant les rivages bretons, avait fait voeu de fonder un monastère s'il remportait la victoire. Aussitôt après la mémorable journée où périt son adversaire, et sur les lieux mêmes, il accomplit sa promesse. Un religieux de Marmoutier, qui l'accompagnait, lui conseilla de placer son établissement sous le patronage de l'illustre père du monachisme gaulois ; ce qu'il fit avec empressement. Marmoutier fournit aussi à la nouvelle maison ses premiers habitants et contribua par là, comme par les nombreux prieurés qui lui échurent dans la Grande-Bretagne, à faire vénérer sur cette terre le nom de son fondateur". La bataille d'Hastings se déroulait en 1066, Guillaume le conquérant était un descendant des Normands qui pillèrent Marmoutier au IXème siècle... Il y fit construire le dortoir et son épouse Mathilde de Flandre offrit le réfectoire.


    L'abbaye Saint Martin de la Bataille. A gauche, scène de la bataille d'Hastings sur la tapisserie de Bayeux. Au centre, une restitution à l'époque romane (lien). A droite, l'actuelle entrée de l'abbaye. + deux autres restitutions à l'époque gothique : 1 2 + gravure [Lecoy 1881] + photo de l'abbaye et du champ de bataille vus du ciel.



  18. Les Huns dans la basilique d'Armence et les miracles contés par Perpet

    Des mercenaires Huns à Tours ! Les événements qui suivent se sont apparemment déroulés entre 438 (fin des bagaudes de Tibatto) et 441 (arrivée voisine des Alains), lors des dernières années d'épiscopat de Brice, après le décès d'Armence. Extraits des pages 98 et 99 de la thèse de Luce Pietri en 1980 : "Il est possible que durant ces deux années [435-437] la cité de Tours ait eu à souffrir des pillages et des violences commises dans les campagnes par Tibatto [cf. chapitre Tibatto en page voisine]. Plus certainement cruelle aux habitants de l'urbs turonica fut la présence des mercenaires barbares que l'autorité romaine déléguait à leur protection et qui se conduisaient comme une armée d'occupation en pays conquis. Le souvenir des méfaits que commirent à leur passage les cavaliers Huns de Litorius était encore très vivace lorsque l'évêque Perpetuus rédigea sa Charta de Martini miraculis. L'ouvrage, où le prélat avait consigné quelques-uns des miracles accomplis par Martin depuis son tombeau durant la période qui précéda son épiscopat et pendant les premières années de celui-ci, est malheureusement perdu. Mais la substance en est passée dans l'oeuvre de Paulin de Périgueux que l'évêque tourangeau avait chargé d'habiller en vers sa relation et qui, à partir de ce témoignage, composa le sixième livre de son poème De vita sancti Martini episcopi. Deux épisodes s'y rapportent, sans le moindre doute, à la présence des mercenaires Huns dans la ville de Tours. Le poète a d'ailleurs pris soin, pour introduire ces récits, de les situer dans leur contexte historique : "La peur soudaine d'un péril avait jeté la Gaule dans un péril plus grave : elle avait appelé les Huns à son aide, et ces auxiliaires lui étaient à charge. Le moyen en effet de supporter sans peine un allié qui se montre plus cruel que l'ennemi, et qui méconnaît, dans sa férocité, les traités convenus."


    "Léon le Grand, Défier Attila", texte France Richemond, dessin Stefano Carloni; Glénat-Cerf 2019 + couverture + deux planches : 1 2.


    Eglise contre Huns, le pape Léon Ier (390-461) contre le roi Attila (395-453) [dessin du XIXème siècle]
    + La même scène sur un vitrail" de l'église St Maurice de Bécon à Courbevoie en Ile de France [site Nhuan Doduc]. + la même scène en une fresque monumentale du palais du Vatican, conçue par Raphaël et réalisée avec son disciple Giulio Romano [Wikipédia].

    Deux miracles posthumes de Martin. Suite : "Les deux scènes qui suivent ont pour cadre, dans le suburbium de Tours, la basilique Saint Martin, c'est-à-dire, étant donnée l'époque où l'on doit situer ces événements, le modeste sanctuaire qui précéda le grand édifice élevé par Perpetuus. Elles nous montrent les soldats Huns se livrant sans frein à leurs instincts de rapines et de violence :
    • L'un d'entre eux, pour satisfaire sa convoitise de butin, s'empare de la couronne votive, sans doute un précieux ouvrage d'orfèvrerie qui ornait le tombeau du saint ; aussitôt frappé de cécité, il s'abandonne au repentir et restitue l'objet de son vol.
    • Un autre n'hésite pas à perpétrer un meurtre dans le sanctuaire et, expiant immédiatement son crime, il se transperce, dans sa fureur, de son propre glaive.
    Ces deux épisodes ont seuls été jugés dignes par Perpetuus d'être transmis à la postérité, parce que leur dénouement offrait à ses yeux un exemple salutaire des châtiments réservés par la justice immanente de Dieu à ceux qui portaient atteinte au saint asile d'un lieu de culte. Nul doute que d'autres méfaits, restés impunis, n'aient été commis en grand nombre par les mercenaires barbares.
    "


    439 : les mercenaires Huns battus par les Wisigoths. 13 ans avant la mort d'Attila, 42 ans après celle de Martin, des mercenaires Huns de Litorius auraient semé la terreur dans la basilique d'Armence [dessin Mike Ratera, cf. ci-dessous]. Terrifié à leur approche, le roi Wisigoth Théodoric Ier demanda à l'évêque de Toulouse de négocier la paix. Trop confiant, Litorius donna imprudemment l'assaut sur Toulouse. Battu, blessé, fait prisonnier, ce lieutenant du général romain Aetius, futur vainqueur d'Attila (les mercenaires étant devenus ennemis), fut exécuté. A droite, vitrail de l'actuelle basilique montrant le soldat Hun frappé de cécité (par la main de Martin) pour la couronne volée qu'il a en main [Lobin, Verrière 2018].

      
    451 : Attila et les bagaudes. Une dizaine d'années après leurs méfaits à Tours en tant que mercenaires des Romains, les Huns commandés par Attila ont tenté d'envahir la Gaule. Pour cela, Attila a cherché à s'allier les bagaudes, par l'intermédiaire d'un genre d'ambassadeur, médecin grec, nommé Eudoxe, connaissant bien les contrées bagaudées. Mais les ruraux révoltés contre l'oppression romaine craignaient davantage encore les Huns. De plus, la christianisation des campagnes entamée par Martin commençait à les rapprocher des citadins. Ce fut un échec, comme le montre la série BD "Le chant des Elfes" publié de 2008 à 2010 par Soleil Productions en trois volumes, sur scénario de Bruno Falba et dessin de Mike Ratera. Elle décrit la préparation de la bataille des Champs Catalauniques et la bataille elle-même (en 451), avec la présence d'elfes, de dragons et de monstres pour magnifier les combats, sur une solide trame historique. + deux planches sur la discussion houleuse entre Attila et Eudoxe (tome1) : 1 2 + une planche sur la mort d'Eudoxe, lynché par les siens (avant la bataille, tome 2) + des planches de la bataille (intro du tome 1) : 1 2
    >>>En page voisine, on pourra lire le chapitre titré "449-451 Les Huns et la confiance trahie d'Attila en Eudoxe et les bagaudes".


    451, harangués par la jeune Geneviève, les Parisiens ne cèdent pas aux Huns. A gauche image anonyme vers 1890, à droite gravure LTh&m 1855. Après que quelques Huns soient passés par Tours, Attila, les Huns et leurs alliés voulurent piller Paris en 451. Une fervente chrétienne, Geneviève Severus, mobilisa les Parisiens contre eux. Le récit en est présenté sur cette page. Il se termine ainsi : "Paris reconnaissant plaça le cercueil de sainte Geneviève à côté de celui de Clovis, dans la basilique de Saint Pierre et Saint Paul, et choisit pour patronne dans le ciel celle qui deux fois l'avait gardé de la colère des barbares". Dans sa ville, Geneviève, qui est venu plusieurs fois à Tours, a dédié un baptistère à saint Martin.


    Geneviève à Tours. A gauche, un miracle de Geneviève dans la basilique de Tours [atelier Lobin vers 1900], raconté par Bruno Judic dans le Collectif 2019 : "Arrivée à Tours, Geneviève se rend dans la basilique de saint Martin, qu’il faut supposer toute neuve. Elle y guérit des possédés et surtout, de manière spectaculaire, l’un des chantres, pris d’une crise de folie, en pleine célébration des vigiles de saint Martin. Geneviève se trouvait donc à Tours soit pour le 4 juillet, soit pour le 11 novembre". Geneviève, décédée en 500 à 80 ans, fit plusieurs pélerinages à Tours. A droite, "Le travail des Huns (les Allemands)"montre que quinze siècles après leur passage, les Huns gardent une terrible réputation... + sept pages Nhuan DoDuc de vitraux sur Geneviève : 1 2 3 4 5 6 7 (sachant qu'il est probable que l'aristocrate Geneviève n'a jamais gardé les moutons...). + vitrail de l'église Sainte Monégonde d'Orphin dans les Yvelines [Charles Lorin, de Chartres, lien].


    451, guidés par leur évêque Aignan, les Orléanais repoussent les Huns, peu après le soulagement des Parisiens et peu avant la bataille des Champs Catalauniques. Aignan avait été proclamé évêque à Tours, devant le tombeau de Saint Martin, comme le montre, à gauche, un vitrail de l'église Saint Aignan de Chartres, réalisé par l'atelier Lorin 1893. + vitrail voisin présentant l'entrée triomphale d'Aignan dans Orléans [photos flickr Paco Barranco]. Au centre et à droite, dessin de Julien Fournier 1883, préparatoire à un vitrail, montrant Aignan encourageant les soldats assiégés à repousser les Huns, en une scène qui se reproduira plus tard avec les Tourangeaux et les Vikings [Geneste 2018]. + La même scène sur une fresque de l'Italien Giuseppe Cesari (1568-1640).

    Le génie de Perpet. Les deux miracles opérés par le cadavre de Martin à travers son tombeau, concernant des mercenaires Huns, sont des exemples caractéristiques. Il y en eut bien d'autres, que Perpet raconta à son ami l'écrivain Paulin de Périgueux qui les reprit en un livre amplifiant l'oeuvre de Sulpice Sévère : chacun devait comprendre que venir près du tombeau, empli de foi chrétienne, pouvait déclencher un miracle posthume de Martin. Lui qui en a tant fait en réalisait encore... Et Perpet allait construire une magnifique basilique pour donner plus d'éclats à ces miracles. Charles Lelong en son livre de 2000 écrit à, propos du livre de Paulin : "oeuvre de propagande qui visait à enseigner que, aux yeux de tous, Martin n'a pas cessé de vivre et que la ville de Tours jouit à perpétuité de Martin son évèque.". Olivier Guillot, en son livre de 2008 : "S'il y a eu pour longtemps "un règne posthume de saint Martin", c'est en très large part grâce à tout ce que l'évêque Perpétue a fait et institué"

    La virtus de Martin Nous verrons que Grégoire de Tours amplifiera la méthode Perpet : Martin est certes mort, mais pas complètement, il reste vivant pas sa vertu, sa virtus qui peut encore faire des miracles par des reliques, que ce soient un morceau de son cadavre, un tissu de chape, de la poussière du tombeau, une sainte-ampoule... Et en plus, surtout, il faut y croire très fort...

    Paulin de Périgueux, porte-parole de Perpet. Présentation en préface de E.-F. Corpet, 1848, de celui à qui Perpet fit appel pour écrire les louanges de Martin : "Il paraît, d'après son propre témoignage, qu'il était Gaulois, et l'on suppose qu'il était fils d'un célèbre rhéteur de Périgueux, nommé Paulin, dont Sidoine Apollinaire rappelle la mémoire avec éloge. On pourrait croire qu'il avait, dans sa jeunesse, sacrifié aux muses profanes ; mais, comme beaucoup d'autres écrivains de cette époque, il se convertit dans un âge plus avancé. Ce fut alors, vers 463, qu'il entreprit de mettre en vers la Vie de saint Martin et les Dialogues de Sulpice Sévère. Pendant qu'il s'occupait de ce travail, Perpetuus, évêque de Tours, qui l'encourageait dans ses efforts, et lui avait peut-être conseillé cette pieuse entreprise, lui envoya, pour compléter son poème, une relation, signée de sa main, des miracles qui s'étaient accomplis sous ses yeux par l'influence toute-puissante encore du nom et des reliques de saint Martin. Sur ces entrefaites, le petit-fils de Paulin et une jeune fille qu'il était sur le point d'épouser tombèrent dangereusement malades. On leur appliqua sur l'estomac le précieux cahier signé de la main de Perpetuus, et ils furent sauvés. Cette guérison miraculeuse ranima la verve de l'aïeul, qui termina son grand poème, et raconta séparément dans une pièce de quatre-vingts vers le prodige opéré en faveur de son petit-fils. Quelques années plus tard, vers 470, Paulin écrivit encore, à la prière de Perpetuus, une inscription de vingt-cinq vers, que cet évêque fit graver sur les murs d'une église magnifique dédiée à saint Martin. Comme Paulin se plaignait déjà des infirmités de la vieillesse au moment de la guérison de son petit-fils, on suppose qu'il mourut quelque temps après avoir composé cette inscription, c'est-à-dire vers 476 ou 478."


    Paulin de Périgueux. Ses écrits sont sur le site remacle.


    Livres d'histoire illustrés souvent repris sur la présente page. Au XIXème siècle, à 10 ans d'intervalle, deux magnifiques livres ont été publiés sur la Touraine, traitant de son histoire avec de nombreuses illustrations gravées inédites, dont quelques-unes en couleurs. Leurs grandiloquents frontispices sont repris dans les deux illustrations de gauche. Le premier ouvrage, codé LTa&m 1845 est titré "La Touraine ancienne et moderne" publié en 1845 par L. Mercier, rédigé par Stanislas Bellanger (1814-1859), 614 pages, comptant de nombreuses gravures, souvent de Lacoste Aîné. Le format est standard. + couvertures + double page de présentation + quelques autres pages.
    Le chef-d'oeuvre des Mame. Il est probable que le second ouvrage ait été conçu comme une surenchère du premier. Noté LTh&m 1855, il est titré "La Touraine, histoire et monuments", texte Jean-Jacques Bourassé, gravures nombreuses de Karl Girardet et autres, publié en 1855 par la maison d'édition Mame, imprimé par l'imprimerie Mame. Les illustrations sont encore plus nombreuses (le livre est considéré comme le plus illustré de son temps), le format est géant (29 cm x 41 cm), 610 pages. "Cet ouvrage est un monument ; les gravures sur bois sont remarquables. Malheureusement son format l'éloigne à tort de certaines bibliothèques. Il faut se rendre compte que de nos jours une pareille débauche d'illustrations gravées sur bois est un luxe dispendieux à cause du prix de la main-d'oeuvre. L'éditeur le plus riche se ruinerait dans de pareilles entreprises" [Carteret,Le Trésor du bibliophile]. Ce "chef-d'oeuvre de typographie", considéré comme "le livre le plus richement illustré de son temps", fierté d'Alfred Mame, obtint du jury international la Grande Médaille d'Honneur de l'Exposition Universelle de 1855, à Paris. + couvertures + double page + publicité pour une réédition en 1985.
    Alfred Mame, un industriel d'envergure. L'imprimerie Mame compta jusqu'à 1500 ouvriers à Tours (en 1866), elle était le premier employeur de la ville. + vue de l'imprimerie à Tours en 1880 [Stéphane Pannemaker vers 1900, "Tours citée meurtrie" 1991] et carte postale + courte biographie d'Alfred Mame dans Mag. Touraine HS novembre 2000. Il contrôlait toute la chaîne de fabrication d'un livre (depuis la papeterie en sud Touraine à La Haye Descartes, photo) et était un patron social à la manière paternaliste du XIXème siècle, c'est ainsi qu'il a créé la "cité Mame", cité ouvrière toujours en place (mais avec des arbres inutilement abattus, cf. page voisine) : illustrations [Bernard Chevalier "Histoire de Tours" 1985]. + article La NR 2016 + plaquette municipale sur les Mame.
    Rappelons que nous avons déjà présenté un très beau livre illustré, le Lecoy 1881. Ajoutons Oury - Pons 1977, "La Touraine au fil des siècles - La ville de Tours", 240 pages, éditions C.L.D., par Guy-Marie Oury, illustrations de Georges Pons (couverture) et Leveel 1994 "La Touraine disparue, aussi édité par C.L.D., par Pierre Leveel (couverture avec le château de Véretz et extraits, 62 pages sur 320).
    Tours et la Touraine en bande dessinée. De manière modeste, au XXème siècle, à deux ans d'intervalle, deux bandes dessinées sur Tours et la Touraine ont été publiées (illustrations de droite). Leurs auteurs, très peu connus, se sont appliqués sur une histoire chronologique à travers les siècles qui n'a jamais été traitée en BD ni avant, ni après, alors qu'il y a tant matière. Tout deux ont un format standard. Le premier album, noté Guignolet 1984 est titré "Si Tours m'était conté", publié en 1984 par les éditions C.L.D. de Chambray lès Tours (48 pages). Le second album, codé Couillard - Tanter 1986 est titré "Histoire de la Touraine, des origines à la Renaissance", texte de Georges Couillard (article La NR), dessin de Joël Tanter, autoproduit 1986, réédition par La NR (78 pages). Signalons trois autres albums, traitant indirectement de l'histoire de la ville et de la province, sous une forme non chronologique. "Enquête en Touraine", texte de Pierre-Yves Delarue, dessin du jeune dessinateur Etienne Le Roux, qui a fait ses preuves depuis, fut publié par Week-End Doux en 1991 + couverture. Les deux autres ont été édités par "La comédie illustrée" en 2002 et 2005, titrés "Chacun son Tours" (couverture, présentation) et "Tours à Tours" (par quartiers) (couverture). Ce sont des ouvrages collectifs présentant six et sept récits de huit pages (trois planches en fin de cette page). + deux pages d'un article sur la BD à Tours en 2010 : 1 2.
    Histoire de Tours en images. En novembre 2020, alors que se terminait la présente page, est paru aux éditions Sutton un bel ouvrage "Tours, portraits d’une ville" (primitivement titré "Tours, portraits d'une cité disparue", dessins de Mathieu Cossu, textes de Cédric Delaunay, 180 pages, ici codé Cossu-Delaunay 2020 (couverture, article La NR).



    Historiens de Tours et de la Touraine. Chacun d'eux est cité à de multiples reprises sur cette page : Jean-Jacques Bourassé (1813-1872) (LTh&m 1855), Eugène Giraudet (1827-1887) ("Histoire de la ville de Tours", 1873), Pierre Leveel (1914-2017) (Leveel 1994), Bernard Chevalier (1923-2019) ("Tours ville royale 1356-1520", CLD 1983, "Histoire de Tours", Privat 1985), Pierre Audin (1944-) ("Histoire de la Touraine", Gestes Editions 2016...).

    Sanctus Perpetuus dans l'actuelle basilique



  19. De la famille de Paule et Eustochie, Eustoche et Perpet, évêques aristocrates

    Jérôme de Stridon (347-420) est un des quatre pères de l'église latine. Traducteur de la bible en latin, sous le nom de vulgate, il a mis en place des critères intellectuels communs aux évêques de Gaule et d'ailleurs. Paule / Paula (347-404), très riche aristocrate née à Rome, patricienne, ardemment convertie au christianisme, subjuguée par Jérôme, donc baignant dans cette effervescence, le suit pour s'installer à Bethléem vers 385, avec sa fille Eustochie / Eustochium (368-419). Elles fondent la communauté de moniales de l'ordre de Saint-Jérôme. Eustoche, petit-fils de Paule et neveu d'Eustochie, devient évêque de Tours en 442. Par sa famille et son éducation, il dispose, ainsi que son neveu et successeur Perpet, d'une culture chrétienne consistante, d'un réseau de connaissance étendu et aussi de solides moyens financiers. + article de Marie Turcan "Saint Jérôme et les femmes" (1968).

    Les trois illustrations ci-dessous, montrent Paule et sa fille Eustochie étudiant la bible, à l'écoute de Jérôme. Tous trois sont des contemporains de Martin à une époque où, dans une société mondialisée (autour de la Méditerranée), bouillonnait une effervescence culturelle chrétienne basée sur les échanges épistolaires en latin. On sait en particulier que Jérôme a échangé des courriers avec Paulin de Nole et Sulpice Sévère. Bruno Judic dans le Collectif 2019, estime que  : "Il serait sans doute possible de parler d'une "avant-garde" de l'Eglise au tournant des IVème et Vème siècles, qui a insufflé au christianisme les moyens de dépasser les évidentes compromissions avec un empire devenu chrétien et donc une Eglise devenue instance "administrative et routinière".


    Paule et Eustochie disciples de Jérôme de Stridon. A gauche, mosaïque réalisée à partir d'une page de la première bible de Charles le Chauve, réalisée par le scriptorium de l'abbaye Saint Martin de Tours en 846. Cette miniature est une planche en trois cases : 1) Jérôme quitte Rome puis il paye son professeur 2) il enseigne à Paule, Eustochie et autres 3) il distribue sa bible. Au centre, mosaïque de la basilique Sainte-Marie-Majeure de Rome. A droite tableau de Francisco de Zurbaran (1598-1664). + oeuvres de Jérôme sur le site remacle + remarques sur une lettre de Jérôme à Eustochie, âgée de 16 à 18 ans, qui fit scandale à Rome pour l'inviter à rester vierge + peinture sur bois de Sano di Pietro, 1444, montrant Jérôme apparaissant en songe à Sulpice Sévère. + deux vitraux de Paule [site de Nhuan DoDuc] : 1 [cathédrale de Sens] 2 [cathédrale St Nicolas de Dalat au Viet-Nam]. + page Nhuan DoDuc de vitraux sur Jérôme, souvent représenté avec une bible + étude sur la vie de Paule.


    Paule et ses descendants évêques jusqu'à Grégoire de Tours. A gauche, l'abbesse Eustochie, fille de Paule et tante d'Eustoche, le cinquième évêque de Tours [tableau de Juan de Valdés Leal, Bowes Museum]. Puis Martin et Jérôme côte à côte sur le portail oriental de la cathédrale de Chartres [Lorincz 2001] (sur le tympan, Martin partage son manteau, zoom arrière, lien) + gros-plan sur le visage de Martin [flickr joan yakkey]. La page Wikipédia anglaise désigne Eustoche comme oncle de Perpet, alors que la page française le désigne (en 2020) comme son grand-père. Chronologiquement, la première hypothèse est plus vraisemblable. Sont présents sur les arbres généalogiques : Paule (1), sa fille Eustochie (2), son petit-fils Eustoche (3), et son arrière petit-fils Perpet (4). Celui-ci a un oncle Ommace / Ommatius (5) dont un petit-fils de même nom Ommatius / Ommat / Ommace est devenu le 12ème évêque de Tours de 522 à 526 (6) et dont une petite-fille Ruricia a épousé l'évêque Rustique de Lyon (7) (proche ami de Sidoine Apollinaire), lequel a eu deux fils devenus évêques de Lyon, Leontius (8) et Sacerdoce (9) et un neveu (aussi neveu d'Ommace 5) Rurice II évêque de Limoges (10) ayant pour grands-parents Avitus empereur romain d'Occident et saint Rurice évêque de Limoges. La descendance de Rustique de Lyon (7) montre qu'il a trois petits-fils évêques, Aurélien à Arles, Nizier à Lyon, Maurillon à Cahors, un arrière petit-fils (plutôt un de ses cousins proches) Eufronius / Euphrone évêque de Tours et un arrière-arrière petit-fils qui est le fameux historien Grégoire, évêque de Tours.

    Mélanie la jeune libère ses esclaves et ébranle la société romaine. Deux autres femmes aristocrates romaines vont tenir un rôle important dans cette avant-garde chrétienne romaine : Mélanie l'ancienne (341-410) et sa petite-fille Mélanie la jeune (383-439). Comme Jérôme, Paule et Eustochie, elles s'installent à Jérusalem, tout en restant en lien épistolaire avec Rome. Toutes deux ont créé un monastère à Jérusalem. Mélanie l'ancienne rencontra Jérôme, mais il y eut mésentente. Avant de partir en Palestine, Mélanie la jeune, qui était richissime, a vendu, avec son mari Pinien, tous ses biens en Italie et en Gaule et affranchi 8000 esclaves en leur laissant une petite somme d'argent. "En agissant ainsi, les deux héritiers d’une des plus grandes fortunes romaines ébranlaient dangereusement des piliers sur lesquels reposait la société : la puissance du sénat, dont les biens de Mélanie et son époux était le signe, et les esclaves, dont l’affranchissement était permis mais limité. Ils ne purent ainsi se délester de leur immense patrimoine sans l’aide de l’impératrice chrétienne Serena, qui intercéda en leur faveur contre les sénateurs" (lien). + article d'Emmanuel Amand de Mendieta, en 1963, sur "La vie de sainte Mélanie" par Denys Gorce. Les arbres généalogiques ci-dessous montrent l'existence de liens familiaux entre Eustoche (et donc Paule, Eustochie, Perpet), Paulin de Nole et Mélanie la jeune. Géographiquement, cela se traduit par des liens entre Tours, Rome et Jérusalem, les trois villes qui allaient devenir au VIème siècle les principaux lieux de pèlerinage de la chrétienté. Voir aussi, ci-après, le financement de la basilique de Perpet.


    Mélanie l'Ancienne et Mélanie la Jeune. A gauche l'Ancienne [catacombe de Priscille] puis la Jeune. Le prénom Mélanie a pour dérivés Mélaine, Mélina, Melinda, Mélusine, Molly... + deux vitraux (site de Nhuan DoDuc) présentant Mélanie la Jeune : 1 [église St Pierre de Charenton le Pont en Ile de France] 2 [église St Nicolas St Martin de Valmont en Normandie].


    La proximité familiale d'Eustoche (et son neveu Perpet) avec Mélanie la jeune et Paulin de Nole. L'arbre de gauche montre qu'Eustoche et Mélanie la jeune sont cousins issus de germains. L'arbre de droite montre que Mélanie l'ancienne, grand-mère de Mélanie la jeune, était cousine germaine avec Paulin de Nole. Les indications "SOSA" correspondent à des personnes ascendantes de nombreux généalogistes et au-delà... puisque les parents d'Eustoche sont des ascendants de Charlemagne (arbre). Eustoche et Mélanie la jeune ne sont pas cousins pour autant, mais ils évoluent dans deux familles très proches. + arbre montrant que Paule (l'arrière grand-mère d'Eustoche) a une bru Laeta dont un cousin germain, Valérus, est le père de Mélanie la Jeune et le fils de Mélanie l'Ancienne ; c'est un autre rapprochement des familles d'Eustoche et Paulin de Nole. Cette proximité familiale entre Paule et les Mélanie est d'autant plus forte qu'elles se sont installées toutes les trois en Palestine, à Bethléem et à Jérusalem. Notons enfin que dans une étude de 1956 traitant de la "conversion d'une famille de l'aristocratie romaine du Bas-Empire", André Chastagnol propose un schéma généalogique estimant que Paule (n°22) et Mélanie la Jeune (n°16) sont cousins. Si le cousinage apparaît très plausible, il se présente probablement un peu différemment car une ou deux générations séparent Paule (née en 347) et Mélanie née en 383), or ce stemma les met au même niveau. En passant par Paule, il y a donc un second cousinage, plus lointain que le premier, entre Eustoche et Mélanie.

    Eustoche est issu d'une famille vénérant Martin. Les deux arbres généalogiques ci-dessus montrent que Paulin de Nole et Eustoche ont pour cousine commune Mélanie la jeune qui, comme sa grand-mère paternelle Mélanie l'ancienne est une sainte chrétienne. En introduction du Collectif 2019, Bruno Judic fait part de découvertes archéologiques récentes qui tendent à prouver que le site Palazzo Pignano, un village à l'Est de Milan où se trouve une église Saint Martin, avait au Vème siècle une église déjà dédiée à Saint Martin. Or l'appellation Pignano amène à croire que c'était originellement le domaine de Pinien, le mari de Mélanie la jeune, "domaine dans lequel Pinien aurait fait aménager au début du Vème siècle une église sous le titre de Saint Martin, en tant que modèle de vie ascétique et monastique, la vie que finalement Pinien et Mélanie ont voulu vivre à la source même de leur foi, c'est à dire à Jérusalem". On sait d'ailleurs qu'ils avaient quitté Rome juste avant le sac de la ville par Alaric en août 410 pour se réfugier en Italie du nord", donc en leur domaine milanais. La venue d'Eustoche, familialement proche de Paulin de Nole, à Tours n'est donc pas un hasard, elle marque la volonté de vivre sur les lieux mêmes où avait vécu le saint vénéré par cette famille afin de l'honorer. Il apparaît probable qu'il ait connu l'église Saint Martin de Pinien et Mélanie la Jeune, à une époque où Martin, grâce à Sulpice Sévère et par la faute de Brice, était davantage célébré à Milan, Rome ou Jérusalem qu'à Tours.

    Remarques sur ces données généalogiques : ce sont celles que j'ai construites dans ma généalogie personnelle, bien avant la présente étude. Elles sont communément admises par les généalogistes du site geneanet, sachant que, à cette époque lointaine, les noms de famille sont très variables (souvent inventés), et aussi les prénoms dans une moindre mesure (francisés ou pas...). Ces liens ne sauraient être considérés comme complètement certains.

    Eustoche et le culte de Gervais et Protais. Probablement né à Rome, peut-être en Auvergne, enfant de citoyens Romains, Eustoche, petit-fils de la célèbre Paule, est donc un aristocrate bénéficiant d'une éducation relevée et d'un réseau relationnel puissant. Pierre Audin ["Tours à l'époque gallo-romaine" 2002] : "Eustoche, élu en 444, était issu d'une riche famille sénatoriale d'Auvergne [plutôt une riche famille romaine installée en Auvergne]. Apprécié de tous par sa culture et sa piété, il affirma à chaque occasion la prépondérance de l'Eglise sur le pouvoir civil, et n'hésita pas à ce titre à s'opposer aux décrets de l'empereur Valentinien III. Luttant sans cesse contre le relâchement de la discipline ecclésiastique, Eustoche fit édifier dans le castrum une seconde église, au contact de l'enceinte, probablement entre la cathédrale et l'archevêché. Ce nouvel édifice fut dédié aux saints Gervais et Protais, dont Martin avait, 50 ans auparavant, rapporté les reliques d'Italie sur la proposition de saint Ambroise. Cette église a disparu au cours du XVIIème siècle lorsque fut construit le nouvel archevêché. Mort en 461, Eustoche fut, comme son prédécesseur Brice, inhumé dans la basilique Saint Martin".


    A gauche, le martyre de Gervais et Protais, l'un par flagellation, l'autre par décapitation [dessin pour vitrail de Noyant de Touraine, de Julien Fournier et Amand Clément 1875, Geneste 2016]. A droite, "L'Invention des reliques de saint Gervais et saint Protais" par Philippe de Champaigne vers 1659 [musée Beaux-Arts Lyon, Wikipédia] + tableau d'Eustache le Sueur 1655 [Musée des Beaux-Arts de Lyon]. + quatre pages du site de Nhuan DoDuc présentant des vitraux de Gervais et Protais : 1 2 3 4.
    L'église d'Eustoche. Les reliques de Gervais et Protais, confiées par Ambroise à Martin, furent déposées dans une nouvelle église qu'Eustoche bâtit à côté de la cathédrale, ci-contre en rouge sur ce plan des édifices religieux de Tours à la fin du Vème siècle [Pierre Audin 2002] :


    Reliques 2/8 : passage de reliques. D'Ambroise de Milan à son collègue Martin de Tours et de Martin de Tours à son disciple Victeur du Mans, des os de Gervais et Protais traversent la Gaule. Case de la BD "Le Mans Tome 1", collectif d'auteurs, éd. Petit à Petit 2018 (lien) + la planche. + tapisserie et vitrail du martyre dans la cathédrale du Mans (lien). On a vu ci-avant que l'évêque de Rouen Victrice avait reçu de Martin des reliques de Gervais et Protais et on a vu ci-avant que Perpet avait confié à la paroisse de Montlouis des reliques de Saint Laurent.
    Le bout de tissu d'Olivet. L’église Saint Martin d'Olivet, en Orléanais, commune d'abord nommée Saint Martin d'Olivet, "abrite une relique du manteau de saint Martin. Elle provient du trésor de la cathédrale d’Auxerre d’où elle fut envoyée en 1567 par le chanoine Pierre Beaulieu, originaire d’Olivet. Découverte et aussitôt cachée à la Révolution par un ouvrier chargé de supprimer les emblèmes religieux de l’église, elle fut restituée plus tard à la paroisse d’Olivet qui fête l’événement le 8 juillet 1860 (fête de la translation des reliques). En 1890, Maurice Prou émet l’hypothèse que la relique vient d’un habit porté par st Martin et conservé par les fidèles. La châsse est scellée en 1961 dans la chapelle St Joseph. Elle est désormais conservée dans une armoire et donnée à la vénération des fidèles chaque 11 novembre." (lien) + tableau du partage du manteau dans l'église d'Olivet.
    Début en Reliques 1/8, suites en 3/8, 4/8, 5/8, 6/8, 7/8, 8/8.

    Eustoche défend la romanité. Luce Pietri [page 104 de sa thèse] : "A une époque où subsistait encore un fragile espoir pour la cause romaine en Gaule, Eustochius s'inquiétait déjà des défaillances possibles de l'esprit civique dans les communautés gallo-romaines et s'efforçait de les prévenir : en 453, au concile d'Angers qu'il présidait, il fit adopter une résolution frappant d'excommunication tout clerc qui livrerait à l'ennemi sa cité. Avec les armes spirituelles qui étaient à sa disposition, l'Eglise de Tours s'associait au combat mené par les derniers défenseurs de la romanité en Gaule." Avant la fin de l'empire romain en 476, la Touraine tomba aux mains des Wisigoths vers 471, au milieu de l'épiscopat de Perpet, quand sa basilique se termine.


    Les conciles : une démocratie épiscopale ? Les évêques gaulois se sont réunis pour la première fois à Arles en 314. Qu'ils soient provinciaux, régionaux ou nationaux, les conciles se sont poursuivis durant toute l'époque troublée des invasions barbares. La liste non exhaustive est sur cette page de Wikipédia. Outre les affaires de l'Eglise, ces réunions traitaient en arrière plan des problèmes politiques du moment, apportaient une cohérence géographique à l'action épiscopale et permettaient de renforcer le réseau des évêques à travers la Gaule. A gauche le concile / synode de Séleucie (celui de 359 ou 410 ou 486 ?) [Semur en Brionnais, collégiale Saint Hilaire]. A droite, le concile de Marseille en 533 [église saint Trophime à Arles, peinture sur bois, fin XVIème siècle (lien)].


    Les premiers évêques de Tours peints sur l'oratoire du musée des Beaux-Arts de Tours. Dans la tour de l'enceinte gauloise jouxtant le musées des Beaux-Arts, anciennement palais de l'Archevêché, à côté de la cathédrale [rappel : photo], un oratoire fut aménagé vers 1872, avec des voûtes peintes par Louis de Bodin de Galembert, représentant huit des premiers évêques de Tours, ici Perpet à gauche et Eustoche à droite, avant restauration + le décor représentant Martin et Gatien (en couleurs) avant restauration ["La légende saint Martin au XIXème siècle" 1997] et après restauration [Livre Catalogue 2016]. A droite les fondations d'églises dans le diocèse de Tours du IVème eu VIème siècle ["La France avant la France", Belin 2010], montrant combien les successeurs de Martin ont poursuivi l'évangélisation de la Touraine.

    De Jérôme à Perpet, la vénération d'un lieu saint. Jérôme de Stridon a initié le développement des pélerinages. Dans son ouvrage "Vie d'Hilarion", il "défend énergiquement la notion d'une localisation géographique du sacré : Hilarion, de passage en Egypte, contemple avec enthousiasme le lieu de vie d'Antoine, qui fut son maître en ascétisme et qui vient de décéder ; le tombeau d'Hilarion lui-même devient un lieu saint" [Catherine Saliou, "de Pompée à Muhammad", Belin 2020, page 494]. Eustoche et Perpet, descendants de Paule, première des disciples de Jérôme, ont appliqué ce grand principe de leur maître pour faire de Tours un lieu saint. On peut même s'interroger sur le prénom prédestiné de Perpet : le futur bâtisseur de la prestigieuse basilique n'était-il pas destiné dès sa naissance à perpétrer la mémoire de Martin, selon le précepte de Jérôme ? De plus Jérôme est le premier à mettre en exergue les miracles post-mortem, ceux d'Hilarion, par les reliques et les onctions d'huile. Perpet s'en est inspiré... + documentation sur le monastère de Saint Hilarion (avec son caveau) qui peut être mis en parallèle avec le monastère de Marmoutier (avec sa grotte du repos) [René Elter et Ayman Hassoune 2004].

    Les conciles d'Eustoche et de Perpet. Martin avait probablement participé à plusieurs conciles, ses successeurs en organisèrent. Luce Pietri [page 143 de sa thèse] : "C'est en tant qu'évêques de l'Eglise métropolitaine qu'Eustochius et Perpetuus ont réuni successivement trois conciles et présidé à l'élaboration d'une importante législation religieuse. En 453, Eustochius mit à profit sa rencontre avec six autres prélats, appelés comme lui-même à Angers par la consécration de l'évêque Thalasius, pour tenir dans cette cité une réunion conciliaire. [...] En novembre 461, la célébration de la recepito Martini rassemblait à Tours, auprès de Perpetuus, 9 évêques qui prirent part ensuite à une nouvelle session conciliaire. Bien que trois des prélats présents, Léon de Bourges, Germain de Rouen et Amandinus de Châlons fussent des étrangers à la province, il est bien difficile de dénier à cette réunion le caractère d'un concile provincial un peu élargi : il est probable que les métropolitains de Lyonnaise Seconde et d'Aquitaine Première ainsi que l'évêque suffragant de Belgique Seconde étaient venus pour assister à la fête célébrée en l'honneur de Martin et qu'ils furent conviés par courtoisie à siéger dans une assemblée à laquelle leur présence conférait plus de solennité. [...] le concile réuni quelques années plus tard [vers 465] à Vannes, à l'occasion de la consécration de l'évêque de cette dernière cité, Paternus, devait manifester avec éclat l'unanimité du corps épiscopal de la province.".


    Perpet, sixième évêque de Tours, en sa basilique : devant le tombeau de Martin (XIXème siècle) et deux autres représentations

    Le spectaculaire prestige moral de Martin sur l'épiscopat gaulois. Olivier Guillot, en son livre "Saint Martin apôtre des pauvres" (2008) analyse de près les règles ("canons") régissant la conduite des évêques au Vème et VIème siècles, en particulier celle qui veut que " l'évêque ait un mobilier et une table bon marché, ainsi qu'une nourriture de pauvre, et recherche par la foi et les mérites de sa vie l'autorité ("auctoritas") de sa dignité.". Il y voit une conséquence des conciles, notamment celui d'Agde en 506, la présence d'un "axe d'influence entre Tours et Arles" et le prestige de Césaire, évêque d'Arles de 502 à 542, "le plus célèbre de son temps". Il conclut : "A peu près un siècle après le pontificat de saint Martin, le dessein de ce dernier d'être un évêque ayant en règle un vêtement et une vie de pauvre, qui, à l'époque, avait choqué gravement nombre d'évêques, est devenu, à l'expérience, par un retournement de cette opinion des évêques, un comportement désormais considéré comme digne d'être suivi par tout évêque. Il y a là une preuve spectaculaire du prestige moral dont saint Martin a été crédité dans le coeur des évêques des Gaules de la fin du Vème siècle". Olivier Guillot émet ensuite des doutes sur l'application générale de cette façon martinienne de mener la vie d'évêque, qui lui paraît éphémère et assurément abandonnée au VIIème siècle. Reste le prestige du saint que les Francs vont relancer à leur façon...

    Le faux testament de Perpet. Sur l'évêque Perpet / Perpetuus, outre la page Wikipédia, on pourra consulter la biographie en quatre pages du site orthodoxievco, sachant que quelques éléments sont contestables, notamment le testament de Perpet. Celui-ci, réédité à plusieurs reprises, est assurément un faux rédigé par un prêtre nommé Jérôme Vignier, né à Blois en 1606, décédé à Paris en 1661. C'est ce que montre Charles Lelong dans un article de la SAT en 1995. La référence sur la vie de Perpet, avec des bases historiques solides, semble être la thèse déjà citée ci-avant de Luce Pietri en 1980 (pages 131 à 169).

    Evolution de la ville de Tours 2/7 : Avec la nouvelle basilique de Perpet, Tours devient une capitale du tourisme pèlerin Tours devenu ainsi un lieu de pèlerinage, en quelque sorte le sanctuaire de Lourdes des Gaules ou le sanctuaire d'Esculape à Epidaure dans la Grêce ancienne transposée dans l'empire romain d'Occident... Si le miracle espéré ne se concrétisait pas à Tours, les pèlerins pouvaient aussi aller à Marmoutier ou à Candes, ou essayer, dans les environs, un autre saint moins connu ou plus spécialisé dans les maux à guérir... Bien sûr, à en croire les successeurs de Perpet, il y eut d'autres miracles posthumes de Martin. D'après Charles Lelong ["Vie et culte de Saint Martin", 1990], à en croire Nicolas Gervaise en 1699, "ce n'est que durant le second quart du XVIème siècle que les miracles devinrent plus rares et que ce lieu si vénérable à tout le monde perdit une partie de son éclat et de sa splendeur". Et il estime ["Vie et gloire posthume", 1996] que "c'est au VIème siècle et au début du VIIème que le culte atteignit son apogée, à moins que nous ne soyons abusés par l'abondance des informations."

      La création d'une nouvelle ville, Martinopolis : vers 400, sous l'évêque Brice, et vers 600, peu après l'évêque Grégoire. Le rôle joué par Martin permet à Tours de devenir un prestigieux lieu de pèlerinage. La ville comporte alors deux pôles. Sur chacun des deux plans ci-dessus, à droite (à l'est) l'ancienne cité, "civitas", protégée et limitée par ses remparts (s'appuyant au sud sur l'ancien amphithéâtre), conservant son rôle administratif et abritant l'évêché. A gauche (à l'Ouest), toujours en bord de Loire, le "suburbium" ou "vicus" autour du tombeau de Martin va prendre une importance croissante jusqu'à devenir une nouvelle ville, indépendante de la vieille "Cité". + article de Jacques Seigne "La fortification de la ville au IVème siècle" et article de Henri Galinié "La formation du secteur martinien" qui progressivement prendra le nom de Martinopolis, la ville de Martin, Martinopole [Ta&m 2007]. Début en évolution 1/7, suites en 3/7, 4/7, 5/7, 6/7 et 7/7.



    C) 471-994 LA BASILIQUE DE L'EVEQUE PERPET

  20. Le financement, les décorations et poèmes de la basilique de Perpet

    Eustoche, évêque de Tours durant 17 années, a probablement préparé son neveu Perpet / Perpetuus / Perpetue / Perpète a sa succession, si bien que celui-ci fut rapidement opérationnel pour donner un vigoureux essor au culte de Martin. Son épiscopat dura 31 ans, il a pu agir dans la durée. La construction d'une grande basilique était en soi insuffisante, il fallait une illumination supérieure : laisser croire que Martin serait encore opérationnel ! A son avènement en 459, Perpet savait que la basilica d'Armence n'était plus à la hauteur de ses ambitions, il en fallait une autre qui marque les esprits. Il en entreprit la construction, qui dura une dizaine d'années... Elle allait servir de lieu de propagande du culte régénéré de Martin.

    Une hypothèse sur le financement de la basilique de Perpet. Nous avons vu ci-avant qu'Eustoche, l'oncle de Perpet, était cousin issu de germain de Mélanie la jeune, mariée à Pinien, dont la famille a probablement élevé une des premières églises nommées Saint Martin, près de Milan. Or la page Wikipédia de Mélanie signale que : "Après avoir fait un rêve (le franchissement d'un mur élevé avant de passer la porte étroite pour parvenir au Royaume des Cieux), Mélanie et son mari vendent leurs biens. Ces immenses propriétés s'étendent de la Bretagne à l'Espagne. La vente se fait au profit de nombreux monastères et églises et Mélanie affranchit en plus ses nombreux esclaves (trois pièces d'or leur aurait été données à chacun). Cela se fait malgré les désaccords de nombreux membres de leur famille et de politiciens pour ne pas compromettre l'économie de l'État". Il y a lieu de croire qu'une partie de cette fortune colossale est entrée dans le financement de la basilique de Perpet.

    La fabuleuse basilique de Perpet. Selon Charles de Grandmaison (1824-1903), cette nouvelle basilique, terminée en 471, était "non seulement la plus célèbre et la plus fréquentée, mais encore la plus magnifique de l'ancienne Gaule". Elle faisait l'étonnement et l'admiration de tous ceux qui ont pu la voir. Une attraction pour les pèlerins ! Peu importe si elle n'était guère un reflet de l'humilité de Martin... C'était alors, avec Rome, le principal lieu de pèlerinage chrétien en occident. Grégoire de Tours en parle "avec une sorte d'enthousiasme". Selon lui, la basilique avait 160 pieds de long (47 m selon le pied romain), 60 de large (18 m) et 45 de haut (13 m), ces mesures ayant été corrigées en 53, 20 et 45 m, notamment par Charles Lelong ["Vie et culte de Saint Martin" 2000]; elle était percée de 52 fenêtres et de 8 portes, et l'on comptait dans l'intérieur 120 colonnes. Elle comprenait deux parties, la nef et le sanctuaire, ce dernier possédant à lui seul 32 fenêtres. Elle était ornée de mosaïques décoratives et figuratives. On pourra consulter l'article de Noël Duval 1999 titré "Les descriptions d’architecture et de décor chez Grégoire de Tours et les auteurs gaulois : le cas de Saint-Martin de Tours" (sa conclusion).


    A gauche, Perpet dirigeant la construction, extrait d'un calendrier de Jacques Callot (1592-1635) (+ image de Martin dans ce célèbre calendrier). Au centre Perpet procède à la mise en place, dite "translation", du tombeau en sa basilique [vitrail Lobin, basilique Laloux]. A droite, les infirmes au tombeau de Saint Martin [vitrail de la collégiale de Candes, F. Gaudin 1900]. + planche de Joshua Peeters dans BD Utrecht 2016 montrant cette translation qui fut datée du 4 juillet 471.


    Consécration de la basilique par Perpet et prière en ses murs. A gauche vitrail de l'atelier Lobin 1870, situé dans un oculus de l'église de Saint Martin le Beau en Touraine (descriptif dans "Le patrimoine des communes d'Indre et Loire" 2001) + vitrail dans la même église avec Martin dans le ciel surveillant le transfert du tombeau. A droite, vitrail de Lux Fournier 1904 (+ photo), dans l'église voisine Saint Laurent de Montlouis sur Loire, avec pour légende "Un habitant de Montlouis vient prier au tombeau de saint Martin où il recouvre miraculeusement l'usage de la parole" [trois illustrations de Verrière 2018, avec la mise en évidence du tombeau].


    A gauche, la basilique de Perpet selon la "coupe longitudinale" (ici) dans la restitution de Jules Quicherat (1814-1882). A droite, le tombeau dans la basilique de Perpet, restitution [Lecoy 1881] + compléments sur cette restitution (sachant que certains restes attribués à la basilique de Perpet dans les fouilles se sont ensuite avérés rattachés à la basilique d'Hervé). + plan et coupe longitudinale dans cette restitution (repris ci-après). + article de Charles de Grandmaison sur la restitution de Quicherat, 1870 (et voir ci-après) + article de Francis Salet, 1973.

    Perpet, l'imprésario de Martin. Bruno Judic dans l'article de 2009 titré "Les origines du culte de saint Martin de Tours aux Vème et VIème siècles", présente d'autres atouts de la basilique de Perpet : "C’est sous l’épiscopat de Perpetuus à Tours entre 460 et 490 environ que le tombeau fait vraiment l’objet d’aménagement pour le culte. Perpetuus apparaît alors comme un “impresario” du culte de Martin pour reprendre une expression de Peter Brown. Certes il y avait un petit édifice au-dessus de Martin depuis le temps de Brice mais bien trop petit pour permettre la dévotion des fidèles. Perpetuus entreprend donc la construction d’une grande basilique dont l’abside abritait les restes de Martin. Il donna un grand faste à cette nouvelle construction, colonnes antiques, mosaïques, et inscriptions ornaient la nef et l’abside. Pour les inscriptions il s’adressa spécialement à deux écrivains, Sidoine Apollinaire et Paulin de Périgueux. Paulin de Périgueux, qu’il ne faut pas confondre avec Paulin de Nole, est mal connu. Il apparaît comme l’auteur d’une Vie de Martin en vers, reprenant la matière de la Vie composée par Sulpice mais en y ajoutant des récits de miracles plus récents communiqués à Paulin par Perpetuus. C’est donc un vrai poète qui composa aussi certaines des inscriptions de la basilique. Ce Paulin devait appartenir au même réseau lettré, aristocratique et religieux que Sidoine Apollinaire qui est en revanche bien connu."

    Le même Bruno Judic, dans l'article du Collectif 2019 titré "Le rayonnement de la figure martinienne" : "La basilique tourangelle fut la source de nombreuses images martiniennes. Elle devait en effet posséder un véritable cycle d’images. Au temps de Perpet, le décor devait en partie correspondre aux versus basilicae que nous a transmis le Martinellus. Ils permettent de supposer la présence de scènes évangéliques, la veuve indigente, Jésus marchant sur les eaux, le Cénacle, la colonne de la Flagellation ou encore le trône de l’apôtre Jacques ; à ce programme devaient faire pendant des scènes de miracles martiniens sans qu’on puisse être plus précis.". + article de Alain Erlande-Brandenburg, 1965, "Le décor préroman de Martin de Tours".

    A gauche, on devine un oiseau
    et des grappes de raisin.

    Vestiges du décor de la basilique de Perpet publiés dans Ta&m 2007, où Christian Sapin écrit : "L'ensemble était décoré comme il se doit pour les basiliques de cette période avec des tentures, des peintures (qui selon les inscriptions interprétées comme légendes de celles-ci devaient représenter des miracles du Christ et d'autres de Martin), auxquelles il faut ajouter la richesse colorée des mosaïques et des marbres). Les matériaux retrouvés lors des fouilles peuvent provenir de ce décor mais également de réfections successives que le monument a dû subir [...] Il est probable que ces décors devaient comprendre également des mosaïques et des stucs." + article de Christian Sapin "La basilique primitive du Vème au Xème siècle", Ta&m 2007.
     
    Autres décors. ["La basilique de Saint-Martin de Tours", Charles Lelong, 1986]. Ci-contre, Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996 (il y a hésitations entre 471 et 472, 471 est plus fréquemment employé). Outre la piété, la basilique a bénéficié de l'attirance vers les belles images, alors rares en cette époque.
    Ce dessin de Lorenzo d'Esme [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996] serait à corriger en fonction de ce qui nous est parvenu :


    Rappelons que nous avons vu ci-avant des probables reproductions du décor central de la basilique de Perpet : ces trois variantes du partage du manteau, miniatures de l'abbaye de Fulda, datées d'environ 975, cinq siècles après l'oeuvre originelle. On peut considérer qu'il s'agit là d'une bande dessinée à 3 cases non séparées : 1) Martin et le pauvre homme, le partage du manteau, 2) Dieu et ses anges qui en arrière-plan observent et manipulent, 3) Martin qui prend connaissance en son sommeil que c'est à Dieu qu'il a offert la moitié de son manteau. Cette scène en trois temps successifs et liés, racontant une histoire, était moderne et puissante, fascinante...

    Martin ligérien. En une étude de 2012 titrée "Aux sources du monachisme martinien, les Vies de Martin en prose et en vers", Sylvie Labarre analyse la réécriture en vers de Paulin de Périgueux : "Sa réécriture est aussi plus tourangelle, notamment parce qu’il seconde Perpetuus dans sa politique qui consacre Tours comme la ville de Martin. Il réinterprète le paysage tourangeau en fonction d’une topographie martinienne. Luce Pietri l’a bien noté : « A la cité christianisée a fait place une cité chrétienne : l’espace urbain, depuis l’épiscopat de Perpetuus, s’organise en fonction de la géographie que dessinent les loca sancta martiniens […]. A ses yeux (ceux de Paulin de Périgueux) le cours de la Loire, dont il célèbre la beauté à la traversée de Tours, est providentiellement adapté, dans son tracé, à la topographie des lieux saints de la cité qu’il côtoie et sépare. » Paulin exprime ainsi cette prédestination de la Loire à accueillir le saint  : « Le fleuve nourricier atteste l’oeuvre de la vertu merveilleuse de Martin : il touche les murs contigus de la ville et lèche les rochers du flot. Situé au milieu, il sépare la cellule (cellam) et le tombeau (sepulcrum). » On songe à la valeur symbolique du Tibre chez Virgile et dans l’idéologie romaine.". En l'église de Saint Martin de la Place en Anjou, un tableau va jusqu'à relocaliser le partage du manteau sur les bords de la Loire (lien) !


    1) Mérowig au pied du tombeau de Martin [Jean-Paul Laurens 1882, "La légende de Saint Martin au XIXème siècle" 1997]. Mérovée / Mérowig est le grand-père de Clovis, donnant son nom aux Mérovingiens. Il est très peu probable qu'il se soit préoccupé de Martin et de Tours, ce serait plutôt Mérovée, arrière petit-fils de Clovis. + autre dessin, dans la basilique de Perpet, du même auteur dans la même série "Récits des temps mérovingiens". 2) Au centre, fragment du tombeau de l'évêque Euphrone d'Autun (voir encadré ci-dessous). 3) A droite, prière devant le tombeau, tapisserie XVème siècle [musée des tissus à Lyon].
    Le marbre du tombeau dont ne subsiste que le morceau montré en l'illustration centrale ci-dessus. En 475, quatre ans après la construction de la basilique de Perpet, l'évêque Euphrone d'Autun offrit le marbre qui couvrit le tombeau de Martin à Tours. Un "fragment d'inscription provenant du tombeau de Saint Martin" est conservé derrière une des grilles de l'actuel tombeau, qui fut montré au pape Jean-Paul II (+ deux photos INA : 1 2). Il est accompagné de cet explicatif : "Ce fragment de calcaire est probablement un des rares témoignages du tombeau de Saint Martin. Découvert en association avec d'autres vestiges du Vème siècle, il provient de la basilique de l'évêque Perpet. On y lit, gravées dans un cadre, les lettres "FESTUS OM" (+ photo [" Saint martin de Tours, XVIème centenaire" 1996]). Cette inscription entrerait dans la composition de deux mots de l'épigramme gravée sur l'un des côtés du tombeau du saint offert par Euphrone évêque d'Autun." + l'épigramme en entier. Euphrone d'Autun avait aussi écrit cette épitaphe : "Confesseur par ses mérites, martyr par ses souffrances, apôtre par ses actes, Martin règne glorieux dans le ciel, et ici dans son tombeau; qu'il se souvienne, et qu'effaçant les péchés de notre pauvre vie, il cache nos fautes sous ses mérites." + restitution du tombeau-autel [Lecoy 1881].

      
    Entrelacs. Vision ornementale de l'actuelle basilique + autre motif de vitrail + cinq photos : 1 2 3 4 5.

      
    L'art préroman, de la basilique de Perpet à celle de Laloux. Décor végétal et animal de Pierre Fritel (plafond ci-dessus et mosaïque de l'autel ci-dessous à gauche) dans l'actuelle basilique de Laloux. Très présent dans l'art paléochrétien, le paon est le symbole de l'immortalité et de la résurrection.


    A droite : afin de préserver l'unité de l'ensemble malgré le morcellement du chantier, Pierre Boille veille à reproduire les formes et le vocabulaire décoratif utilisé par Laloux. Ici le bourgeonnement et les pointes de diamant repris de la balustrade de l'escalier conduisant au choeur (photo). [illustrations et textes de "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle", Hugo Massire, Sutton 2016, arch. départ. 37, fonds Boille]. Sur la basilique de Perpet et les recherches de Jules Quicherat et Casimir Chevalier, voir ce chapitre ci-après.

    Après avoir connecté les décors de la basilique Perpet à ceux de la basilique Laloux, revenons aux propos de Bruno Judic : "A la demande de Perpetuus, Sidoine composa aussi des inscriptions pour la basilique martinienne. On doit encore à Perpetuus la mise en place du calendrier liturgique de l’Eglise de Tours avec la fixation des deux grandes fêtes de saint Martin: la célébration de sa sépulture, le 11 novembre, et la célébration de sa consécration épiscopale le 4 juillet. Dès lors, le culte prend de l’ampleur."


  21. Les Wisigoths et sept autres évêques issus de l'aristocratie gauloise


    Martin soutient Maure dans sa lutte contre les Wisigoths ariens, tel est le sens de ces deux vitraux de Lux Fournier [église de Saint Branchs en Touraine, Verrière 2018]. Soeur jumelle de Brigitte de Touraine (ou Britte ou Britta), toutes deux soit-disant descendantes d'un roi d'Ecosse, Maure se serait rendue à Tours avec ses neuf enfants pour être baptisés par Martin. Mais un chef Wisigoth n"accepta pas cette conversion et envoya une armée de 50 hommes poursuivre chacun des enfants pour les faire abjurer. L'un d'entre eux, Epain, fut rattrapé et martyrisé. D'où le nom des communes de Sainte Maure (et ses fameux fromages de chèvre !) et Saint Epain. Les Wisigoths n'étant arrivés en Touraine que 80 ans après la mort de Martin, l'histoire est plus tardive, Maure et ses enfants n'auraient rencontré Martin que lors d'un pélerinage sur son tombeau... Ou alors il s'agit de la première incursion de Wisigoths vers 428, Maure et Epain étant alors âgés par exemple de 70 ans et 50 ans... + la verrière de St Branchs en entier (à lire de bas en haut) + vitrail représentant Epain en l'église St Epain de Saint Epain [site de Nhuan DoDuc] + couverture d'un livret sur Epain..

    Les Wisigoths des Pyrénées à la Loire, jusqu'à Chinon puis Tours. Au début du IIIème siècle, Caesarodunum avait affronté une première vague d'assaut des Barbares, des remparts avaient été construits pour s'y retrancher. Ils furent utiles lors des vagues suivantes. Après une première incursion en 428, les Wisigoths s'installent en Touraine vers 469, sous l'épiscopat de Perpet. Ils y resteront longuement, occupant le sud de la Loire, la civitas Turonorum y compris en 471, jusqu'à l'arrivée des Francs de Clovis en 507. Voici les étapes les plus marquantes :
    • 464-486 : Les Wisigoths remontent vers la Loire et occupent Chinon vers 469, Tours vers 471
    • 486 : Clovis bat Syagrius à la bataille de Soissons, l'état Gaulois de Soissons vestige de l'empire Romain mort en 476 disparaît.
    • 486-507 : les Francs occupent le nord de la Loire, les Wisigoths exilent les évêque de Tours Volusien et Vérus.
    • 507 : bataille de Vouillé, les Francs envahissent le sud de la Loire jusqu'aux Pyrénées.

      
    L'état gaulois de Soissons sous Egidius de 461 à 464, à gauche, puis, à droite, sous Syagrius de 464 à 486.
    Au centre un guerrier Wisigoth [dessin Pierre Joubert, "Au temps des royaumes barbares" 1984].

      
    461, Chinon : les Wisigoths, les Gaulois de Soissons et Mexme, disciple de Martin. Comme le montre le vitrail de gauche, saint Mexme repoussa (provisoirement...) à la fois les soldats Wisigoths de Frédéric (fils de Théodoric) et les soldats Gaulois du général Egidius (dirigeant alors le royaume de Soissons s'étendant jusqu'en Touraine, dernière survivance de l'époque gallo-romaine) qui se disputaient la ville de Chinon. C'était en 461 et Mexme (Maxime), qui fut ordonné prêtre par Martin (donc avant 397) et qui reçut plusieurs fois sa visite à Chinon, était probablement décédé, même si Grégoire de Tours le fait mourir en 463. Formé à Marmoutier, Mexme fut un disciple exemplaire de Martin, à la fois moine et évangélisateur comme son maître. La cité de Chinon / Caino (dont l'église Saint Martin fut créée en 425 par Brice, Mexme étant son premier abbé) fut occupée par les Wisigoths vers 469 [Luce Pietri page 129] jusqu'à leur défaite en 507 à Vouillé. A droite, la collégiale Saint Mexme à Chinon. Liens : 1 2. 3 4 + un épisode de l'affrontement Wisigoths / Egidius / Mexme par Couillard - Tanter 1986 + sculpture de Mexme et Martin côte à côte [chapelle Saint Louans de Chinon, lien]. + dessin de Bourgerie du début du XIXème siècle [Level 1994]. + gravure LTh&m 1855.

    Des bagaudes aux Wisigoths. Jean-Jacques Bourassé dans LTh&m 1855 : "L'esprit d'indépendance et la fierté gauloise n'avaient pas entièrement péri sous la domination romaine. Vraiment jamais domptés, les Gaulois habitants des campagnes voulurent secouer le joug. Les bagaudes se soulevèrent ; mais elles succombèrent sous les murs de Lutèce. Elles s'étaient montrées sur les rives de la Loire, et s'étaient emparées de la ville d'Amboise. La "ligue armoricaine", un siècle après, appela les Gaulois aux armes ; le cri de liberté retentit de nouveau. Le faible et perfide Honorius, désespérant de réduire les insurgés, livra leur pays aux Wisigoths. Le mouvement fut comprimé ; mais la Touraine méridionale resta au pouvoir d'Elric." Bref, pour les Romains, mieux valait un royaume Wisigoth considéré comme allié, que des Gaulois révoltés. Sur les insurgés bretons, voir sur la page voisine le royaume de Blois.

    Au VIème siècle, des évêques qui savent imposer leur autorité aux rois. Charles Lelong dans "L'histoire religieuse de la Touraine" (CLD 1962) souligne que "L'Eglise de Tours doit sa vitalité d'abord à l'exceptionnelle qualité de ses évêques. Peu de cités peuvent se flatter d'une pareille lignée de grands pasteurs, issus presque tous de l'une des plus illustres familles épiscopales de la Gaule, les Gregorii, "riches" sénateurs arvernes. Formés selon les règles du cursus canonique , bâtisseurs d'églises, législateurs attentifs, animateurs des conciles, ils assument aussi toutes les tâches que rejettent les Mérovingiens : l'assistance aux pauvres et aux prisonniers, le rachat des esclaves, l'enseignement, la justice à l'occasion...". L'auteur va t-il trop loin en disant que "presque tous" les évêques étaient arvernes ? S'il n'en cite que quatre, il y en eut au moins 8 sur les 17 successeurs de Martin (le 2ème évêque) : Eustoche /Eustochius (le 4ème), son neveu Perpet / Perpetuus (5ème), Volusien / Volusianus (6ème, peut-être neveu de Perpet), Verus (8ème), Ommat / Ommace / Ommatius (12ème), Injuriosus (15ème), Euphrone / Euphronius (18ème, arrière petit-neveu de Ommatius), Grégoire de Tours (19ème, fils d'une cousine germaine d'Euphronius, décédé en 594).

    A ces huit noms, Luce Pietri, en sa thèse de 1980 [page 135], ajoute Francille / Francillon / Francilio, 14ème évêque et montre qu'il y en eut davantage encore : "Grégoire de Tours devait affirmer plus tard « qu'à l'exception de cinq évêques, tous ceux qui avaient exercé l'épiscopat à Tours avaient eu des attaches avec la famille de ses parents » avec en note : "Le propos de Grégoire qui répond à des attaques personnelles — on lui reproche d'être un Auvergnat, étranger à Tours — ne peut être pris au pied de la lettre : parmi les prélats qui, depuis la mort de Martin, l'ont précédé sur le siège tourangeau (16 ou 18 selon que l'on recense ou non Justinianus et Armentius, les deux prélats élus contre Brice), six seulement reçoivent de l'historien le titre de sénateur (Eustochius, Perpetuus, Volusianus, Ommatius, Francilio, Eufronius). Le nombre des évêques qui, n'appartenant pas à l'ordre sénatorial (et parfois issus, au témoignage de l'historien, de milieux assez humbles), ne pouvaient guère être apparentés à sa famille est donc bien supérieur à cinq. Il est bien certain cependant que Grégoire n'aurait pas fait une telle déclaration, si des liens de parenté ne l'avaient pas réellement uni à tous ou presque tous les évêques tourangeaux de rang sénatorial."

    Ces évêques, représentants d'une famille aristocratique auvergnate, descendent aussi de l'aristocratie romaine puisque Eustoche, le premier de ces huit, et Grégoire le dernier, et probablement les six autres descendaient de sainte Paule, comme on l'a vu sur un arbre généalogique. Cette continuité est une force : "Saint Martin fut le "patron des rois", presque tous firent le pèlerinage au saint tombeau, pas un n'osa braver jusqu'au bout sa redoutable puissance. Il est significatif que les évêques de Tours aient seuls obtenu l'exemption du fisc et qu'ils aient constamment résisté aux velléités despotiques des Mérovingiens.".

    Volusien, un évêque de Tours exilé par les Wisigoths. Les Goths de l'Ouest s'emparent de la ville de Tours probablement en 471, sous le règne d'Euric, fils de Théodoric Ier. L'occupation, sous la religion arienne, persécutrice de la foi nicéenne, dura 36 années jusqu'en 507, sachant qu'il n'est pas impossible que la ville fut prise brièvement par les Francs entre 494 et 496 puis vers 498. C'est dans ce contexte que l'évêque Volusien, succédant à Perpet en 489, va être exilé.


    501, Amboise : Alaric II et Clovis, les rois des Wisigoths et des Francs, signent la paix. "La conférence eut lien sur les confins des deux royaumes, dans la petite île Saint Jean [aujourd'hui île d'or], au milieu de la Loire. En s'abordant, les deux princes s'embrassèrent. [...] Alaric toucha la barbe de Clovis et Clovis celle d'Alaric, témoignage d'une amitié éternelle." [LTa&m 1845]
    507, Vouillé, près de Poitiers : la victoire de Clovis. Six ans plus tard, la guerre reprenait et, à la bataille de Vouillé, Alaric est tué, semble-il par Clovis lui-même [L'Histoire de France en BD Larousse 1976, texte Christian Godard, dessin Julio Ribera]. + la planche. Les Francs envahissent l'Aquitaine, les Wisigoths sont repoussés à Narbonne et derrière les Pyrénées.

    Mais d'où vient-il ? Dans son livre "La vie de Saint Volusien, evêque de Tours et Martyr, patron de la ville de Foix", paru en 1722, le père De Lacoudre écrit : "Saint Volusien que la ville et le pays de Foix où il est honoré d'un culte particulier appellent Volusia Voulsia ou Bolsia était originaire d'Auvergne et né peut être dans la capitale de cette province qu'on appelle aujourd'hui Clermont. D'autres assurent avec moins de vraisemblance qu'il était natif de Lyon où nous ne voyons point qu'il ait fait sa résidence ordinaire comme à Clermont et où il était lié d'amitié avec ce qu il y avait de plus grand. Il était de plus fort proche parent ou comme quelques modernes parlent neveu de l'illustre saint Perpet ou Perpétue son prédécesseur au siège de Tours, comme Perpet l'était de saint Eustoche qui au rapport de MM Baillet et de Savaron était né Auvergnat. Ils étaient tous trois très riches d'une famille noble et ancienne et d'une race de sénateurs dont l'Auvergne était alors remplie. Un manuscrit sans date et très moderne le fait sortir de l'empereur Volusien mais sans preuves."

    Puis, parlant de Sidoine Apollinaire (430-486), écrivain, sénateur romain, évêque de Clermont : "Nous pourrions dire avec plus de certitude qu'il était de la famille des Aniciens puisqu'il était parent d'Ommace et de Rurice, évêque de Limoges qui le qualifie comme tel dans la lettre qu'il lui écrivit étant évêque de Tours, ou assurer positivement avec l'auteur du livre intitulé "L'Eglise de Tours ornée des vertus de ses évêques" qu'il était de la maison des Sidoines Apolinaires dont le père et l'ayeul avaient commandé dans les Gaules comme préfets du Prétoire et alliés à la maison de l'empereur Avitus par le mariage de Papianille sa fille avec Sidoine qui qualifie en plus d'un endroit Volusien de son frère. [terme d'amitié ou de parenté ?] [...]Volusien avait encore une illustre parente à Tours, c'était Fidie Julie Perpétue [à rapprocher de Perpetuus...] à laquelle son frère qui en était évêque laissa par testament une croix d'or émaillée avec des reliques du Seigneur qu'on ignore. Nous ne rapportons ici toutes ces circonstances que pour faire remarquer au lecteur que Volusien tenant à tant de saints ne pouvait manquer de l'être lui-même. [...] Volusien ayant ainsi satisfait à la coutume des Romains qui voulait que les jeunes gens s'engageassent à l'âge de 17 ans à la milice ce que l exemple de saint Martin et de Sidoine justifie assez et ayant servi les dix ans prescrits aux fils des sénateurs pour pouvoir monter aux hautes charges, il se maria quelque temps après avec une fille de la maison des Ommaces citoyens et sénateurs d Auvergne qui étaient extrêmement riches. [...] Ce mariage ainsi fait fut comme nombre d'autres heureux dans les commencements et fort malheureux dans la suite."

       
    470 : l'écrivain Sidoine Apollinaire, cousin d'évêques de Tours, devient évêque de Clermont. Issu de l'aristocratie gauloise, Sidonius Apollinaris fut l'un des plus grands lettrés de son époque, auteur d'une brillante correspondance, jouant aussi un rôle politique auprès de l'empereur gaulois Avitus qui régna sur l'empire romain d'Occident en 455 et 456. Cousin de Volusien, 6ème évêque de Tours, et d'Ommace, grand-père d'Ommace 12ème évêque de Tours (lequel était neveu de Rurice, évêque de Limoges), il fut nommé en 470 évêque de Clermont. Il est représenté ci-dessus sur un vitrail de la cathédrale de Clermont-Ferrand et dans une case de "Histoire de Lyon" texte A. Pelletier, F. Bayard, dessin Jean Prost, 1979. D'après Grégoire de Tours, le fils de Sidoine combattit avec les Wisigoths contre Clovis à la bataille de Vouillé (507). + ses écrits sur le site remacle.

    Luce Pietri [page 133 de sa thèse] souligne aussi la proximité de Sidoine avec Perpet et Volusien : "A l'évêque Perpetuus est adressé en 471 un billet de Sidoine auquel ce dernier joint, à la demande de son correspondant, le texte du discours qu'il vient de prononcer à Bourges alors qu'il présidait dans cette cité à l'élection épiscopale. Une amitié fondée sur un mutuel respect et une communauté de goûts et d'opinions unissait les deux hommes depuis longtemps déjà : en 467, ou même un peu avant cette date, Perpetuus avait demandé au poète de composer une pièce de vers destinée à être gravée sur un des murs de la nouvelle basilique Saint-Martin de Tours, élevée par ses soins. Sidoine exécuta de bonne grâce la commande que lui passait l'évêque tourangeau : car, écrit-il à son propos, à un autre de ses correspondants, « le privilège de l'amitié lui donne... un pouvoir absolu dans toutes les demandes qu'il m'adresse ». Dans cette dernière lettre, envoyée à un certain Lucontius, pour soumettre à son jugement l'épigramme qu'il vient d'achever en l'honneur de Martin et de son successeur Perpetuus, l'écrivain se plaint d'autre part de la longue absence de leur « frère » commun, Volusianus."

    Volusien se tourne ensuite vers l'Eglise et, sous l'occupation des Wisigoths ariens, en 491, "le peuple de Tours trouva en Volusien l'évêque qu'il demandait", tant il était un évident continuateur de son oncle Perpet. En 495, Alaric II, fils d'Euric, le fait arrêté. Luce Pietri : "Volusianus, « soupçonné par les Goths de vouloir se soumettre à la domination des Francs », fut frappé d'une sentence d'exil, durant la septième année de son épiscopat. Le régime de détention auquel il fut soumis lui fut rapidement fatal." Il meurt en 498, peut-être à Toulouse ou dans la vallée de l'Ariège, sans doute de mort naturelle mais dans des circonstances obscures qui permirent de l'ériger en martyr. Sa légende riche en miracles rehaussera la célébrité des comtes de Foix, qui se considèrent comme ses protégés. A Foix, une église abbatiale Saint Volusien est érigée, classée monument historique en 1964.


    A gauche, 498 : Martyre de Volusien, successeur de Perpet, selon un chapiteau roman du XIIe siècle (P.-S.) + autres scène [musée du château de Foix, Wikipédia]. Ce martyre n'est pas attesté par les textes d'époque, on pourra consulter l'étude de Florence Guillot "Saint-Volusien au Moyen-Age, une abbaye à l'ombre du château de Foix". A droite, 511 : le clergé Wisigoth abandonne la religion arienne, à Orléans, quatre ans après que les Francs aient vaincu les Wisigoths à la bataille de Vouillé, pour adhérer à la sainte Trinité de l'église de Rome ["Au temps des royaumes barbares", album de la série "La vie privée des hommes", Hachette 1985, textes Patrick Périn et Pierre Forni, dessins Pierre Joubert]

    Son successeur Verus est aussi exilé par les Wisigoths Luce Pietri raconte ce qui s'est passé à Tours après le départ de Volusien : "Alaric autorisa alors, dans un esprit d'apaisement, l'Eglise de Tours à lui donner un successeur; mais le nouvel élu, Verus, soupçonné à son tour de zèle pour la cause de Clovis, fut lui aussi contraint de prendre le chemin de l'exil." L'angevin Licinius lui succéda en 507, probablement après la victoire franque de Vouillé. .

    Charles Lelong, suite : "On peut aussi avancer que le niveau intellectuel, relativement à d'autres diocèses, paraît assez élevé. Dès le début du VIème siècle, une école est mentionnée à Tours, sans doute l'école épiscopale. [...] Nous savons d'ailleurs que la Touraine du VIème siècle appartenait à cette petite partie de la Gaule qui maintenait la "civilisation de l'écrit"." Cette époque est marquée par des bouleversements profonds, avec la fin d'un empire romain qui semblait éternel et la mise en place de royautés mérovingiennes fractionnées et changeantes. De façon plus appuyée dans le diocèse de Touraine, la gouvernance fut exercée par les évêques, davantage que par la royauté et ses représentants. La continuité, la cohérence et la pérennité de l'action épiscopale était certainement perçue par la population comme un réconfort très appréciable...


    La foule des pélerins autour du tombeau de Martin ["La vie privée des hommes" 1985, idem au-dessus].

    Une lignée de grands évêques. Luce Pietri [page 131] : "L'évolution de la conjoncture politique et militaire au cours de la 2ème moitié du Vème siècle a fait à Tours une situation beaucoup plus critique que dans la première partie du siècle : dans un îlot de romanité menacé de tous côtés par les barbares de submersion, la ville a d'abord connu une angoisse quasi obsidionale, avant de succomber finalement à l'avance irrésistible des Wisigoths et d'être soumise au dur régime de l'occupation. Placée sous le joug de souverains adeptes de l'hérésie arienne et persécuteurs de la foi catholique, l'Eglise de Martin pouvait redouter le pire. Toute cette période est cependant pour la cité, après le morne effacement auquel l'avait condamnée le règne de Brice, celle du renouveau et de l'épanouissement : le siège épiscopal retrouve sa dignité et exerce une autorité nouvelle dans le cadre de la province ecclésiastique ; plus encore, Tours, qui s'affirme comme un haut lieu du culte martinien, devient, dans la chrétienté gauloise tout entière, une métropole de la foi, un phare spirituel dont la lumière, pour la catholicité exilée chez les barbares païens ou hérétiques, diffuse l'espérance et éclaire les voies de la libération. Ce redressement inattendu, à l'un des moments les plus difficiles de l'histoire de Tours, fut pour l'essentiel l'oeuvre des évêques qui se succédèrent alors sur le siège de Martin : Eustochius et Perpetuus, puis Volusianus et Verus. Hasard heureux ou plutôt volonté consciente des électeurs ? La communauté tourangelle a, pendant cette période, porté à sa tête des prélats qui se révélèrent également aptes à jouer le rôle de guide spirituel de leur Eglise, mais aussi celui de chef politique de la cité. Une telle continuité dans l'exercice de multiples et délicates responsabilités trouve en grande partie son explication dans l'origine commune de ces évêques ou, tout au moins, des trois premiers d'entre eux. Eustochius, Perpetuus et Volusianus étaient, aux dires de Grégoire, unis par des liens de proche parenté."


    442 à 496 : d'oncles à neveux, trois évêques de Tours, 5, 6 et 7ème, se succèdent : Eustoche, Perpet (avec sa basilique) et Volusien.
    [bas-relief de l'église Saint Martin d'Auzouer en Touraine, lien inventaire patrimoine région Centre, photo Thierry Cantalupo]

    La survivance gauloise et romaine par l'aristocratie épiscopale. Luce Pietri pousse l'analyse plus loin, en élargissant l'exemple tourangeau [page 137] : "L'accession au siège de Tours de ces prélats, qui appartenaient par leur naissance et leur formation à l'élite sociale de l'époque, eut une influence décisive sur les destinées de la cité ligérienne. Le fait est d'ailleurs loin d'être unique, comme en témoigne l'histoire contemporaine de plusieurs autres villes de Gaule, celles de Clermont, de Bourges ou de Limoges, pour s'en tenir à quelques exemples d'églises voisines. Les nobles rejetons de grandes familles, que le malheur des temps incitait à renoncer aux vains et fragiles prestiges du monde, auxquels leur attachement à la cause romaine interdisait aussi de poursuivre une carrière politique sous la domination barbare, trouvaient dans l'exercice de la charge épiscopale à concilier leurs ambitions sociales, détournées du siècle vers l'Eglise, et leurs pieuses inclinations. Et surtout ces prélats de haut lignage mettaient au service des communautés qui leurs étaient confiées les qualités et les vertus traditionnellement déployées par leurs ancêtres au service de l'Etat. Tout d'abord les avantages d'une formation intellectuelle qui les préparait et les aidait à assumer leur tâche, en aiguisant la conscience de la mission qui leur était dévolue : celle de sauvegarder, dans un monde que la barbarie et l'hérésie menaçaient de submerger, un héritage où se mêlaient la tradition culturelle héritée de Rome et le dépôt sacré de la vraie foi ; des capacités aussi administratives et de diplomates et plus encore l'aptitude à évaluer les situations politiques et à prendre les décisions que leur imposait leur sens des responsabilités publiques. Leur position sociale enfin leur procurait des moyens d'action et d'influence qui n'étaient pas négligeables : un réseau de relations haut placées, grâce auxquelles ils se tenaient informés de l'évolution de la conjoncture ; des ressources financières personnelles importantes qu'ils pouvaient consacrer à l'édification matérielle et morale de leur Eglise."

    Luce Pietri revient sur l'importance de Perpet : "Si Eustochius d'une part, Volusianus et Verus de l'autre, moins favorisés par la durée et par les circonstances, sont un peu éclipsés par l'éclat du règne de Perpetuus, ils ont cependant, l'un préparé, les deux autres prolongé l'action de ce dernier, travaillant à l'oeuvre commune dans une continuité de vues qui prend l'allure d'une politique dynastique maintenue pendant plus d'un demi-siècle."



  22. Le passage glorieux de Clovis à Tours et dans la basilique

    Après les Wisigoths, voici les Francs et la réconciliation avec les bagaudes. Bouvier-Ajam : "Les bagaudes n'existaient plus guère que dans la principauté gallo-romaine de Syagrius. Il y va là une terrible logique de l'Histoire : le dernier point d'attache des bagaudes a été la dernière province de Gaule qui restait sous domination romaine. Et - on l'a vu - la quasi-totalité de ces bagaudes a refusé tout appui au dernier représentant, bien théorique pourtant de la domination impériale.". En d'autres termes, les bagaudes n'ont existé que pour résister à l'occupation romaine. Bruno Dumézil, en son livre "Des gaulois aux Carolingiens" [22 page 71] pousse l'analyse plus loin en esquissant même une intégration des bagaudes aux Francs : "Lorsqu'ils sont attesté sur le territoire que l'on appelle les Gaules au VIème siècle, ils ne possèdent ni langue unique, ni culte unique, ni conscience historique unique. [...] Les Francs sont avant tout les hommes qui obéissent au roi des Francs. [...] Alors qui sont-ils, ces Barbares fondateurs ? Disons que les Francs du Vème siècle sont sans doute les descendants de quelques Francs de l'Antiquité (mais probablement bien peu nombreux), de déserteurs romains et de nombre de paysans gallo-romains réfractaires aux lourds prélèvements de l'Empire tardif. En forçant un peu le trait, on pourrait avancer que les Francs, ce sont simplement des Gallo-Romains transformés en Barbares pour payer moins d'impôts et pour suivre l'étoile d'un chef charismatique.". Seraient-ils des bagaudés du Nord-Est des Gaules ? Des troupes bagaudes auraient-elles connu une nouvelle vie en renforçant et régénérant des troupes barbares ? Transformant ainsi des tribus en un peuple conquérant ? Bruno Dumézil énumère alors quatre facteurs d'attractivité des Francs : 1) "Toute personne reconnue comme Franque bénéficiait d'une exonération de taxes." 2) Un Franc avait plus de valeur qu'un Gallo-Romain, "de très nombreux Gallo-Romains devinrent sans doute Francs pour être mieux protégés par la Loi." 3) "L'appartenance d'un homme au même peuple que son souverain lui permettait de gravir plus facilement l'échelle des honneurs." 4) "Enfin les rois des Francs de cette fin du Vème siècle eurent une idée très moderne : lancer une mode vestimentaire identitaire." Clovis, conseillé par Clotilde, allait apporter un cinquième facteur : la chrétienté nicéenne, celle de Martin, celle de Tours et de la Touraine.


    A gauche, une Franque au début VIème siècle [Pierre Joubert, "Au temps des royaumes barbares" 1984]. Au centre, guerriers francs par Liliane et Fred Funcken [volume 1 de "Le costume et les armes de tous les temps", Casterman 1986]. A droite, Childéric Ier (436-481), père de Clovis, avec les habits trouvés dans sa tombe découverte en 1653 à Tournai [reconstitution Patrick Périn, article 2015].

    L'évêque Nizier de Lyon : "Quand Clovis sut que les miracles [accomplis à Tours] étaient choses prouvées, il se fit humble, se prosterna au seuil [de la basilique] du seigneur Martin et permit qu'on le baptisa sans retard.". Ainsi, à croire Nizier, la cérémonie eut lieu à Reims, mais la décision ferme de respecter la promesse faite à Clotilde aurait été prise à Tours, grâce à Martin. Grégoire de Tours raconte l'épisode où Clovis, près de Tours, frappa de son épée un soldat qui enlevait du pain sur le territoire de cette ville consacrée par le tombeau de saint Martin : "Où sera l'espérance de la victoire, si l'on offense le bienheureux Martin ?" ("Et ubi erit spes victoriae, si beatus Martinus offenditur ?").


    Extrait de BD Utrecht 2016 + la planche.(par Joshua Peeters).


    A gauche, en 496 semblait-il, la bataille de Tolbiac où les Francs battent les Alamans. Clovis fut-il aidé par le Dieu de Clotilde et Martin ? Il les en remercia. + sept images : 1 2 3 4 5 6 7 + deux tableaux [Wikipédia] : 1 [Paul Joseph Blanc 1881, le Panthéon de Paris] 2 [Ary Scheffer 1836, Galerie des batailles, château de Versailles]. A droite, vers l'an 500, Clovis, dans la basilique de Perpet, se décide à se faire baptiser [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996]. Des datations récentes positionnent cette bataille en 506 et le baptème en 507, sans faire consensus.

    Le baptême de Clovis par l'évêque Rémi, à Reims, ci-dessous au IXème siècle, ci-contre au XIXème siècle.

    A mille ans d'écart, on retrouve la reine Clotilde et l'évêque Rémi et le Saint Esprit sous forme de colombe apportant la sainte ampoule. Le patronage de Martin, avec la chape bleue illustrée du partage du manteau, est ajouté. + représentation de la Sainte Ampoule dans son reliquaire, avec la colombe + icône + image + vitrail [église de Conflans Sainte Honorine] + cinq pages Nhuan DoDuc de vitraux : 1 2 3 4 5. On trouvera ci-après une autre sainte ampoule...

    A gauche, plaque d'ivoire du IXème siècle [Musée de Picardie à Amiens, lien]. A droite, dessin reprenant une peinture murale de Désiré-François Laugée dans la chapelle Sainte Clotilde de l'église Sainte Clotilde de Paris (1870) ["La légende saint Martin au XIXème siècle" 1997]. Commentant cette fresque, Albert Lecoy de la Marche [Lecoy 1881], va jusqu'à écrire : "Pas de Martin, pas de Clovis !".


    Le baptème de Clovis fut suivi de celui de nombreux soldats et de leurs épouses, comme le montre ce tableau de Jules Rigo,
    1860 environ [Musée des Beaux-Arts de Valenciennes].

    En son livre de 2000, Charles Lelong tente d'en savoir plus sur l'énigmatique premier passage de Clovis à Tours : "Cette visite à la basilique est difficilement datable. Tours était tombée sous le dominations des Wisigoths depuis 471. On pense donc que Clovis a pu l'accomplir à l'occasion d'une des deux razzias qu'il mena en Aquitaine avant la grande offensive de 507 : l'une entre 494-496 qui le conduisit à Saintes, l'autre en 498 qu'il poussa jusqu'à Bordeaux. Mais serait-il si incongru de supposer que le roi des Wisigoths, Alaric II, soucieux de bonnes relations avec les Francs, ait pu autoriser un pèlerinage de Clovis sur l'autre rive de la Loire ?" En cela, on peut estimer que la civitas Turonorum a été occupée par les Wisigoths de façon continue durant 36 ans, de 471 à 507.


    Extrait d'une page du site "Clovis Ier" + la même scène où Clovis entre dans la basilique pour y recevoir de la part de l'empereur Anasthase le titre (honorifique) et la couronne de consul, dans un vitrail de l'actuelle basilique [atelier Lobin].


    "Entrée triomphale de Clovis à Tours en 508", Joseph Nicolas Robert-Fleury, 1837 [Châteaux de Versailles et de Trianon].
    A gauche la basilique, au fond les murailles de la civitas Turonorum / Cité (anciennement Caesarodunum).

    Clovis acclamé par le peuple tourangeau. Grégoire de Tours, muet sur ce premier passage, est prolixe sur le second. Charles Lelong : "La guerre de Clovis contre Alaric en 507 prend l'allure d'une croisade commencée et terminée à Tours. Clovis, avant de s'engager, consulte le saint et reçoit un oracle favorable ; il interdit de porter atteinte à ses biens, châtie un soldat qui a volé du foin. Au retour, en 508, il se rend à la basilique et lui offre de grands présents. C'est là qu'il reçoit le diplôme de l'empereur Anasthase lui accordant le consulat, revêt une tunique de pourpre et la chlamyde, place un diadème sur sa tête, puis, montant à cheval, se dirige vers l'église distribuant sur son chemin l'or et l'argent, acclamé depuis ce jour comme consul et auguste."



    Histoire de France en bandes dessinées, texte de Christian Godard, dessin de Julio Ribera, Larousse 1976


    Couillard - Tanter 1986 + trois planches "Clovis - Wisigoths et Francs" : 1 2 3.
    A droite, Clovis devant le tombeau de Martin ["La vie et miracles de Mgr saint Martin", 1516, BmT] + variante 1496..

    La mise en scène religieuse du clergé martinien. En sa thèse de 1980 [page 169], Luce Pietri tire les leçons de cette investiture : "On s'est beaucoup interrogé sur le sens politique de cette scène. Quelle que soit la valeur, diverse, que chacune des parties concernées — l'empereur d'Orient, l'élite gallo-romaine et le roi franc lui-même — ait accordée aux insignes et aux titres revêtus par Clovis, une constatation s'impose : tout ce cérémonial qui évoque à la fois l'antique pompe du triomphe, le processus consularis et l'adventus impérial est chargé et même surchargé de couleurs romaines. La victoire célébrée par le chef franc a été à dessein mise en scène comme celle de la Romanité sur la barbarie. Et c'est là sans doute ce qu'a voulu exprimer Grégoire de Tours. [...] On a beaucoup moins prêté attention au caractère proprement religieux et tourangeau de la scène. La campagne contre les Wisigoths heureusement achevée, Clovis est repassé par Tours pour y accomplir ses voeux et apporter à Martin le tribut d'offrandes promises. Mais à l'expression individuelle de gratitude s'est ajoutée la manifestation publique d'un hommage rendu officiellement par le souverain à celui qui, par son intercession, avait accordé le succès aux armes et à la politique franques."

    Puis : "La cérémonie, qui légitimait en le romanisant le pouvoir du roi, s'est déroulée dans le cadre du sanctuaire martinien et la pompe triomphale qui l'a suivie a pris la forme d'une procession dirigée vers un autre lieu martinien, l'ecclesia où le saint évêque avait jadis été intronisé. A l'autorité du chef franc, salué par les envoyés de l'empereur Anasthase et acclamé par la population gallo-romaine, Martin donnait donc la consécration d'une sorte d'investiture religieuse. On ne peut douter que tout ce cérémonial n'ait été inspiré et organisé par le clergé tourangeau. Par ces solennités quasi liturgiques, il s'agissait de rappeler d'une manière générale au vainqueur qu'il tenait son pouvoir de Dieu; mais aussi de le persuader qu'il en était redevable plus directement à Martin, le puissant intercesseur qui lui avait procuré l'aide divine. Ce faisant, Tours, pour couronnement des efforts qu'elle avait déployés au service de la cause franque, prétendait faire reconnaître sa vocation de cité sainte du nouvel état romano-franc.". Clovis, alors, aurait pu transférer sa capitale Soissons à Tours. Plus tard, il préfèrera Paris...


    Le roi Chlodovechus / Clovis en l'actuelle basilique. Ce prénom eut ensuite pour variante Ludovicus / Louis.



  23. La reine Clotilde s'installe à Tours, près de la basilique


    Clotilde survivante d'une famille massacrée. En 486, à 12 ans, la princesse Clotilde a ses parents et ses quatre frères assassinés par son oncle Gondebaud, désormais seul à régner sur le royaume des Burgondes. Son mari Clovis n'eut pas le temps de conquérir son pays d'origine, ses enfants le firent. ["Clotilde première reine des Francs", textes Monique Amiel, dessins Alain d'Orange, 1980] + couverture édition 2014. + neuf planches sur la jeunesse de Clotilde jusqu'au baptême de son mari : 1 2 3 4 5 6 7 8 9.

    Grégoire de Tours nous apprend qu'après la mort de son époux Clovis, la reine Clotilde (474-545) s'installe à Tours pour plus d'une trentaine d'années : "“Elle y était au service de la basilique du bienheureux Martin et, pleine de modestie et de bonté, elle est demeurée dans ce lieu pendant tous les jours de sa vie, ne visitant que rarement Paris.". La reine-mère intervient alors avec autorité et diplomatie dans les conflits entre ses fils. Elle décède à Tours le 3 juin 545 à l'âge 70 ans et est enterrée à Paris, près de Clovis. L'Eglise l'a sanctifiée.


    A gauche en haut, Clotilde au jardin du Luxembourg à Paris, statue de 1847 de Jean Baptiste Jules Klagmann. Puis Clotilde en prière dans la basilique devant le tombeau de saint Martin, à gauche en bas, gravure dans l'acier par T. Cregnault 1869 et, à droite, tableau de Carle Van Loovariante] + prière de Clotilde à Martin pour apaiser les querelles de ses enfants [reprise du dossier de la BD de Secher / Olivier / Tirado, 2019]


    Clotilde devant le tombeau, cette fois-ci surmonté d'une représentation du partage du manteau. Miniature extraite des Grandes Chroniques de France de Charles V en deux versions différentes, vers 1375 et vers 1412 [BnF].

    Dans sa thèse [page 180], Luce Pietri montre que Clotilde intervient dans la vie de la cité tourangelle : "Depuis son veuvage, Clotilde résidait dans les états de son fils aîné, à Tours, où elle se consacrait à la prière et aux oeuvres charitables. Malgré cette pieuse retraite, la reine-mère conservait une certaine influence : elle en usa pour intervenir peut-être encore dans les affaires politiques du regnum Francorum et certainement dans la vie de la civitas Turonorum qui constituait en sa faveur une sorte de douaire princier. A la mort de l'évêque Licinius, Clotilde disposa une première fois du siège épiscopal : au mépris de toute la législation canonique dont elle violait plusieurs articles, la souveraine imposa deux de ses protégés, deux évêques chassés de Burgondie, Theodorus et Proculus, auxquels elle donna conjointement le gouvernement de l'Eglise de Tours. Après leur décès, Clotilde récidiva en faisant choix d'un autre personnage, venu lui aussi du royaume burgonde, Dinifius. Parce qu'elle n'avait plus d'autres protégés à placer ou parce qu'avec l'âge elle se détachait plus complètement des affaires de ce monde, la reine laissa à Clodomir, lorsque disparut l'évêque Difinius, le soin de pourvoir à la vacance du siège : par ordre du roi — jusso régis — Ommatius fut désigné pour lui succéder."


    A droite, vitrail de l'église Saint Grégoire des Minimes à Tours [Van Guy 2005, atelier Fournier, photo Daniel Michenaud, lien)


    Sancta Clotildis dans l'actuelle basilique, ateliers Lorin et Lobin [Verrière 2018] + quatre pages du site de Nhuan DoDuc présentant des vitraux de Clotilde : 1 2 3 4 (sa jeunesse en sept scènes, sa mort ci-dessous dans la même collégiale des Andelys).

    Grégoire de Tours insiste surtout sur la piété de Clotilde et ses largesses pour les monastères et églises de Touraine. Guy-Marie Oury dans son tome 2 de "La Touraine au fil des siècles" (CLD 1977) : "On regrette que Grégoire de Tours n'ait pas fourni de détails concrets sur sa vie tourangelle, car la reine fut de tous les petits événements de l'Eglise de Tours, aidant à l'évangélisation des campagnes qui se poursuivait lentement, fournissant les ressources nécessaires à l'érection de nouvelles paroisses dans le diocèse, conversant avec les chefs des monastères ou les vierges consacrées de la ville, participant aux célébrations liturgiques et à la liturgie stationnale organisée minutieusement par saint Perpet quelques années avant son arrivée. Elle connut certainement sainte Monégonde (décédée en 570) puisque c'est pour les compagnes de celle-ci qu'elle édifia le monastère de Saint-Pierre le Puellier ; elle connut sans doute saint Leubais, le successeur de saint Ours, d'autres encore... Elle fit nommer trois évêques burgondes ; mais son influence joua également en faveur de leurs successeurs : Ommatius, membre d'une grande famille sénatoriale d'Auvergne, Léon, abbé de Saint Martin et habile charpentier, issu de milieu plus modeste ; Francilion, un patricien du Poitou ; Injuriosus enfin dont les parents étaient de pauvres plébéiens de Tours. "


    Verrière de Didion (1866) relatant la vie de Clotilde dans la collégiale Notre-Dame des Andelys, dans l'Eure, en 5 scènes. De gauche à droite, les scènes 2 (elle se retire dans la basilique St Martin), 3 (elle y fait de bonnes oeuvres), 4 (sa mort) se passent à Tours [Wikipédia]. Il y a, dans cette collégiale, deux autres verrières sur la vie de Clotilde, avant sa période tourangelle : 1 2 (lien).


    A gauche, les dernières heures de Clotilde à Tours, d'après "Sainte Clotilde reine des Francs", texte Reynald Secher Jacques Olivier, dessins Alfonso Tirado (RSE Nuntiavit 2019), reprise colorisée d'une BD mexicaine de 1962 (lien) + la dernière planche. + bas-relief de la basilique Sainte Clotilde de Paris. A droite, comme toute sainte, Clotilde s'en serait allé au paradis, entourée d'anges [église St Roch de Paris, lien].

    >>>En page voisine, on pourra lire le chapitre titré "493-541 Clotilde réussit là où Victorina avait échoué". Extraits :

    Clotilde plus importante que Clovis ! Quoique future sainte et adulée comme telle, Clotilde, grande inspiratrice de son royal mari, n'était pas une tendre, comme le raconte Olivier Cabanel, sur cette page d'Agoravox : "Au décès de Clovis, Clotilde se retira à Tours, et pour mieux assoir le domaine Franc, envoya ses fils combattre Gondebaud, le Burgonde roi de Vienne... elle n’avait pas oublié les crimes que ce dernier avait commis en tuant Chilpéric, son père. L’esprit de vengeance qui animait Clotilde continua en effet après la mort de son époux, et s’exerça même après la mort de Gondebaud, en 516, contre les fils de celui-ci, Sigismond et Gondemar [ou Godomar III]. Et c’est en réalité à Vézeronce, un petit village du Nord-Isère, que la bataille eut lieu, entre Francs et Burgondes, un certain 25 juin 524, bataille finalement emportée par les fils de Clotilde, dont Clodomir, même si celui-ci y trouva la mort, permettant ainsi, 10 ans plus tard, la réalité du royaume de France..." Olivier Cabanel conclut : "C’est bien à Clotilde, animée par sa tenace vengeance, que la France a pris le contour que l’on connaît, pas si éloigné de celui d’aujourd’hui, grâce à la victoire de ses fils sur ceux de Gondebaud.". Donc, si Clovis est "un roi des Francs surévalué", comme l'écrit Jean Boutier dans un article de Libération en 2011, Clotilde est une reine qui mérite d'être réévaluée. Celle qu'on peut considérer comme la mère de la France ? Ou, si ce titre revenait à Judith de Bavière, comme on le verra plus loin, comme sa grand-mère ?


    Clotilde, reine des Francs, en l'exercice du pouvoir, avec son époux Clovis [tableau de Jean-Antoine Gros (1771-1835)], puis ses fils.
    Sur ces trois images, Clotilde dirige les opérations, manipulant mari puis enfants (au centre le partage du royaume entre ses fils) (à droite l'anachronisme de la basilique d'Hervé). [Wikipédia, Grandes chroniques de saint Denis, Bibliothèque de Toulouse, et illustration de 1889]. Ci-dessous, gravure du XIXème siècle d'Edouard Zier titrée "Clotilde fait incendier le pays de Burgondie".

    Monégonde la guérisseuse. Née à Chartres, mariée et mère de deux filles décédées prématurément, Monégonde se réfugie dans la prière et le jeune. Se découvrant des dons de guérisseuse, elle abandonne sa maison, son mari et sa famille pour se rendre à Tours, auprès du tombeau de saint Martin, à l'appel de l'évêque Euphrone, vers 561. Sur son chemin, à Esvres / Evena, elle rencontre saint Médard et guérit une jeune fille. A Tours les guérisons se succédant, elle crée une fondation pour accueillir les malades et décède probablement avant 573. Sa fondation et son culte perdurent jusqu'au XIème siècle. Sa page Wikipédia résume l'analyse qu'a fait Luce Pietri de ses dons de guérisseuse. Autre lien. Comme pour Martin, les guérisons sont souvent assimilées à des miracles. A Tours, l'église Saint Pierre le Puellier d'une communauté de religieuses, a été bâtie par Clotilde en 512 sur l'emplacement de sa cellule monastique, proche de l'actuelle place Plumereau. Reconstruite à plusieurs reprises, il n'en reste que quelques ruines (lien). + plan + dessin 1755 [Martel de Rochemont, SAT, lien].


    Monégonde. A gauche, vuis vitrail de la basilique Sainte Clotilde de Paris (à côté du vitrail de Saint Médard) (photo Robert Harding). Au centre, statuette de 1602 de l'église de Rosière la Petite dans la commune de Rosières en Belgique. A droite, reste de l'église Saint Pierre le Puellier + autre photo. + vitrail de l'église Sainte Monégonde d'Orphin (Yvelines) (atelier Lorin)].



  24. Radegonde et Brunehaut, deux reines "martiniennes", deux destins

    Au début du VIème siècle, Tours et Poitiers sont les villes saintes des Francs, sous le patronage de Martin et Hilaire. Dans son étude "Le culte de saint Martin à l'époque franque" (1961), Eugen Ewig insiste sur l'importance de Rémi, l'évêque de Reims, et de ses liens avec Perpet, avec en conséquence la désignation de Tours comme ville sainte des Francs, sans oublier Poitiers où Martin fut ermite : "Serait-ce téméraire de prétendre que Clovis connut par saint Rémi la puissance miraculeuse de saint Martin ? C'est au tombeau de saint Martin, à ce qu'il semble, que le roi des Francs manifesta publiquement l'intention de se convertir, en 498, lors d'une première guerre contre les Wisigoths. Le Mérovingien obtint sa victoire décisive en 507 sous le signe de saint Martin et de saint Hilaire. Les deux grands évêques de la Gaule, liés durant leur vie par une amitié sincère, maîtres et précepteurs de l'épiscopat gallo-romain, devinrent les patrons du royaume des Francs. Ensemble, ils sont invoqués par les petits-fils de Clovis dans le traité de partage de 567 et par la reine Radegonde dans son testament. Ils gardaient des portes de Reims; ils représentaient les confesseurs dans la cathédrale de Nantes construite vers 567 par l'évêque Félix. Venance Fortunat et saint Nizier de Trêves les citent ensemble. A Mayence, la cathédrale restaurée au second tiers du VIème siècle fut consacrée à saint Martin, la basilique cimétériale à saint Hilaire. En 591, saint Yrieix de Limoges institua les deux saints évêques ses héritiers. Les témoignages cités permettent de dater du VIème siècle le culte jumelé de l'évêque-docteur et de l'évêque-ascète."

    Radegonde de Poitiers , née vers 520, fille de Berthaire, roi de Thuringe (lieu d'origine des Turons...), devint la quatrième épouse du roi Clotaire Ier, mariée en 539, à 19 ans. Clotilde, installée à Tours, vécut encore 7 ans après ce mariage de son fils. En 552, après un pèlerinage à Tours sur le tombeau de saint Martin, considérant son époux comme un meurtrier, Radegonde fonde l'abbaye Sainte-Croix de Poitiers et s'y retire en tant qu'abbesse. Elle bénéficia du soutien de l'évêque de Paris Germain de Paris qui vint la soutenir à Tours (récit du chanoine Vaucelle, 1908). Venance Fortunat, futur évêque de Poitiers, la soutint et devint son biographe. A la mort de Clotaire, elle usa de sa réputation et de son autorité pour établir la paix entre ses fils. Elle eut ensuite une grande influence sur les grands de son époque, notamment Sigebert Ier, fils et successeur de Clotaire. Elle est décédée en 587 à 67 ans environ.


    Radegonde reine des Francs. 1) sa rencontre avec Clotaire Ier ; 2) en haut, en 538, son repas de noces mouvementé (explication Wikipédia) puis en prière, en bas voir l'encadré ci-dessous ; 3) entrée dans les ordres, accompagnée du peuple. ["Scènes de la vie de sainte Radegonde ", XIème siècle, Bibliothèque municipale de Poitiers, Wikipédia] + image du mariage (lien).
     
    A gauche, la bague d'épousaille. Scène conjugale (bas de l'llustration centrale ci-dessus). Radegonde refuse de partager la couche de son mari et préfère dormir à même le sol. Clotaire semble très contrarié... Ils n'eurent pas d'enfant.


    Radegonde, deux vitraux de l'actuelle basilique Saint Martin à Tours : atelier Lobin de Tours (Radegonde déposant sa couronne de reine sur le tombeau) et atelier Lorin de Chartres. Puis vitrail de l'église Sainte Radegonde de Poitiers. A droite, la mort de Radegonde, esquisse de vitrail par l'atelier Fournier de Tours [Geneste 2018]. + vitrail de la mise en bière [Gustave Pierre Dagrant de Bordeaux 1906, chapelle Ste Radegonde à Yversay dans le Poitou, lien]. + trois vitraux : 1 [église de Tournon Saint Martin dans l'Indre] 2 [église St André de Châteauroux, aussi dans l'Indre] 3 [Lucien-léopold Lobin 1862, église de Vouneuil sous Biard, près de Poitiers]. + tableau "La vocation de sainte Radegonde" par Urbain Viguier, 1851, église Saint Martin de Couhé, Poitou, avant (lien) et après (photo La NR) restauration. + vitrail "St Grégoire bénit le tombeau de SteRadegonde " [église Ste Radegonde d'Athies en Picardie] + sur le site de Nhuan DoDuc, une page montrant la vie de Radegonde en 32 scènes [église Ste Radegonde de Poitiers] et deux pages de vitraux de Radegonde : 1 2.


    Sainte Radegonde en Touraine. A Tours, en rive droite de la Loire près de Marmoutier, existe une église semi-troglodytique à son nom, bâtie au XIIème siècle, agrandie au XVIème et restaurée au XIXème. Martin aurait vécu et officié dans la partie troglodytique [photo de gauche, lien]. La commune de Sainte Radegonde, sur laquelle se trouvait cette église et l'abbaye de Marmoutier, a été rattachée à Tours en 1964. Près de Chinon, une chapelle troglodytique, restaurée à la fin du XIXème, classée monument historique en 1967, lui est dédiée [au centre photo Wikipédia]. + statue de Radegonde dans l'église d"Epuisay voisinant avec celle de sa belle-mère Clotilde [extrait de l'ouvrage de 130 pages illustrées "Radegonde entre Loir et Cher" par Jean-Jacques Loisel 2012, société archéologique du Vendômois].
    Radegonde consulte Jean le Reclus dans dans sa grotte. A droite, Radegonde, venant de la basilique Saint Martin de Tours pour rentrer en son monastère de Saix, passe à Chinon consulter l'ermite Jean de Moûtier dit Jean le Reclus [église St Etienne de Chinon, L.-L. Lobin 1879].

    L'apogée du culte de Martin. Eugen Ewig, suite : "Au cours du VIème siècle,. Poitiers dut toutefois céder le pas. à Tours. [...] Ni saint Rémi, ni saint Médard, ni saint Marcel ou saint Maurice n'égalèrent la gloire de saint Martin, qui resta jusqu'à Dagobert Ier le patron principal des Mérovingiens. C'est alors seulement qu'émergea un rival autrement puissant : le martyr parisien saint Denis, patron de la lignée royale neustro-burgonde, qui depuis 680 devait régner nominalement sur le royaume entier. [...] De nos sources se dégage l'impression que le culte de saint Martin atteignit son apogée dans la seconde moitié du VIème siècle. Certains renseignements sur les évêques nous permettent d'étendre cette limite encore au premier tiers du VIIème siècle."



    Clotaire Ier, fils de Clovis et Clotilde, exempte Tours de l'impôt. Pour bien fonctionner, l'état mérovingien a bien sûr besoin de percevoir l'impôt. Clotaire Ier ordonna à ses officiers de "dresser des rôles de contributions" dans tout le pays. Les habitants de Tours obtinrent d'en être exemptés et le roi fit brûler ces rôles en sa présence [LTh&m 1855]. A droite, miniature sur la fin de vie agitée, vers 560, de Chramme (ou Chramn), fils de Clotaire ier et donc petit-fils de Clovis et Clotilde. Trois scènes y sont représentées : au second plan à droite, Chramme et l'incendie de la basilique Saint-Martin de Tours (ici zoomé), au second plan à gauche, la bataille entre Clotaire Ier et les Bretons avec Chramme et au premier plan la mort de Chramme [Guillaume Crétin, "Chroniques françaises", BnF].

    Les fils de Clotaire, quelle terrible famille ! Le portrait dressé par Venance Fortunat et Grégoire de Tours du roi Chilperic Ier, fils de Clotaire et demi-frère de Chramme, baptisé à Tours, est acerbe (extraits, lien, avec cet arbre généalogique des premiers descendants de Clovis). Chilpéric régna sur la partie nord-ouest du royaume franc, il épousa en troisième noce Frédégonde, la terrible adversaire de sa belle-soeur, la reine Brunehaut, épouse d'un autre demi-frère de Chramme, Sigebert ier. Sachant qu'avant d'épouser Frédégonde, Chilpéric était marié à Galswinthe, soeur de Brunehaut, laquelle, après la mort de Sigebert, épousa Mérovée, fils de Chilpéric et de sa première épouse, vous suivez ? On poursuit avec les meurtres de Frédégonde et la vie de Brunehaut...


    Trois meurtres impliquant Frédégonde en 568, 575 et 586. A gauche, miniature "Chilpéric étranglant Galswinthe devant Frédégonde" [Grandes chroniques de France, 1412, BnF]. Au centre, tableau "Frédégonde armant les meurtriers de Sigebert" [Emmanuel Herman Joseph Wallet, Musée de la Chartreuse de Douai]. A droite, Prétextat, évêque de Rouen, accuse Frédégonde de l'avoir fait assassiner [Lawrence Alma-Tadema, Musée Pouchkine de Moscou]. Grégoire de Tours, qui raconte ces meurtres, a-t-il noirci l'attitude de Frédégonde ?

    Brunehaut, autre reine mérovingienne adepte du culte de Martin. Pour ne s'en tenir qu'aux reines franques ayant soutenu le culte de Martin, après, Clotilde d'origine burgonde (génération 1), après, Radegonde venant du royaume de Thuringe en Allemagne (génération 2), voici Brunehaut / Brunehilde (547-613) (génération 3) d'origine wisigothe espagnole, ayant abjuré l'arianisme en 566. La même année, elle épouse Sigebert Ier (535-565), petit-fils de Clovis. En son étude "Le culte de saint Martin à l'époque franque" (1961), Eugen Ewig la présente ainsi : " Parmi les fervents du culte, nous comptons la reine Brunehaut. Les églises favorisées par elle à l'abbaye d'Autun et Lyon (Ainay) adoptèrent le vocable de saint Martin. A Trêves, nous constatons un fait analogue. La basilique Sainte-Croix construite par le sénateur Tétradius lors d'un miracle de saint Martin dans la métropole mosellane, fut transformée en abbatiale martinienne par l'évêque Magnéric, le parrain de l'aîné des petits-fils de Brunehaut.". A cause de sa belle-soeur Frédégonde, Brunehaut, aussi nommée Brunehilde, eut une vie très mouvementée, l'amenant à épouser Mérovée, un arrière petit-fils de Clovis et un de ses neveux.


    576, Mérovée se réfugie dans la basilique pour échapper à Frédégonde. En épousant sa tante Brunehaut, avec l'assentiment de l'évêque Prétextat, Mérovée provoque la colère de sa belle-mère Frédégonde, amenant son père à l'enfermer, puis à le tonsurer et ordonner prêtre à Metz. Mérovée s'évade et se réfugie dans la basilique Saint-Martin de Tours. Son père assiège la ville, il s'échappe de nouveau, mais est trahi et assassiné par un de ses familiers à Thérouanne, en 577. Un an plus tôt, avant son mariage fatal, à la tête d'une armée chargée d'envahir le Poitou, il s'était arrête à Tours qu'il avait dévasté [dans la série "Les reines tragiques", "Frédégonde la sanguinaire" texte de Virginie Greiner, dessin de Alessia de Vincenzi, Delcourt 2016] + deux planches : 1 2


    Brunehaut aussi méchante que Frédégonde ? Alors que Grégoire de Tours avait qualifié Brunehaut de "jeune fille de manières élégantes, belle de figure, honnête et décente dans ses moeurs, de bon conseil et d’agréable conversation", Frédégaire, dans ses Chroniques estime qu'elle a mal vieilli et serait devenue "femme plus cruelle que nulle beste sauvage". C'est cette vision, la mettant sur le même plan que Frédégonde, que présentent l'écrivain Xavier Snoeck et le dessinateur Sirius dans la neuvième album "Le cachot sous la Seine" de leur héros Timour, publié en 1960, prépublié dans Spirou. + les trois planches de la rencontre de Timour et Brunehaut : 1 2 3 + planche de présentation. La tendance actuelle réhabilite en partie Brunehaut et noircit Frédégonde, comme cette page qui la considère comme une tueuse en série. + autre page sur Frédégonde, titrée "Quand une servante devint reine des Francs".

    La fin de Brunehaut fut tragique et atroce. En 613, âgée de 66 ans, alors qu'elle est régente du royaume d'Austrasie et fait face à une rébellion, elle est livrée à Clotaire II, roi de Neustrie, fils de Frédégonde. Il la fait supplicier durant trois jours. Finalement, elle est attachée par les cheveux, un bras et une jambe à la queue d’un cheval indompté. Son corps brisé est ensuite brûlé. Ses restes sont apportés et enterrés à l’abbaye Saint-Martin d'Autun qu’elle avait fondée. Sur sa page Wikipédia, elle est considérée comme "une personnalité maltraitée par l’historiographie traditionnelle" : "Dans un monde où s’imposait la coutume des Francs, Brunehaut a constamment cherché à préserver les restes d’une conception romaine de l’Etat et de la justice. [...] Abhorrée par certains chroniqueurs, elle est décrite comme très autoritaire, énergique, altière, souvent rusée, belliqueuse, manipulatrice. [...] Elle était pourtant très cultivée, fait plutôt rare pour l’époque même parmi les rois et la noblesse, et avait une très haute conscience de sa qualité de reine, fille de roi. Elle eut des partisans parmi la noblesse franque austrasienne et bourguignonne."


    A gauche, le mariage de Brunehaut et Sigebert. Au centre, Brunehaut en deux illustrations de fin du XIXème siècle.
    A droite, le supplice de Brunehaut en 613 par Alphonse de Neuville (1835-1885) + variante du même artiste + huit images d'avant le XIXème siècle : 1 [Grandes chroniques de France, XIVème siècle, BnF] 2 3 [1480, British Library] 4 [Maître Dunois, "Des dames de renom" de Boccace, 1465] 5 6 [Bibl. Toulouse] 7 8 + dix images du XIXème siècle : 1 2 3 4 [1851] 5 [Emile Bayard] 6 [Victor Adam 1844] 7 8 [Jules Lavée d'après Evariste-Vital Luminais 1874, avec cette variante] 9 10 [Job 1908]. Pour adoucir le reflet de cette période, on lira la page titrée "Les Mérovingiens, une civilisation plus lumineuse qu'on ne croit".


    L'abbaye de Brunehaut à Autun. Fondée au VIème siècle par Brunehaut, ayant recueilli ses restes, l'abbaye Saint Martin d'Autun fut longtemps une riche et rayonnante abbaye. Il ne reste que le portail d'entrée... De gauche à droite : gravure de Bardelet, 1741, dessin fin XVIIIème de Jean-Baptiste Lallemand, le tombeau de Brunehaut avant sa destruction à la Révolution par Alexandre Lenoir (lien), photo XXIème siècle. + sculpture du portail + plan de l'abbaye. Cette abbaye aurait pu être élevée sur une ancienne église créée par Martin lui-même (récit, lien).

    Venance Fortunat le poète-évêque de Poitiers, de Brunehaut à Radegonde. Né vers 530 près de Trévise, en Italie, Venantius Honorius Clementianus Fortunatus étudie les arts littéraires à Ravenne. En 565, il vient à Tours visiter le tombeau de Saint Martin auquel il attribue sa guérison d'une maladie des yeux (ophtalmie) (quel prestige que s'être fait guérir par Martin !...). Devenu proche de la reine Brunehaut et célèbre par ses poèmes, il évolue dans la haute société mérovingienne, jusqu'à s'attacher à la reine Radegonde, ce qui l'amène à se fixer à Poitiers, où il devient évêque en 600 jusqu'à son décès en 609. Ami de Grégoire de Tours, il a écrit un poème en quatre chants sur la vie de saint Martin. + son livre "La vie de saint Martin" sur le site remacle. + document de Bruno Judic "L’itinéraire martinien de Venance Fortunat" (2013). + article de Marc Reydellet "Tours et Poitiers : les relations entre Grégoire de Tours et Fortunat".

       
    A gauche une miniature du livre "Vie de Sainte Radegonde par Venance Fortunat" vers 1100 [Bibliothèque municipale de Poitiers]. Puis un vitrail de l'église de Sainte Radegonde des Noyers en Vendée. + page du site de Nhuan DoDuc présentant quelques vitraux de Fortunat.


    Venance récitant ses poèmes à Radegonde par Lawrence Alma-Tadema (1836-1912) [musée de Dordrechts aux Pays-Bas, Wikipédia].
    + vitrail de l'église Sainte Odile à Paris représentant Radegonde, ses nonnes et Fortunat.

    589, la révolte des nonnes royales. Toutes deux étaient petites-filles de Clotaire Ier et donc arrière petites-filles de Clovis et Clotilde (génération 4) : Basine fille du roi Chilpéric Ier, soeur de Mérovée qui épousa Brunehaut, et Chlodielde / Clothilde / Chrodielde fille du roi Caribert Ier. Frédégonde veut se débarrasser de sa belle-fille Basine. Après, dit-on, l'avoir fait violer par ses soldats, elle l'enferme dans l'abbaye Sainte-Croix de Poitiers, créée par Radegonde (épouse de son grand-père). Elle y rejoint sa cousine Chlodielde et la soutient dans sa rébellion contre l'abbesse Lubovère, accusée de rigueur excessive et d'immoralité. Récit mélangé de Jean-Jacques Bourassé dans LTh&m 1855 et Jacob Nicolas Moreau en ses "Principes de morales..." 1777 (lien) : "Elles résolurent de se défaire de Lubovère. "On nous traite, disaient-elles, non en filles de rois, mais en filles d'esclaves". Elles s'adjoignent plusieurs de leurs compagnes, se révoltent, brisent les portes du couvent partent à la tête de quarante religieuses et arrivent à Tours. L'évêque Grégoire, témoin oculaire de tout ce qu il nous raconte, obtient d'elles qu'elles y attendront la fin de l'hiver. Au bout de deux mois Chlodielde et Basine laissent dans cette ville leurs compagnes et viennent trouver Gontran qui les accueille. Ce Prince ordonne que les évêques s'assembleront à Poitiers pour se prononcer sur leurs plaintes. Pendant ce temps là les Religieuses fugitives restées à Tours se livrent au libertinage le plus scandaleux. Quelques-unes même se marient et les Princesses viennent les rejoindre en attendant l'assemblée qui leur a été promise. Bientôt elles ramènent leurs compagnes à Poitiers, une foule de jeunes débauchés se joignent à elles. Grégoire fait de vains efforts pour les rappeler à leur devoir ; elles méprisent ses avis et oublient leurs engagements. Une assemblée d'évêques essaie de leur faire entendre la voix de la religion ; les évêques sont insultés et maltraités. Les deux princesses font enlever Lubovère, livrent le monastère au pillage, et donnent les biens à régir à leurs affidés. Enfin l'excommunication vint frapper ces religieuses indociles. Basine consent à rentrer dans le monastère ; mais l'altière Chlodielde se retire dans une terre dont Childebert lui accorde la jouissance."


    La prostitution en pays chrétien à travers les siècles. Certaines des nonnes révoltées de 589 sont probablement devenues prostituées... Saint Augustin au Vème siècle : "Supprimez les prostituées, vous troublerez la société par le libertinage". La tradition chrétienne considère la prostitution comme un moindre mal nécessaire. Quelle place trouver entre les nonnes restées vierges, les femmes mariées devenant mal mariées, les célibataires pouvant être considérées comme déshonnêtes ou sorcières, et les prostituées ? Veuves joyeuses ?... [tableau d'origine indéterminée sur une scène médiévale de défoulement, page "Histoire de la prostitution en France"] + miniature commentée représentant "une scène de bordel ou d'étuve" à la fin du Moyen-âge ["Les renaissances", Belin 2013, BnF] + deux autres illustrations : 1 2 3 [XVème siècle, BnF] Au milieu du XVème siècle, les parents incitent leurs fils à forniquer au prostibulum (lien). C'est alors considéré comme un péché véniel, alors que la luxure est un des sept péchés capitaux.



  25. Grégoire de Tours, le culte de Martin et sa virtus


    Baud / Baldus, Euphrone / Euphronius et Grégoire / Gregorius les 16ème, 18ème et 19ème évêques de Tours
    [église Saint Martin d'Auzouer en Touraine, lien inventaire patrimoine région Centre, photo Th. Cantalupo]
    A droite Grégoire sur le chevet de la cathédrale Saint Gatien de Tours, reconnaissable aux symboles
    de la plume d'oie et du livre ["Tours secret" 2015 Hervé Cannet, photo Gérard Proust]

    Avec sa basilique, Perpet a donné un élan au culte de Martin. Grégoire de Tours (538-594), l'historien des Francs, l'a relancé, comme le montre Bruno Judic dans un article de 2009 titré "Les origines du culte de saint Martin de Tours aux Vème et VIème siècles". "L’épiscopat de Grégoire, évêque de Tours de 573 à 594, marque une étape essentielle dans l’essor du culte martinien. Grégoire était né en 538 en Auvergne et avait une grande dévotion pour saint Julien de Brioude. Mais il était apparenté aussi à l’évêque de Tours Euphronius auquel il succéda. L’oeuvre de Grégoire est considérable. Il est certes bien connu pour son “Histoire des Francs” ou plutôt “Dix livres d’Histoires” selon le titre d’origine. Grâce à Grégoire nous avons la relation du passage de Clovis à Tours, en 507, avant et après la bataille de Vouillé."


    Eglise Saint Salomon et Saint Grégoire à Pithiviers : l'évêque Grégoire prêche.

    Grégoire transforme Martin en super-héros. Outre sa volumineuse Historia Francorum, Grégoire a publié quatre livres sur les miracles de Martin. Charles Lelong en son ouvrage de 2000 "Martin de Tours, vie et gloire posthume" : "Comme Perpetuus et Paulin de Périgueux, il le présente comme un grand thaumaturge dont la vertu est toujours agissante : "Personne ne peut douter de sa puissance passée en contemplant les bienfaits qu'il accorde aujourd'hui. Il se manifeste encore de notre temps. Les boiteux se redressent, les aveugles recouvrent la vue, les démons s'enfuient et tous les autres maux sont guéris". Il rappelle aussi, avec encore plus de force, que saint Martin fut un apôtre "se levant comme un soleil nouveau destiné par la miséricorde divine au salut des Gaules, et même comme le plus grand des saints, "patron spécial du monde entier". Cependant, il met l'accent sur des traits nouveaux : le saint de Sulpice Sévère, toujours prêt à pardonner les offenses, se métamorphose en vengeur implacable, protecteur de la cité dont il reste l'évêque par excellence, et providence du royaume : à deux reprises, c'est son intervention qui met fin aux guerres "civiles" en 534 et en 574. De telle sorte que Tours prend figure non seulement d'une sorte de Lourdes mérovingienne mais de capitale religieuse." + étude 1997 sur la diffusion des écrits de Grégoire par Pascale Bourgain et Martin Heinzelmann.


    Couillard - Tanter 1986 + article de Elisabeth Lorans "Les édifice chrétiens de Grégoire de Tours" [Ta&m 2007]
    + article "Grégoire, historien et chantre de Martin", illustré d'un manuscrit du VIème siècle [Fasc. NR 2012].

    Les écrits de Grégoire (y compris ceux sur Martin) sont disponibles en leur intégralité sur cette page du site remacle.


    A gauche, un vitrail regroupant Grégoire, Martin et Clotilde dans l'église Saint Grégoire des Minimes à Tours [Van Guy 2005, atelier Fournier, photo Daniel Michenaud, lien) (la basilique dans la version Hervé, gros-plan). Au centre-gauche, gravure de François Dequevauviller (1745-1817) colorisée d’après Louis Boulanger (1806-1867). Au centre-droit, Grégoire tenant entre ses mains le tombeau de Martin [crayonné de vitrail, aux côtés de St Seine, atelier Dagrand, Bordeaux, lien]. A droite, sanctus Gregorius dans l'actuelle basilique [atelier Lorin].

    Bruno Judic : " Grégoire eut un rôle important auprès de certains rois francs, en particulier auprès de Sigebert, roi d’Austrasie de 561 à 575, de son frère Gontran, roi de Bourgogne de 561 à 592, de Brunehaut épouse de Sigebert et de Childebert II, fils de Sigebert et de Brunehaut, roi d’Austrasie (575-596) et de Bourgogne (592-596). Grégoire fut en mesure d’étendre le culte de saint Martin, de favoriser le pèlerinage à Tours et d’encourager la diffusion du patronage martinien dans tout le monde franc et au-delà. [...] C’est une actualisation de Martin qui donne une image nouvelle du culte et qui suppose un enracinement et un approfondissement considérables de cette dévotion". Cela dépasse les frontières franques puisque Cararic, roi des Suèves en Galice, de 550 à 558, abjure l'arianisme lorsque son fils est guéri d'une maladie par l'intercession de Martin (+ broderie XVème siècle [Musée des Tissus de Lyon, Maupoix 2018].


    Couillard - Tanter 1986 + les deux planches sur Grégoire : 1 2. A droite statue de Jean Marcellin, vers 1852, au Louvre [Wikipédia]. + deux pages d'un hommage d'Evelyne Bellanger titré "Grégoire de Tours, père de l'histoire de France", dans Mag. Touraine n°59 d'octobre 1994 : 1 2 (pour le quatorzième centenaire de son décès, 594-1994)


    A gauche, Grégoire de Tours dans le sacramentaire de Marmoutier à l'usage d'Autun, vers 850 [bibliothèque d'Autun, Wikipédia]. + étude de Cécile Voyer , en 2013, sur ce sacramentaire. A droite, Grégoire raconte... ["Histoire de la Bretagne" tome 1, textes Reynald Secher, dessins René le Honzec, 1991] + la planche

    Jacques Fontaine, en préface de la thèse de Luce Pietri, souligne le rôle politique important tenu par Grégoire : "Les monarques francs comblent de biens l'Eglise de Tours, mais ils lui imposent souvent une lourde tutelle ; ils sont à la dévotion de saint Martin, mais veulent que les évêques tourangeaux soient à la leur, et ils entendent bien être les seuls à tirer un bénéfice politique du prestige spirituel du saint et de sa tombe. Il faut la forte personnalité, mais aussi le prestige social, de Grégoire, pour voir s'achever cette double exaltation du culte et de la cité à quoi la personne de Martin et la plume de Sulpice avaient donné le premier essor. Grégoire est un pasteur qui tient tête aux exigences et aux menaces des princes, et qui sait affermir l'autorité plus qu'épiscopale des successeurs de saint Martin. La cité martinienne achève alors de remodeler son urbanisme autour de la basilique, bien distincte de la cathédrale, les rythmes de sa vie sociale, les fonctions mêmes d'un chef-lieu de civitas devenu une ville sainte."

    Puis : "A contre-courant d'une histoire pleine de bruit et de fureur, l'Eglise de Tours se met, grâce au développement de ce culte, au service de misères humaines le plus souvent abandonnées par un pouvoir politique incohérent et brutal. Ce nouvel ordre martinien de la cité s'affirme d'autant plus vigoureusement que le recours à l'intercession spirituelle du saint s'y associe à l'exercice des responsabilités de toute sorte que la carence des pouvoirs civils oblige souvent les évêques du VIe siècle à prendre en toutes sortes de domaines. La figure de Grégoire de Tours en reçoit ici une stature historique qui égale et dépasse celle de l'écrivain : écrivain toujours engagé, mais d'abord homme d'action qui a réalisé plus encore qu'il n'a dit et dicté.". Sur l'action nationale et locale de Grégoire, on pourra consulter l'article de Catherine Réault-Crosnier, en 2012. + les actes du colloque de 1994 "Grégoire de Tours et l'espace gaulois", avec notamment l'article de Henri Galinié "Tours, des archives du sol".

    Et, en introduction de ce colloque, Luce Pietri concluait de façon assez grandiloquente : "Dans ce territoire gaulois qui est au coeur du mystère de l'histoire providentielle, Tours n'est pas seulement la ville dont Grégoire est l'évêque et l'historiographe. Ainsi que le notait déjà Michelet, elle apparaît dans le récit de Grégoire comme l'équivalent chrétien dans la Gaule du VIe siècle " de ce que Delphes était pour la Grèce antique " : la cité où se révèlent les décisions de la providence divine. Elle est celle où, dans la basilique Saint-Martin, a été promise à Clovis la domination de la Gaule ; celle où, à l'époque de ses descendants qui s'entre-déchirent, peut encore se réaliser la concordia, gage de l'alliance nouvelle : ainsi en 574, le jour même où Chilpéric, Sigebert et Gontran font la paix en renonçant à s'affronter, trois paralytiques envoyés à la basilique martinienne y ont été redressés. Ainsi à Tours, Dieu, par l'intermédiaire de Martin, révèle le sens des événements, dont la Gaule est le théâtre et l'enjeu, pour le salut de l'univers tout entier."

    Cela nous ramène à la conclusion de Jacques Fontaine : "Grégoire de Tours n'a pas seulement poursuivi et épanoui la tradition d'une littérature martinienne à laquelle sont attachés aussi les noms de l'évêque tourangeau Perpetuus et de Venance Fortunat, attiré de Ravenne en Gaule par sa vénération pour saint Martin. Grégoire a, d'une certaine manière, porté à son achèvement ce qu'avaient commencé l'Aquitain Sulpice Sévère et bien des chrétiens contemporains de Martin : cette «prise en charge» — Gallia Martinum sumpsit — qui, en deux siècles, a fait de Martin l'un des saints les plus populaires de l'Occident; et de Tours, un des hauts lieux où liturgies et pèlerinages attiraient les foules de croyants, des princes aux misérables." + article "La Touraine au temps de Grégoire" de Charles Lelong dans "Tours Informations" de décembre 1994.


    Les pèlerinages de saint Martin au VIème siècle (à l'époque de Grégoire) et en 1985 ["Vie et culte de Saint Martin", C. Lelong 1990]. Charles Lelong en son livre de 2000 : "Il s'agit d'un phénomène avant tout régional et, pour une part importante, diocésain : 27% de pèlerins sont de Touraine, 12% viennent des pays de l'étranger, Espagne, Italie ou même de l'Orient. A gauche poteau cornier sculpté du XVème siècle, 26 rue de la Monnaie à Tours, représentant un pèlerin [Catalogue 2016]. A droite et ci-dessous, images de la page du site Rome chrétienne sur les pèlerins. + article de Bruno Judic 2005 "Le pèlerinage à Saint-Martin de Tours du VIIème au Xème siècle".
            

    La virtus des reliques de Martin multiplie les miracles. Dans le sillage de Sulpice Sévère et de Perpet, Grégoire de Tours a amplifié de façon impressionnante les miracles de Martin et des restes de son cadavre, comme le montre Eugen Ewig en son étude "Le culte de saint Martin à l'époque franque" (1961) : "C'est une actualisation de Martin qui donne une image nouvelle du culte et qui suppose un enracinement et un approfondissement considérables de cette dévotion. Dans ces quatre livres, Grégoire a recueilli les témoignages de 267 cas de miracles ou de dévotions accomplis sur la tombe de Saint Martin. Chaque cas a donné lieu à la rédaction d'une sorte de "fiche" probablement par les clercs au service de la basilique : on a relevé ainsi les noms des personnages concernés, les origines géographiques et sociales, les motivations de la visite au sanctuaire. [...] La dévotion conduisait aussi à emporter des reliques du saint : un tissu posé sur la tombe, de la poussière, mais surtout de l'huile contenue dans des ampoules, de petites fioles, qu'on déposait auprès du tombeau pour que le liquide se charge de la "virtus" du saint et qu'on emportait ensuite comme relique.". Olivier Guillot, en son livre "Saint Martin apôtre des pauvres" (2008) y voit "la possibilité de disposer d'une quantité infinie de ces reliques et, par là, une plus grande facilité pour multiplier les églises dédiées à saint Martin", avec " un pullulement progressif tout à fait exceptionnel dès le cours du VIème siècle". La virtus / vertu du saint reste aussi vivante, au-delà de sa mort, pour attribuer les victoires militaires. C'est Paulin de Périgueux, probablement sous l'influence de Perpet, qui a inauguré ce nouveau genre de miracle par la sortie victorieuse d'Egidius à Arles face aux Wisigoths en 461 ou 462. Grégoire lui donna un plus grand prestige avec la victoire de Clovis à Vouillé. Charles Martel suivra, et de nombreuses têtes couronnées, notamment Louis XI, si désireux de bénéficier de la virtus. Jusqu'à Foch pour certains...


    Cette fiole a contenu la virtus de Martin ! De l'huile dans de petites fioles déposées près du tombeau, pour que le liquide se charge de la virtus du saint, emportées comme reliques. En 1865, cette fiole fut découverte avec des monnaies des empereurs Honorius et Majorien. Une inscription indique qu'elle provient du tombeau de Martin. + deux pages d'explications : 1 2 [Lecoy 1881]. + article Historia spécial n°112 (2008, lien).

    Lucre, affairisme et imposture. Jacques Verrière décrit les dérives de ce culte : "L'humble Martin, "grand bienfaiteur des faibles" (Grégoire), était devenu, selon les chroniques du temps, "le vrai trésor de la ville".Son don de guérisseur universel avait fait de Tours une sorte d'Epidaure médiévale qui attirait tant de pélerins, surtout autour du 4 juillet et du 11 novembre, qu'on la comparait à Rome ou à Jérusalem. Martin était, et bien malgré lui, la source première de cette phénoménale expansion. Une association choquante et évidemment contre-nature faisait de lui la caution et le fonds de commerce d'un veau d'or triomphant ! On n'ose imaginer ce qu'aurait pu être sa réaction devant cette osmose bien douteuse entre lucre et dévotion, ferveur et affairisme." [Verrière 2018]. Evoquant aussi la mainmise des monarques mérovingiens, puis carolingiens et capétiens, sur l'abbaye Saint Martin de Tours : "Non seulement le nom de Martin était-il attaché à des institutions dont la richesse n'était rien moins qu'évangéliques, mais, en plus,le pouvoir séculier en détenait désormais la haute directoin. De ce point de vue encore, les "héritiers" de Martin étaient à contre-courant de l'un de ses principes majeurs, lui qui n'avait cessé de défendre pied à pied, singulièrement auprès des empereurs Valentinien Ier et Maxime, l'indépendance de l'Eglise face au pouvoir politique. Il n'est pas excessif de parler d'imposture, d'une double imposture."

    Grégoire, un anti-modèle pour les historiens d'aujourd'hui. Comme sur cette page du site de Catherine Réault-Crosnier, Grégoire de Tours a souvent été considéré comme "Le père de l'histoire de France", alors qu'il n'est que celui qui a écrit l'Histoire des Francs du début de ce royaume. Cette grande oeuvre fut toutefois poursuivie au-delà de sa mort par la Chronique de Frédégaire jusque vers 800 et constitue un pan essentiel de notre histoire. S'il fut souvent considéré comme un modèle, notamment dans LTa&m 1845 par Stanislas Bélanger, 1845, d'où sont extraites les deux premières illustrations ci-dessous, cette appréciation est désormais soumise à une forte critique, notamment en cette phrase de sa page Wikipédia : "Hagiographe crédule, il n'hésite pas à colporter des légendes chrétiennes, en amalgamant des récits d'origines, de dates et de valeurs différentes, si bien que son Histoire des Francs est « objectivement fausse »". Derrière ce qui ressemble à des éloges, pour l'époque, Luce Pietri, en son article de 1994 "Grégoire de Tours et la géographie du sacré" est finalement la plus accablante par cette dernière phrase : "Avec ces ouvrages, Grégoire donne de l'essor, dans la littérature de la sainteté, à un genre particulier, l'hagiographie."


    Avec Grégoire, quoiqu'en disent l'association de ces deux premières illustrations [LTa&m 1845], on est loin d'une "Histoire s'appuyant sur la Vérité" ! Même s'il en ressort des éléments de vérité qu'on ne connaîtrait pas sans lui... L'illustration de gauche est inspirée par celle de droite, gravure d'André Thevet dans "Portraits et vies des hommes illustres", 1584 [Gallica]. + deux gravures LTh&m 1855 : 1 2.

    Les silences de Grégoire. Dans sa volonté d'exalter une foi chrétienne pas toujours glorieuse, Grégoire tantôt condamne les mauvais comportements, tantôt élude discrètement les sujets gênants. Voici un exemple présenté par Luce Pietri (sa thèse, page 128) : "C'est au cours des dernières opérations que le Wisigoth Euric [fils de Théodoric] mena dans ce secteur que la ville de Tours tomba entre ses mains. Aucune chronique n'a conservé la date précise de cet épisode, sur lequel Grégoire lui-même fait le silence : manquant d'information ou plutôt désireux de faire l'oubli sur un événement qui navrait son coeur, l'historien n'avoue la présence de l'occupant wisigoth à Tours que, lorsque, plusieurs années après la chute de la ville, la résistance opposée par les évêques tourangeaux lui offre l'occasion d'un récit plus glorieux pour sa cité." Si rares sont les Tourangeaux qui aujourd'hui savent que leur ville a été occupée pendant plus de vingt ans par les Goths de l'ouest, c'est de la faute à Grégoire... Ou plutôt parce qu'il fut le seul historien de cette époque pauvre en écrits.


    Nicolas Jarry et Thierry Jigourel au scénario et Erwan Seure - Le Bihan au dessin présentent un Grégoire proche de Martin, voyageant sur un âne.
    ["Breizh Histoire de la Bretagne", tome 2 "Une nouvelle terre", éditions Soleil 2017] + trois planches : 1 2 3.



  26. Des Mérovingiens aux Carolingiens, de la cape aux chapelles

    Entre royaume de Paris, Austrasie, Aquitaine et Neustrie. La page Touraine du site Cosmovisions : "L'histoire de la Touraine pendant la période mérovingienne est, comme celle de toute la Gaule, extraordinairement confuse. [... Après la mort de Clotilde, son fils] Clotaire réunit de nouveau toute la Gaule sous son autorité, mais, après sa mort (561), les troubles reprirent, plus graves, et la Touraine passa constamment, par suite des guerres que se livrèrent les successeurs de Clotaire, d'un royaume à l'autre. Elle dépendit d'abord du royaume de Caribert de Paris, puis, à la mort de celui-ci (567), elle fut rattachée à l'Austrasie (Sigebert [l'époux de Brunehaut]) ; Chilpéric [roi de Neustrie] la lui disputa et les deux rois personnellement, où Mummole, Roccolène, Mérovée, en leur nom, s'emparèrent, à plusieurs reprises de la capitale qui, malgré la présence sur son trône épiscopal de Grégoire de Tours, ne put éviter de nombreux pillages. L'évêque même courut grand risque lorsque le comte Leudaste le dénonça à Chilpéric. En 587, lors du traité d'Andelot, la Touraine dépendait de nouveau du royaume d'Austrasie; en 596, elle obéissait à Thierry III, [roi de Neustrie, c'est-à-dire] roi d'Orléans et de Bourgogne. Dagobert Ier régna sur toute la Gaule, mais, en 630, il en abandonna la partie méridionale, l'Aquitaine, à son frère Caribert II ; il garda toutefois la Touraine. Celle-ci, sauf Loches, qui était occupée en 742 par les Aquitains, suivit les destinées des royaumes francs, en particulier de celui de Neustrie." + carte de la Neustrie en 752 [Wikipédia].

    Aux VIIème et VIIIème siècles, des évêques soumis à la volonté des rois. Charles Lelong : "les déficiences ne sont pas moins manifestes, qui sont d'ailleurs communes à toute la Gaule", notamment un illettrisme très généralisé. Aux VIIème et VIIIème siècle, il y aura stagnation et dégradation plus qu'évolution et il faudra l'arrivée d'Alcuin (voir le chapitre suivant) pour qu'un nouvel élan soit donné, au début du IXème siècle. "Les souverains mérovingiens, pour asservir l'Eglise et s'emparer de ses biens, nomment de plus en plus souvent pour évêques et abbés des laïcs sans autre qualification que leur dévouement au souverain. Déjà sous le règne de Chilpéric, bien peu de clercs parvinrent à l'épiscopat. Bientôt Tours aura pour évêque Sigélaïcus (619-620), parent de Dagobert : il était comte de Bourges, marié et père d'un enfant, Sigiran, dont il fit son archidiacre. A la tête de la vénérable abbaye de Saint-Martin, on trouvera un Teusinde, en outre abbé de Saint Wandrille, qui dissipa en quatre ans les biens de ce couvent... La dégradation du recrutement entraîna un affaissement des institutions et l'avilissement de la foi. Le temps de Charlemagne sera long à venir."

    Tours seconde Rome. "Le Magazine de la Touraine" n°60 d'octobre 1996 a publié un dossier de 11 pages "Pélerinages à Saint-Martin", reprenant des textes et illustrations légendées (dont celle reproduites ci-dessous au centre et autres) de l'ouvrage "Saint Martin de Tours" des chanoines Bataille et Vaucelle paru en 1925. En voici le début d'introduction : "Lorsqu'en 371 les Tourangeaux s'en allèrent quérir en Poitou saint Martin pour en faire leur évêque, ils ne se doutaient pas qu'ils étaient en train d'assurer à leur ville une renommée de "seconde Rome". Autour du tombeau de "l'homme au manteau partagé", les pèlerins ne cesseront d'affluer. Tours deviendra l'un des phares du monde chrétien. En 938, le pape Léon VII attestait ainsi qu'aucun lieu de pèlerinage, à l'exception de Saint Pierre de Rome, n'attirait alors"un aussi grand nombre de suppliants, de pays si divers et si lointains. Papes, rois, empereurs... vénèreront le précieux sanctuaire du "treizième apôtre" : Le Christ mis à part, aucun autre personnage n'a exercé une si tenace influence"." Ce magazine paraissait juste après la venue à Tours en septembre 1996 du pape Jean-Paul II en 1996, comme l'avaient fait auparavant, dans la basilique précédente d'Hervé, cinq autres papes. Il ouvrait "l'année martinienne" commémorant le seizième centenaire de la mort du thaumaturge.

    Stanislas Bellanger, en son ouvrage LTa&m 1845, à propos de la basilique de Perpet : "Un des premiers privilèges dont l'ait dotée nos souverains, fut le droit d'asile. Quiconque en avait franchi le seuil était à l'abri de toute poursuite. Les princes et les grands y eurent souvent recours. Willacaire, duc d'Aquitaine, Gontran-Boson, Mérovée, fils du roi Chilpéric, et beaucoup d'autres, y trouvèrent successivement un refuge, que la superstition, encore plus que la piété, empêcha de violer.". Au-delà, Mark Mersiowsky, dans un article de 2004 titré "saint Martin de Tours et les chancelleries carolingiennes", souligne que : "Sous les règnes de Charlemagne et de Louis le Pieux, la rédaction des actes par le destinataire était exceptionnelle. Ce fut cependant le cas pour une partie des diplômes de Louis le Pieux pour Saint-Martin. Des relations personnelles très étroites existaient alors entre cet établissement et la chancellerie impériale".


    Vitraux de l'actuelle basilique traitant d'évènements de la basilique de Perpet [Lobin vers 1900, lien]. 1) Ultrogothe, reine franque, épouse de Childebert Ier (quatrième fils de Clovis), condamnée à l'exil en 558, après la mort de son mari. 2) Eloi (588-660), évêque de Noyon, ministre et proche conseiller du roi Dagobert Ier. 3) Baud, d'origine franque, 16ème évêque de Tours de 546 à 552 et référendaire du roi Clotaire Ier, autre fils de Clovis (sa vie ici). + autre vitrail : en 559, Williachaire, un noble franc, se réfugia dans la basilique, le spectre de Martin brisa ses liens.


    Gravure de Karl Girardet [LTh&m 1855]

    En 732, Charles Martel sauve la basilique de Perpet du pillage. La bataille de Poitiers s'est déroulée en plusieurs lieux jusqu'au sud de Tours. Les Sarrasins ne sont pas venus pour envahir le royaume franc mais pour piller la très riche abbaye Saint Martin de Tours et les églises environnantes. "C'est par le pillage de ce sanctuaire que le roi Abd el Rahman pense abattre le mieux la puissance de celui que, de son bord, on qualifie de consul, à la romain; et, de ce côté arabe, on reconnaît qu'aussitôt manifesté ce dessein, Charles Martel est entré en action pour y faire obstacle. Et du côté franc, c'est bien l'existence de ce même dessein, manifesté à partir de la mise à mal de Poitiers, qui est indiquée juste avant la décision de Charles Martel de passer à l'attaque." [Olivier Guillot, "Saint Martin apôtre des pauvres", Fayard 2008, + lien]. Charles Martel, grand-père de Charlemagne, est un de ceux qui a relancé le culte de Martin, qui avait baissé au VIIème siècle. Il "diffuse le culte dans les territoires passés sous sa domination, tandis que les métropolitains de Germanie, archevêques de Mayence, font de l'évêque de Tours le patron de leur cathédrale" (Michel Laurencin dans les conférences martiniennes de 1996/1997). Le premier des Carolingiens s'est-il cru inspiré par Martin dans son combat contre les Sarrasins ?


    Extrait de Histoire de France en bandes dessinées, fascicule 3, texte de Jacques Bastian, dessin de Milo Manara, Larousse 1976
    + les trois planches racontant cette bataille : 1 2 3

    L'armée islamique commandée par l’émir Abd ar-Rahman quitte l'abbaye de Poitiers en flammes et part vers Tours où l'attend l'armée Charles Martel [Graham Turner 2008, lien]. Il apparaît que la bataille se déroula en plusieurs lieux entre ces deux villes.


    Ici la bataille de Poitiers s'appelle la bataille de Tours (aussi sur la page Wikipédia anglaise et dans un récent jeu vidéo, couverture, lien). [LTa&m 1845] + autre gravure [Karl Girardet, LTh&m 1855] + tableau de Charles de Steuben 1837 [château de Versailles, lien] + treize autres illustrations de la bataille : 1 (miniature) 2 3 [H. Grobet] 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

    Charles Martel dépouille le clergé tourangeau. Eugène Giraudet dans "L'histoire de la ville de Tours" (1873) : "Voulant récompenser les compagnons de sa gloire, Charles Martel dépouilla le clergé de ses terres ou bénéfices, pour les distribuer aux chefs de ses guerriers. Cette spoliation, que suivit bientôt la chute des Mérovingiens (739), occasionna des désordres considérables dans l'église gallo-franque. L'Eglise de Tours eût, la première, la douleur de voir conférer les titres ecclésiastiques aux leudes de Charles, investis en même temps des propriétés attachées à ces dignités. Cette spoliation valut à Charles Martel une haine implacable de la part du clergé, qui le poursuivit de ses invectives, même après sa mort, survenue peu de temps après, en 741." Ces exactions à l'encontre du clergé furent généralisées dans tout le royaume; comme le montre cette page.

    Sous la menace d'envahisseurs aquitains. Pépin le Bref succéda à son père Charles Martel et le clergé fut soulagé. Giraudet : "Dès son avènement au trône, Pépin, comme tous les nouveaux chefs de dynastie, chercha à se concilier le clergé de Tours, en octroyant des chartres d'immunités au Chapitre de St Gatien [à l'époque St Maurice] et aux moines de St Martin et de Marmoutier ; de plus il leur permit de résister aux prétentions épiscopales, en leur restituant la plus grande partie des biens dont son père avait disposé en faveur des leudes. Le règne de Pépin ne fut qu'une suite de luttes, d'abord contre les Saxons, puis contre les Aquitains. Tours, placé sur les limites du duché d'Aquitaine, eût à souffrir tous les ravages des armées franques et des tribus du midi ; cette guerre d'extermination dura huit années (700-708). Le comte de Poitou, allié de Vaïfre, duc d'Aquitaine, profita, en 765, de l'éloignement momentané de Pépin, et tenta une irruption sur le territoire de notre ville ; les hommes d'armes, vassaux de l'abbaye de saint Martin ayant à leur tête Wulfard, abbé, marchèrent à leur rencontre et, après un combat à outrance, parvinrent à repousser ces envahisseurs et les mettre en déroute."

    Pépin le Bref supplie saint Martin. "Pépin triomphait à peine de sa dernière expédition contre les Aquitains, lorsque se sentant en danger de mort, il envoya à Tours, supplier le grand saint Martin de le guérir, et peu après, se fit transporter à Périgueux jusqu'en cette ville, malgré son état de souffrance et offrit lui-même de magnifiques présents à l'abbaye, espérant par ces moyens donner plus de poids à ses oraisons. Mais le moment était arrivé ; il recouvra assez de force pour revenir à Paris où il trépassa, au mois d'octobre 768, après avoir partagé ses états entre ses deux fils, Charles et Carloman. La mort de ce dernier rendit Charles [le grand, Magnus, Charlemagne] seul maître du pouvoir ; s'étant fait reconnaître par les seigneurs, il sut se les attacher à l'aide de promesses. brillantes"

    Les débuts de l'abbaye Saint Martin. Guy-Marie Oury dans "Histoire religieuse de la Touraine", 1962, présente ainsi l'abbaye de Saint-Martin : "Ses origines restent enveloppées d'obscurité. Au temps de Grégoire de Tours, la basilique qui s'élève sur le tombeau du saint est desservie par une communauté de clercs dirigée par un abbé ; alentour ont surgi plusieurs petits monastères. Au début de l'ère carolingienne, Saint-Martin apparaît comme une grande communauté unifiée, obéissant à un seul chef". Charles Lelong dans "L'histoire religieuse de la Touraine" (CLD 1962) : "Le statut du clergé de Saint-Martin à l'époque reste incertain. Ce n'est que vers 674 que la règle bénédictine fut adoptée, il est vrai avec de tels accommodements que Charlemagne les accusera de se dire tantôt moines et tantôt chanoines". L'enrichissement procuré par les pèlerinages donna de plus en plus d'importance à ces abbés du chapitre de l'abbaye de Saint Martin. Jusqu'en 898, on en connaît plus d'une vingtaine, dont Wikipédia dresse la liste.

    La relance carolingienne du culte de Martin. Avec Charles Martel et, en 732, la bataille de Poitiers / Tours, nous avons déjà évoqué l'attrait des souverains carolingiens pour Saint Martin. En son étude "Le culte de saint Martin à l'époque franque" (1961), Eugen Ewig apporte des précisions : "Il semble que Pépin d'Herstal, en tant que duc des Austrasiens, propagea le culte de saint Géréon de Cologne, La situation changea, lorsque Pépin et son fils Grimoald mirent la main sur le trésor royal et sa précieuse relique, la chape de saint Martin. Deux fondations de Pépin d'Herstal semblent témoigner de l'adoption du culte martinien : Saint-Martin d'Utrecht et Saint-Martin de Cologne, C'est sans doute à cette époque que le nom de la relique martinienne passa à l'oratoire carolingien, la chapelle, et à ses desservants, les chapelains. Les premiers témoignages datent de l'époque de Charles Martel. Sous la direction de Fulrad, homme de confiance du roi Pépin le Bref, la chapelle devint l'institution -centrale la plus importante du royaume."


    A Aix la Chapelle, capitale de l'empire carolingien, la chapelle palatine avec au centre le trône de l'empereur [illustrations Wikipédia]
    + restitution du palais [Nathan 2009].

    De la cape de Martin aux Mérovingiens puis à la chapelle d'Aix. Cette appropriation de la cape / chape de Martin, le demi-manteau qu'il avait laissé au miséreux et qui aurait été récupéré (on se demande comment...), est antérieure à l'arrivée des Carolingiens. Dans le Collectif 2019, Lucien-Jean Bord cite cette formule d'un "diplôme" de Thierry III, roi mérovingien, en 679 : "Ils devront prêter serment en notre oratoire, sur la cape du seigneur Martin où se déroulaient les autres serments". L'emploi de l'imparfait en fin de phrase montre que cette pratique était déjà ancienne". Olivier Guillot ("saint Martin apôtre des pauvres" 2008) explique : "Le procédé a été véritablement compris comme le moyen de faire prêter les serments à la cour en faisant craindre que Martin, en sa "vertu" ne punisse durement les parjures". Précieusement conservée, cette chape serait donc passée aux mains des Carolingiens. La page Wikipédia traitant le mot "Chapelle" apporte des précisions : "D'un point de vue hagiographique, la chape saint Martin ou capa sancto Martino désigne initialement la relique du manteau d'officier de Saint-Martin. Il a donné son nom au trésor des reliques rassemblées par le puissant abbé de Tours, sous l'autorité régalienne. La chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle construite dans un lieu-dit de repos équipé de sources thermales, appelé pour cette raison Aquae ou Aix, a été surnommée à partir du diminutif latin capella, en référence à la petite fraction de reliques importée de la chape de saint Martin de Tours qui se trouvait sous l'oratoire de cet édifice. Il peut être supposé, que, grâce au rayonnement international d'Aix-la-Chapelle, le mot capella (puis « chapelle » en français) ait été utilisé, dès le IXème siècle, pour désigner d'autres édifices religieux et lieux de culte chrétien n'ayant pas les pleins droits paroissiaux, c'est-à-dire sans statut d'église officielle selon l'autorité épiscopale."

    Quant à l'origine de cette chape, il est très difficile de croire que ce soit le demi-manteau d'Amiens, Lucien-Jean Bord en convient. Il trouve très plausible que ce soit "un des pallium de soie délimitant les lieux jadis sanctifiés par Martin, telle la cella de Marmoutier ou la chambre de Candes où sont conservés les bois des lits du saint, reliques officialisées par Perpetuus, mais plus encore le voile recouvrant son tombeau". Ce voile aurait alors été gardé à Candes puis confié à Clovis ou un de ses successeurs. Il avait pour fonction de "garantir la circulation du pouvoir", tel un "passage de témoin".

    Reprenons le récit d'Eugen Ewig : "L'histoire du culte martinien aux VIIIème et IXème siècles reste encore à écrire. Mais il est certain que le culte de saint Martin se répandit fort vite dans la plupart des pays conquis ou reconquis par les Carolingiens ; en Gothie narbonnaise, aussi bien qu'en Rétie et dans les duchés de l'Allemagne du Sud, ensuite même en Saxe. La plupart des églises fiscales concédées vers 743 par Carloman à l'évêché nouvellement créé de Wurzbourg étaient dédiées à l'évêque de Tours. L'abbatiale de Tours reçut des donations importantes jusqu'en Alémanie et en Italie. Son école attira l'élite de l'Europe carolingienne. Les archevêques de Mayence, métropolitains de Germanie en tant que successeurs de saint Boniface, contribuèrent également à répandre la gloire du saint tourangeau, patron de leur cathédrale."


    La collégiale Saint Martin d'Angers est un bel exemple de la renaissance architecturale carolingienne. A droite, évolution aux Vème, IXème et XVIIIème siècles. Liens : 1 (Wikipédia) 2 (Balades.Patrimoine) 3 (site officiel). "Dès le Vème siècle, un premier édifice est fondé sur le site. Il fut agrandi au VIe et VIIe siècles à l’époque mérovingienne. Le projet devient alors plus ambitieux que les précédents par la création d’un vaste transept dont chaque bras se prolonge par une abside ce qui apporte à l’ensemble une grande ampleur." + documentation [Département 49].



  27. Alcuin et Vivien abbés de Saint-Martin, un scriptorium novateur

    Evangélisateur et destructeur d'arbre sacré, Charlemagne était-il un disciple dévoyé de Martin ? Au début de son règne, le roi des Francs Carolus Magnus / Charlemagne, petit-fils du vainqueur des Sarrasins en 732, fut un grand pourfendeur de Saxons païens, commettant des massacres pour les évangéliser. Leur soumission fut longue, de 772 à 804, et très difficile. Wikipédia : "Charlemagne fait sa première expédition en Saxe en 772, détruisant en particulier le principal sanctuaire, l'Irminsul, symbole de la résistance du paganisme saxon et lieu de réunion des païens qui lui apportaient une offrande après chaque victoire ; puis, à partir de 776, après l'intermède italien, commence une guerre acharnée contre les Saxons, qui, commandés par Widukind, un chef westphalien, lui opposent une vigoureuse résistance. Suivent plusieurs campagnes marquées par la dévastation de différentes parties de la Saxe et la soumission provisoire de chefs, mais aussi par un revers grave des Francs (de) en 782 au Süntel, près de la Weser. Cette défaite entraîne une opération de représailles qui s'achève par le massacre de 4 500 Saxons à Verden. Widukind finit par se soumettre en 785 et se fait baptiser. " L’Église catholique, après avoir canonisé Charlemagne, a retiré de son calendrier "l’empereur qui convertit les Saxons par l’épée plutôt que par la prédication pacifique de l’Évangile". On était en effet très loin de la "méthode Martin" !


    L'arbre-monde Irminsul fut abattu en 772 sur l'ordre de Charlemagne. Dans le 1er tome de la bande dessinée Durandal, publié chez Soleil Productions en 2010, dessin de Gwendal Lemercier, texte de Nicolas Jarry, c'est Charlemagne lui-même qui manie la hache. + quatre planches : 1 2 3 4. + deux gravures du XIXème siècle : 1 [Wilhelm Wagner 1882] 2 + trois représentations du symbole Irminsul : 1 2 3. Un peu auparavant, non loin, en Hesse, saint Boniface de Mayence, surnommé l'apôtre des Germains comme Martin était l'apôtre des Gaules, avait abattu en 724 le chêne de Thor (vitrail de la cathédrale de Truro en Cornouilles + dessin de Bernhard Rode 1781 + autre image). Boniface est aussi le créateur en 742 de l'abbaye de Fulda, déjà évoquée, si inspirée par Martin, lequel est patron de la cathédrale de Mayence, ce qui est attesté dès 752 d'après Götz Pfeiffer [Collectif 2019].

    Martin et Charlemagne pères de l'Europe ? Nous avons souligné le rayonnement européen du deuxième évêque de Tours. Charlemagne s'en inspire (notamment avec sa capitale Aix la Chapelle, la nomination d'Alcuin à Tours...) et se trouve en sa continuité, au point d'être parfois considéré comme le "Père de l’Europe" pour avoir assuré le regroupement d’une partie notable de l’Europe occidentale (carte Wikipédia ci-contre, la Corse étant alors rattachée à l'empire byzantin), et posé des principes de gouvernement dont ont hérité les grands états européens.

    Alcuin, né en Angleterre vers 735, décédé à Tours en 804 était un poète, savant et théologien de langue latine. Il est devenu un des principaux amis et conseillers de Charlemagne, en quelque sorte son ministre de la Culture, dirigeant l'école palatine à Aix-la-Chapelle. En 796, il a 61 ans, Charlemagne le nomme abbé de Saint Martin. En son étude de 2004, titrée "Alcuin et la gestion matérielle de Saint-Martin de Tours ", Martina Hartmann écrit : "En 796, Alcuin obtint de Charlemagne l’abbaye de Saint-Martin de Tours ; ce monastère se distinguait non seulement parce qu’il contenait le tombeau de l’un des saints les plus prestigieux du royaume franc, mais également parce qu’il était une abbaye particulièrement riche. Il est vraisemblable que par ce geste, le roi voulait récompenser son conseiller pour les services rendus".


    Nikto - Kline 1987 + les deux planches du récit "Les dernières années d'Alcuin" : 1 2.


    Couillard - Tanter 1986

    Alcwinus dans l'actuelle basilique


    + vidéo Arte 25 février 2020 (7 mn) sur Alcuin, la tour Charlemagne et la basilique Saint Martin

    L'abbaye devient alors un des foyers de la renaissance carolingienne. Son scriptorium acquiert une renommée européenne, produisant des manuscrits remarquables d'une grande rigueur d'écriture, notamment pour la calligraphie (écriture minuscule caroline) et la ponctuation. Il fonde à Tours une académie de philosophie et de théologie qui fut surnommée "mère de l'Université". Il élève en 800 une fondation monastique créée par Ithier, son prédécesseur à Saint Martin, en une abbaye qui connaîtra un vaste essor, l'abbaye de Cormery, en un lieu situé à une vingtaine de kilomètres de Tours (voir ci-après).

    Le scriptorium de Tours est toutefois très antérieur à l'arrivée d'Alcuin. Pierre Gasnault, dans un article des conférences martiniennes de 1996/1997 (SAT), écrit : "Sulpice Sévère rapporte qu'à Marmoutier, les disciples de l'évêque de Tours n'exerçaient aucun travail artisanal, excepté celui de copiste. [...] Il est aussi vraisemblable que Grégoire de Tours entretenait auprès de lui des copistes pour diffuser les différents livres dont il est l'auteur. Aucun des livres copiés ainsi en Touraine entre le IVème et le VIème siècle n'est parvenu jusqu'à nous. On possède néanmoins quelques manuscrits fort anciens dont la présence est attestée à Tours dès l'époque mérovingienne. [...] Enfin il est assuré qu'un atelier d'écriture fonctionna au sein de l'abbaye dès la première moitié du VIIème siècle, donc bien avant Alcuin qui n'en devint abbé qu'en 796."

    Attention aux pèlerinages prétextes ! Dans le Catalogue 2016 "Le rayonnement de la cité", Christine Bousquet-Labouérie et Bruno Judic citent une mise en garde révélatrice du concile de Chalon en Bourgogne en 813 : "La plus grande tromperie vient de certaines gens qui voyagent inconsidérément à Rome ou à Tours et en d'autres lieux sous prétexte de prière. [...] Il y a certains puissants qui, pour augmenter leur fortune, obtiennent beaucoup de richesses sous le prétexte du voyage à Rome ou à Tours." Les deux auteurs notent ensuite que ce concile demande aux évêques de prêcher en "langue romaine rustique" ou en langue "theotisca" (ancien allemand). Cette "langue romaine rustique" est-elle à l'origine de la langue française ? En complément, on peut consulter l'étude de Jean Chélini, en 1961, "Alcuin, Charlemagne et Saint-Martin de Tours".

    Au décès d'Alcuin, un de ses disciples les plus éminents, Fridugise / Frédegis, lui succède comme abbé de Saint-Martin, de 804 à 835. Il sera aussi chancelier de l'empereur Louis le Pieux de 819 à 832. Erudit, il a laissé une vaste oeuvre philosophique et théologique.


    Charlemagne confie à Alcuin d'York l'abbaye de Tours [British Library], Alcuin enseignant [BnF]. Alcuin et Charlemagne [XIXème siècle].

     

    "Ecole d'Alcuin à Tours"
    [LTa&m 1845]
    + 2 pages : 1 2
    + image 1920
    Alcuin et Charlemagne dans Histoire de France en bandes dessinées, texte Jacques Bastian, dessin Milo Manara, Larousse 1976 + trois planches : 1 2 3 + miniature de Jean Fouquet montrant le pape Léon III couronnant Charlemagne empereur le 25 décembre 800 ["Grandes chroniques de France" vers 1460, BnF, commentaire "Codices illustrés" 2001]. Charlemagne a fait de la saint Martin d'hiver, le 11 novembre, un jour chômé dans tout l'empire d'Occident.


    Alcuin présente à Charlemagne un manuscrit du scriptorium de Tours [Jean-Victor Schnetz 1830, musée du Louvre, Wikipédia] + vitrail Lobin de l'actuelle basilique où Alcuin se prosterne devant le tombeau de Martin pour que s'arrête l'incendie de la basilique.

    "C’est une noble tâche que de copier des livres sacrés,
    et le scribe ne manquera pas sa récompense.
    Il est préférable d’écrire des livres que de planter des vignes :
    celui-là entretient son ventre, celui-ci son âme.
    "

     
    A gauche, BmT ["Histoire de la Touraine", Pierre Audin, Geste Editions 2016]. Au centre en haut, poème d'Alcuin pour l’abbaye de Saint-Martin de Tours. Au centre en bas, Alcuin et son disciple Rabanus Maurus / Raban Maur (aussi ci-dessous à gauche) [André Thevet 1584, lien Gallica]. On a vu ci-avant que c'est Raban Maur qui amena l'abbaye de Fulda à reproduire en miniatures le décor central de la basilique de Perpet. A droite un scribe, Cathédrale d'Amiens [page "Scriptorium"du site Encyclopédie Universelle]

    Vivien, décédé en 851, comte de Tours, commandant des troupes de Neustrie entre Seine et Loire, est abbé laïc de Saint-Martin à partir de 844, aussi abbé laïc de Marmoutier. Le scriptorium de Tours est alors au sommet de son art et la bible que Vivien fait réaliser, apparemment de sa propre initiative, et offre vers 845 au roi Charles le Chauve est devenu un chef-d'oeuvre du genre, connu sous le nom de première Bible de Charles le Chauve ou bible de Vivien. Elle se présente comme un codex de grand format (495 × 345 mm) de 423 folios de parchemin. Outre la bible complète en latin, écrite en minuscule caroline sur deux colonnes, elle présente huit enluminures en pleine-page (ici celle consacrée à Saint Jérôme, le traducteur en latin de la bible, et ci-dessus au centre la dédicace du manuscrit), quatre retables et 87 lettrines enluminées. + L'ouvrage en intégralité, 860 pages, 242 Mo [Gallica]. + Long article du Républicain Lorrain (2017, début) sur un transfert de la bible à Metz en 1989. Réalisée un peu plus tôt, vers 835, la bible de Moutier-Grandval est aussi renommée, notamment la planche racontant la vie d'Adam et Eve et la planche de l'exode.


    A gauche, une miniature extraite d'un manuscrit romain de 840 environ montre Alcuin, en arrière-plan, présentant son élève Raban Maur, déjà vu ci-dessus, à Martin, qui vivait quatre siècles plus tôt, en une allégorie de la succession des relations de disciple à maître [flickr Peter] + variante. Au centre, la première bible de Charles le Chauve, réalisée à Tours, est offerte par Vivien au roi des Francs vers 845. Trois moines présentent le manuscrit, enveloppé dans un linge. A droite gros plan sur Vivien qui offre le livre (P.-S.). +  deux planches dessinées de cet ouvrage : 1 (vie de saint Jérôme) 2 (Adam et Eve).

    "Sous les règnes de Charlemagne et de Louis le Pieux, la rédaction des actes par le destinataire était exceptionnelle. Ce fut cependant le cas pour une partie des diplômes de Louis le Pieux pour Saint-Martin. Des relations personnelles très étroites existaient alors entre cet établissement et la chancellerie impériale." [étude "Saint-Martin de Tours et les chancelleries carolingiennes" par Mark Mersiowsky, 2004]

    Un peu plus tard, vers 850, Vivien livre à l'empereur Lothaire Ier l'ouvrage qu'il a commandé, lui aussi devenu célèbre : l'évangéliaire de Lothaire. Les miniatures sont du même artiste que la bible de Vivien, appelé "Maître C". Le livre est écrit en minuscule caroline avec des incipits écrits en or, argent et rouge, encadrés ou sur bandeau pourpré. Les débuts des évangiles et les préfaces sont en onciales d'or. + L'ouvrage en intégralité, 460 pages, 91 Mo [Gallica], avec ce portrait de Lothaire. "C'est l'époque parfaite, l'ornementation atteint son sommet" [article "Le scriptorium de Tours" de Félix Peeters commentant une étude de Léopold Delisle].

    Les pillages des Vikings à partir de 853 donneront un coup d'arrêt à cet âge d'or. Le scriptorium continuera pourtant son activité de façon affaiblie. Dans son livre "la Touraine, des origines à nos jours" (1982), Suzanne Périnet prolonge très loin son impact : "Cette école a été novatrice dans la réalisation des ornements des manuscrits. Il faut souligner la naissance de cette tradition tourangelle qui donnera encore des chefs-d'oeuvre au XVème siècle avec les livres d'heures de Jean Fouquet." + deux manuscrits tourangeaux illustrés du partage du manteau (lien, BmT) : 1 [bréviaire de Marmoutier, XIIIème siècle] 2 [bréviaire de St Martin de Tours, XIVème].



  28. Luitgarde et Judith, impératrices inhumées dans la basilique


    Carolus Magnus dans l'actuelle basilique [atelier Lobin]. Au centre, restitution de la basilique de Tours à l'époque carolingienne dans le livre de Kenneth Conant "Chilperic Ier" (lien). + deux pages du site de Nhuan DoDuc présentant des vitraux de Charlemagne : 1 2.


    Extrait de la mallette pédagogique "Martin de Tours, le rayonnement de la cité" (2016) présentant "L'école de Tours à l'époque carolingienne", expliquant par exemple ce qu'est un codex. Mais il ne faudrait pas confondre une bande dessinée avec une succession de scènes légendées, sans continuité d'action... + dossier pédagogique + questionnaire éducatif.

    Aucun souverain ne fut inhumé dans la basilique de Perpet, mais deux souveraines le furent, Luitgarde d'Alémanie et Judith de Bavière.


    Avant d'épouser Luitgarde d'Alémanie, Charlemagne avait eu quatre épouses. La plus célèbre est la troisème, Hidegarde de Vintzgau, mariée à 13 ans en 771, morte en couches à 25 ans en 783, après avoir donné naissance à 9 enfants, dont 3 n'ayant pas vécu. Un seul de ses fils survit à Charlemagne et lui succède, Louis Ier le Pieux dont Judith de Bavière fut la seconde et dernière épouse. [Charles et Hildegarde, fresque baroque des salles d’apparat de la Résidence des Princes-Abbés de Kempten / Campidoine en Souabe, lien]

    Luitgarde d'Alémanie (ou Liutgarde) a 18 ans quand elle épouse Charlemagne, probablement âgé de 52 ans, en 794. Alcuin, qui devient abbé de Saint Martin en 796, écrit : "La reine, aime à converser avec les hommes savants et doctes ; après ses exercices de dévotion, c'est son plus cher passe-temps. Elle est pleine de complaisance pour le roi, pieuse, irréprochable et digne de tout l'amour d'un tel mari. Elle est à la cour honorée même des enfants de Charlemagne." Elle aime aussi chasser avec son mari dans les forêts d'Ardennes. Tous deux sont de passage à Tours quand Luitgarde tombe brusquement malade et décède rapidement le 4 juin 800, vivement regrettée par le roi, qui sera empereur d'Occident à la fin de la même année, sa famille et sa cour. Elle avait 24 ans et serait devenue impératrice si... + article romancé du passage de Luitgarde à Tours [Mag. Touraine n°68 de 1998].


    Luitgarde. 1) gravure XIXème siècle 2) figurine de Gustave Vertunni, entre 1938 et 1946. 3) illustration XXème siècle 4) statue en cire de l'ancien historial de Touraine vers 1990, à côté de Charlemagne et Alcuin dans le décor de la basilique / Collégiale Saint Martin 5) Case Couillard - Tanter, 1986 + deux planches sur "Les Carolingiens et la Touraine" : 1 2.

    Le jour même de la mort de Luitgarde, Charlemagne signe un diplôme pour que le monastère de la Celle Saint-Paul de Cormery soit suffragant de l'abbaye de Tours. Charlemagne fait demander par Alcuin à Benoît d'Aniane, 22 de ses moines pour y implanter la nouvelle règle de saint Benoît. Après la mort de Luitgarde, Charlemagne ne se remariera plus. En cela, on peut considérer que Luitgarde restait pour lui son impératrice... L'emplacement exact de l'inhumation, dans le bras nord du transept de la basilique, n'a jamais été identifié, il pourrait se situer sous la future Tour Charlemagne, qui devrait s'appeler tour Luitgarde, construite environ deux siècles après le décès de la souveraine. Nous reviendrons sur cette tour, à moitié effondrée en 1928 er reconstruite de 1962 à 1964.


    814, Louis Ier succède à son père Charlemagne. Né à Chasseneuil du Poitou, fils de Charles Ier le Grand et Hildegarde, Louis est couronné roi d'Aquitaine à 3 ans. Il joue un rôle dans le gouvernement du royaume et prend part à des expéditions militaires dès 12 ans. A 22 ans, en 800, il est à Tours avec son père (+ miniature de l'abbaye de Fulda en 826 le représentant jeune). A 36 ans, en 814, ses frères aînés étant décédés, il succède à son père en 814, en tant que roi des Francs.Il devient Louis Ier le Pieux, couronné empereur d'Occident deux ans plus tard. A gauche, Louis et son père, enluminure issue des Grandes Chroniques de France, XIVème siècle [BnF].A droite les mêmes quand Charles le désigne comme son successeur, gravure du XIXème siècle (lien).


    En juin 2019, le site spécialisé cgb.fr, présente ce denier associant les noms Carolus et Martinus, pièce exceptionnelle pour collectionneurs avertis (lien).
    On pourra aussi consulter cette page du site numista traitant d'un denier de Saint Martin vers 1150-1200.

    Le droit de battre monnaie Eugène Giraudet ("Histoire de la ville de Tours" 1873) : "Nos chroniques rapportent à l'année 931 l'arrivée dans nos murs du roi Raoul qui vint rendre grâces à saint Martin de ses victoires sur les Normands. Pendant ce séjour, ayant été reçu chanoine de Saint Martin, il confirma à ses nouveaux collègues le droit de battre monnaie, droit qu'ils possédaient déjà depuis les successeurs de Clovis. La ville de Tours avait à cette époque des monnaies de deux espèces ; 1° les deniers de la cité  ; 2° les deniers de Saint Martin, tous les deux marqués également "Turonis" ; après la mort de Charles le Simple, les habitants de Tours se servirent exclusivement de la monnaie de Saint Martin. Par la suite, cette monnaie désignée sous le nom de "tournois" subit diverses modifications, dans sa valeur et dans ses types."

    Judith de Bavière (793-843) devint impératrice en 819 quand elle épousa avec faste à Aix-la-Chapelle Louis Ier le Pieux, dit aussi le débonnaire, fils de Charlemagne, devenu empereur d'Occident cinq ans plus tôt et veuf un an auparavant. Il avait choisi son épouse après avoir rassemblé les plus belles femmes de sa cour. L'élue, de 24 ans, est aussi ambitieuse...

    Elle est présentée ainsi sur sa page Wikipédia : "choisie d'une part pour sa beauté, décrite comme exceptionnelle, ainsi que ses talents musicaux, mais également pour les avantages géographiques et politiques offerts par une alliance avec cette famille émergente et pourtant déjà puissante. Elle reçoit comme dot le monastère Saint-Sauveur près de Brescia. Son époux est âgé de 41 ans et a trois fils de son premier mariage qui ont le même âge que leur jeune belle-mère. Deux enfants naissent Gisèle, entre 819 et 822, et Charles, en 823. Souveraine très appréciée au début, adorée par les poètes Raban Maur et Walafrid Strabon, Judith a exercé une forte influence sur la politique de Louis. Jeune épouse d'un vieil empereur, toutefois, elle s'abandonne de plus en plus à une vie frivole voire licencieuse tandis que les trois fils issus du premier mariage de l'empereur se demandent avec circonspection quel avenir leur père réserve à leur demi-frère.". Elle obtient pour sa mère l'abbaye de Chelles, pour son frère Rodolphe, l'abbaye de Saint-Riquier et l'abbaye de Jumièges et pour son frère Conrad, l'abbaye de Saint-Gall, ce sont là de très prestigieux établissements.

      
    Judith, la belle ambitieuse. Au centre Louis et Judith "Généalogie de Charlemagne" dans "Les chroniques de Nuremberg" par Hartmann Schedel (1440-1510). A droite auteur anonyme vers 1510. [au centre et à droite illustrations Wikipédia] + deux autres représentations : 1 2.

    Il s'ensuit une vie agitée, elle est même exilée quelques mois dans un couvent. Louis le Pieux est déposé par les fils de son premier mariage, l'un d'entre eux, Lothaire lui succède, puis Louis revient au pouvoir, Judith aussi. Il meurt en 840, Judith trois ans plus tard, le 19 avril 843, à 50 ans, d'une tuberculose, après s'être retirée à Tours, apprenant le futur traité de Verdun. Ce partage en quatre de l'empire, finalisé et signé en août 843, fait de son fils Charles II Chauve, le roi de Francie occidentale et divise l'empire carolingien définitivement. Judith est inhumée dans la basilique Saint Martin de Tours et peu après, comme on l'a vu, l'abbé se Saint Martin Vivien offre à son fils Charles une superbe bible réalisée par le scriptorium de Tours, créé par Alcuin du temps de Luitgarde.


    843, le traité de Verdun. La signature de l'acte de naissance de la France selon la volonté de Judith de Bavière [Histoire de France en bandes dessinées, Larousse 1979, texte Jean Ollivier, dessin Eduardo Coelho] + deux autres illustrations : 1 2.

    Judith mère de la France ? Le rôle de Judith apparaît essentiel dans l'histoire de la France si on considère que celle-ci n'est pas née avec Clovis mais avec Charles II le Chauve. En effet, comme l'indique Jean Boutier, en un article de "Libération" en 2011, le royaume de Clovis s'est rapidement transformé en sous-royaumes avant de disparaître quand Charlemagne a rebattu les cartes avec un vaste empire ; le royaume de Charles le Chauve, lui, n'a jamais vraiment disparu et, sous des configurations changeantes, s'est maintenu en ce qui est devenu la France. Or Judith a eu un rôle déterminant dans la création du royaume de son fils unique Charles. Alors que le partage de l'empire de Charlemagne devait s'effectuer entre les fils du premier lit de Louis le Pieux, Judith a tout fait pour détruire cet accord ("ordinatio") jusqu'à obtenir de son époux une part pour Charles. En cela, Judith peut être considérée comme la génitrice de la France. Sous le patronage de son saint préféré, Martin... qui était aussi celui de Clotilde. A croire que Martin sanctifié aurait de la suite dans les idées ?


    Judith longtemps haïe par ses beaux-fils et leurs enfants. Publié en 1999, le troisième album de la série "Moi Svein, compagnon d'Hasting", du scénariste Eriamel et du dessinateur Jean-Marie Woehrel, est titré "Pépin II d'Aquitaine". A la mort de son père Pépin Ier d'Aquitaine, Pépin II est reconnu roi d'Aquitaine par ses oncles mais pas par son grand-père Louis le Pieux qui accorde l'Aquitaine au fils de Judith. Cette solide reconstitution montre à quel point Charles le Chauve dut combattre pour réaliser le projet de sa mère. + :les trois planches du récit de Pépin II : 1 2 3.


    Charles II, roi de Francie. Deux portraits de Charles II le Chauve (843-877), fils de Judith et Louis Ier le Pieux, premier souverain d'un royaume qui deviendra la France [illustrations Wikipédia]. A gauche, enluminure du "Psautier de Charles le Chauve" d'avant 869 (BnF) A droite, enluminure du Codex Aureus de Saint-Emmeran, vers 870 (bibliothèque de Munich). + quatre images de Charles II : 1 2 3 4 (lien).

    Charles II le Chauve, petit-fils de Charles Ier dit Charlemagne, est officiellement roi de Francie occidentale de 846 à 877, roi d'Aquitaine de 875 à 877 et empereur d'Iccident de 875 à 877. Eugène Giraudet (Histoire de la ville de Tours" 1873) : "En 862, Charles le Chauve reparaît encore à Tours ; il exempte la basilique de Saint Martin et ses possessions, des droits prélevés par les officiers de la couronne ; Il fait relever et entourer de murs, le monastère de Saint Médard, qui renfermait les restes des premiers évêques de Tours. "Vous serez regardé, lui écrit le pape Adrien II, comme le fondateur de Tours, et la reconnaissance devra faire nommer, à l'avenir, cette ville Carlodunum et non plus Caesarodunum"." Louis II, dit le bègue, succède à son père Charles II comme roi des Francs de 877 à 879. Le royaume est ensuite gouverné brièvement (3 ans) par ses deux fils Louis III et Carloman II, puis ce dernier seul. Puis son fils Charles III, dit le Gros, de 885 à 887, dernier des Carolingiens, puis les Robertiens, Capétiens...

    Rétrospectivement, on peut s'interroger sur le destin parallèle de Luitgarde et de Judith, jeunes épouses de souverains assez âgés, ayant déjà des enfants adultes. Si inversement à ce qui s'est passé, Luitgarde avait vécu longtemps et si Judith avait péri jeune, la vénération des enfants de Charlemagne envers leur belle-mère et la détestation des premiers enfants de Louis envers leur belle-mère n'aurait-elle pas été interchangeable ? D'ailleurs, l'étrange et subite mort de Luitgarde ne ressemble-t-elle pas à un empoisonnement ? A qui profiterait alors le crime, sinon aux fils de Charlemagne qui n'eurent plus à craindre la naissance d'un concurrent ?



  29. Les Vikings, les remparts de Châteauneuf et Foulques Nerra

    Destructions et reconstructions de la basilique de Perpet
    Vers 471(peut-être le 11 novembre 471) Inauguration de la basilique par l'évêque Perpet.
    En 558 Un incendie détruit la toiture qui est rétablie par le roi Clotaire ; l'évêque Grégoire restaure ensuite les peintures murales. [ou 560 ?]
    En 630 Saint Eloi grâce au concours du roi Dagobert décore de somptueux ouvrages d'orfèvrerie le tombeau de saint Martin, son ancien sarcophage et celui de saint Brice.
    Vers 800 Nouvel incendie, qu'Alcuin arrête miraculeusement ; certains débris de sculptures sur pierre peuvent relever de travaux de restauration.
    En 853(le 8 novembre) Les Normands pillent et incendient la basilique ; elle est réparée peu après, mais sommairement : "elle paraissait inférieure à celle des temps anciens".
    En 903(ou 904) Dernière incursion des Normands, on restaure la basilique "avec beaucoup de travail et à grands frais ; son apparence était beaucoup plus brillante que la précédente".
    En 994(994 ou 997 pour certains) Un formidable incendie "détruit la basilique ainsi que 22 églises du voisinage". Une reconstruction totale s'impose.
    (résumé des pages 4 et 5 du catalogue de l'exposition de 1984 de la SAT, titré "Les basiliques successives de Saint-Martin à Tours")

    Le rayonnement martinien. Dans leur livre, les chanoines Bataille, premier chapelain de la basilique de Saint-Martin de Tours, et Vaucelle, directeur de l'Institut Saint-Maurice, écrivent : "Au pèlerinage de Tours était souvent uni celui de Marmoutier. On visitait les lieux sanctifiés par la vie du bienheureux ; on puisait de l'eau au puits qu'il avait creusé de ses mains. On se rendait aussi à Candes, où l'on conservait le lit de bois sur lequel il était mort. Au milieu de cette foule anonyme, si empressée autour du tombeau de saint Martin, se détachent quelques figures plus illustres de saints évêques, de saints moines, de pieuses femmes. Sainte Geneviève est la première en date. On voit saint Germain de Paris aux solennités martiniennes ; viennent aussi à Tours, saint Bertrand, évêque du Mans, saint Laurien, évêque de Séville, saint Doriat, évêque d'Orléans. Parmi ces pieux pèlerins, il faut rappeler des personnages qui établirent des monastères et sont restés l'objet d'un culte spécial en Touraine : saint Venant, saint Senoch, sainte Monégonde, sainte Maure, saint Epain son fils et les frères de ce dernier". Dagobert, qui régna de 629 à 639, pour sa part, commanda de ses propres deniers à saint Eloi une châsse précieuse.

    Le chapitre Saint-Martin et le vieux Tours. La basilique saint Martin de Tours était primitivement gérée par un monastère. Elle devint au milieu du IXème siècle une collégiale embrassant, comme l'abbaye de Marmoutier, la règle de Saint Benoït. Les moines devenaient chanoines regroupés en un chapitre très hiérarchisé comportant jusqu'à 200 membres. A lire un tableau (établi par Hélène Noizet, lien) comparant les modes de vie des chanoines et moines, il est évident que l'on s'éloigne des règles prônées par Martin. Le chapitre va prendre un rôle politique et gérer la Martinopole, réduisant le rôle de l'archevêque. Hélène Noizet, en son livre "La fabrique de la ville, Espace et sociétés à Tours (IXème-XIIIème siècle)" (OpenEditions Books 2019, lien) estime que ce passage de la vie monastique à la vie canoniale a structure ce qu'on appelle aujourd'hui le centre historique ou le "vieux Tours", qui est celui de Châteauneuf et non celui de la cathédrale (extrait).


    Gravure de 1869 montrant les drakkars d'une expédition de vikings.

    Les terribles raids vikings. Charles Lelong en son livre de 2000 : "Les Normands ont porté un coup très rude au culte de saint Martin. Le 8 novembre 853, la basilique fut incendiée avec tous ses environs ainsi que Marmoutier où 126 moines furent massacrés. Le corps de Martin, mis en sûreté à Cormery, put être replacé dans son tombeau l'été suivant. On ignore ce qui se passa lors des incursions de 856, 862, 865. En 877, on signale la présence du corps à Chablis [près d'Auxerre], d'où il est ramené le 13 décembre 877." Puis c'est la construction des remparts de Châteauneuf pour protéger le tombeau et les reliques. Mais en juin 903, les Normands investissent Châteauneuf, la basilique et 28 autres édifices religieux sont en flamme, toute l'agglomération et les faubourgs sont dévastés, seule la cité antique résiste. C'est alors que, d'après l'évêque d'Utrecht, les reliques sont portées en procession sur les remparts. Elles revigorent les défenseurs qui font fuir les assaillants Normands, dont ce fut la dernière incursion.

      
    1) En 853 : les portes de la basilique sont enfoncées par les Normands [Histoire de France en bd, Ollivier - Coelho, Larousse 1976] + deux planches : 1 2. 2) En 877 : la précieuse châsse contenant les reliques de saint Martin, partie à Auxerre, est ramenée en procession à Tours [église La Chapelle Blanche Saint Martin, atelier Lobin + vidéo] 3) En 903, la châsse sur les remparts fait fuir les Normands (même scène ci-dessous à gauche, LTh&m 1855).
    Les reliques de Martin 3/8 : elles échappent aux Vikings et réalisent des miracles ! Au moins trois miracles : 1) quand elles sont à Auxerre en 877, elles guérissent un lépreux de façon très étrange : récit de Robert Ranjard en 1934 + miniature montrant le miracle ["La vie et miracles de monseigneur saint Martin translatée de latin en français" 1496] + gravure dans LTa&m 1845. 2) sur le chemin du retour d'Auxerre (illustration ci-dessus au milieu), elles guérissent deux mendiants paralysés : récit de Henri Guerlin dans Mag. Touraine HS novembre 2002 + vitrail de l'église Saint Martin de Nouans les Fontaines en Touraine montrant le miracle [atelier Lobin, Verrière 2018] + presque le même vitrail du même atelier dans l'actuelle basilique. + page du Semur 2015 (877, avec le rôle du comte d'Anjou Ingelger dans le retour) 3) elles galvanisent les défenseurs sur les remparts de la Cité de Tours en 903 (illustrations ci-dessus à droite et ci-dessous à gauche) : récit en page du Semur 2015 + article avec la stèle commémorative restaurée en 2013 ["Tours Infos" 2013]. Débuts en Reliques 1/8, 2/8, suites en 4/8, 5/8, 6/8, 7/8, 8/8.


    Vestige d'une chapelle de Châteauneuf ["Tours cité meurtrie", Jeannine Labussière, Elisabeth Prat, CLD 1991]


    Les moines de Marmoutier voyant arriver les Normands, Jean-Paul Laurens 1882 [Musée d'Orsay à Paris, "La légende de Saint Martin au XIXème siècle" 1997].

    Evolution de l'urbs Martini / Martinopole / Châteauneuf en 600, 850, 918 [Ta&m 2007 page 366] + étude des remparts de
    Châteauneuf par C. Lelong (1970).
    [LTh&m 1855] + article d'Elisabeth Lorans "L'enceinte du castrum de Saint Martin : un objet de recherche pour l'avenir", Ta&m 2007.
    Naissance du bourg de Saint Martin le Beau en 904 (même racine que belliqueux) [Couillard - Tanter 1986]

    Comment les Vikings et l'abbaye de Saint Martin ont permis l'accession au pouvoir des Capétiens. Pierre Gasnault en un article de 1961 titré "Le tombeau de saint Martin et les invasions normandes dans l'histoire et dans la légende" conclut en tirant deux conséquences du pillage de l'abbaye de Saint Martin par les Normands. La première, on l'a vu, est la création de l'enceinte entourant ce qui deviendra "Châteauneuf". "L'autre conséquence des invasions normandes est de portée plus générale et touche de près à l'histoire de notre pays. En 866, à un des moments les plus critiques des invasions normandes, le roi Charles le Chauve avait donné l'abbaye de Saint-Martin de Tours au comte Robert le Fort qui venait de s'illustrer en infligeant une défaite cuisante aux Normands de la Loire. Mais cette donation ne produisit pas les effets immédiats souhaités par le roi, car Robert le Fort périt quelques mois plus tard à Brissarthe au cours d'une nouvelle rencontre. L'abbaye de Saint-Martin fut alors attribuée à Hugues l'Abbé, qui devait garder pendant vingt ans cet important bénéfice. Quelques mois après sa mort survenue le 12 mai 886, Charles le Gros la restitua au comte Eudes, l'un des fils de Robert le Fort, et désormais et pour plus de neuf siècles le titre d'abbé de Saint-Martin devait être porté par les descendants de Robert le Fort. Le comte Eudes, en effet, au moment de ceindre la couronne royale en février 888, après la déposition de Charles le Gros, céda l'abbaye de Saint-Martin à son frère Robert Ier. A Robert, devenu à son tour roi en 922, mais mort en 923, succédèrent comme abbés de Saint-Martin son fils Hugues le Grand, puis son petit-fils Hugues Capet. Lorsque celui-ci eut été sacré roi le 1er juillet 987, il conserva cette dignité qui fut désormais unie à la personne royale. C'est ainsi que d'Hugues Capet à Louis XVI tous les rois qui se succédèrent sur le trône de France furent en même temps abbés de Saint-Martin de Tours." + le serment prononcé par quinze rois, de Louis VII à Louis XIV, quand ils recevaient ce titre [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996] + page commentée par Michèle Prévost de l'évangéliaire sur lequel ce serment était prononcé [Catalogue 2016]. Cet ouvrage est considéré comme le trésor de la bibliothèque municipal de Tours, à en croire un article de "Tours Informations" de février 1987.


    866, la mort de Robert le Fort, noble franc, comte de Tours et d'Anjou, comte de Poitou, abbé laïc de Marmoutier et de Saint Martin de Tours, marquis de Neustrie, arrière grand-père de Hugues Capet, à la bataille de Brissarthe contre les Vikings et les Bretons (lien). Auparavant la ville du Mans avait été saccagée. Ensuite Charles le Chauve reconnut au roi Salomon l'indépendance de la Bretagne, mais les Danois du roi Hasting ravagèrent Bourges en 867, Orléans en 868 et Angers en 872. A droite, en 881, à la bataille de Saucourt en Vimeu, les troupes carolingiennes l'emportent sur les Vikings [Jean-Joseph Dassy, château de Versailles]. La menace Viking commence à s'estomper, elle échoue en 904 dans son dernier assaut sur Tours, 50 ans après l'épouvantable premier raid de 853.

    Le titre héréditaire d'abbé laïc de Saint Martin. En 898, Robert, comte de Paris, devient abbé laïc l'abbaye de Saint Martin à la suite de son père Robert le Fort. Il est élu roi des Francs en 922, sous le nom de Robert Ier, premier des Robertiens. Ce titre d'abbé se transmet ensuite de père en fils chez les rois des Francs puis rois de France, d'abord les Robertiens, puis les Capétiens, de Hugues Capet (petit-fils de Robert Ier) à Louis XVI.


    Couillard - Tanter 1986 + deux planches sur le passage des Vikings à Tours et aux alentours : 1 2 + article de Christian Theureau "La place de la monnaie de Tours" [Ta&m 2007] + article de Guillaume Sarah et Philippe Schiesser sur les deniers mérovingiens (vers 700) de Tours (2013).

    Evolution de la ville de Tours 3/7 : la ville de Martin, Martinopole, devient le château puis Châteauneuf. L'évolution fut lente, du Vème au XIème siècle. A côté de la cité / civitas de l'ancienne Caesarodunum naît une seconde ville, autour de la basilique, appelée couramment le vicus, parfois Martinopolis / la ville de Martin / la Martinopole. Entre 903 et 908, pour se protéger des Vikings, une enceinte fortifiée est construite, le vicus devient alors le castrum, le château. Au cours du Xème siècle, d'épaisses murailles de pierre remplacent progressivement fossés, talus de terre et palissades. A partir du XIème siècle, la ville enserrée par cette enceinte neuve est appelée castrum novum, le château neuf de Saint Martin [Pierre Leveel dans Level 1994]. Châteauneuf allait vivre presque quatre siècles. Autour de la collégiale, sur environ 6 hectares, des espaces libres permettaient aux habitants des faubourgs de trouver refuge lors des alertes. Hélène Noizet a étudié plus précisément la désignation de la ville de Martin du Xème au XIIIème siècle, en un article "De castrum sancti Martini à Châteauneuf [Ta&m 2007].

    Une ville bicéphale : ci-dessus à gauche vers 800 en haut puis vers 1050 en bas [Ta&m 2007], à droite à la fin du XIème siècle (avec la basilique romane, le ruisseau de l'Archevêché en bas) [Cossu-Delaunay 2020]. + vers 950 [Ta&m 2007] + vers 1150 ["Féodalités", Belin 2010] + article d'Hélène Noizet "Les paroisses et les fiefs, outils de contrôle" [Ta&m 2007]. + quatre articles de Henri Galinié [Ta&m 2007 : 1 ("La notion de territoire à Tours, aux IXème et Xème siècle" (1981)) 2 ("L'espace urbain vers 800") 3 (vers 950) 4 (vers 1050). + carte des "églises situées dans le monasterium Sancti Martini en 854" ["La fabrique de la ville" Hélène Noizet 2007]. En complément, dans le livre "La fabrique de la ville" d'Hélène Noizet 2007, on pourra consulter la page titrée "Le roi et les seigneurs à Saint-Martin (950-1100)" traitant notamment des relations avec les comtes de Blois et d'Anjou, qui seront abordées dans le chapitre suivant. Débuts en évolution 1/7 et 2/7, suites en 4/7, 5/7, 6/7 et 7/7.


    Remparts de Tours 2/5 : l'enceinte de Châteauneuf, ses tours et ses maisons-tours. Comme il vient d'être écrit, c'est pour protéger la Martinopole des Normands que cette enceinte a été construite autour de 905, en plus de l'enceinte gauloise de la cité, toujours entretenue. Il ne reste des remparts de Châteauneuf à l'air libre que le vestige de tour ci-dessus (rue Baleschoux) (+ remaniée, une tour rue Néricault Destouches, Oury - Pons 1977). + plan des actuels vestiges ["Tours cité meurtrie", C.L.D. 1991]. A droite, gravure d'Edouard Gatian de Clérambault (1912) représentant, à l'intérieur de l'enceinte, la maison-tour Foubert (fin XIIème), donnée en 1323 par Charles IV à l'abbaye Saint Martin, détruite en 1958, + photo dans un ouvrage de 1899 "Tours pittoresque" + gravure de Oury - Pons 1977] + photo d'une maison-tour partiellement conservée, rue de la Paix [commentaire Elisabeth Lorans et Emeline Marot, Catalogue 2016] + article de Pierre Garrigou-Grandchamp traitant des maisons-tours et de l'architecture domestique à Châteauneuf [Ta&m 2007]. Début en Remparts 1/5, suites en 3/5 4/5 et 5/5.

    Déclin de l'abbaye puis renouveau à la fin du millénaire. Charles Lelong souligne les "conséquences négatives" des invasions normandes : "la gêne apportée au pèlerinage, la rupture de l'unité géographique, les dommages causés à la basilique, enfin l'appauvrissement de la collégiale.". Le traité de Verdun en 843 signe l'effondrement de l'unité carolingienne et le début d'un important déclin. Les incursions normandes et de terribles famines (868, 873, 875, 892) aggravent la situation matérielle des populations. De nombreux petits monastères disparaissent. Guy-Marie Oury dans "Histoire religieuse de la Touraine" (1962) : "Cependant les structures ont tenu bon. [...] Les premiers signes du renouveau religieux se manifestent aux alentours de l'année 940 ; ils sont encore timides et lents et ne touchent d'abord que les milieux monastiques, mais saint-Martin et son école ont maintenu un certain niveau culturel dont l'oeuvre littéraire de saint Odon [Odon de Cluny, formé à Saint-Martin, où il revient mourir en 942] est une preuve incontestable."


    Sanctus Odo / Odon, d'abord chanoine de St Martin et archicantor (premier chanteur), puis second abbé de Cluny, premier abbé de Saint Julien de Tours, en l'actuelle basilique, avec aussi son portrait peint (+ image début du XXème siècle). + planche de la BD Chevaliers, moines et paysans, scénario de Florian Mazel, dessin de Vincent Sorel, [La revue dessinée 2019, lien].
    Odon était-il originaire de Touraine ?. D'après Anselme de Sainte-Marie ["Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des maréchaux de France", vol. VII, Paris (réimpr. 3e, 1733), "Histoire de la Maison de Maillé", p. 498], Odon est le beau-frère de Hardouin Ier de Maillé, ce qui est repris dans de nombreux documents, par exemple la page Wikipédia de Gilbert de Maillé, fils de Hardouin Ier, archevêque de Tours de 1118 à 1125 (il est présenté comme fils de "Béatrix, soeur d'Odon de Tours"). Sa proximité avec les comtes d'Anjou et ses jeunes années passées à Tours allaient en ce sens. Pourtant, c'est grossièrement faux puisque Odon est décédé en 942 et Hardouin Ier était seigneur de Maillé (ancien nom de Luynes, en Touraine) vers 1084-1096. D'après Wikipédia, Odon était issu d’une famille noble franque, très probablement aquitaine, fils d'Abbon, "personnage de haut rang, d'une culture juridique exceptionnelle" et Ava.
    Le moine Jean et/ou l'anonyme de Marmoutier. La "moine anonyme de Marmoutier" est un disciple d'Odon qui rédigea plusieurs ouvrages pour la bibliothèque de Cluny, traitant notamment de Saint Martin. Pour cette même bibliothèque, la vie d'Odon a été écrite par le "moine Jean", autre disciple, qui voyageait habituellement avec lui. Il y est dit qu'Odon avait fait des remarques sur la Vie de saint Martin par Sulpice Sévère ; mais cette ouvrage n'est pas venu jusqu'à nous. Ces deux moines sont souvent considérés comme une même personne. Que ce soit sur Amboise ou sur Loches, leurs écrits apparaissent contestables. [liens : 1 2 3 4]

    Charles Lelong, en 2000, constate aussi ce renouveau : "Léon VII, en 938, écrit "qu'aucun autre lieu, à l'exception de Saint Pierre de Rome n'attire un aussi grand nombre de suppliants de pays si divers et lointains". Et Odon de Cluny : "le monde entier leur enseigne (aux Tourangeaux) le cas qu'ils doivent faire d'un pareil trésor. Toutes les nations l'entourent d'un amour particulier, à tel point que de nos jours où la piété se refroidit pourtant, nous voyons affluer autour de lui des multitudes de gens dont nous ne connaissons même pas la langue. C'est de Martin que l'on peut bien dire : Toute la terre désire contempler son visage. Combien l'empressement de ces étrangers n'accuse-t-il pas notre inertie, à nous, ses voisins ? [...] Enfin, diverses fondations attestent de la permanence de son prestige : Saint Martin la Bataille, par Guillaume le Conquérant, après sa victoire à Hastings en 1066 (et l'abbaye fut peuplée de moines venus de Marmoutier), Saint Martin du Canigou en 1001, l'abbaye du Martinsberg par le roi Etienne, Saint Martin de Liège (titre adopté aux environs de l'an mil par l'évêque Notger)... Dans le ménologe de Basile II, le Nulgaroctone, avant l'an mil, saint Martin figure parmi les saints de l'église grecque : il est figuré ressuscitant un mort avec la légende : Martinou episkopou Fraggias (= évêque de la France)."

    Dans "Histoire religieuse de la Touraine", Guy Devailly fait le point de la situation un peu avant la démolition de la basilique de Perpet : "Vers la fin du Xème siècle, une fois la bourrasque des invasions normandes passée, le souvenir de saint Martin reste comme aux siècles précédents, au centre de la vie religieuse du diocèse de Tours. La basilique élevée sur son tombeau est toujours le but de pèlerinages nombreux et fervents.". L'incendie de 994 pourrait avoir été déclenché par le terrible Foulques Nerra (970-1040), à en croire Stanislas Bellanger, dans son ouvrage LTa&m 1845 : "Chassé de Tours par Eudes, Foulques Nerra y rentra le 25 juillet 994, mit le feu au bourg de Châteauneuf, et l'église de Saint-Martin fut encore victime du désastre.". En une double page de son livre "La basilique Saint-Martin de Tours" (1986), Charles Lelong montre que dans les cinquante dernières années du millénaire, la basilique a eu des apparences plus ou moins luxueuses, entre désastres et restaurations coûteuses.


    Foulques Nerra ravage la basilique. En 990, le terrible Foulques Nerra s'empare de la ville de Tours et commet un outrage dans la basilique... Chassé par Eudes, comte de Blois, il y revient en 994, mettant le feu au bourg de Châteauneuf et à la basilique de Perpet qui ne s'en releva pas et fut remplacée par celle du trésorier Hervé de Buzençay [Guignolet 1984] + la planche.. + sur Foulques le Noir, son sceau et la couverture illustrée d'un livre de 2009.


    Foulques Nerra, de Jérusalem à Loches. Après avoir commis des atrocités en Touraine et alentours, Foulques partait faire pénitence à Jérusalem et en revenait revigoré. Il le fit trois fois, en 1003-1005, 1009-1011 et 1036-1039. Le dernier épisode fut le plus mémorable, comme le montrent ces illustrations. A gauche, il se fait flageller (lien) (autre lien sur sa vie). A droite, à quatre pattes, il arrache (arracherait...), de ses propres dents, un éclat de marbre du tombeau du Christ. Cette relique, disparue à la Révolution, a fait la gloire de l'abbaye de Beaulieu lès Loches, à côté de Loches [détail d'un vitrail sur la transfiguration du Christ dans l'église abbatiale de Beaulieu lès Loches, atelier Lobin].



    D) 995-1798 LA BASILIQUE DU TRESORIER HERVE

  30. De la cape de Martin aux Capétiens, du roman au gothique

    Les comtes de Blois et d'Anjou se disputent la Touraine. Des dynasties comtales s'imposent au tournant du millénaire. Bien davantage que le roi de France, les comtes et ducs sont maîtres en leurs territoires. Tours est la capitale du comté de Touraine qui va être âprement disputée entre la maison blèsoise et la maison d'Anjou. Après plusieurs revirements, ce n'est qu'à partir de 1044 et la bataille de Nouy / Saint Martin le Beau (commentaire illustré, lien) que le comté de Tours deviendra pour longtemps un fief du comté d'Anjou, jusqu'à son rattachement au domaine royal sous Philippe Auguste. On est alors en plein coeur du Moyen-âge. La population augmente fortement grâce à des innovations techniques, la société se réorganise selon les systèmes de la seigneurie, les paysans en communautés cultivant la terre pour le compte des nobles. La féodalité s'installe, les chevaliers servent leur suzerain. Martin est alors considéré comme un chevalier exemplaire, au service de son dieu suzerain...


    A gauche, Tours en 976 est possession du comte de Blois, Thibaud Ier, dit le Tricheur, premier comte héréditaire de Blois [lien sur le site des Portes du Temps]. A droite en 987, Tours est possession du comté d'Anjou [Atlas Grataloup 2019], situation encore provisoire...

    Voici les plus belles ruines des donjons de Foulques Nerra : 1) Langeais + deux gravures : 1 [LTh&m 1855] 2 [Robida 1892] + photo ["Visages de la Touraine" 1948] + restitution expliquée par Florian Mazel ["Féodalités", Belin 2010] ; 2) Loches + deux vues générales de la ville et de son donjon : 1 en 1699 ["Visages de la Touraine" 1948] 2 (LTa&m 1845] +  deux gravures LTh&m 1855 de la ville : 1 2, +  deux gravures Robida 1892 : 1 2, + timbre postal ; 3) Montbazon à 10 km au sud de Tours + trois gravures : 1 [LTh&m 1855] 2 [Robida 1892] 3 ["Visages de la Touraine" 1948] + carte postale ; 4) Montrichard, en Touraine avant d'être en Loir et Cher (Foulques Nerra n'avait édifié qu'un donjon probablement en bois, repris en pierres par Thibaud Ier de Blois dit "le tricheur", d"où Montricheur / Montrichard) +  deux gravures Robida 1892 : 1 2,  ; 5) A droite, non loin de la Touraine, la tour carrée de Loudun [photos Wikipédia] + gravure [Robida 1892] + carte postale. Signalons aussi le donjon du château de Semblançay, aussi construit par Foulques Nerra. + article 2014 d'Elisabeth Lorans "Les tours maîtresses des 11ème et 12ème siècle".
    Pouquoi Foulques Nerra a-t-il élevé ces donjons en Touraine ?. Est-ce la peur de l'an mil ? Foulques Nerra (970-1040), comte d'Anjou, passa sa vie à guerroyer et à faire pénitence de ses multiples excès. Il construisit de nombreux édifices militaires. Le but était d'avoir des avancées solides dans sa conquête territoriale des terres de ses adversaires Eudes Ier, fils de Thibaud Ier et premier époux de Berthe de Bourgogne, puis son fils Eudes II, comtes de Blois. "Il construisit Langeais en 994 pour mieux investir la ville de Tours dont il s'empara deux ou trois ans plus tard" (comme indiqué en fin du chapitre précédent), avant que Robert II la reprenne [article 1974 de Marcel Deyres "Les châteaux de Foulque Nerra"]. + un autre édifice, plus modeste, la tour du Brandon à Azay sur Cher, faisant partie du dispositif d'encerclement (lien).

    De la cape de Martin à Hugues Capet et aux Capétiens. Après avoir nommé les chapelles et Aix-la-Chapelle (voir ci-avant), la cape nommera Hugues Capet, roi élu, (940-996) et les Capétiens, ses descendants. Mérovingiens, Carolingiens, Robertiens et Capétiens se sont servis de l'image et de la popularité de Martin à leur avantage. En son article de 2019, Lucien-Jean Bord rappelle ce propos de Jean Favier : "Les Capétiens n'oublient pas que leur ancêtre était surnommé Capet parce que, maître de Tours, il avait la garde de la chape de saint Martin. Le centre spirituel du royaume ce n'est pas Saint-Denis, c'est Saint-Martin de Tours". Châteauneuf est alors "L'enclave royale de Saint-Martin de Tours", comme le titre un article de Jacques Boussard en 1959. Il y eut toutefois, suite à la mainmise de Foulques Nerra en 996 et davantage à partir de 1044 une "courte durée du pouvoir angevin, qui s'effrite rapidement à partir de la mort de Geoffroy Martel [fils de Foulques Nerra] en 1060" d'après l'article de John Ottaway en 1990 titré "La collégiale Saint-Martin de Tours est-elle demeurée une véritable enclave royale au XIème siècle ??".


    Chape-bannière. A gauche, images du début du XXème siècle présentant Clovis avec la chape de saint Martin brandie comme étendard + quatre autres images : 1 2 3 4 (lien). + une illustration moderne de la cape ["Lettre martinienne" 2007-1]. A droite, extrait d'un document pédagogique de Roselyne Lebourgeois. Hugues Capet est décédé en 996, deux ans après la fin de la basilique de Perpet.


    A gauche gravure de Lacoste Aîné, texte de Stanislas Bellanger [LTa&m 1845], à droite tableau de Jean-Paul Laurens [musée d'Orsay, 1875, Wikipédia] + esquisse + fiche (lien) de Robert II qui, bien que pieux, reste maudit par le malheur de son excommunication, alors qu'elle n'a, en fait, été qu'une menace assortie de sept années de pénitence..
    Les mariés de Tours, amants maudits du royaume en l'an mil. Robert II le pieux, fils d'Hugues Capet, a régné sur le pays franc de 996 à 1031. Il s'est épris de sa cousine au 3ème degré Berthe de Bourgogne, ce que l'église interdit formellement. "Les deux amants ont des relations physiques et Robert met sous tutelle une partie du comté de Blois. Il reprend à son compte la cité de Tours et Langeais à Foulques Nerra. Le couple trouve rapidement des évêques complaisants pour les marier, ce qui est fait vers novembre-décembre 996 [à Tours, probablement dans la basilique de Perpet] par Archambaud de Sully, archevêque de Tours, au grand dam du nouveau pape Grégoire V" [Wikipédia]. Le pape lança une excommunication et un interdit sur toutes les terres du domaine du roi. "C'était la première fois qu'un tel arrêt frappait des populations entières : plus de chants sacrés, plus d'offices saints, plus de sacrements. On administrait seulement la pénitence aux malades et le baptême aux enfants en danger de mort ; on ne célébrait plus les saints mystères, les églises étaient fermées, les images des saints voilées ; la cloche n'annonçait plus l'approche d'une fête, le mariage d'un ami, ni l'agonie d'un frère ; une consternation muette frappa tous les coeurs" (lien). Les amants, qui n'eurent pas d'enfant viable, finirent par se séparer en 1001. Catherine Meurisse s'appuie sur ce fameux tableau (exposé dans la gare d'Orsay construite par le Tourangeau Victor Laloux) et sur l'histoire de Roméo et Juliette, autres amants maudits, pour débuter son album Moderne Olympia 2014 avec ces deux planches : 1 2 [lien bdzoom]. Extraits ci-dessous.
     

    Le trésorier Hervé de Buzançais. La construction de la basilique - en fait il s'agit d'une collégiale - romane de 1014 est attribuée à Hervé de Tours (seul son prénom est sûr), habituellement considéré comme étant Hervé de Buzançais (présentation du site orthodoxievco.net par Michel Laurencin), trésorier de la basilique qui venait d'être détruite par un incendie. Pierre Leveel dans "Histoire de la Touraine" [CLD 1988] : "Le personnage d'Hervé de Tours (965 ? - 1022) domine le clergé de son temps, et par sa vie spirituelle et par ses réalisations pratiques. La seule certitude sur ses origines est qu'il appartenant, selon Raoul Glaber, à une noble famille franque : "Comme le lys et la rose naissent au milieu des épines, il naquit dans la famille la plus orgueilleuse du pays". Sur la foi du Chronicon Turonense Magnum, Hervé fut considéré comme le fils de Sulpice de Buzançais, seigneur de Châtillon sur Indre. Une étude plus approfondie (Dom G. Oury, 1961) donne à penser qu'il appartenait plutôt à l'entourage des comtes de Blois, et qu'il fut peut-être l'oncle de Gilduin le "diable" de Saumur [alors probablement frère d'Aénor de Doué]. Hervé fit de solides études sous Abbon, écolâtre de Fleury (Saint Benoït sur Loire) ; attiré par le cloître, ses proches qui avaient pour lui d'autres ambitions, l'établirent chanoine de saint Martin de Tours. [...] Hervé fit reconstruire la collégiale à partir du sol ; l'Europe entière vint l'admirer."

    Dans le style roman, le nouveau monument, deux fois plus important que le premier, conforta le rôle de Tours comme lieu de pèlerinage. Après un nouveau sinistre en 1096 et un vieillissement rapide, la basilique fut reconstruite et grandement remaniée dans le style gothique Plantagenêt en 1180. En cela, on peut estimer qu'il y eut deux basiliques distinctes.


    A gauche, en 1014 Hervé de Buzançais fait reconstruire en style roman la basilique incendiée [esquisse et vitrail Lobin de la basilique]. La croix du croisée sur l'armure du chevalier est anachronique, les croisades n'ont pas commencé... Au centre droit, restitution de la basilique romane d'Hervé ["La basilique Saint-Martin de Tours", Charles lelong 1986]. On retrouve cette scène sur un vitrail de l'église de Saint Martin le Beau. L'atelier Lobin a repris d'autres scènes de ses vitraux de la basilique pour les reprendre sur les vitraux de cette église. A droite, vue axonométrique d'une partie du chevet du XIème siècle (Ta&m 2007] + plan et coupes (schémas de coupe) et décor sculpté ["La basilique Saint-Martin de Tours", Charles Lelong 1986] + modillons de corniche de la basilique romane (exposés au musée Saint Martin)

    1014-1180, une basilique romane géante. La basilique bâtie par Hervé était "une basilique géante, comparable par ses dimensions à la cathédrale Saint-Jacques de Compostelle (travaux de 1075 à 1211) ou à la basilique Saint Sernin de Toulouse (travaux de 1076 à 1096) : longueur totale 102 mètres, nef à doubles bas-côtés, large de 29 mètres, transept de 55 mètres, doté de deux absidioles sur chaque bras ; déambulatoire desservant cinq chapelles rayonnantes ; façade encadrée de deux tours, la tour du trésor (de l'horloge) et le tour Saint Nicolas, avec en élévation deux étages" ["Les basiliques successives de Saint-Martin à Tours", expo SAT 1984]. On a cru que c'était le premier édifice à avoir un choeur entouré d'un déambulatoire à chapelles rayonnantes, mais Charles Lelong l'a contesté en un article de 1973, repoussant la date du déambulatoire à une reconstruction après l'incendie de 1096. Avec aussi l'édification décalée des tours du transept, la basilique romane a beaucoup évolué durant ses presque deux siècles d'existence.

    Sauf contre-indication, ces illustrations sont extraites de l'article de Frédéric Lesueur, 1949, titré "Saint-Martin de Tours et les origines de l'art roman". A gauche en haut, coupe de la basilique romane au début du XIème siècle, avec sur trait grisé une compraison avec la future basilique gothique, plus grande + comparaison avec les plans des cathédrales d'Orléans, Reims et Toulouse. A gauche en bas, coupe de la tour Charlemagne dont la construction a été étagée du milieu du XIème siècle (les deux premiers étages en style roman) au XIIIème (le haut gothique). Au centre, restitution par Cossu-Delaunay 2020. A droite, le transept roman. + deux autres croquis : 1 élévation du XIème siècle, comparée avec celles des cathédrales de Reims, Caen, Toulouse 2 coupe des fondations de l'absidiole d'axe (encore visible en partie dans le sous-sol de l'actuelle basilique).

    Tours et l'eau 1/6 : construction du pont d'Eudes vers 1035. Avant que ce pont soit construit, Tours avait connu des périodes avec et sans pont. Dans une étude titrée "Les ponts antiques sur la Loire" [Ta&m 2007], Jacques Seigne et Patrick Neury présentent trois ponts en bois, deux sur Tours, un dit de l'île St Jacques au Ier siècle (restitution), l'autre dit de l'île Aucard, au IVème siècle, le troisième étant 2km en en aval à Fondettes, du Ier siècle. Celui du IVème siècle (qu'a connu Martin, la ville étant alors fermée dans son enceinte) avait remplacé les deux autres (quand la ville était ouverte). Mais depuis la fin du Vème siècle, il n'y avait plus de pont... La construction d'un nouvel ouvrage par Eudes II de Blois, comte de Tours, fut donc un évènement, marquée par une charte solennelle ["Féodalités", Belin 2010]. + étude titrée " Le pont construit par le comte Eudes II de Blois en 1034-1037" par Henri Galinié [Ta&m 2007]. Nous ne disposons d'illustrations du pont qu'à partir du XVIème siècle et il est probable qu'il y ait eu plusieurs reconstructions suite aux terribles crues de la Loire. A cette époque il est en pierres et partiellement habité. + dossier 2004 "La Loire et Tours du XIIème au XVème siècle" par Hélène Noizet, Nathalie Carcaud, Manuel Garcin.


    1) Eudes II (avec Elie du Maine), gravure de Vernier et Lemaitre, 1845. 2) Aquarelle du XVIIème siècle [Bibliothèque Sainte Geneviève, Paris, Wikipédia]. 3) Dessin de Joël Tanter 1986 reprenant une gravure de Joris Hoefnagel, 1561. 4) Gravure LTh&m 1855. + gravure de Claes Jansz Visscher 1613 ou 1625 (+ vue avec recul) avec commentaire de Pierre Leveel [Leveel 1994] + quatre illustrations des ruines : 1 [Charles-Antoine Rougeot vers 1790, MBAT] 2 vers 1825 [A. Noël et Langlume] 3 [William Turner 1826] 4 [Oury - Pons 1977] + vue panoramique de Tours en 1630 avec le pont en premier plan, par Jacques-Auguste Regnier [Conseil Départemental d'Indre et Loire]. + planche de Guignolet 1984 sur Eudes II et son pont + restitution et + bastille du pont par Cossu-Delaunay 2020. Suites en Tours et l'eau 2/6, 3/6, 4/6, 5/6, 6/6.

    1180, sur le roman, édification d'une basilique gothique. En 1180, c'est pratiquement une nouvelle basilique, plus grande encore, qui remplace l'ancienne bâtie par Hervé et si nous l'appelons encore "basilique d'Hervé", c'est parce l'on reste sur le même emplacement, que certaines parties ont été conservées (notamment le tombeau) et que personne n'a associé son nom à ce passage du roman au gothique. Dans son livre "La basilique Saint-Martin de Tours" (C. L. D. 1986) , Charles Lelong souligne la ressemblance avec la cathédrale de Bourges construite une quinzaine d'années plus tard : "Depuis longtemps, on a relevé des parentés frappantes avec le chevet de la cathédrale de Bourges (1195-2014), avec la différence aisément explicable de chapelles plus grandes à Tours. Outre le plan d'ensemble, les piliers sont très révélateurs de cette filiation". + page "La reprise du XIIème siècle ["Les basiliques successives de Saint-Martin à Tours", expo 1984]. + deux schémas : 1 (plan géométral) 2 (comparaison avec les églises dites de pèlerinage) ["La basilique Saint-Martin de Tours", Charles Lelong 1986]. Jean-Louis Chalmel s'en souvient ainsi en 1807 : "Elle avait cinq nefs, un transept terminé par deux tours et un double déambulatoire autour de l'abside, avec cinq chapelles. On comptait à l'intérieur 110 mètres... du couchant au levant... 55 mètres d'une extrémité du transept à l'autre... le choeur, depuis le jubé jusqu'au sanctuaire, avait 22 mètres de longueur..." [SAT 1907]. + coupe dans la configuration actuelle des rues + quatre articles illustrés de Charles Lelong, 1973-1975 : 1 (le transept) 2 (la nef) 3 (le déambulatoire) 4 (la tour Saint Nicolas). On trouvera de la documentation complémentaire sur ces basiliques romane et gothique dans le chapitre sur les fouilles ci-après.



    1997 et 2015-2020, deux restitutions 3D de la basilique gothique. Depuis 2015, un projet de maquette 3D de la collégiale dans son environnement se développe, Renaissance Virtuelle Saint Martin, ReViSMartin (liens : 1 2 3) ). Le but à terme est, avec un casque de réalité virtuelle, de "se promener dans le passé du XVème siècle". Les deux illustrations ci-dessus et d'autres ci-dessous sont extraites de la vidéo 2020 (9 mn 18 s) + sept autres : 1. 2 3 4 5 6 7. La présence du cloître terminé en 1519 et celle de l'enceinte de 1360 remplacée vers 1600, ainsi que le bon état montrant que l'on est avant les dommages de 1562, datent cette maquette entre 1520 et 1562, disons 1550. On verra ci-après d'autres images de cette restitution. Une première reconstitution en trois dimensions avait été réalisée vers 1997 par l'atelier J.I.I.S.S.A. (Jonglerie Informatique, Images de Synthèse, Services en Architecture) : double page dans le colloque 1997 SAT, présentation de Sylvie Pinon. + autre restitution ci-après.

    La basilique gothique. A gauche en haut, coupe en 1779, d'après Casimir Chevalier (+ coupe Jacquemin complétée ReViSMartin). Les autres illustrations proviennent du projet ReViSMartin. En bas à droite, les tapisseries de la collégiales, présentes de 1460 à 1790, sont prises en compte dans la reconstitution du choeur + autre vue commentée.

    Que reste-t-il de la basilique Hervé ? De la collégiale romane du XIème siècle, il reste surtout le bas de la tour Charlemagne. De la collégiale gothique du XIIIème siècle, il reste les tours Charlemagne et de l'horloge (voir ci-après), un bout de mur situé en sous-sol de l'actuelle basilique (ci-après) et, probablement, deux grandes baies de vitraux (n° 4 et 8) installées dans la cathédrale Saint Gatien de Tours (ci-avant). De cette collégiale gothique remaniée de début du XVIème siècle, il reste le tombeau des enfants de Charles VIII, aussi dans la cathédrale (ci-après). Et il reste quelques éléments de sculpture dans le musée Saint Martin (ci-après) puis dans le sous-sol de la basilique (ci-après). Et aussi quelques pierres de tombeau, reliques...


    Au centre, le trésorier Hervé dans l'actuelle basilique Laloux. A gauche et à droite, deux vitraux de la baie n°8 de la cathédrale de Tours (sur le transport du corps de Martin de Candes à Tours), en provenance probable de la basilique gothique d'Hervé [photos flickr Philippe_28].



  31. Remous ecclésiastiques et nouvelle prospérité de Châteauneuf


    Tours est gouvernée par un prévôt aux ordres de la Maison Angevine. Les comtes d'Anjou sont devenus maîtres de la Touraine et marquent leur autorité par l'érection vers 1080 d'un château comtal (noté A en rouge) à côté de l'arrivée du pont d'Eudes. C'est la résidence du prévôt de Tours, qui a un rôle de gouverneur de la Touraine, au service de celui qui l'a désigné, le comte d'Anjou. Quand la pouvoir changera de main, un autre château sera édifié au même endroit, le château royal (noté B en rouge). Sur ces deux châteaux de Tours, voir ci-après. Les deux illustrations de gauche proviennent de Cossu-Delaunay 2020.
    Les remparts de Tours 3/5 : l'agrandissement de l'enceinte de la Cité au douzième siècle. La cité se trouve trop comprimée dans son enceinte gauloise, un agrandissement est effectué vers l'Ouest, du côté de Châteauneuf, englobant un faubourg des Arcis devenu dense. Il est représenté par la zone jaunie sur les deux vues de droite ci-dessus. La partie de remparts devenue inutile est détruite. Cela dégage de la place, notamment pour la cathédrale en construction. Les vitraux que nous connaissons, du début du XIIIème siècle vont bientôt être mis en place... Débuts en Remparts 1/5, 2/5, suites en 4/5 et 5/5.

    Un déclin du culte de Martin au milieu du XIème siècle. Les Tourangeaux vivent au rythme de la vénération du saint patron de leur cité. Charles Lelong, en son livre de 2000 "Martin de Tours, vie et gloire posthume" : "Si l'on en croit Fulbert de Chartres, la piété envers les saints les plus vénérés de la Gaule centrale (Martin, Denis, Hilaire) s'était singulièrement refroidie. On assiste à Tours à une "disette des miracles". Selon Raoul Glaber [985-1047], quand le trésorier Hervé "pria le seigneur d'accomplir quelque miracle par l'intermédiaire de saint Martin, le saint confesseur lui apparut et lui dit que les miracles que l'on a vus autrefois devront suffire. Encore au milieu du XIIème siècle, les chanoines se plaignent : "Il arrive rarement, dans nos temps qui deviennent de plus en plus mauvais que Dieu montre sa puissance et opère des miracles...". Ils en sont réduits à célébrer ceux qu'opèrent les reliques de saintes Fare et Agnès transportées à Tours."

    Bérenger de Tours, un intellectuel dérangeant. Né à Tours, nommé écolâtre du chapitre Saint Martin en 1030, Bérenger de Tours (998-1088) est un théologien, élève du prestigieux Fulbert de Chartres (960-1028). A la différence de son maître, il eut un enseignement très contesté par les évêques au point d'être considéré comme hérétique par plusieurs conciles. Son esprit d'indépendance faisait la part belle à la raison, comme en témoigne cette citation : "Sans doute, il faut se servir des autorités sacrées quand il y a lieu, quoiqu'on ne puisse nier, sans absurdité, ce fait évident, qu'il est infiniment supérieur de se servir de la raison pour découvrir la vérité". En cela, il est un précurseur de Pierre Abélard (1079-1142), qui défraya la chronique un demi-siècle plus tard. Il était un intellectuel de haut vol à une époque qui en compte peu, témoignage du rôle culturel de Châteauneuf. Ses propos sur la raison le placent même en précurseur de René Descartes (1596-1650), né et élevé dans le sud de la Touraine. A propos de Bérenger, on pourra aussi lire cette page du site Cosmovisions. + extrait du livre d'Hélène Noizet 2007 "La fabrique de la ville" (lien), sur Bérenger et sa fin de vie au prieuré Saint Cosme.


    Trois intellectuels ayant marqué leur époque : Fulbert de Chartres, Bérenger de Tours et Abélard de Paris, chacun avec un livre sous la main ou sous le coude [gravure du XIXème siècle, gravure de Hendrik Hondius l'Ancien 1602, Bibliothèque Sainte Geneviève Paris, Gravure de 1846 de Oleszezinski d'après un dessin de Guilleminot]. A droite, vitrail de la cathédrale de Chartres montrant Fulbert sur son lit de mort, qui désigne du doigt un démon, représentant l’hérésie, qui pousse Bérenger de sa fourche [lien]. Pierre Abélard, poussé par un autre démon, s'était épris d'Héloïse (1092-1164), orpheline étudiante puis abbesse du Paraclet (voir ci-avant).

    1072-1085 Raoul, un archevêque rejeté par le chapitre Saint Martin. Eugène Giraudet ("Histoire de la ville de Tours" 1873) : "Raoul venait d'être nommé évêque de Tours ; son élection vivement combattue apar les évêques suffrageants, fut dénoncée au Pape, comme entâchée de captation de suffrages ; on l'accusait de simonie réelle et d'un autre crime plus honteux encore. Le pape Alexandre II condamna l'évêque élu, sans même l'entendre, et lui interdit toute fonction de son ministère. Bientôt l'archevêque de Tours se rendit à Rome, vers le nouveau pontife, Grégoire VII [élu en 1073], qui l'accueillit avec bienveillance, leva l'interdit lancé contre lui par son prédécesseur et l'engagea à retourner dans sa ville épiscopale. Raoul reprit ses fonctions, à la grande joie des habitants ; seuls, les chanoines de Saint Martin renièrent son pouvoir, en l'accablant d'injures grossières."

    Le primat d'Aquitaine excommunie l'archevêque Raoul ! "Le comte d'Anjou, Foulques le Réchin, les Moines de Marmoutier et les évêques suffrageants appuyèrent de leur autorité la rébellion du Chapitre. De son côté, Amat, primat d'Aquitaine, excommunia l'Archevêque ; mais ayant vu les soins et l'affection dont le clergé séculier et le peuple l'entouraient, il changea de sentiment à son égard et finit par amener les suffrageants à partager sa manière de voir. Les chanoines de Saint Martin, plus tenaces, refusèrent de rendre les honneurs au primat d'Aquitaine ; il en porta plainte au concile d'Issoudun et obtint que l'anathème fût lancé contre eux. Vers le même temps une autre excommunication atteignit les Moines de Marmoutier qui avaient refusé d'admettre, dans leur église, l'Archevêque de Tours et son clergé."

    1096, le pape Urbain II se déplace à Tours et tente de régler le conflit. En 1088, le Français Urbain II succède au trône pontifical aux Italiens Grégoire VII et Victor III. A Tours l'Archevêque Raoul II a succédé à Raoul Ier dans le même état d'esprit que sont prédécesseur. Début mars 1096, Urbain II vient à Tours. Il prêche alors, depuis trois mois (appel de Clermont, 27 novembre 1095) la première croisade et vient consacrer le grand autel et l'abbatiale de Marmoutier (article de René Crozet "Le voyage d'Urbain II en France (1095-1096)" 1937). Eugène Giraudet montre qu'il traite aussi des affaires internes de l'archevêché de Tours : "Le 3 mars 1096, le pape Urbain II vint à Marmoutier pour terminer ces différends qui semblaient devoir se perpétuer entre les chanoines de la cathédrale et les moines de Marmoutier ; à cet effet, dit le moine anonyme, le dimanche 9 mars, Urbain, accompagné d'un grand nombre de cardinaux, d'archevêques et d'évêques, se rendit à une estrade préparée sur le rivage de la Loire et là, prononçant un discours en présence d'une foule immense, accourue de toutes parts, il mit en relief les vertus et la conduite des religieux, et condamna les procédés détestables de leurs adversaires, les chanoines de Saint Maurice [cathédrale de Tours]. Enfin, le pape, après avoir proclamé l'innocence des moines et anathématisé leurs ennemis, déclara que nul ne pourrait les excommunier. Quelques jours après, Urbain II décida par une bulle datée du 14 mars, qu'à l'avenir l'église Saint Martin ne reconnaîtrait pour chef direct que le souverain pontife, et le roi par son juge ordinaire ; il déclara, de plus, que les religieux ne devaient recevoir personne processionnellement, à l'exception du pape et du roi ; l'archevêque de Tours ne pouvant prétendre à ce droit qu'une seule fois dans sa vie. Cet ordre formel n'empêcha pas les archevêques de Tours de continuer à revendiquer leurs droits, pendant les siècles suivants, sur le chapitre Saint Martin." ... Nous verrons qu'ils finirent par obtenir satisfaction au XVIème siècle. + Lien vers le chapitre "Martinopolis" du livre d'Hélène Noizet 2007 "La fabrique de la ville" traitant des rapports entre le Chapitre et l'Archevêché, avant, pendant et après l'intervention d'Urbain II. Ajoutons qu'après le grand discours du pape à Marmoutier, plusieurs seigneurs s'engagèrent dans la Croisade en prenant la croix des mains du Pontife. Un concile se tint à Tours du 16 au 23 mars 1096. Le comte d'Anjou, Foulques le Réchin, malgré son ancienne excommunication, y reçut la rose d'or.


    Urbanus II voyageant et prêchant, miniature du "Roman de Godefroid de Bouillon" [XIVème siècle, BnF, Wikipédia] et vitrail Lobin de l'actuelle basilique.


    Mars 1096, Urbain II prêche la première croisade à Marmoutier [LTh&m 1855]. Il n'est pas venu à Tours pour régler des problèmes de chanoines mais dans le cadre de sa grande tournée médiatique pour déclencher une guerre sainte (notion initiée par saint Augustin, qui voulait la mort de Priscillien...). A droite, les grands du royaume, cessant leurs guerres intestines, s'inclinent. Les pauvres, las des famines et des épidémies, s'enflammeront aussi pour cette terre promise. Case de Milo Manara + deux planches [Histoire de France en bandes dessinées, Larousse 1977, textes de Jacques Bastian] : 1 2. + carte du voyage d'Urbain II en 1095-1096 mobilisant la chrétienté contre l'occupation des lieux saints par les Musulmans, disciples de Mahomet (570-632) ["Féodalités", Belin 2010]. A propos de croisades, remarquons qu'un comte d'Anjou et de Touraine, Foulques V, devint roi de Jérusalem en 1129/1131, ce qui n'eut guère d'effets sur la vie tourangelle.

    La fin du séjour à Tours de Urbain II fut funeste. Eugène Giraudet : "Urbain II, pendant son séjour à Tours, présida un synode, dans l'église Saint Martin, auquel assistèrent plus de cinquante évêques. Les annales ecclésiastiques sont muettes sur les décisions qu'on y adopta. Cette solennité était à peine terminée lorsque, par l'imprudence d'un clerc, un violent incendie se déclara dans la basilique récemment reconstruite et causa la ruine d'une partie de l'église et du cloître."

    De 1079 à 1118 une temporaire domination angevine. Dans un article de 1990 titré "La collégiale Saint-Martin de Tours est-elle demeurée une véritable enclave royale au XIème siècle ?", John Ottaway conclut en ces termes : "S'il n'existe aucun document pour prouver formellement qu'entre 987 et 1118 le roi n'est plus vraiment abbé dans le sens où il n'exerce aucun pouvoir, il n'existe pas plus de document attestant que le comte d'Anjou se considère comme détenteur légitime ou seulement reconnu de l'abbatiat... Toutefois, tout semble indiquer qu'il y a eu un glissement des pouvoirs abbatiaux aux mains des comtes d'Anjou à partir de 1044. On peut l'expliquer, non seulement par l'emprise de Tours, mais aussi par les relations entre le comte Geoffroy Martel et le roi Henri Ier. Le roi, soutenu par les Angevins lors de sa lutte contre les comtes de Blois, aurait récompensé Geoffroy en lui abandonnant l'ensemble des investitures à Tours, et en facilitant le mariage de sa belle-fille Agnès avec l'empereur Henri III. Mais la monnaie angevine de Tours reste le témoignage le plus parlant de la courte durée du pouvoir angevin, qui s'effrite assez rapidement à partir de la mort de Geoffroy Martel (1060) ; et c'est précisément dans la décennie suivante que la montée de la classe bourgeoise s'effectue à Châteauneuf. Ce serait seulement vers 1092 au plus tôt et 1118 au plus tard que, soit Philippe Ier (date de son mariage avec Bertrade), soit Louis VI, aurait tenté de récupérer les anciens droits de leur lignée, qui avaient été aliénés. Tandis que la mainmise des Angevins est, en quelque sorte, annoncée par la violation du cloître de Saint-Martin par le comte Foulques Nerra en 996, la récupération capétienne n'entre pas moins dans la catégorie d'une auto-restitution de droits. L'exemple de Saint-Martin de Tours souligne ainsi une des caractéristiques du premier âge féodal : la possibilité d'un décalage important entre un état de droit et un état de fait."

    1079-1217 une ville en fort développement Ce nouvel édifice relance l'activité de la ville. Bernard Chevalier, en son livre "Tours ville royale 1356-1520" (CLD 1983) écrit que "ce qui nous permet le mieux de suivre cette progression du peuplement, c'est la création au cours des siècles des quinze paroisses que compte la ville au XIVème siècle. Trois sont sûrement très anciennes bien que l'on ne puisse préciser la date de leur érection, onze apparaissent en moins de 150 ans, au XIVème siècle, de 1079 à 1217, et la dernière, un simple autel dans une collégiale, au XIVème siècle. Il y en a neuf autour de Saint Martin, quatre auprès de la Cité, mais deux seulement au centre. Là, en effet, la population est moins dense et le terrain vague abondant ; c'est pourquoi les ordres mendiants n'eurent pas de peine à y loger leurs couvents entourés de très beaux enclos.".

    Parallèlement, le culte des saints en général et de Martin en particulier connaît "un essor remarquable dans toute la chrétienté, sous l'effet de l'expansion du monachisme bénédictin et du mouvement de la "paix de Dieu" qui favorise le développement des pèlerinages et du culte des reliques. L'une des manifestations de cet essor est la multiplication des libelli, ces petits recueils renfermant des récits biographiques et divers écrits relatifs à un saint local" [Marek Walczak, Catalogue 2016].


    Le tombeau au centre de Châteauneuf. De 1014 à 1360, la basilique d'Hervé se trouve au centre de l'enceinte de Châteauneuf / Martinopole [Ta&m 2007]. A gauche le tombeau de Martin, premier lieu d'attraction de la basilique, selon une gravure de 1516 ["La vie et miracles de Mgr saint Martin", BmT]. A droite, miracle de "la jeune fille de Lisieux" devant le tombeau [broderie du Musée de Cluny à Paris, d'après un tableau de Barthélémy d'Eyck du XVème siècle, lien].

    1122, violent conflit entre bourgeois et chanoines de Châteauneuf. Eugène Giraudet : "Les habitants de Châteauneuf cherchèrent à secouer le joug tyrannique du Chapitre de Saint Martin, ils devancèrent les habitants de la vieille ville dans la conquête de leurs libertés communales. Dès le commencement du XIIème siècle, les luttes éclatèrent et, malgré les menaces d'excommunication, les habitants formèrent en 1122, une sorte de magistrature locale, indépendante, composée de dix jurés choisis par eux et dans leurs rangs, qui prirent la direction de leurs intérêts. Aussitôt la guerre fut déclarée entre les chanoines et les bourgeois de Châteauneuf ; ceux-ci, les armes à la main, soutinrent énergiquement leur cause ; pendant la mêlée, un incendie allumé par les combattants détruisit l'église de Saint Martin et occasionna des dégâts considérables dans la ville. Le calme se rétablit de part et d'autre, pendant quelques années seulement ; mais à dater de ce moment, les bourgeois et les chanoines vécurent en hostilités continuelles."

    Un renouveau du culte de Martin aux XIIème et XIIIème siècles : "Le pèlerinage n'est pas mort malgré la concurrence de ceux de Compostelle ou de Terre Sainte. [...] On voit divers établissements envoyer à Tours des quêteurs pour relever leurs églises : les religieuses de Sainte Fare, l'abbé de Sainte Ouverte d'Orléans ; c'est donc qu'il s'y produisait encore un concours de peuple considérable. De grands personnages s'y rendent : Suger, peu avant sa mort, le cardinal de Pavie, Adalbert de Prague, chassé de son diocèse et qui vient à pied depuis Mayence. A l'occasion, les papes se rendent à la basilique et à Marmoutier : Urbain II en 1096, Pascal II en 1107 [vitrail Lobin de la basilique], Calixte II en 1119, Innocent II en 1130 [vitrail Lobin de la basilique],, Alexandre III en 1163 [vitrail Lobin de la basilique],. Le roi de France Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion prennent à Saint Martin le bâton de pèlerin avant de partir pour la croisade. Saint Louis y sera reçu en 1227, 1261, 1270 et, à sa mort, recommandera à son fils le culte de saint Martin" Lelong cite aussi des recueils de miracles, des poèmes, des récits légendaires, une généalogie fantastique. "C'est l'époque de nombreuses figurations martiniennes dans la miniature, le vitrail, la sculpture : qu'il suffise de citer le portail de la façade sud de Chartres vers 1220, celui de l'abbaye de Marmoutier peu après ou le cénotaphe de Dagobert à Saint-Denis vers 1263."

    1162, Tours éphémère résidence papale. Eugène Giraudet : "En 1162, le pape Alexandre III, persécuté par Frédéric Barberousse, chercha un refuge à Tours ; il y fit une entrée solennelle, le jour de la saint Michel. Pendant son séjour, qui dura plusieurs mois, un concile général, tenu dans l'église cathédrale, amena une affluence considérable d'ecclésiastiques. 17 cardinaux, 124 évêques, 414 abbés et un plus grand nombre encore de prêtres, accoururent de tous les pays ; ce qui valut à Tours le surnom de "seconde Rome"." (il s'agit de la réutilisation d'un surnom, déjà signalé, utilisé plusieurs siècles auparavant en quelques autres circonstances). "La cherté des vivres et des loyers devint si grande que le roi Louis VII, informé du prix excessif de toutes choses, rendit une ordonnance afin que les loyers les plus chers ne s'élevassent pas à plus de 6 livres ; cette somme devait en même temps servir de base pour fixer approximativement les prix des autres objets.".


    A gauche, une tête sculptée de la basilique romane de Saint Martin, datée de 1035-1040 (+ article de Charles Lelong 1988). A droite, trois sculptures de la façade de l'abbaye de Marmoutier vers 1220-1230 retrouvées à l'occasion les fouilles archéologiques effectuées par Charles Lelong. Le personnage de gauche pourrait être un élu, celui de droite un diacre. Il y en avait probablement de semblables dans la basilique gothique de Saint Martin élevée quelques années plus tôt [illustrations Catalogue 2016]. + autres photos de têtes sculptées trouvées à Marmoutier [Lelong 1989] : 1 (un évêque) 2 (un élu, un diacre, un moine et une élue) 3 (deux clercs) 4 (un démon, une damnée, un moine damné) + dessins de têtes du XIIIème siècle dans la cathédrale de Tours [LTh&m 1855].


    A gauche le concile de Tours en septembre 1162 [LTa&m 1845]. A droite, en 1177, le pape Alexandre III et l'empereur romain germanique Barberousse se rencontrent à Ancône pour signer la paix de Venise [Girolamo Gamberato (1550-1628), Palais ducal de Venise]. On peut imaginer un apparat semblable autour d'Alexandre III à Tours.

    La magnificence des Tourangeaux et Tourangelles. Probablement au début de la seconde moitié du XIIème siècle, Jean, moine de Marmoutier dépeint le paysage urbain tourangeau d'une plume flatteuse, rapportée par Christiane Deluz dans le bulletin 1995 de la SAT : "A la ville de Tours, la proximité de Châteauneuf apporte beaucoup. Ses citoyens sont illustres et s'avancent vêtus de pourpre et parés d'or, d'argent, de vair et de petit-gris et de toutes la richesse de la gloire du monde... Leurs maisons, presque toutes pourvues de tours, munies de défenses s'élèvent vers le ciel. La richesse de mets variés orne continuellement leur table... Joyeux et magnificents, hospitaliers, ils rendent honneur à Dieu et aux pauvres. Ils ont construit pour leur patron, le bienheureux Martin, et pour les autres saints des églises avec un magnifique appareil et des voûtes... Nous tenons les Tourangeaux pour des hommes d'une fidélité à toute épreuve, modestes, affables, érudits dans les lettres, sûrs de parole, persévérants dans le travail, bienveillants mais très durs envers leurs ennemis, forts aux armes, réputés pour leur ardeur au combat et aux travaux guerriers, sans jactance dans la prospérité ni abattement dans l'adversité... Quant aux femmes, il me faut avouer la vérité, leur beauté est si grande et si grand le nombre de belles que cela paraît à peine croyable. En vérité, comparées à elles, toutes les autres paraissent laides. Leur beauté est ornée et en quelque sorte rehaussée par leurs vêtements précieux. En les regardant, les yeux sont ravis et la chair frémit, agitée par la passion." On est rassuré par la conclusion de ce brave moine Jean, qui paraît si éloigné de Martin : "Mais pour que tant de biens de la nature, une oeuvre aussi parfaite, ne soient pas gâtés par le vice, elles enferment le trésor de leur beauté dans l'amour de la chasteté, comme une rose revêtue d'un lis."


    Commune de Tours 1/5 : 1181, les bourgeois de Châteauneuf jurent de maintenir la commune [LTh&m 1855] + extrait "La communauté d’habitants en 1181" du chapitre "Les révoltes des bourgeois de Châteauneuf (1164-1185)" de "La fabrique de la ville", Hélène Noizet 2007. La première ville du royaume à bénéficier d'institutions communales est Le Mans en 1070. Suites en Commune 2/5 3/5 4/5 5/5.

    La dépravation du clergé. En son "Histoire de la ville de Tours" de 1873, Eugène Giraudet cite le même passage à la gloire des Tourangeaux en ajoutant : "Les écrivains du XIIIème siècle nous ont transmis un tout autre tableau des moeurs de leur temps, qui marqua, pour le catholicisme et pour l'état social du Moyen-âge, le point culminant après lequel il ne restait plus qu'à descendre. La conduite du clergé était loin d'être édifiante ; car au milieu des abus sans nombre introduits dans les moeurs ecclésiastiques, la discipline avait fini par disparaître. Les savants auteurs de "L'histoire littéraire de la France" attribuent cet abrutissement moral à l'ignorance profonde des prêtres, dont la plupart savaient à peine lire, aux habitudes vicieuses des écoles et aux longs voyages des croisés. Cette dépravation générale, qui nous est encore démontrée par les nombreuses ordonnances de saint Louis, donna lieu à des pratiques ou cérémonies extravagantes et scandaleuses, telles que la fête des Fous, des Innocents et des Anes. [...] Oubliant les principes du Christianisme, les moines de St Martin, de St Venant, de Marmoutier, de St Julien etc. se prêtaient aux moeurs de leur temps ; ils avaient des serfs comme des laïques, achetaient des propriétés foncières ou des rentes et recevaient en donation des hommes ou des femmes au même titre que des bestiaux. L'abbaye de Marmoutier et celle de Saint Martin possédaient plus de terres que les hauts barons du royaume et avaient plus de richesses en or et en pierreries que ne valaient les terres du roi. Il est curieux de remarquer que ce sont les abbayes qui ont maintenu en servitude les derniers serfs de la Touraine (1294)."


    Fête des fous, gravure de Pieter Van der Heyden, en 1559, d'après Peter Brueghel.
    + miniature représentant deux scènes de charivari [début XIVème siècle, Maître du Roman de Fauvel].



  32. De l'occupation anglaise des Plantagenêts à la reconquête de Philippe-Auguste


    Le majestueux prélat que Martin n'a jamais été. On a déjà vu qu'à son époque la mitre et la crosse n'existaient pas (ci-avant), on a surtout vu que Martin vivait comme un moine ascétique (cf ci-avant l'image de l'acteur du téléfilm d'Arte 2016) , critiqué par ses collègues évêques pour ses tenues misérables indignes d'un évêque. Alors comment se fait-il qu'il soit souvent représenté dans des habits luxueux, avec des pierres précieuses et des insignes dorés ? Dans son livre Verrière 2018, Jacques Verrière tente une explication. Serait-ce à partir des révoltes albigeoises (1209-1229) pour lutter contre la simplicité et l'ascétisme des hérétiques trop proches de Martin ? La première illustration qui suit, montrerait que cette tendance très généralisée serait antérieure. 1) Pontifical à l'usage de Mayence, avant l'an mille, l'archevêque de Mayence en prière devant Martin [BnF, Maupoix 2018] + miniature d'un sacramentaire du Mont Saint Michel vers 1065 [New York, The Pierpont Morgan Library, lien]. 2) Vitrail de la cathédrale de Chartres, XIIIème siècle (Martin ressuscite un enfant). 3) statue de l'église de Marmagne en Saône et Loire [flickr Odile Cognard] 4) Vitrail de l'église de Thilouze, atelier Lobin 1872 [Verrière 2018] 5) tableau d'origine tourangelle de la cathédrale de Tours, chapelle Saint Michel (Martin prêchant à Marmoutier) [Maupoix 2018]. 6) Statue de l'église de Saint Martin d'Aoste en Italie [Semur 2015].
    Vitraux en majesté, en voici dix-sept : 1 [église St Martin d'Arc en Barrois en Lorraine] 2 [Lerné en Touraine, lien] 3 [Julien Fournier 1882, Hommes en Touraine, lien] 4 [Saint Epain en Touraine, lien]. 5 [Bournan en Touraine, atelier des frères Guérithault, Poitiers, 1868, lien]. 6 [Ferenc Storno, Lorincz 2001] 7 [abbaye d'Ampleforth en Angleterre, flickr Lawrence OP] 8 [Geoffrey Webb 1947, église de Somerford Keynes, flickr Rex Harris] 9 [cathédrale Notre Dame de Paris, flickr Lawrence OP] 10 [séminaire Sainte Marie de Baltimore aux USA, Fr James Bradley] 11 [par Anglade 1875, en l'église de Monclar d'Agenais, lien] 12 [J. Dudley Forsyth 1923, église de Chertsey en Angleterre, flickr Robin Croft] 13 [Lucien-Léopold Lobin 1864, église d'Ingrandes de Touraine, lien] 14 [cathédrale du Sacré-Coeur dans l'île de Saint Pierre et Miquelon, lien] 15 Martin devient érudit [Clayton and Bell 1862, église de Scarborough en Angleterre, flickr Budby] 16 [église de Long Melford en Angleterre, flickr Robin Croft] 17 [Christopher Whall, cathédrale St Martin de Leicester, flickr Aidan McRae Thomson].
    Tableaux en majesté. Deux tableaux : 1 de l'église de Montredon des Corbières dans l'Aude (lien) 2 église St Martin de Dinsac dans le Limousin [Collectif 2019]. En une sorte d'apothéose dans la magnificence des cours d'Europe, un tableau de Johann Nepomuk Höchle, "Le couronnement de Caroline Auguste de Bavière", début du XIXème [Musée des Beaux-Arts de Budapest, Lorincz 2001].
    Statues en majesté, en voici huit : 1 [Lerné 1935, lien] 2 [La Chapelle Blanche Saint Martin en Touraine, lien] 3 [Céré la Ronde en Touraine, lien 4 [Rospigliani en Haute Corse, Pierre Bona 2017, lien] 5 Le Maître de Wald vers 1500 [église St Martin de Kaufbeuren en Allemagne, Lorincz 2001] 6 Anonyme hongrois du XVIIème siècle [église de Gösfa en Hongrie, Lorincz 2001] 7 [cathédrale de Gurk en Autriche, flickr bzmch] 8 [église de Saint Louis aux USA, flickr Wampa-One]. + autel de l'église St Martin de Szombathely [Anonyme hongrois du XVIIème siècle, Lorincz 2001]. Il arrive que ce soit le partage du manteau qui ait une allure luxeuse commme cet ensemble sculpté de l'église de Graz en Autriche [flickr Josef Lex + zoom arrière].
    Associé au partage du manteau, l'évêque perd de sa superbe, comme sur ce vitrail de Paul Monnier [1946, église de Vollèges en Suisse [flickr Jean-Louis Pitteloud]. Et sur ce tableau de Giosuè Carducci un ange évoque le devenir du soldat partageur (lien). Inversement, l'évêque est reconnu comme étant Martin lorsqu'il est associé aux armes d'un soldat, comme sur ce tableau de Giuseppe Menegoni [1814, lien].

    En 1151, Henri II Plantagenêt hérite du comté d'Anjou auquel est rattaché la Touraine. Un an plus tard, à Poitiers, il se marie avec Aliénor d'Aquitaine, duchesse d'Aquitaine, ancienne reine de France séparée de son époux Louis VII. En 1154, Henri II devient roi d'Angleterre. La Touraine n'est désormais plus directement dépendante du royaume de France, elle est anglaise, dans un vaste royaume qui s'étend de l'Ecosse au Pays Basque. Jusqu'en 1205, durant 54 ans. Chinon fut une de leur résidence favorite. Pierre Leveel dans "Histoire de la Touraine" [CLD 1988] : "Les grands travaux d'Henri Plantagenêt en Touraine furent ordonnés dans la première moitié de son règne, période pendant laquelle il fit preuve de pondération, malgré des sautes d'humeur et quelques terribles colères. A Chinon, il fit terminer le pont sur la Vienne [...] A Tours, Henri se montra prudent, parce que le sanctuaire martinien était sous la protection directe, et assez vigilante, du roi de France [Philippe Auguste s'y rendit en 1180] Par contre, il est sûr qu'en tant que comte de Touraine, il voulut renforcer son emprise sur le château de Tours". Il élargit aussi, après 1150, les limites de la Cité, en élevant des remparts plus à l'ouest (zone 1 sur ce plan de Guignolet 1984).


    L'empire plantagenêt vers 1190. et le royaume de France à l'avènement de Philippe Auguste en 1180 et à sa mort en 1223 (lien).

    Un prince éclairé. Histoire de la ville de Tours" (1873) : "Henri II (13ème comte héréditaire de Tours), fils de Geoffroy le Bel, peut être regardé comme un bienfaiteur plutôt que comme un despote, car personne, comte, duc ou roi, n'a rendu de plus éminents services et n'a mérité plus de droits à la reconnaissance d'un peuple que ce prince. Sous son pouvoir, une administration régulière s'occupa activement d'agrandir la vieille ville en lui incorporant, dans une enceinte fortifiée, plusieurs bourgs voisins, tels que ceux de la Trésorerie et des Amandiers. Henri II protégea le pays contre les vexations et les brigandages des gens de guerre. Il créa des routes, bâtit les ponts de Saint Sauveur, de Saint Côme, de Pont-Cher, fonda plusieurs abbayes, construisit et répara les églises, fit des dons très considérables aux hôpitaux. En 1176, une disette ayant affligé la ville et ses environs, Henri II distribua pendant trois mois les subsistances nécessaires à plus de dix mille personnes."


    A Chinon, la chapelle de la reine martinienne Radegonde, bru de Clovis, recèle une fresque exceptionnelle, découverte en 1964, montrant la famille royale Plantagenêt à la chasse. Elle date de la fin du XIIème ou début du XIIIème siècle. Henri II est certainement en tête, suivi possiblement de sa fille Jeanne, de son épouse Aliénor et de ses fils Richard Coeur de Lyon, tenant un faucon, et Jean sans terre [lien vers une étude du site "Les portes du temps" avec cette remarque de Michel Garcia : "la peinture murale décrit délibérément l'instant dramatique où la reine prend congé de ses terres et de ses enfants, et souligne l'affection et l'admiration que ces derniers lui vouent"]. + analyse de Florian Mazel ["Féodalités", Belin 2010].


    Henri et Alienor, de la tendre danse des amoureux, sous la galanterie de l'amour courtois (très prisé à la cour d'Aliénor, liens :1, 2), à la violente scène de ménage [illustration de Maurice Pouzet, dans le livre "Henri II Plantagenêt" (1976) et case du volume 6 de la bande dessinée "Aliénor, la légende noire", présentée ci-dessous] + la demi-planche


    Aliénor et Poitiers Vitrail d'Auguste Steinhel 1879 dans l'hôtel de ville de Poitiers (liens : 1 2 3). Aliénor d'Aquitaine s'est mariée avec Henri en 1152 à Poitiers et, là, en 1199, elle confirme devant les échevins la charte de la commune. + zoom arrière du vitrail [ph. Augustin Audouin].

    Comme l'indique Giraudet, oubliant la reine qui prit une part active au gouvernement, le couple Henri - Aliénor fut d'abord efficace et apprécié. Progressivement, avec l'usure du pouvoir, le départ, la brouille, le conflit et la mort d'un conseiller précieux, Thomas Becket, l'arrivée d'une maîtresse, Rosemonde Clifford, et les dissensions entre leurs enfants, les époux se déchirèrent. Soutenus par la mère, les enfants se rebellent contre le père, qui se réconcilie avec eux et emprisonne Aliénor. Tout cela affaiblit le royaume anglais et permet au jeune roi de France Philippe Auguste d'entreprendre une reconquête qui sera victorieuse. Henri II, finalement vaincu par ses fils, meurt à Chinon en 1189, Richard Ier Coeur de Lion lui succède jusqu'en 1199, puis Jean sans Terre, alors qu'Aliénor, ayant retrouvé un rôle politique important, meurt en 1204.


    Thomas Becket, archevêque de Canterbury, béni par Martin, première version en une enluminure de psautier allemand vers 1225 [New York, The Pierpont Morgan Library, lien], deuxième version en un tableau du Pérugin vers 1498 [lien].
    Un Ecossais en Touraine : Avertin. A droite Aberdeen, ermite originaire d'Ecosse devenu secrétaire de Thomas Becket qu'il avait accompagné au concile de Tours en 1163 quand celui-ci reçut le pallium de la main du pape Alexandre III. Après le trouble assassinat de son archevêque en 1170, il revint à Tours et s'installa à côté, à Vençay, où on vint le consulter pour des migraines et autres afflictions. Son culte se développa ensuite dans tout l'Ouest de la France. Son nom a été francisé en Avertin (ou Ibertin, Iverzin...), Vençay est devenu Saint Avertin [détail d'un vitrail de l'église St Pierre de Saint Avertin, au dessus des représentations de la vierge à l'enfant, Blanche de Castille et saint Louis, lien]. Il est souvent représenté se tenant la tête comme sur cette statuette [musée Flaubert de Rouen, lien] ou cette autre statuette d'origine indéterminée. Curiosité : Aberdeen est le nom de la troisième ville d'Ecosse, il s'y trouve une église Ste Margaret avec un vitrail de Martin [flick1 johnevigar].


    L'entrevue de Fréteval. Le 22 juillet 1170, près du château de Fréteval dans le Vendômois, se tient la rencontre des deux époux d'Aliénor d'Aquitaine, Henri II roi d'Angleterre et Louis VII roi de France, en présence de Thomas Becket, archevêque représentant le pape, alors fâché avec Henri et exilé en France [atelier Louis Gouffault d'Orléans 1933, église de Fréteval]. Cette entrevue, en un lieu ensuite nommé "le pré aux traitres", se termine sans le "baiser de la paix", engagement suprême à l'époque.Thomas Becket sera assassiné quelques mois plus tard, le 29 décembre 1170. + article 2013 La NR. + page Nhuan DoDuc de vitraux sur Thomas sanctifié.


    1189 : la Touraine dernier champ de bataille d'Henri II Plantagenêt. Ci-dessus, juste après la prise de Tours, près de Ballan (à 15 km au sud-ouest de Tours) + planche [sixième et dernier tome de "Aliénor, la légende noire" dans la série "Les reines de sang", scénario de Arnaud Delalande et Simona Mogavino, dessin de Carlos Gomez, Delcourt 2017].

    Peu après, suite à leur victoire à la bataille d'Azay le Rideau, entre Tours et Chinon, résidence royale, Richard Coeur de Lion, fils du vaincu, et Philippe Auguste se congratulent devant, probablement, le clergé de Tours + planche [Histoire de France en bande dessinée, texte Pierre Castex, dessin Raphaël Marcello, Larousse 1979]


    1190 : dans la cathédrale de Tours, Richard Coeur de Lion prend le bourdon et l'écharpe avant de partir en croisade [LTa&m 1845]. A la même époque, un chevalier pèlerin, parmi d'autres, a pris le bourdon dans la basilique avant de partir en Palestine, Jean de Brienne. Il devint roi de Jérusalem puis empereur latin de Constantinople. + gravure LTh&m 1855.

    A Tours, Richard Coeur de Lion s'engage dans la troisième croisade. Après la mort du roi Henri le 6 juillet 1189 après 34 ans et 8 mois de règne, Philippe Auguste, fils de Louis VII, roi de France depuis 1179, et son vassal le nouveau roi d'Angleterre Richard Ier Coeur de Lion s'entendent pour un statu-quo en Touraine, la prise de Tours par le roi de France perd son effet, Tours et sa basilique retournent du côté anglais. Pour treize années durant lesquelles tous deux partent en croisade, Richard se décidant en la cathédrale de Tours. Pierre Leveel : "L'archevêque lui impose le bourdon et l'écharpe, insignes de son pèlerinage vers Jérusalem ; ce prélat, Barthélemy de Vendôme, avait présidé aux obsèques d'Henri de Plantagenêt en l'abbatiale de Fontevraud [à côté de Candes] ; il était conseiller de la famille royale anglo-angevine". Richard part alors trois ans dans la troisième croisade puis passe deux années en captivité, sa mère Aliénor d'Aquitaine rassemblant péniblement une forte rançon. A son retour, Richard reprend les choses en main, bat Philippe Auguste à la bataille de Fréteval dans le Perche (aujourd'hui Loir et Cher) et lui reprend Loches. Il le bat à nouveau en 1198 et meurt soudainement en 1199, atteint par une flèche d'arbalète au siège de Châlus dans le Limousin. Son frère Jean sans Terre lui succède.


    Fontevraud à deux pas de Candes. L'abbaye de Fontevraud, est située sur la commune de Fontevraud l'abbaye, limitrophe de celle de Candes Saint Martin. En venant de Candes à pied, en traversant les bois, on débouche sur le côté nord de l'abbaye avec un point de vue parfait (photo de gauche). En 1154 Henri et Aliénor confièrent leurs enfants Jeanne et Jean à cette abbaye, qui régulièrement bénéficia de leurs largesses. En 1189, Henri y est enterré pour être décédé non loin, à Chinon. Aliénor en fait ensuite la nécropole familiale. On y trouve les gisants de Henri et Aliénor (photo de droite), de leur fils Richard Coeur de Lion et de leur bru Isabelle d'Angoulême (épouse de Jean sans Terre) + photo des quatre gisants. + vue du sud de l'abbaye par Louis Boudan 1699 + vue du nord un peu postérieure (lien).
    Héloïse et sa mère, traits d'union entre Le Paraclet et Fontevraud L'abbaye mixte de Fontevraud, dirigée par une abbesse, fut créée vers 1100 par Robert d'Arbrissel (1047-1117) et Hersende de Champigné (1060-1114), dame de Montsoreau (bourg jouxtant celui de Candes), qui se révèle être la mère d'Héloïse (1092-1164), épouse d'Abélard (1079-1142) et première abbesse de l'abbaye du Paraclet (voir page voisine). Comme indiqué dans cet article de Constant Mews 2007, il y a des interactions entre Abélard, les chanoines de Saint Martin, ceux de Fontevraud et Robert d'Arbrissel. + page sur ce dernier.

    Incendies et dégradations dans Châteauneuf.... Une page du site France Balade raconte la suite : "En 1202, Tours est contrôlé par Arthur [neveu de Henri II] qui est en conflit avec Jean sans Terre. Arthur va faire le siège de Mirebeau en Poitou, mais il est surpris, le 30 juillet, par une armée conduite par Jean sans Terre et Guillaume des Roches et il est fait prisonnier. Arthur est assassiné à Rouen en avril 1203. Jean sans Terre est condamné par la Cour des Pairs du royaume de France qui prononce la confiscation de ses biens. Dès mars 1203 Guillaume des Roches a rallié le roi de France Philippe II Auguste avec la plupart des seigneurs Angevins et Poitevins. Le Lieutenant de Jean sans Terre à Tours, Hamelin de Roorte, s'enfuit de la ville. Pendant l'été et l'automne 1203, la ville change de mains à plusieurs reprises, contrôlée par les partisans de Jean sans Terre ou ceux de Philippe Auguste, Guillaume des Roches et Sulpice III d'Amboise. Les deux parties de la ville, la Cité et Châteauneuf subissent incendies et déprédations. Pendant ce temps Philippe II Auguste s'empare de Saumur et de Loudun puis il établit une solide garnison à Tours."

    Puis : "La chute de Château-Gaillard en mars 1204 décante la situation, la Normandie est désormais contrôlée par le roi de France qui peut alors se consacrer à la Touraine, l'Anjou et le Poitou. L'armée de Philippe II Auguste est conduite par Guillaume des Roches et Aimery VII de Thouars. Philippe Auguste et ces deux chefs doivent mettre le siège des places de Loches et Chinon qui sont défendues respectivement par Girard d'Athée et Robert de Turneham. Seul le fort avancé du château de Chinon est conquis à la fin de 1204. Pendant l'hiver Guillaume des Roches reste devant le château de Chinon tandis que Dreux de Mello poursuit le siège de Loches. Philippe Auguste revient en Touraine au printemps de 1205 pour assister à la prise de Loches puis à celle du château de Chinon qui est alors défendu par Hubert du Bourg. La conquête de la Touraine entière est alors consommée. Jean sans Terre renonce à cette province lors de la trêve du 26 octobre 1206, il renonce également à la Normandie, la Bretagne, l'Anjou et le Maine". C'est progressivement de 1190 à 1204 que Philippe Auguste est passé du statut de roi des Francs (rex Francorum) à celui de roi de France (rex Franciae), ce que l'on peut considérer comme la naissance de la France.


    1203 : la prise de Tours par Philippe Auguste (porte sud-ouest, la garnison anglaise est vaincue "Saint Simple"), miniature de 1460 du Tourangeau Jean Fouquet. C'est la plus ancienne représentation connue de la basilique + analyse par Henri Galinié dans Ta&m 2007 ["Grandes chroniques de France" 1460, BnF]. Remarque : on ne sait pas si cette scène est celle de la prise de la ville en 1189 ou en 1203. Pour Pierre Leveel, dans son "Histoire de la Touraine" de 1988, "il s'agit plutôt de l'entrée du dauphin Charles, futur Charles VII, après la reddition de 1418". L'escalade des remparts avec des échelles montre que la prise n'a pas été facile, ce qui correspondrait à 1203...

    Attardons-nous sur la reprise de Tours en 1203, racontée par Pierre Leveel en 1988 : "Philippe-Auguste vint attaquer Tours vers l'assomption 1203, et, après plusieurs jours de combat où le château subit de grands dommages, le capitaine Brindinellis Cottereau fit sa reddition ; Il fut remplacé au nom du roi de France par Geoffroy des Roches. mais la garnison capétienne eut, après le départ de Philippe pour la Normandie, à subir l'assaut de Jean sans Terre, qui s'empara de la place dès le 1er septembre 1203, et lui donna pour capitaine gouverneur le célèbre Girard d'Athée, probablement seigneur d'Athée sur Cher. Celui-ci confia la garde du château de Tours à Guillaume le Batillé son meilleur lieutenant, qui fit remettre en état l'appareil défensif. La conquête des places tourangelles par Philippe-Auguste demanda encore deux ans d'efforts." Tours retourna dans le royaume de France sans nouveau combat en 1205, après les prises de Loches et Chinon. Girard d'Athée fut le dernier seigneur tourangeau à défendre la cause des Plantagenêts. Fait prisonnier au siège de Loches, il obtint sa libération par paiement d'une rançon, gagna l'Angleterre avec sa famille et fut le gouverneur des châteaux de Gloucester et de Bristol. Selon Pierre Leveel, il apparaît qu'à Tours les batailles se concentrèrent sur le château de Tours, au centre, davantage que sur les remparts de Châteauneuf, à l'Ouest, et de la Cité, à l'Est. [LTh&m 1855]


    Solides soutiens du roi : les chevaliers bannerets de Touraine. Les chevaliers bannerets apparaissent sous Philippe Auguste. Ce titre permettait aux chefs d'armées de regrouper leurs troupes sous leurs bannières et armoiries. Dans la première promotion des "bannerets" nommés par Philippe Auguste en 1213, les seigneurs de Touraine sont nombreux : Sulpice III d'Amboise, Pierre II Savary (seigneur de Montbazon et Colombiers (Villandry)), Guillaume III de Pressigny [de Sainte-Maure], Barthélemy de Bossay [de Grillemont], Barthélemy II de l'Isle Bouchard, Josselin de Champigny [de Blou], Jean d'Alluyes (seigneur de Chateau la Vallière), Robert de Pernay, Robert de RocheCorbon [de Brenne], Hugues de La Haye, Hugues de Fontaines (seigneur de Rouziers), Eschivard II Baron de Preuilly ("premier baron de Touraine"), Guillaume et Herbert Turpin de Semblancay, Pierre Achard de Pommiers (près Chinon), Le seigneur de Saint Michel sur Loire, Hugues Ridel seigneur d'Azay (le Rideau), Guillaume seigneur d'Azay sur Cher, Dreux de Mello, Gouverneur de Loches, Josselin II de Champchevrier. + combat lors d'un tournoi entre chevaliers + armoiries des chevaliers bannerets [LTh&m 1855]. + cinq images de chevaliers bannerets : 1 (lien, variante) 2 [Félix Emmanuel Philippoteaux] 3 4 5.



  33. A Châteauneuf, les bourgeois sous la coupe du clergé de la basilique

    Misère et renouveau en la ville de Châteauneuf. En son livre de 1986 sur "La basilique Saint Martin de Tours", Charles Lelong estime qu'elle "échappa aux incendies qui ravagèrent Châteauneuf en 1188 et aussi en 1202 [...] A la suite de combats acharnés entre anglais et Philippe-Auguste, "la ville de Tours, cette cité si célèbre, si riche et si peuplée, était réduite à un tel degré d'infortune que l'on n'y rencontrait plus que misère et douleur" [citation d'une lettre adressée en 1222 par le chapitre de la cathédrale à l'évêque de Rennes]. Tout spécialement, le chapitre de Saint-Martin et les bourgeois de Châteauneuf avaient payé très cher leur fidélité au roi de France. [...] mais il est vrai que la Collégiale, tout en se débattant avec de graves difficultés financières, s'est relevée assez rapidement. Philippe-Auguste, comme ses prédécesseurs, accordait grand prix à Saint-Martin, nomma son fils naturel Pierre Charlot comme trésorier (1217-1231) ; lui succédèrent Archambaud, peut-être de la famille des Bourbons, puis Philippe de Castille, fils de Ferdinand III, roi de Castille et de Léon ; en 1215, la collégiale se fit octroyer certains des biens confisqués aux fidèles des Plantagenêts. Donc de grands personnages, de puissantes relations et des ressources renouvelées."


    A gauche, Philippe Auguste en 1180, à droite Charles IV le Bel en 1323 en la basilique (lors de la translation des reliques).
    La livre tournois, monnaie tourangelle du royaume de France. Au centre l'avers (le roi) et le revers (l'évêque) d'un "Denier de Pariage" émis par Philippe Auguste et l'évêque de Laon Roger de Rozoy (lien). C'est sous le règne de Philippe Auguste qu'est apparue une nouvelle pièce de monnaie frappée par l'abbaye saint Martin de Tours, appelée livre tournois. Jusqu'à la Révolution, elle fut une des monnaies de référence dans le royaume de France. L'atelier monétaire de l'abbaye Saint Martin fut supprimé en 1772. Il reste dans le vieux Tours l'hôtel de la monnaie, celui reconstruit en 1734 (photo 2020) (le précédent existait au même endroit depuis environ 1570).


    Saint Louis et saint Martin réunis, symboles de la relation étroite entre la monarchie française et l'abbaye Saint Martin (lien). A gauche, Louis et Martin en armures, vitrail dans la chapelle du collège Radley en Angleterre [flickr Rex Harris]. Au centre, Louis en 1227, avec sa mère Blanche de Castille, en la basilique (Louis IX y est revenu en 1261 et 1270) A droite, Martin évêque et Louis roi, vitrail de l'église de Thilouze, en Touraine, aussi de l'atelier Lobin. Ci-dessous, Louis IX roi et saint / sanctus Ludovicus Rex dans l'actuelle basilique.

    Les trésoriers du chapitre Saint-Martin. Jacques Boussard, dans un article de 1961 dans la "Revue d'histoire de l'Église de France" présente la fonction de trésorier, rappelons-nous qu'Hervé bâtit la basilique en 1014 : "Il est de plus en plus évident que le trésorier est un grand personnage et que cette charge conduit ses titulaires à des honneurs plus considérables, c'est-à-dire à l'épiscopat : Henri de France [futur évêque de Beauvais puis de Reims], Renaud de Mouzon, Rotrou du Perche [futur évêque de Châlons en Champagne], sans doute Robert de Mehun [futur évêque du Puy], enfin Pierre Charlot [futur évêque de Noyon], deviennent évêques après un bref passage à Saint-Martin. Surtout, il est visible que, pendant le long règne de Philippe Auguste, le roi considère la charge de trésorier comme un bien de famille qu'il réserve à ses proches parents. C'est certainement un office lucratif et honorifique dont on dote les cadets de la famille royale ou ses alliés, en attendant qu'ils puissent être promus à des sièges épiscopaux, toujours situés d'ailleurs dans le domaine royal et réservés depuis un temps immémorial à la collation du roi. Malheureusement, l'état de la documentation ne nous permet pas toujours de saisir les rapports qui existent sûrement entre le roi et le trésorier, mais chaque fois que nous pouvons avoir une certitude, nous constatons que ce rapport est étroit. Après Pierre Charlot, se succèdent Archambaud, qui ne nous est pas connu par ailleurs, mais qui porte un nom fréquent dans la famille de Bourbon, Philippe de Castille et Raoul. [...] Simon de Brion, ou de Brie, ou de Brienne, successeur de Raoul, nous est mieux connu. Il devint chancelier de France, cardinal et pape sous le nom de Martin IV, en 1281; le nom de Martin qu'il prit pour exercer le souverain pontificat, fut choisi par lui en souvenir de son passage dans l'abbaye tourangelle. Il eut pour successeur dans la charge de trésorier, Simon de Nesle [futur évêque de Noyon puis de Beauvais], qui devait devenir évêque de Beauvais. A la fin du XIIIème siècle, la dignité de trésorier est tellement appréciée que Philippe le Bel le confère à son cousin Philippe, fils du roi de Majorque, âgé seulement de seize ou dix-sept ans, qui va la conserver jusqu'à sa mort, en 1341." + Lien vers le chapitre "Le trésorier de Saint-Martin au XIIème siècle, l’interface entre le comte, le roi et les bourgeois" du livre d'Hélène Noizet 2007 "La fabrique de la ville".

    Commune de Tours 2/5 : révoltes bourgeoises contre l'autorité du chapitre. Cossu-Delaunay 2020 : "Maître de la cité, Philippe Auguste exerce sa châtellenie à travers l'action d'un prévot plus tard remplacé par un bailli. Secondé par des sergents, il exerce au nom du roi les rôles de juge, d'enquêteur, de receveur fiscal et d'inspecteur des marchés. Mais cette autorité est fortements contestée par les autres châtelains qui s'appuient sur la tradition et les textes anciens pour revendiquer des droits féodaux sur telle ou telle partie de l'espace public. Aussi le roi doit-il composer avec l'évêque, le trésorier de Saint Martin et l'abbé de Saint Julien. Il réussit cependant à étendre sa domination sur les espaces ruraux, renforçant le rôle directeur du centre urbain où sont regroupés ses hommes de confiance. Via l'autorité d'un capitaine, les Capétiens assurent la défense de la ville." Et c'est alors que les bourgeois de Châteauneuf veulent une part du pouvoir. Guy-Marie Oury, dans son article "L'église de Tours au XIIIème siècle" ("Histoire religieuse de la Touraine", 1975) : "Après une succession d'efforts infructueux, de révoltes, de conflits, le bourg de Châteauneuf se retrouve dans la seconde partie du XIIIème siècle complètement soumis au chapitre et administré par les officiers de celui-ci ; les insurrections de 1212 et de 1231 n'ont abouti qu'à réduire à néant l'indépendance de la ville ; elles ont eu pour résultat effectif un véritable asservissement des bourgeois ; les nouveaux différends surgis en 1247 et 1260 ne modifient pas la situation ; la longue lutte pour les franchises municipales et le contrôle des revenus du pèlerinage a illustré de manière péremproire la puissance du chapitre dont le roi porte le titre d'Abbé. Privés des organismes qui ont servi à préparer leurs tentatives d'émancipation, les bourgeois songent à tirer parti de la Confrérie Saint-Eloi, une association pieuse dont les buts avoués sont d'ordre religieux ; en 1305 les conjurés proclament le rétablissement de la commune et s'insurgent à main armée ; Philippe le Bel les condamne à une forte amende dont ils ne semblent pas avoir pu s'acquitter tant elle était lourde ; l'histoire municipale de Tours ne reprendra qu'en 1356 à la faveur de la guerre avec l'Angleterre, et d'un projet d'enceinte commune pour les deux villes soeurs"


    1231, pillage de l'hôtel du trésorier de Saint Martin, lors d'une discorde entre bourgeois et chanoines. Le trésorier était alors Pierre Charlot, fils bâtard de Philippe Auguste (et d'une "dame d'Arras"). Le châtiment de Louis IX (Saint Louis) fut sévère [LTh&m 1855]. A droite, maison notée du XIIème siècle, probablement plus tardive, rue Briçonnet [LTh&m 1855]. Ces deux gravures sont signées Karl Girardet.

    1267, apparition des bourgeois de Tours. Environ un siècle avant cette réunion, vers 1360, sous des remparts communs des deux villes jumelles de la Cité épiscopale et de Châteauneuf, c'est en 1267 qu'un écrit mentionne les "bourgeois de Tours" réunissant sous un même vocable les bourgeois citéens (de la cité) et les bourgeois de Châteauneuf. Bernard Chevalier en son "Histoire de Tours" (1985) le signale en estimant que désormais "il existe déjà un seul patriciat tourangeau". Début en Commune 1/5, suites en 3/5 4/5 5/5.

    Martin IV, pape tourangeau dans la tourmente de la fin du XIIIème siècle Né vers 1215 à Andrezel, dans la Brie, Simon de Brion de Chapteuil (ou Simon de Brie), de petite noblesse, fait de solides études à Tours et entame une brillante carrière qui le conduit à être archidiacre et trésorier à Rouen, de 1248 à 1255. Il revient à Tours en 1256 et devient trésorier du chapitre de St Martin, lointain successeur d'Hervé de Buzançais. En 1260, le roi de France Louis IX (saint Louis) le nomme chancelier de France et en décembre 1261, le pape Urbain IV, français originaire de Troyes, le nomme cardinal. Il devient ambassadeur papal dans diverses affaires, jusqu'à son élection à la magistrature catholique suprême en 1281. Inspiré par Martin de Tours, il prend le nom de Martin IV. La période est troublée, son élection a été difficile, obtenue par le soutien appuyé de Charles Ier d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, dont il se fera le partisan, attirant l'adversité du clergé italien. Il fut un pape n'ayant jamais mis les pieds à Rome durant son pontificat. Après les déboires de Charles d'Anjou avec les Vêpres siciliennes en mars 1282, la situation se tend, il est considéré comme un pape partisan abusant des excommunications, essayant en vain de prêcher une croisade contre le roi Pierre III d'Aragon, adversaire de Charles d'Anjou. Il meurt en 1285, trois mois après l'angevin. Martin IV lança la canonisation de saint Louis. Anecdote : les papes Martin II et Martin III s'appelaient en réalité Marin Ier et Marin II ; il y eut un Martin Ier (pape de 649 à 653) et un Martin V (de 1417 à 1431), eux aussi en l'honneur de Martin de Tours.


    Martin IV. Illustration en 2ème position : alors cardinal de Brion, il prêche la croisade devant saint Louis qui y trouvera la mort en 1270 [Chroniques de saint Denis, Wikipédia]. A droite, case de Couillard - Tanter 1986 + la planche. + gravure LTh&m 1855.

    Les dix conciles de Tours sont répertoriés sur cette page de Wikipédia. Reflets de l'importance cultuelle de la ville, ils eurent lieu en 461, 567, 813, 1050, 1096, 1163, 1236, 1282, 1510 et 1583. Eugène Giraudet a des dates différentes, les 5ème, 6ème et 7ème étant datés de 1233, 1239 et 1282. Celui de 1233 (ou 1236 ?) voyait l'Eglise s'immiscer dans la vie de chaque foyer [Eugène Giraudet] : "Dans le but de faciliter l'exécution de la volonté des mourants, les testaments seront remis dans les dix jours suivant le décès entre les mains de l'évêque ou de l'archidiacre des lieux" et "Les bigames sont infâmes, morts civilement, et condamnés à être fouettés publiquement, puis exposés au pilori". Cela devait être pire pour les trigames... Nous ne sommes pas sortis de ces interdictions, la polygamie et la polyandrie sont toujours interdites dans la plupart des pays. + double-page où Eugène Giraudet énonce d'autres interdictions, notamment à l'encontre des Juifs.

    Le doyen, le trésorier et autres dignitaires du chapitre. Avec le trésorier, le doyen est l'autre personnage important du chapitre. Tous deux sont nommés par le roi de France qui, rappelons-le, est abbé laïc de Saint Martin, mais n'agit vraiment qu'à travers ces deux nominations. Alors que le trésorier peut ne pas être un prêtre, le doyen l'est nécessairement. Parmi les dignitaires de second rang, s'ajoutent aux deux premiers quatre autres, le chantre, l'écolâtre, le sous-doyen et l'aumônier, constituant le groupe des six prieurs. "Suivent le chambrier, l'abbé de Cormery, le prieur de Saint Côme et, à un moindre degré de dignité, le sénéchal, le sous-écôlatre, le Chévecier, le soupletier, le sous-chantre et quelques autres. Rangeons aussi dans cette élite les prévôts, gérants ou plutôt fermiers des biens du chapitre. [...] Au total, on peut estimer que le chapitre de Saint Martin compte au moins cent soixante clercs [...] auxquels s'ajoute tout le personnel de service. C'est donc véritablement un peuple qui se concentre dans le "cloître", ce quartier qui forme une petite ville close au coeur de Châteauneuf de Saint Martin." [Bernard Chevalier, colloque 1997]. Cette organisation du chapitre ne varia guère du XIIIème siècle jusqu'en 1790. Hélène Noizet en fait une analyse en son livre "La fabrique de la ville" (2007, page) + trois extraits : 1 (le doyen, avec liste) 2 (le trésorier, avec liste) 3 (leurs rapports) 4 (l'écolâtre).

    Les états généraux de Tours de 1308 sont convoqués par le roi de France Philippe IV le Bel. Dans l'affaire des Templiers, il obtient des délégués une déclaration lui donnant raison contre le pape Clément V, pour le cas où celui-ci tenterait de défendre ces religieux-soldats qui dépendent de son autorité.


    Pour éliminer les Templiers, Philippe le Bel mit en place une intense opération de propagande. Peu après les états généraux de Tours en mai 1308, les dignitaires templiers parmi les plus importants furent emprisonnés à Chinon, dans le tour du Coudray, où ils laissèrent des graffitis [illustration de gauche + relevé par Raymond Mauny 1973, lien]. Trois ans plus tard, en 1311, se tint le concile de Vienne, où Clément V (tiare), Philippe le Bel (couronne) et les accusés (croix rouge des Templiers) se confrontèrent [illustration de droite, miniature du Maître de Boucicaut, BnF].


    Les reliques de Martin 4/8 : la translation du 1er décembre 1323. Lettrine d'un parchemin de 124 feuillets, milieu du XIVème siècle, BmT, Catalogue 2016 + autre lettrine du même ouvrage commentée dans le Maupoix 2018. Sur l'image de droite, le souverain, son épouse et sa fille sont en prière. Il y eut un autre changement de reliquaire le 10 mars 1454, en l'absence du roi de France Charles VII, représenté par son chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins.
    Translation en présence du roi de France. Cette lettrine illustrée présentée en son ensemble au centre et, autour, en ses deux parties raconte la translation du 1er décembre 1323 en présence de Charles IV le Bel et de la reine. Ce changement de reliquaire a été commandé par Etienne de Mornay, doyen de Saint-Martin de Tours, nommé chancelier de France en 1315. Comme l'explique Pascale Charron en un texte accompagnateur, l'évêque de Chartres Robert de Joigny a entre ses mains le crâne du saint, Il s'apprête à le mettre dans le nouveau reliquaire, qui est une tête d'évêque en métal doré dont le couvercle, ici enlevé, est la mitre. + vitrail Lobin de l'actuelle basilique représentant la même scène. + miniature présentant la translation des reliques de saint Martin [Jacques de Voragine, "La légende dorée, BnF].
    Le reliquaire du musée du Louvre. A une date postérieure, un autre reliquaire attribué à Saint Martin, aussi en forme de buste d'évêque, a été réalisé, actuellement détenu par le musée du Louvre. Il provient des environs d'Avignon, du deuxième quart du XIVème siècle, en argent et cuivre dorés ornés d'émaux [de face Wikipédia, de dos flickr areims, de profil pinterest Uncanny Artist] (H 38 cm, L 31,5 cm). + texte expliquant son histoire assez compliquée [Elisabeth Antoine-König dans le Catalogue 2016].
     
    D'autres reliquaires. En voici sept : 1 dossier 2018 sur celui de l'église de la Translation de Saint Martin à Ports sur Vienne (avec une page "Les reliquaires dans le christianisme") 2 dans l'île de Burano, en Italie [LM 2007-2] 3 cathédrale de Szombathely en Hongrie [stvan Töth, Lorincz 2001] 4 église St Martin de Szombathely [Lorincz 2001] 5 basilique de Martina Franca en Italie, vers 1700 (+ vues éloignées [Maupoix 2018] : 1 2) 6 en argent plaqué or dans la cathédrale St Martin de Mayence, comme si Martin était entouré de chevaliers teutons (en fait ce sont les 22 saints de Mayence) [Richard Weiland 1960, flickr Hen-Magonza, lien] 6 église St Martin de Limoux dans l'Aude [Jean Rayronie autour de 1500, Catalogue 2016].
    Débuts en Reliques 1/8, 2/8, 3/8, suites en 5/8, 6/8, 7/8, 8/8.

    Chinon 1321, la peur des lépreux et des Juifs Une théorie de l'empoisonnement des puits apparaît en 1319, les Juifs étant accusés de propager la lèpre. Elle réapparaît en 1321 dans le Dauphiné, et à Chinon où 160 Juifs sont brûlés vifs. Yves Souben [article 2020 La NR] : "En mai 1321, le roi de France, Philippe V le Long, fait étape à Chinon. L’époque, celle des rois maudits, est trouble. A son arrivée, la rumeur monte : les lépreux, avec la complicité des Juifs, empoisonneraient les puits. Le roi prend la fuite ; c’est le début de massacres antijudaïques à travers le pays. Le 27 août, 160 Juifs de Touraine, du Poitou et d’Anjou sont amenés à Chinon pour y être brûlés vifs. Parmi eux, huit habitants de la ville. Le bûcher est dressé sur une île de la Vienne, loin des maisons de bois. Les habitants du quartier juif sont expulsés." Cette hostilité des Catholiques envers les Juifs est ancienne et plus ou moins agressive, selon les époques. Ainsi, Grégoire de Tours raconte qu'un archidiacre, Léonaste, perdit sa guérison obtenue devant le tombeau de Saint Martin à cause d'un guérisseur juif, récit, vitrail Lobin de la basilique).


    A gauche deux lépreux se voient refuser l'entrée dans une ville [Vincent de Beauvais, XIVème siècle]. A droite illustration d'Emile Schweitzer 1894 représentant le massacre des habitants Juifs de la ville de Strasbourg en 1349. Ce sont des illustrations de la page "Peur des lépreux de 1321" et de la page "Accusation d'empoisonnement des puits contre les Juifs". + sur Strasbourg 1349, deux tableaux : 1 [Eugène Beyer, Musée historqiue de Strasbourg, lien] 2 [Frédéric Théodore Lix, vers 1870, Musée alsacien]

    1346-1348 : inondation, famine et peste noire. Continuons avec la peste pour s'attarder sur l'épisode de la peste noire de 1347-1352. Eugène Giraudet traite le sujet dans le 1er tome de son "Histoire de la ville de Tours" (1873, lien), avec une disette en préambule : "Il tomba une si grande abondance de pluie, en 1346, que la Loire et le Cher débordés, ruinèrent toutes les récoltes. Les magistrats de la cité, malgré le prix si élevé du grain, se virent dans la nécessité d'en ordonner des achats considérables ; ils contraignirent en outre les couvents de Marmoutier, de Grandmont, etc., à venir en aide aux habitants en donnant du blé et autres comestibles. Cette disette ne tarda pas à dégénérer en une épouvantable famine ; puis comme si le ciel et la terre, disent les chroniques, eussent conjuré contre la France pour la ruiner de fond en comble, une pestilence horrible (peste noire) affligea étrangement la population (1348). L'épidémie atteignit Tours, alors que de longues processions, quittant le Poitou envahi par la maladie, arrivaient en pèlerinage se mettre sous la protection du tombeau de saint Martin."


    Le fléau de la peste. A gauche, la peste à Tours ; au fond la cathédrale avec ses deux tours non terminées [LTa&m 1845]. A droite, tableau de Louis Duveau, 1849, "La peste d'Elliant" [Musée des Beaux-Arts de Quimper]. Elliant, commune bretonne, a été ravagée par une épidémie de peste en 1349 ou au XVème siècle. Une mère emporte au cimetière les corps de ses neuf enfants, le père devenu fou la suit (d'après chanson traditionnelle). + tableau dit la peste d'Asdod sur la peste de Justinien à Constantinope en 541 [Nicolas Poussin 1631, Le Louvre] + miniature sur la peste de noire de Tournai en 1349.

    Confinement généralisé. "Pour chasser le fléau, on alluma de grands feux dans les rues étroites, sans pavage, et sur les places, qui, à cette époque, étaient couvertes de toutes les immondices ; on jeta dans ces feux une quantité considérable de laurier vert, de camomille et d'encens. Le bailli fit garder les portes de Tours et de Châteuneuf, et l'on ne permit l'entrée de ces deux villes à aucun étranger. Le silence de nos annales nous laisse dans l'incertitude sur les résultats numériques de la mortalité produite par la peste [30 à 50% de la population européenne en cinq ans, d'après la page Wikipédia] ; nous savons cependant, par une charte de 1357, que la Touraine fut moins éprouvée que les autres contrées en général. Le calme et l'abondance revinrent en 1352. [...] Mais le fléau pestilentiel reparut quelques années plus tard (1362)". Ces propos de Giraudet sont transcrits en mars 2020, lors du confinement du covid-19, 672 ans plus tard...

    Après la famine et la peste, viendra la guerre de cent ans. Bernard Chevalier estime que ces calamités ont provoqué "un siècle de basses eaux démographiques dont on peut dire, en particulier, d'après l'état des forces militaires établi vers 1450, qu'il ramène la population de l'agglomération entière d'environ 15.000 habitants ou plus vers 1320 à 7.000 ou 8.000 cent ans plus tard. Chiffres conjecturaux, mais qui peuvent être pris valablement comme des ordres de grandeur."

    L'inquisition sévit à Tours. Dans son "Histoire de la ville de Tours" (1873), Eugène Giraudet indique que "La plus redoutable des juridictions était celle des tribunaux de l'inquisition créés par la Papauté, pour arrêter le progrès de l'hérésie et livrer aux flammes ceux qui en étaient convaincus, depuis le puissant évêque jusqu'au plus humble moine de couvent. Les Dominicains ou Jacobins après avoir commencé par brûler les écrits condamnés, brûlèrent leurs auteurs. [...] On voyait encore, il y a quelques années, dans les immenses caveaux des Dominicains ou Jacobins, situés près de la place Foire le Roi, de nombreux débris d'appareils de torture, destinés au supplice de ceux qui avaient encouru le terrible justice de ce tribunal. Ces instruments affreux étaient réservés aux hommes ; quant aux femmes, on se contentait de les enterrer vivantes.". J.-M. Vidal, dans un article de 1902 traite le cas du procès de Hervé de Trevalloet (la Bretagne étant rattachée à l'archevêché de Tours) dans une "affaire d'envoûtement au tribunal d'inquisition de Tours" en 1335-1337.


    Le chevalet, un des instruments de torture de l'inquisition (lien). Les démons combattus par Martin ont la vie dure...

    Evolution de la ville de Tours 4/7 : l'unification des deux cités en une seule commune. Au sortir de cette période sombre, la Cité et Châteauneuf purent enfin être réunies sous une même enceinte, ce qui fut logiquement précédé par la création d'un gouvernement commun.


    [Couillard - Tanter 1986] + la planche avec le plan de la nouvelle enceinte. A droite, en avant-plan, la nouvelle enceinte et, en arrière-plan, la cathédrale St Maurice (devenue St Gatien) ne sera terminée qu'en 1547, sa construction ayant duré 377 ans. Blason de la ville : "De sable à trois tours d'argent ouvertes et maçonnées de sable, pavillonnées et girouettées de gueules ; au chef cousu de France". Devise : "Sustentant lilia turres" (les tours soutiennent les lis). + armoiries de communes d'Indre et Loire. Débuts en évolution 1/7, 2/7 et 3/7, suites en 5/7, 6/7 et 7/7.

    Commune de Tours 3/5 : 1355, une ordonnance royale réunit les deux cités tourangelles. L'ordonnance promulguée à Beauvais par le roi Jean II le Bon, le 30 mars, rendit définitive la réunion de la ville de Châteauneuf à l'antique cité de Tours, aussi appelée métropole (par ses fonctions organisationnelles épiscopales). Outre l'édification d'une enceinte commune, l'ordonnance définit les règles de gouvernance de la nouvelle cité, avec un gouvernement municipal, composé de six bourgeois élus, chargés de gérer une force armée municipale, la voirie, la Justice, les divertissements publics... et bien sûr de percevoir les impôts autorisant ces charges. Il faudra attendre un siècle de plus pour qu'un maire soit désigné. Débuts en Commune 1/5, 2/5, suites en 4/5, 5/5.


    Remparts de Tours 3/5 : une seule enceinte. Deux plans de la réunification des deux cités sous les mêmes remparts (l'enceinte médiévale), vers 1360. Un siècle plus tard, Tours deviendra la ville royale de Louis XI. A gauche carte Fasc. NR 2012 d'après Vivier et Millet "Promenade dans Tours" page 74. A droite Cossu-Delaunay 2020]. + quatre gros-plans : 1 la basilique saint Martin 2 le château de Tours et la cathédrale 3 l"abbaye Saint Julien 4 la porte-neuve, sortie sud très fortifiée (à peu près à l'emplacement de l'actuelle place François Sicard) (un pont traverse ensuite le ruisseau le l'archevêché, en réalité plus éloigné, car situé entre les rues Parmentier et Galpin Thiou). + plan de Tours vers 1400 [Ta&m 2007] + plan de Tours au début du XVème siècle [Bernard Chevalier 1983] + deux articles de Henri Galinié : 1 (vers 1250) 2 (vers 1400) [Ta&m 2007]. Débuts en Remparts 1/5, 2/5, 3/5, suite en 5/5.



  34. La guerre de cent ans, Charles VI le fou et Jeanne d'Arc à Tours

    La Touraine durant la guerre de cent ans. La guerre de cent ans est un conflit entrecoupé de trêves plus ou moins longues, opposant, de 1337 à 1453, la France à l'Angleterre. Le sud de la Touraine fut occupée par les Anglais, alors qu'en 1369 des Gascons ne réussissaient pas à s'emparer de Tours grâce à la protection de compagnons d'armes de Bertrand Du Guesclin. Puis le pays turon fut ravagé, notamment par des bandes armée liées aux troupes anglaise. Pierre Audin, en son livre "La Touraine durant la guerre de cent ans" (2019, lien) : " C’est de Touraine que tout partait, que les troupes se rassemblaient pour lutter contre les bandes de mercenaires à la solde des anglais... Le roi de France Charles VII se trouvait entre Berry et Touraine, dernier carré de sa puissance. Il voulait tout abandonner, découragé de lutter contre les Plantagenêt… Imaginez les seigneurs tourangeaux, ballottés et vassaux des deux. Ils changeaient de camp, se faisaient confisquer leurs biens par le roi qui les leur rendait quand ils se rapprochaient de lui....".


    Bertrand Du Guesclin contre les Anglais et les Grandes Compagnies. A gauche, il remporte la bataille de Cocherel, en Normandie, en mai 1364, permettant au roi Charles V, fils de Jean II le Bon mort en captivité à Londres, de se faire sacrer à Reims ["Jean de Grailly se rend à Bertrand Du Guesclin", Charles-Philippe Larivière, Galerie des batailles à Versailles]. Charles V fut duc de Touraine (titre succédant à celui de comte) de septembre 1363 à avril 1364. A droite, quelques années plus tard, il délivre Preuilly sur Claise, dans le sud de la Touraine [Jean Galland XIXème siècle, Hôtel de ville de Preuilly sur Claise].


    Miniatures des Chroniques de Jehan Froissart. : la bataille d'Auray, près de Nantes, en septembre 1364, et un pillage par des Grandes Compagnies. + trois planches sur la bataille de Cocherel le 16 mai 1634 : 1 2 (dessin ci-dessous) 3 et une planche sur les Grandes Compagnies [L'histoire de France en BD, texte Jean Castex, dessin Julio Ribera, Larousse 1977].

    Pire que les Anglais : les Grandes Compagnies. François-Christian Semur dans "Abbayes de Touraine" (Geste Editions 2011) : "En 1356, le Prince Noir arriva en Touraine qui devint la proie des troupes ennemies. La défaite du roi de France, près de Poitiers, engendra le désarroi des Français. Les soldats ennemis pillèrent, ravagèrent le pays et prirent possession des forteresses et abbayes. Ces dernières furent des proies faciles. Au moins cinq abbayes importantes de Touraine, après avoir été pillées et ses occupants massacrés, servirent de repères aux bandes ennemies. Ces dernières firent régner la terreur dans toute la contrée. La population se terra. Les villages et les villes tentèrent de se protéger en édifiant en hâte des remparts. Cependant, l'insécurité persista avec les ravages des "routiers" anglais, bretons, gascons et français [c'est ce que l'on a appelé les Grandes Compagnies] qui ne songèrent qu'à la "rapine". Un climat d'anarchie et d'insécurité, associé à la misère, se manifesta au quotidien par de nombreuses violences jusqu'à la fin du XIVème siècle. La première moitié du XVème siècle sera encore plus terrifiante pour la Touraine. En effet, les troupes mal payées, se "payèrent" sur l'habitant, volèrent, pillèrent, violèrent, capturèrent et réclamèrent des rançons substantielles.". L'abbaye Saint Paul de Cormery fut ainsi pillée et servit de repère aux routiers + récit de Bernard Briais ["Anecdotes historiques de Touraine" 2015].

    En 1408 / 1409, le roi Charles VI le fou en résidence à Tours durant 7 mois. Le roi Charles VI, surnommé d'abord "le bien-aimé" puis "le fol" ou "le fou", à cause de ses états de démence intermittents, pouvant durer plusieurs semaines, régna sur la France en guerre de 1380 à 1422. Eugène Giraudet ("Histoire de la ville de Tours" 1873) : "Charles VI, retombé dans son état de démence, fut enlevé de son palais par les ordres de la reine Isabeau de Bavière, à l'insu même des officiers de sa maison et des bourgeois de Paris, puis conduit à Tours, où Isabeau et quelques seigneurs le tinrent enfermé pendant le mois de novembre 1408. Durant son séjour dans nos murs, la reine présida un conseil royal dans le but d'obliger le duc de Bourgogne Jean sans Peur à faire amende honorable de son crime et le bannit de la cour. Informé des conditions qui lui étaient imposées, Jean sans Peur députa à Tours le comte de Hainaut intercéder en sa faveur auprès du roi ; cette négociation n'ayant pas réussi, Jean de Montaigu, grand maître de la Maison du roi, s'entremit alors avec tant d'habileté, qu'il obtint une nouvelle décision plus favorable au duc. Les Parisiens affligés de se voir privés depuis si longtemps de leur souverain, chargèrent le prévôt des marchands de Paris Jean Jouvenel des Ursins et plusieurs notables bourgeois de se rendre à Tours, afin de supplier le roi de revenir dans sa capitale. Charles VI accueillit fort bien ces envoyés et leur promit de se rendre prochainement à leur désir. Le retour du monarque n'eut lieu cependant qu'au mois de mai suivant, mais ne ramena pas la tranquillité , car les deux factions rivales d'Orléans et de Bourgogne recommencèrent une lutte plus passionnée et plus violente que jamais..


    Charles VI le fou et Isabeau de Bavière en 1420 au traité de Troyes, avec à droite leur fils, futur roi de France, Charles VII alors âgé de 17 ans [Chroniques de Jean Froissard 1472, British Library, Wikipédia]. Ce traité prévoyait que, devenu son gendre, le roi d'Angleterre Henri V succéderait à Charles VI... On peut imaginer une scène un peu semblable à Tours quand Charles et Isabeau ont accueilli le prévôt des marchands de Paris.

    En 1417 / 1418, les Bourguignons occupent Tours durant une année. Protégée pas ses remparts, Tours est moins exposée que les campagnes, comme le raconte Bernard Chevalier dans "Histoire de Tours" [Privat 1985] : "Dans les grandes affaires politiques, Tours s'en tient à cette politique de prudente neutralité, jointe à la déférence envers ceux de ses maîtres qui y exercent le pouvoir régalien, tant ducs que rois. La ville a-t-elle accepté avec aisance l'écrasante pression fiscale exercée par Charles V à la fin de son règne ? C'est peu probable, mais elle n'a pas pris part au mouvement d'insurrections urbaines de 1382 qui affecte sa voisine Orléans. De même se tient-elle autant que possible à l'écart de la guerre des princes. Bourguignonne de principe de 1409 à 1413, armagnaque ensuite sans la moindre conviction. Mais la situation se dégrade de plus en plus ; sans cesse les gens de guerre passent et repassent sous ses murs, semant la ruine. En 1415, la guerre reprend avec l'Angleterre, Henri V reprend la conquête méthodique de la Normandie. Le poids des tailles, l'insécurité généralisée font douter de la sagesse de cette politique d'abstention et de confiance au gouvernement royal. Voici que le 2 novembre 1417, le duc de Bourgogne [Jean sans Peur] se présente aux portes de la ville ; un fort parti lui ouvre les portes et Tours se trouve alors en rébellion contre son maître légitime, le dauphin Charles [futur Charles VII], duc de Touraine, qui la reprend après un mois de siège du 26 novembre au 28 décembre 1418.". Les Tourangeaux se sont rendus sans effusion de sang. Sur la guerre de cent ans à Tours, on pourra consulter l'article en deux parties de Bernard Chevalier en 1974 : 1 2 ; l'auteur estime que la ville a été une "place forte redoutable". + le livre "La domination bourguignonne à Tours", 1877, par Joseph Delaville le Roulx, 71 pages [Gallica].


    [Couillard - Tanter 1986 + la planche]

    1417, la reine de France Isabeau de Bavière prisonnière à Tours. Eugène Giraudet donne des précisions sur les raisons ayant amené les Bourguignons à occuper Tours : la présence de la reine. "Le duc d'Armagnac, dont la puissance avait succédé à celle du duc de Bourgogne Jean sans Peur, exile à Tours la reine Isabeau. La conduite du dauphin Charles son fils, qui la méprise ouvertement et ne lui laisse même pas entrevoir le terme de sa captivité, augmente à un tel point l'irritation et le mécontentement de la reine, qu'elle n'hésite pas à s'allier secrètement avec Jean sans Peur, jusque là son ennemi. Le duc de Bourgogne, entrevoyant le parti qu'il peut tirer d'une telle alliance, l'accepte avec empressement." Et c'est ainsi qu'il alla délivrer Isabeau : "La reine prétexta, un matin, d'aller faire ses dévotions à l'abbaye de Marmoutier. Jean, qui l'attend à deux lieues de Tours, envoie une partie de son escorte s'embusquer près du couvent, afin de favoriser son évasion. A peine la reine est-elle entrée dans l'église, que le capitaine des gardes du duc y pénètre avec ses soldats ; les gardes et les officiers de la reine, surpris et effrayés, prennent la fuite ; Isabeau profite du désordre et s'évade par une des fenêtres de la sacristie."

    Avril et mai 1429, les deux passages de Jeanne d'Arc à Tours. Ensuite, et particulièrement de 1425 à 1429 quand le royaume de France s'enfonce dans l'anarchie, "la ville fait face et assume seule sa défense. Elle renforce son enceinte, construit de nouvelles tours, monte une garde vigilante, obtient à prix d'or [avec la participation du trésorier de Saint-Martin...] le départ des troupes royales voisines, beaucoup plus redoutables aux amis qu'efficaces contre l'ennemi et tente même de mettre sur pied une sorte de milice provinciale avec pour seul allié sûr le sire de Bueil [Jean V de Bueil] qui guerroie sur la frontière du Loir. répondant à l'appel de sa voisine assiégée, elle donne à Orléans secours moral et aide matérielle, accueille avec faveur Jeanne d'Arc, qui pourtant ne séjourne pas plus de quelques jours dans ses murs et se réjouit hautement à l'annonce de son succès. La confiance et l'audace reviennent." + article de Mikerynos en 2017 "Jeanne d'Arc à Tours (lien) (l'emplacement désigné du lieu de résidence de Jeanne correspond à l'étude de Louis de Grandmaison en 1929). + Le livre "Jeanne d'Arc à Tours", 1909, par le chanoine H. Boissonnot, 83 pages [Gallica]. Cet ouvrage estime que Jeanne est restée à Tours du 30 mars au 25 avril 1429, il semble que ce fut un peu plus court (arrivée le 5 avril ?). Avant d'y revenir du 12 au 25 mai.

    L'entrevue arrangée de Chinon. Jeanne invitée à la cour se serait écartee de celui qui était habillé et considéré comme le roi pour approcher un quidam qui discutait et reconnaître en lui le véritable roi Charles VII. C'était trop beau pour être vrai, cette scène tant vénérée par la suite avait été préparée, probablement par une rencontre préliminaire (voir, par exemple, cette page). A gauche, gravure de LTa&m 1845 + vitrail de Lucien-Léopold Lobin 1881 en l'église St Etienne de Chinon (lien) + vingt et une illustrations sur cette rencontre : 1 (avec explications] 2 (texte d'époque, avec miniature d'un livre de poèmes de Martial d'Auvergne] 3 [fresque de la basilique de Domrémy, plan plus large] 4 [LTh&m 1855] 5 6 7 8 9 [Frédéric Lix vers 1890] 10 [église Ste Jeanne d'Arc de Lunéville en Lorraine, lien) 11 12 13 14 (musée de cire de Rouen) 15 16 17 (église de Domrémy) 18 (cathédrale d'Orléans, flickr Renaud Camus) 19 (tapisserie d'Aubusson au château de Chinon, 2ème moitié du XVIIème siècle, Wikipédia) 20 (Robida 1912) + gravure du lieu de la rencontre [Robida 1892].
    Au centre, Jeanne d'Arc dans l'actuelle basilique, sculpté avant qu'elle soit "sancta" en 1920, (lien). Elle aimait à fréquenter les lieux saints et est venue, probablement à plusieurs reprises, dans la collégiale Saint Martin (lien). L'imagerie de Jeanne d'Arc est foisonnante, cette page sur ses figurations sensuelles en est un exemple. + la spectaculaire statue de Jeanne à Chinon [Jules Roulleau 1893, article La NR 2016].
    Martin et Jeanne, les saints en armure. A droite, Martin et Jeanne, tous deux protecteurs de la Gaule / France, tous deux militaires, tous deux sanctifiés sont souvent associés, par exemple ces deux statuettes de l'église Roquefort les Cascades en Ariège (lien). + fresque monumentale (3,50 m x 4,20 m) de Nicolas Greschny (1950) représentant les deux saints en l'église des Issards, aussi en Ariège (lien). Plus rare, un double vitrail avec Jeanne en armure et Martin en son habit de prélat [église St Martin de Noeux les Mines dans le nord de la France, lien].


    La pucelle de Domrémy se recueille devant le tombeau de Martin [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996].


    Jeanne en son armure tourangelle sur les bords de la Loire [église St Pierre de Saint Avertin en Touraine, Julien Fournier 1894, Geneste 2018]. + photo (lien). Les armuriers de Tours étaient réputés et Colas de Montbazon, l'un d'entre eux ayant pignon sur la "grande rue", fut chargé de confectionner l'armure de la protégée du roi, tandis qu'un nommé Heuves Polnoir préparait sa bannière (lien). + photos d'une page du site "Un regard sur Tours". + deux pages illustrées du livre de Bernard Briais "Anecdotes historiques de Touraine" 2015 sur les deux étapes tourangelles de Jehanne : 1 (l'armure) 2 (l'étendard). + plaque commémorative au 15 rue Paul-Louis Courier et autre plaque au 39 rue Colbert + chapitre Wikipédia "Jehanne à Tours".


    A gauche, Jeanne essaye sa tenue de combat dans une armurerie de Tours [Nikto - Kline 1987] + les deux planches : 1 2. Au centre, après avoir délivré Orléans, elle revient à Tours, acclamée par la population [Guignolet 1984]. + la planche. A droite, Jeanne accueille Charles VII, venant de Chinon, dans les murs de la Cité, par Reuillois [1er tableau du triptyque sur Jeanne dans la salle du Conseil municipal, hôtel de ville de Tours] + les 2 autres tableaux [Wikimedia] : 1 2. A Tours en 1929, les fêtes des 500 ans de sa mort eurent un éclat particulier, comme le montrent ces trois pages et 5 photos ["Mémoire en images, Tours", Brigitte Lucas 1993] : 1 2 3 + affiche [P. Roque 1929]. + Vitrail vers 1860 de l'atelier Lobin dans l'église Ste Madeleine de Montargis, montrant l'entrée de Jeanne dans cette ville [flickr Sokleine].

    Saint Martin, prière et mystère. "A la nouvelle de l'arrestation et de la captivité de Jeanne (mai 1430), les Tourangeaux consternés, ordonnèrent des prières publiques dans toutes les églises et une procession, composée de tous les ordres du clergé, se rendit au pied du tombeau de saint Martin, afin d'obtenir son intercession en faveur de cette héroïne qui venait de sauver la France" [Eugène Giraudet, 1873]. La guerre de cent ans, commencée en 1337, ne se termina qu'en 1453 avec le traité de Picquigny. Elle fut entrecoupée de périodes calme, notamment en 1444-1448, durant la trève de Tours signé au château de Montils lès Tours, devenu Plessis lès Tours. C'est alors que le roi Charles VII vint souvent en ce château et à Tours. Giraudet signale aussi le 21 février 1444 une réception à Tours "pleine d'enthousiasme" de Charles Ier d'Orléans, après 25 ans de captivité en Angleterre. "Le corps de ville fit représenter, en son honneur, un mystère intitulé : "Les miracles de Monseigneur saint Martin" et lui donna 6 grands brochets, 12 grosses carpes et 3 lamproies."

    Le pouvoir religieux en net recul. Déjà, vers 1379, d'après Eugène Giraudet, le clergé avait perdu le droit d'élire l'archevêque au profit du roi. La prise du pouvoir municipal par une démocratie bourgeoise se fit bien sûr au détriment de l'archevêque et du chapitre de Saint-Martin. Bernard Chevalier : "Leur poids a décru dans l'ensemble urbain. sur le plan de l'exercice de la puissance d'abord, dans la mesure même où la cour royale de bailliage prend de plus en plus d'ascendant. Sur le plan de l'autorité morale aussi. Les archevêques qui se succèdent du milieu du XIVème siècle à celui du XVème sont tous ou presque des hommes prestigieux, mais ce sont des absents. Le Grand Schisme d'Occident [avec deux papes en concurrence], à partir de 1378, marque une date, en effet dans leur recrutement. Fini le temps trop bref des universitaires d'origine plutôt modeste ; voici venir celui de grands serviteurs de la curie d'Avignon ou de la cour du roi de France. [...] Les chanoines des deux grands chapitres, bien que toujours recrutés hors de la ville dans leur grande majorité, tiennent à participer à une gestion qui implique pour eux participation aux charges militaires et pécuniaires. Mais ils sont atteints par la chute vertigineuse de leurs revenus fonciers laminés par la guerre. [...] Marmoutier, qui a été pillée par les routiers en 1360, est une communauté réduite à une vingtaine de moines au lieu de 80 et dont l'abbé à tout moment quitte les rangs pour venir se réfugier dans l'hôtel qu'il possède à Tours. L'abbaye de Saint Julien n'est pas mieux lotie et ne prend aucune part à la vie commune, si ce n'est en prêtant son cloître aux assemblées municipales." + une image de tapisserie vers 1520 montrant deux femmes très distraites durant la messe célébrée par... saint Martin [église Saint Martin de Montpezat de Quercy, "Renaissances", Belin 2013].

    Les innocents démons d'enfants et Martin. Eugène Giraudet (1873) : "Le jour de la fête des Innocents, les enfants de la ville allaient occuper dans la cathédrale et dans l'église Saint Martin, la place des chanoines et, là, choisissaient un évêque parmi eux, qu'ils habillaient de costumes religieux mis à l'envers, puis ils psalmodiaient des sortes de psaumes, après s'être munis de lunettes faites avec des peaux d'orange ou des coques de noix. Ces enfants terribles eurent la fantaisie, en 1423, de se choisir pour évêque un chien, qu'ils coiffèrent d'une mitre et commirent, en célébrant leurs cérémonies habituelles, toutes sortes d'excès. Les chanoines ayant porté plainte, cette coutume fut abolie par un arrêt du parlement, séant à Poitiers, le 16 décembre 1423."


    Après les victoires de Jeanne d'Arc et son couronnement à Reims en 1429, Charles VII devient "le victorieux [Couillard - Tanter 1986 + la planche]. La dernier case, présentant Agnès Sorel, est inspirée d'un célèbre tableau de Jean Fouquet [Musée royal des Beaux-Arts à Anvers] (lequel Fouquet a aussi réalisé un célèbre portrait de Charles VII, musée du Louvre). + vitrail de l'atelier Lobin 1881 représentant Agnès Sorel [Château de Fontenailles] + page de Roland Narboux sur la "dame de Beauté". Charles VII installa sa maîtresse en Touraine, à Loches. Le dauphin Louis, futur Louis XI, ne supportait pas cette relation. Pour d'autres raisons aussi, il vivait en conflit permanent avec son père.


    1436, Charles VII et sa cour assistent, à Orléans, à la répétition d'un mystère (pièce de théâtre) + deux planches : 1 2 [série "Jhen", tome 6 "Le lys et l'ogre", scénario de Jacques Martin, dessin de Jean Pleyers]. Ces deux planches mettent en scène le roi Charles VII, sa concubine d'à peine 15 ans, Agnès Sorel (leur première nuit d'amour), la reine Marie d'Anjou et sa mère Yolande d'Aragon, le Dauphin, futur Louis XI, âgé de 13 ans (déjà avec des chiens lévriers), le maréchal et connétable Gilles de Rais et le héros Jhen.

    La relance du pèlerinage de Saint Martin. Pour Charles Lelong en son étude de 2000, du XIII au XVème siècle : "Martin retrouve sa place de protecteur de la cité toute entière, de patron de la monarchie et de saint révéré dans tout l'occident. Localement, son culte a souffert de l'essor de celui de saint Gatien : en 1356, la ville échappe par miracle au Prince Noir mais par le concours des deux saints. Ils sont associés lors de la peste de 1420. D'ailleurs, depuis 1354, une enceinte commune unit Châteauneuf et la Cité, la ville étant placée en 1385 sous un gouvernement unique où les chanoines ont peu de part. En 1481, la basilique perd son droit d'asile. Cependant, saint Martin garde la primauté dans les offices, même à la cathédrale. Dans la basilique les grandes familles fondent des chapelles destinées à recevoir leurs sépultures. Bastien François rebâtit la célèbre aile du cloître entre 1508 et 1509 ; le jubé est reconstruit. En 1420, fut achetée une tapisserie illustrant la vie de saint Martin. Le pèlerinage est encouragé par les indulgences accordées par les papes Nicolas IV en 1289, Boniface VIII en 1299, Jean XXII en 1323. Francesco Florio (1477) et Jérôme Muntzer (1495) nous ont laissé de précieux récits de leur passage. En 1495, Martin Briçonnet [chanoine, fils de Jean premier maire de Tours en 1462] offre de la part de sa mère Jeanne Berthelot un manuscrit sur parchemin contenant le récit des miracles, destiné à être placé près de la châsse pour être consulté par les fidèles et les pèlerins. [...] Mais leur générosité fut surpassée par celle de Louis XI qui considérait que saint Martin était le patron spécial du royaume : "lequel avons toujours et très souvent réclamé en toutes nos affaires"."


    1448, Charles VII crée les francs-archers. Par une ordonnance rédigée au château de Montils (devenu Plessis) lès (à côté de) Tours, le roi Charles VII crée des milices de soldats archers (arc, arbalète...) pour l'auto-défense locale et pour multiplier à travers le royaume de France des hommes armés pouvant le servir. Leur efficacité fut critiquée. [enluminure du livre "Les vigiles de Charles VII" de Martial d'Auvergne, 1484, BnF]
    1457, le tragique non-mariage de Tours. Il était Ladislas V, jeune roi de Hongrie âgé de 17 ans, elle était Madeleine de Valois, fille du roi de France Charles VII, âgée de 14 ans. Les ambassadeurs Hongrois furent somptueusement reçus au Plessis et dans la ville de Tours pour préparer leur mariage. Les négociations étaient terminées, ce fut la fête et le banquet quand un messager arriva : Ladislas venait de mourir de maladie ! "Un service funéraire royal est organisé en l'église Saint Martin, avec autant de fastes déployés que lors de l'annonce des projets de mariage. Cette tragique nouvelle marquera durablement les esprits.". [peintre autrichien, seconde moitié du XVème siècle, Musée des Beaux-Arts de Budapest, Wikipédia] + double-page du récit de Hervé Chirault et Aude Lévrier ["Guide secret de Tours et de ses environs", éd. Ouest-France 2019]. Madeleine épousera, en 1462, Gaston de Foix et deviendra mère du roi de Navarre François Fébus.


    Adolescent, le dauphin Louis se prépare à devenir le roi Louis XI ["Jhen - Le lys et l'ogre", références au-dessus]



  35. Louis XI, le roi citoyen tourangeau, et sa bonne ville


    1436, les Tourangeaux fêtent le mariage du dauphin Louis et de la princesse Marguerite d'Ecosse. Tous deux enfants de rois, ils avaient 6 et 5 ans quand leur mariage est prononcé en 1428, puis 14 et 13 ans le 24 juin 1436 quand le mariage est célébré dans le château de Tours et dans la ville. A gauche l'arrivée à Tours de la mariée. A droite les nouveaux époux dans les rues de Tours, devant un spectacle de rue [LTh&m 1855] + gravure de Claude Chastillon, 1645, du château et l'emplacement (incertain) de la chapelle attenante (notée A) où a été célébré le mariage (lien).
    Le destin tragique de la première épouse de Louis XI. Le dauphin Louis deviendra le roi de France Louis XI en 1461. La princesse Marguerite d'Ecosse aura un destin tragique, raconté par Marine Gasc sur cette page titrée "Une bataille, un coït et au lit, l’histoire de Louis XI". Délaissée par son époux, elle meurt en 1441 à 21 ans. + un tableau de Frederic Leighton montrant une scène décalée entre Marguerite et le poète Alain Chartier (lien).


    Louis XI en son château des Montils, renommé Plessis lès Tours [Couillard - Tanter 1986 + deux planches : 1 2] [image de "Histoire de France pour le cours élémentaire" S.U.D.E.L.]. + deux portraits de Louis XI par Jean Fouquet (lien) : 1 2.


    A gauche une des trois aquarelles de François-Roger de Gaignières 1699 représentant le château quand il était demeure royale [BnF] + les deux autres : 1 façade nord aujourd'hui disparue 2 [Leveel 1994] + gravure Oury - Pons 1977 + quatre gravures de LTa&m 1845 : 1 2 3 4 + deux gravures de LTh&m 1855 : 1 2 + deux autres gravures : 1 2 [SAT] + aquarelle de Picart le Doux 1941. Au centre, photo 2017 [Wikipédia]. En 2016, la mairie de Tours, propriétaire du château du Plessis et peu consciente de sa valeur patrimoniale, a voulu le vendre, sans succès (article La NR 2016).
    L'historial de Touraine. A droite, Louis XI, se prépare à la chasse au faucon, en personnage de cire de "L'historial de Touraine", annexe du Musée Grévin de Paris, dans le château de Tours de 1984 à 2005 + rappel de la scène avec Luitgarde, Charlemagne et Alcuin dans la basilique + carte postale du musée + documentation extraite de "Tours Informations" de mai 1984 + dépliant avec la présentation des 31 scènes. dans la seconde, "Saint Martin bénit le jeune Patrick qui ira évangéliser l'Irlande" (Patrick étant né entre 373 et 390, Martin étant mort en 391, Patrick ayant de la parenté en Touraine, cela apparaît possible).

    Louis XI, qui régna sur la France de 1461 à 1483, fit de Tours la capitale de son royaume, se considérant comme un citoyen de Tours, habitant le château voisin du Plessis. Il dynamisa l'activité économique de la ville, en particulier en y introduisant l'industrie de la soie (récit, lien, article Fasc. NR 2011). Louis XI, malgré des excès mégalos (récit d'une page voisine sur les mégalos tourangeaux), était très attaché à sa capitale et avait pour elle de grandes ambitions. Il lui a donné un grand élan économique, industriel, culturel, urbanistique à tel point que Bernard Chevalier s'interroge : Louis XI a-t-il créé Tours ? Voici sa réponse : ""La formule lapidaire est trop abrupte pour être tout à fait exacte et néglige ce qui avait été commencé par Charles VII. Rares, en effet, sont les progrès encouragés par le fils qui n'ont pas eu leur point de départ dans les initiatives du père. Le roi du Plessis a créé Tours seulement dans la mesure où cette ville, médiocre encore à son avènement, est devenue, mais non point subitement, un centre urbain bien équipé, un foyer d'art et d'industrie, une agglomération digne de tenir son rang, auprès de Paris dont l'étoile a momentanément pâli, de Lyon qui grandit, de Toulouse, de Rouen et de Montpellier. Le roi voyait mieux encore. Il imaginait sa capitale sur le modèle de ces cités italiennes dont l'éclat le séduisait tant, productrices d'armes et de soieries prestigieuses, maîtresses du grand commerce. Forte ambition qui l'opposait souvent aux notables du cru incapables de concevoir pour elle une autre fortune que celle des villes drapantes du temps passé. Rêverie peut-être, mais partagée par quelques bourgeois moins entravés que les autres et sensibles à l'attrait de grandes affaires, prêts à jouer le gros jeu sur mer ou dans les officines de banque. Pouvaient-ils être les Borromée ou les Médicis d'une Florence ou d'un Milan des bords de Loire ? Non sans doute ; ils échouèrent et ne pouvaient réussir. Du moins, grâce à eux, le règne de Louis XI fut à Tours celui des grandes entreprises et des espoirs démesurés." + dossier Louis XI d'une dizaine de pages (12 Mo) du bulletin municipal "Tours Informations" d'avril 1983, avec des articles de Pierre Leveel, Bernard Chevalier et Véronique Moreau-Mitgen + passage du livre Cossu-Delaunay 2020 "Des bouleversements urbanistiques majeurs".

    Les hommages du roi citoyen tourangeau à Martin. Il honora aussi l'antique évêque, patron de sa ville. Déjà, en 1433, son père Charles VII, qui a élevé une chapelle Saint Martin à Chinon en 1440-1450 [Bruno Dufau, Collectif 2019], avait exprimé l'espoir que saint Martin aiderait au "recouvrement du royaume et à ses autres affaires". Louis XI fit de saint Martin "le spécial tuteur de notre royaume qui a tant aidé nos prédécesseurs" et, en 1481, il accorda de nouvelles faveurs pour que ce saint contribue "à l'entreténement et préservation du royaume... à son accord, paix et union". Bernard Chevalier en une étude de 1997 titrée "Saint-Martin aux XIVème et XVème siècle et le culte du saint" raconte : "A partir de 1468, sa dévotion personnelle va croissant... Il vient entendre la messe à Saint-Martin et prier longuement avant chacun de ses départs. De toute manière il est toujours présent devant son protecteur grâce à la statue d'argent massif placée en 1466 devant la châsse et qui le représente en orant revêtu de l'aumusse de chanoines. Il fit au saint des dons considérables presque toujours en ex-voto pour une victoire : l'image d'une ville toute en argent offerte en 1472, celle du château du Plessis enrichie de pierreries, une lampe somptueuse donnée en 1480, enfin et surtout la fameuse grille d'argent massif placée autour de la châsse en 1478. Il s'agit là de l'exécution d'un voeu fait à l'occasion d'une victoire sur les flamands pendant la guerre de conquête menée en Artois. Dépense fastueuse : il en coûta aux finances publiques 72 846 livres tournois, soit approximativement 2% du montant annuel de la taille." Qu'en aurait pensé Martin ?


    1468, Charles le Téméraire contraint Louis XI à signer le traité de Péronne [Job1905, Wikipédia] + dix autres illustrations : 1 2 3 4 (lien) 5 6 (1969) 7 8 9 (1875) 10 [livre de cours élémentaire vers 1970, lien]. 1470, Louis XI préside une assemblée des notables à Tours qui dénonce le traité de Péronne, ce qui exacerbe le conflit avec le duc de Bourgogne. Les états généraux de 1468 s'étaient auparavant tenus à Tours, refusant notamment le démembrement de la Normandie. Sans guerre, avec des traités, Louis XI réunit onze provinces à la France : présentation (lien), carte.


    1477 dans la basilique, Louis XI apprend la mort de Charles le Téméraire. "Agenouillé, dans l'attitude d'un profond recueillement, le roi donne tous les signes de la piété la plus fervente. Tout à coup un des seigneurs de la cour s'approche et lui adresse à voix basse quelques paroles ; son visage, habituellement sévère, tout à l'heure plein de componction, s'illumine et devient radieux ; il se redresse avec fierté, il ne peut contenir sa joie et la laisse éclater. Louis XI vient d'apprendre que le plus intraitable de ses ennemis n'est plus : Charles le Téméraire est mort !" [LTh&m 1855]. + miniature commentée de Louis XI et ses ennemis, les Grands du royaume ["Les renaissances", Philippe Hamon, Belin 2013]. Au centre, Louis XI jeune en famille au Plessis, sortant de la messe, avec sa seconde épouse, Charlotte de Savoie, et leur fils, futur Charles VIII [collection H. J. Vinkhuizen]. A droite, Louis XI âgé, à la fois prudent (lien) et à la bien triste mine (lien) + autre portrait.

    1483, le Calabrais François de Paule s'installe à Tours. De même que les Tourangeaux avaient appelé le saint homme Martin en 371, Louis XI, onze siècles plus tard, appela auprès de lui le saint homme François de Paule (1416-1507). Il venait de Calabre, avait traversé Italie et France, rencontrant à Rome le pape Sixte IV (+ dessin de Charles Mellin, MBAT] et obtenant son appui pour son ordre des Minimes. Il avait été accueilli chaleureusement au château du Plessis. C'était de façon beaucoup plus égoïste, pour aider sa Majesté à vaincre la maladie. A défaut d'un miracle, Louis XI reçut un apaisement pour les quelques mois qu'il lui restait à vivre. François de Paule restera ensuite 24 ans à Tours, jusqu'à sa mort, vénéré par la cour et les Tourangeaux qui le surnommèrent affectueusement "le bonhomme". Il conseilla la régente Anne de Beaujeu puis les rois Charles VIII et Louis XII et développa, avec le soutien royal, son ordre des Minimes, multipliant les couvents des Minimes, notamment le couvent de La Riche, à côté du Plessis (illustration ci-dessous), qui abritera le tombeau du saint. Alors que leur installation à Tours présente une indéniable convergence, François de Paule ne semble avoir eu aucune attention particulière envers Martin de Tours.


    Arrivée de François de Paule au Plessis [Jacques Dumont, dit le Romain, 1730, MBAT, lien]


    A gauche, autre arrivée au Plessis [Nicolas Gosse, 1843, Château de Loches]. + quatre autres illustrations de la rencontre de Louis et François : 1 2 [Emile Keller, 1880] 3 4 + vitrail de l'église de Mettray en Touraine [Julien Fournier 1878] + image du saint au chevet du roi.
    Au centre, le couvent des Minimes de La Riche, dessin de Louis Boudan, collection Gaignières 1699. Dans la vaste enceinte de ce couvent, une chapelle a été construite en 1877, remplaçant une église démolie à la révolution. Son allure étonnante s'explique par le fait que sa construction n'a jamais été terminée, seuls existent le choeur et le chevet (photo 2016). Elle abrite le tombeau du saint (dont le corps fut brûlé par les Huguenots en 1562) (photo commentée, "Le patrimoine des communes d'Indre et Loire" 2001). Elle est ornée de trois vitraux réalisés en 1984 par Van Guy d'après des dessins de Jean Clavaud. A droite le vitrail central représente François enseignant la charité aux trois rois qu'il a conseillés, Louis XII, Charles VIII et Louis XI. + statue du saint dans sa chapelle (variante d'une statue de l'église Sainte Anne de La Riche) + photo du corps de logis dans les années 1970, avant son incendie en 2008 (vidéo) + recto et verso d'un dépliant des "Amis de saint François de Paule" + page avec photos + documentation 2019 par Anne Debal-Morche [Département 37].
    Sur Francois de Paule, le reste de sa vie et sa mort, voir ci-après.


    [Légendes du "Magazine de la Touraine" n°41 (1992), gravures de LTa&m 1845]. + miniature "Louis XI exposé sur son lit de mort".

    Les obsèques de Louis XI dans la basilique Saint Martin. Eugène Giraudet (1873) : "A la nouvelle de sa mort, le 31 août 1483, le chapitre de Saint Martin fit sonner toutes les cloches pendant trois jours ; au bout de ce temps, les chanoines allèrent en grande pompe chercher le corps du roi et le ramenèrent dans leur église, où ils célébrèrent ses obsèques. De là, suivant la recommandation expresse du roi, on conduisit sa dépouille mortelle dans l'église Notre Dame de Cléry, où il avait lui-même, de son vivant, fait préparer son tombeau"".

    La basilique dans toute sa beauté. Dans le Catalogue 2016, Emeline Marot estime que la collégiale atteint sa pleine maturité avec aussi "la construction par Louis XI d'une chapelle au nord de la nef" et la splendeur du tombeau : "A la fin du XVème siècle, au moment où Jean de Ockeghem accède à la fonction de trésorier, la collégiale présente donc un plan et une organisation quasiment définitifs, une composition complexe de maçonneries appartenant à des siècles différents."


    A gauche, Louis XI priant son saint favori, Martin [tombeau de Louis XI dans la nef de Notre Dame de Cléry, Michel Bourdin (1565-1645), Wikipédia]. + une photo de Louis XI (oui, une photo...) (lien). Au centre "Tours au temps de Louis XI" de Sylvain Livernet 1983 (dessins Alain Ferchaud). + quatre extraits : 1 (portes et tours de Tours 2 (monuments religieux). 3 (le château du roi à Plessis lès Tours, à l'ouest de la ville) 4 (l'entrée du château, dessin Alain Ferchaud). A droite inscription dans le sous-sol de l'actuelle basilique de Laloux.

    Commune de Tours 4/5 : 1462, la bonne ville de Tours a son premier maire, Jean Briçonnet. Progressivement un pouvoir laïc se constitue à Tours qui devient une bonne ville bénéficiant de privilèges et de protections octroyées par le roi de France, assorties en contreparties d'obligations notamment fiscales. Bernard Chevalier ["Histoire de Tours" 1985] : "En 1356, en même temps que la ville avait reçu du roi Jean l'autorisation de se fortifier, elle avait obtenu de lui le droit de s'imposer et de tenir des assemblées générales d'habitants chargées d'élire les responsables de la défense commune. Point de départ de la conquête de l'autonomie administrative." Puis : "A partir de 1389 l'usage se fixe de n'élire que deux élus, tous les deux laïcs, et dès lors s'instaure une coûtume qui tiendra lieu de statut [...] Le dernier pas restait à franchir, celui qui conduisait de la communauté d'habitants organisée au corps de ville constitué. il fut franchi en 1462, mais sous la pression de Louis XI, qui contraignit les Tourangeaux, qui n'en demandaient pas tant, à adopter les statuts de la Rochelle, c'est-à-dire un régime proche des "établissements de Rouen" : à la tête de la ville un maire nommé tous les ans par le roi sur une liste de trois candidats et un collège élu à titre viager de 24 échevins et 75 pairs et conseillers, soit cent membres avec le maire. En exécution de ces nouveaux statuts, le 8 octobre 1462, Jean Briçonnet l'aîné, élu des aides à Tours, fut investi pour la première fois de la charge du maire". Trois pouvoirs s'organisent et se disputent alors : l'Archevêché, le chapitre Saint Martin et le corps de ville (un exemple de conflit en 1603 est raconté par Eugène Giraudet dans son "Histoire de la ville de Tours", lien). + article de Bernard Chevalier 1995 "La religion civique dans les bonnes villes : sa portée et ses limites. Le cas de Tours", présentant le rôle du "corps de ville" + article de trois pages sur les maires et mairies de Tours ["Tours Informations" février 1988] : 1 2 3 + la liste des maires. Débuts en Commune 1/5, 2/5, 3/5, suite en 5/5.


    Photos extraites de quatre cartes postales commentées par Donat Gilbert ["Tours à la belle époque" 1973]. 1) L'hôtel de Jean Briçonnet, 11 rue de Châteauneuf (+ photo]. 2) L'auberge de la Croix Blanche, place de Châteauneuf, accueillant les pélerins de Saint Martin (+ photo, lien). 3) La maison de Tristan l'Hermite, rue Briçonnet (+ photo).
    4) La fontaine de Beaune (ou de Beaune-Semblançay) quand elle était place du Grand marché, après avoir été à côté de l'hôtel de Beaune (voir ci-après) et avant de retourner en ses ruines. + deux autres cartes postales et une vieille photo : 1 2 3 + cinq gravures : 1 [LTa&m 1845] 2 [LTh&m 1855] 3 [Robida 1892] 4 [Thérond] 5 [Oury - Pons 1977] + photo années 1960 + photo 1971 [P. Leveel] + la dégradation de 2012 [La NR]. Elle est parfois appelée "fontaine des amoureux" (explication, lien). Cette fontaine avait été installée en 1511, peu après la mise en place d'un captage des eaux de la source du Limançon à Saint Avertin (article, lien).


    Louis XI s'adressant à des bourgeois, ici ceux d'Angers, en 1474, lors de la remise de la charte communale [tableau de Jules Dauban 1901, en l'hôtel de ville d'Angers]. Il désigne Guillaume de Cerisay comme premier maire de la ville. + récit de la façon dont Louis XI s'est appuyé sur les bourgeois d'Angers pour s'emparer de l'Anjou (lien).

    Nos ancêtres les bourgeois de Tours. Sous François Ier, l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539 a imposé aux curés une tenue des registres de baptêmes qui ne fut vraiment mise en oeuvre à travers toute la France que vers 1600, certaines paroisses étant plus promptes. Les plus anciens registres de Touraine, devançant même l'ordonnance, sont ceux de Saint Jean Saint Germain (1506) et Thilouze (1516) [atelier de 59 pages sur la généalogie en Touraine]. Il est toutefois possible de remonter à une période plus ancienne en étudiant les registres notariaux conservés de la ville de Tours, ce qui permet de remonter jusqu'à 1462. Près de 17.700 actes du XVème au XVIIème siècle sont ainsi présentés (lien avec moteur de recherche). Cela concerne les bourgeois et artisans qui passaient par notaires. Des recherches généalogiques permettent donc de remonter dans ce monde de la bourgeoisie tourangelle. A titre d'exemples, voici les percées que j'ai effectuées dans mon ascendance, partagées par de nombreux Tourangeaux ou pas, le sachant ou pas : (P.-S. : aussi Jean de Beaune, maire de Tours en 1472, de la famille de Beaune, père de Jacques)
    • Amable Morinet, président en l'élection de Tours, décédé vers 1667. On trouve dans son arbre d'ascendance Pierre Dutremblay, son grand-père maternel, maître ouvrier en draps de soie, décédé vers 1615 avec une trentaine d'actes dont celui-ci, le 9 juin 1587 : "Ratification du contrat de mariage entre Philippe Dardembourg, orfèvre (Nantes, paroisse Saint-Nicolas) d'une part et Marie Guymier, passé devant Bodin et Préau, notaires royaux à Nantes le 13 mai 1587 par Estienne Moreau et Pierre Dutremblay, marchands maîtres ouvriers en draps de soie à Tours, Barbe Moreau, veuve de Louis Demaciot dit Debien, maître ouvrier en draps de soie, André Millard, maître tailleur d'habits à Tours, François Besnard, maître orfèvre à Tours, et Suzanne Guymier fille. Les Moreau sont oncle et tante de la future, Dutremblay est cousin germain, Millard beau-frère, Besnard cousin et Suzanne Guymier soeur de la future.". La branche la plus intéressante est celle des Guymier (par exemple Jean l'aîné, décédé vers 1490, écrivain et libraire-juré) qui permet de remonter à des bourgeois de Paris (comme Pierre, faiseur et marchand de cartes à jouer).
    • Guillaume Chereau ou Chevreau, marchand décédé vers 1590, à l'ascendance limitée, concerné avec son père et proches par une vingtaine d'actes. Par exemple le 4 août 1628 : "Quittance à Jacques Marchays, bourgeois de Tours, adjudicataire de la closerie Le Marteau à Saint-Avertin, par Pierre Lopin, marchand bourgeois de Tours (paroisse Saint-Saturnin), ayant charge de Jacques, François, Raphaël, Claude et Marguerite Chereau, Catherine Chereau leur soeur, héritiers de Jehan Sterpin, chanoine prébendé de l'Eglise de Tours, leur oncle."
    • Marc Moreau, maître ouvrier en draps de soie, marié vers 1580. Son arbre d'ascendance permet de remonter, de façon non certaine, 5 générations. Son grand-père maternel, Hélye Chouyn était maître coutelier du roi à Tours, ayant travaillé en 1510/1511 sur la fontaine de Beaune-Semblançay (illustrations ci-dessus), en tant que l'un des six "maîtres de l'oeuvre". Son grand-père paternel Jean (2) Moreau était, en sa jeunesse, valet de chambre du roi Louis XI, ayant introduit près de lui François de Paule, à la canonisation duquel il a témoigné. Le père de celui-ci, Jean (1) Moreau, alternativement apothicaire, valet de chambre du roi et marchand parvenu ayant eu des démêlées avec Philippe de Commynes, chambellan et ami de Louis XI, qui raconte en ses écrits ses mésaventures à propos d'une galère marchande (galéasse) dans le port de Marseille. Le père de ce Jean (1), Guyon Moreau, décédé vers 1480, était, à un âge avancé, apothicaire du roi Louis XI, s'occupant notamment de la santé de ses chiens lévriers.


    Louis XI, considéré comme une universelle aragne, avec deux de ses lévriers et Philippe de Commynes. [Histoire de France en bandes dessinées, Larousse 1979, texte Jean Ollivier, dessin Eduardo Coelho] + trois planches sur la fin de règne : 1 2 3.



  36. Tours capitale des arts de la pré-Renaissance avant le fatal François Ier

    Les quatre fêtes de Saint Martin. Jean-Louis Chalmel (1756-1829) (cité par Sylvain Livernet en "Tours au temps de Louis XI" 1983) : "L'église de Saint-Martin célébrait chaque année quatre fêtes en l'honneur de son patron : la première, celle de la mort du saint, le 11 novembre, était commune à toute l'Eglise romaine. Il était d'usage que les rois et les grands seigneurs présentassent à l'offrande des monnaies de Saint-Martin ou des vases d'or ou d'argent marqués à son coin particulier. La seconde fête avait pour objet la commémoration de la délivrance de Tours lorsqu'elle fut assiégée la première fois en 841 [correction : la dernière fois, le 12 mai 903] par les Normands (fête de la Subvention [chaque 12 mai]). La fête de la Reversion perpétuait le souvenir de l'époque où la châsse de Saint-Martin fut rapportée d'Auxerre en 887. Enfin, la fête de l'Ordination de Saint-Martin était célébrée le 4 juillet.". Sylvain Livernet poursuit : "Tout en respectant la présence du sanctuaire de Saint-Martin, tout en continuant à l'aider et à le fréquenter, Louis XI chercha à provoquer un développement harmonieux de la cité. Ses successeurs achevèrent son oeuvre en édifiant un tissu urbain entre les deux pôles de la piété tourangelle, basilique et cathédrale."

    Après Louis XI, Charles Lelong poursuit son analyse : "Charles VIII, encore dauphin, fut reçu abbé en 1484 puis en 1493  c'est dans la basilique qu'il fit inhumer ses enfants morts en bas-âge dans un tombeau célèbre, conservé aujourd'hui à la cathédrale. Il fit adresser des prières solennelles à saint Martin lors des guerres d'Italie comme le feront Louis XII et François Ier". Cette période royale amène une prospérité marquée de la cité de Martin. Dans "Tours, ville royale" (1983), Bernard Chevalier estime que, de 1450 à 1520, sa population "serait passée de 9.000 à 12.000 âmes et celle de l'agglomération de 10.500 à 16.000. [...] C'est en somme avec une sage lenteur que la nouvelle capitale s'est hissée à ce rang honorable qui la place dans le royaume aussitôt après Paris, Rouen, Lyon et Toulouse par le nombre de ses habitants."


    1) A gauche, jadis dans la basilique Saint Martin, à présent dans la cathédrale, le tombeau de Charles Orland (influence italienne : Orlando, Roland) et Charles, petits-fils de Louis XI, enfants de Charles VIII et Anne de Bretagne, décédés à 3 ans (rougeole) et à 1 mois (lien). Commandé par Anne en 1499, il est le fruit d'une collaboration entre Français (atelier Michel Colombe, probablement Guillaume Regnault) et Italiens (Giròlamo Paciarotto dit Jérôme Pacherot). + deux gravures : 1 [LTh&m 1855] 2 [Robida 1892] + oage Wikimédia + autre page dédiée + portrait de Charles-Orland par Jean Hey [1494, Musée du Louvre, Wikipédia]. 2) Au centre, dans la basilique disparue, le tombeau de Jean II le Meingre (1364-1421), dit Boucicaut, maréchal de France, gouverneur de Gênes, mort captif en Angleterre, après avoir été fait prisonnier en 1415 à la bataille d'Azincourt + vitrail Lobin de l'actuelle basilique montrant son enterrement en 1421. + aussi dans la basilique, dans la chapelle de sa famille, le tombeau de son père Jean Ier le Meingre (1310-1367), maréchal de France ayant combattu les Grandes compagnies de brigands durant la guerre de cent ans. Jean Ier avait un frère Geoffroy évêque de Laon de 1363 à 1370.
    Les Briçonnet, illustre famille tourangelle. 3) A droite, Guillaume Briçonnet (1445-1514), portrait du XVIème siècle. Superintendant du roi puis cardinal, fils du premier maire de Tours et frère du chanoine Martin Briçonnet, il est le plus illustre des membres de cette grande famille bourgeoise. Il avait épousé Raoulette de Beaune, soeur de Jacques de Beaune surintendant des finances et maire de Tours, dont on reparlera. Le cardinal avait entamé tardivement sa carrière ecclésiastique en 1487, à la mort de sa femme, en devenant chanoine de Saint-Martin. Il eut deux frères évêques, deux fils évêques et aussi un neveu et un petit-fils évêques. Il possédait le château du Plessis-Rideau à Chouzé sur Loire (photo). + arbre généalogique des Briçonnet ["Les maires de Tours", Centre généalogique de Touraine 1987] + arbre illustré + la famille Briçonnet + le livre "Sépultures des Boucicault en la basilique Saint Martin", 1873, par Paul Nobileau, 88 pages [Gallica]. Devise des Briçonnet : "Ditat servata fides" (la fidélité enrichit). Ci-dessous, miniature de Puy d'Amiens 1502 montrant Guillaume Briçonnet sacrant Louis XII dans la cathédrale de Reims [musée de Cluny à Paris].


    A gauche, le livre enluminé par Jean Poyer "Les heures Briçonnet" commandité par Guillaume Briçonnet en 1485 (fac-similé 2020, lien). Au centre, Thomas Bohier (1460-1524), maire de Tours en 1497, financier des rois Charles VIII à François Ier, avait épousé Katherine Briçonnet (1494-1526) [G. Mercier & Ch. Sylvain, 1878], fille de Guillaume. C'est elle qui supervisa la construction du château de Chenonceau de 1513 à 1521. A droite, Diane de Poitiers, favorite du roi Henri II, ajouta le pont à galerie en 1547 (photo Marc Jauneaud).

    1500, Tours capitale des arts. A la fin du XVème siècle, Tours capitale politique et culturelle, attirait les plus grands artistes, Michel Colombe (1430-1515) pour la sculpture, Jean Fouquet (1420-1481) et Jean Bourdichon (1457-1521) pour la peinture et l'enluminure et Jean de Ockeghem pour la musique, on y revient au paragraphe suivant. En 2012, l'exposition "Tours 1500, capitale des arts" (couverture du catalogue, de Jean Bourdichon + dossier de presse) a voulu "restituer l'importance de Tours au moment de la pré-Renaissance française", quand la ville "concentrait tous les facteurs d'une éclosion artistique sans précédent".

    Succédant à Louis XI, son fils Charles VIII, encore sous la régence de sa grande soeur Anne de Beaujeu, est marié avec Anne, duchesse de Bretagne au château de Langeais, près de Tours en 1491. Il fit ensuite une entrée triomphale dans Tours. Devenu adulte, il quitte la résidence de son père pour s'installer dans le château d'Amboise. Sauf de passage, les rois de France ne viendront plus à Tours, qui entame un lent et long déclin. Il en est de même pour la basilique Saint Martin, son chapitre et ses moines, même s'ils conservent un important patrimoine. Le culte de Martin perd aussi de son prestige, le pèlerins sont moins nombreux. Charles VIII permet aux habitants de moins dépendre des religieux : "La rédaction de la coutume de Touraine produisit un si grand changement dans l'état des moeurs et des usages, en affranchissant le peuple du despotisme et de l'arbitraire des juges, a été un des plus grands bienfaits apportés à notre pays, par Charles VIII" [Eugène Giraudet, 1873].


    Le mariage de Charles VIII et Anne de Bretagne le 6 décembre 1491 à Langeais fut encouragé par François de Paule. Photo de la reconstitution dans une pièce du château avec des personnages en cire. Les époux, âgés de 21 et 14 ans sont de petite taille, sur la gauche. Ci-dessous, à Tours, on trinque à la santé des jeunes mariés ! [Couillard - Tanter 1986] + la planche.

    + cinq autres représentations d'un mariage souvent consdéré comme étant celui de la Bretagne avec la France : 1 2 [Gillot Saint-Evre] 3 4 [vitrail de la mairie de Vannes, 1885, lien] 5 [flickr Yannewvision 2003] + gravure du château de Langeais dans LTa&m 1845.
    La Tourangelle de Milo, ci-dessus à droite. Contrairement à la Vénus de Milo, elle a des bras, elle est très habillée, elle est beaucoup plus petite (72 cm), elle n'a rien à voir avec l'île de Milos. On n'est pas sûr qu'elle soit Tourangelle, mais elle est caractéristique de l'art tourangeau des alentours de 1500, platement nommée "Sainte femme marchant" dans le beau livre "Tours 1500, capitale des arts", 2012, avec une analyse par Béatrice de Chancel-Bardelot. Surtout, elle n'a pas de mains, elle est belle comme une Vénus, elle a la grâce et le déhanchement de celle de Milo, elle loge dans le même musée du Louvre, alors, ici, elle devient la Tourangelle de Milo ou la Vénus de Tours... Sur le sujet de la la sculpture en Touraine autour de 1500, voir aussi ci-après.

    La musique et Jean de Ockeghem. Qui dit fête, qui dit messe dit musique. Pour le clergé et pour le peuple. Si l'on ne dispose guère de témoignages en ce sens avant le moyen-âge, les manuscrits notés se font nombreux à partir du XIème siècle. Yossi Maurey et Agostino Mageo ont étudié "le rayonnement musical de Saint Martin à la fin du Moyen âge" dans un long article du Catalogue 2016. Parmi les 50 oeuvres qui nous sont parvenues de Jean de Ockeghem / Johannes Ockeghem (1420-1497), on trouve 14 messes à teneur (d'origine sacrée ou profane), 10 motets et 20 chansons. Ce natif des environs de Mons en Belgique est trésorier de l'abbaye Saint-Martin entre 1456 et 1459 et, de 1465 jusqu'à sa mort, il porte le titre de "maistre de la chapelle de chant du roy". + article "Les répertoires liturgiques latins pour saint Martin (VIe-Xe siècle)" de Jean-François Goudenne, 2012, avec des extraits de sacramentaires du XIIème au XVème siècle. Signalons que le numéro 2007-3 de la "Lettre Martinienne" présente en ses pages 12 à 18 les "Vêpres de la Saint Martin" de Claudio Monteverdi et en ses pages 19 à 21 l'oratorio "Le manteau du partage" créé en 1999 par Gérard Venant (et présentation dans LM 2007-1). + La page "Musique et musiciens d’Église dans le département d'Indre et Loire autour de 1790 ".


    A gauche une partition, les premières sont apparues au XIème siècle. Au centre , portrait présumé de Jean de Ockeghem. A droite, enluminure d'Etienne Collaut, "Chantres au lutrin" 1537, Ockeghem pouvant être le personnage central avec cheveux gris et lunettes [BnF, lien] + autre vue (lien) + image d'un bréviaire de Saint Martin de Tours, XIIIème siècle + double-page du Maupoix 2018 avec analyse de prières chantées et illustrées d'un manuscrit du début du XVème siècle de l'abbaye St Martin des Champs de Paris [bibliothèque Mazarine de Paris] + dossier de presse "Cubiculum musicae Ockeghem" 2015. + illustration issue de la vidéo du projet ReViSMartin 2020 présenté ci-avant (voir aussi le "making of"). + deux manuscrits tourangeaux avec des notes de musique (lien) : 1 [bréviaire Marmoutier, 2ème moitié XIème siècle, Arch. Dép. 37] 2 [graduel festif de Notre Dame la Riche, XVIème, B. M. Amiens].


    ["Visages e la Touraine", Pierre Leveel, Jacques-Marie Rougé, Emile Dacier, Jacques Guignard 1948]


    L'assemblée de Tours, réunie en 1506, proclame Louis XII "père du peuple" [Michel Martin Drolling, peinture au plafond d'une salle de la galerie Campana du musée du Louvre + tableau (P.-S.)] + deux gravures de cette réunion : 1 [LTh&m 1855] 2. Les états généraux de 1484 avaient été convoqués par la régente Anne de Beaujeu à Tours après la mort de Louis XI le 30 août 1483 et pendant la minorité de Charles VIII. Seize ans auparavant, Louis XI avait réuni à Tours les Etats Généraux de 1468. Ce furent les deux seules fois où cette assemblée s'est réunie en la ville de Martin.

    Dès 1501, Louis XII, successeur de Charles VIII sur le trône de France et dans le lit d'Anne de Bretagne, décide en secret de marier sa fille Claude à François d'Angoulême, un cousin (au 4ème degré) devenu duc de Valois et son futur successeur François Ier, contre l’avis d’Anne de Bretagne qui projette de l’unir à Charles de Habsbourg. Sa maladie, en 1505, précipite les choses. L'assemblée des notables se réunit à Tours pour annuler le traité de Blois qui avait promis Claude de France à Charles d’Autriche et "supplier" le roi de marier Claude à François. A l'occasion des fiançailles, toutes les notabilités de France sont réunies à Tours pour assister à la bénédiction du puissant cardinal d'Amboise. "Des processions générales eurent lieu pendant huit jours consécutifs et des réjouissances de toutes sortes (tournois, feux de joie etc.) célébrèrent dignement cet événement qui assura l'intégrité et l'indépendance du territoire de la France" [Giraudet, 1873].


    La double reine Anne de Bretagne d'abord épouse du roi Charles VIII puis épouse du roi Louis XII, en application de l'accord signé lors de son premier mariage. A gauche, son portrait, devant un livre enluminé, par Jean Bourdichon ["Les grandes heures d'Anne de Bretagne", BnF] + du même Bourdichon miniature de Louis XII et ses saints patrons (sans Martin...). A droite, elle assiste aux fiançailles de François d'Angoulême, futur François Ier, 12 ans, et Claude de France, 7 ans, fille de Louis XII, le 21 mars 1506 au château de Plessis lès Tours [Jean d'Auton, Chroniques de Louis XII enluminées par Guillaume Leroy, Lyon, vers 1507. BnF]. Sont présents trois cardinaux et les mères, Anne de Bretagne à gauche (hostile à cette union...), avec sa couronne, et Louise de Savoie à droite ; au-dessus, couronné, Louis XII. Dix ans plus tard, le 21 août 1516, Tours accueillit François Ier de façon somptueuse : double-page de Hervé Chirault et Aude Lévrier ["Guide secret de Tours et de ses environs", 2019]


    François Ier à 5 ans et à 20 ans et la mort de François de Paule [Nikto -Kline 1987] + les trois planches sur la vie du saint en Touraine : 1 2 3. Sur Francois de Paule, voir ci-avant et ci-après.


    La basilique Saint Martin d'Hervé, reconstruite en 1180, au Moyen-âge. A droite, extrait de la vue ci-dessous.


    Gravure de Claes Jansz Visscher 1625, anotée, le pont d'Eudes à gauche [Ta&m 2007] + deux compléments de cette carte  : 1 2 + une vue analogue réalisée par Jean Yves Barrier en 1970.


    La bonne ville. Après 1360, une même enceinte réunit la cathédrale Saint Gatien (au centre gauche) (sur sa droite le château de Tours, lien) et la basilique Saint Martin (au centre droit) (sur sa gauche l'église St Pierre le Puellier et haut clocher) [gravure de Joris Hoefnagel, "Tours, le jardin de la France", 1561] + variante [Jacques Chereau le jeune, 1688, MBAT] + reprise dans un dessin de Joël Tanter, 1986 + article de Henri Galinié sur la fusion des deux villes en une seule [Ta&m 2007].
    La tour feu-Hugon. A l'extrême gauche du plan ci-dessus, derrière une tour carrée en bord de Loire, on peut distinguer la tour feu-Hugon, édifiée vers 875, qui a peut-être donné son nom aux Huguenots. En voici un plan-dessin (lien), un gros plan et une restitution avec la chapelle Saint Libert, devenue au XXIème siècle le siège de la SAT [Cossu-Delaunay 2020]. On remarque que sur ces trois représentations, la tour feu-Hugon est succivement rectangulaire, ronde et carré, signe que l'on ne sait pas grand chose d'elle...

    La Renaissance tourangelle. Dans son "Histoire de Tours" (1985), Bernard Chevalier montre combien les hommes d'affaire tourangeaux et "leurs cousins entrés dans l'Eglise", au premier rang desquels se trouve Guillaume Briçonnet, ont "acclimaté en France l'idée d'orner le façade des bâtiments" à la mode italienne. "Que l'on aimerait pouvoir encore jouir de ces chefs-d'oeuvre ! La façade de l'hôtel Gouin exécutée vers 1520 pour René Gardette et sauvée de justesse en 1940, celle de l'hôtel Babou sont là encore heureusement pour nous en donner une idée." Et aussi la porte du trésorier du chapitre et le cloître Saint Martin. "Après tout ce n'est pas sans raison que la première Renaissance en France peut être donnée comme tourangelle". Tours n'en reste pas mois une ville moyenne du royaume (environ 24.000 habitants d'après Bernard Chevalier, vers 1520), comme le montre cette carte de l'armature urbaine en 1538 ["Les renaissances", Belin 2013]. A Tours des édifices portent la marque de la Renaissance (ci-dessous + planche de Guignolet 1984) et en Touraine, des châteaux renommés ont éré édifiés (+ planche de Guignolet 1984).


    Edifices de la Renaissance à Tours. A gauche, l'hôtel Gouin, construit par le maire de Tours Nicolas Gaudin et son épouse Louise Briçonnet, en son état actuel [Wikipedia]. + présentation ["Tours, guide de l'étranger", 1844] + trois gravures : 1 [Clarey-Martineau 1841] 2 [LTh&m 1855] 3 [Robida 1892] + en son état déplorable de 1940 après le grand incendie ["La Touraine dans la guerre" C.L.D. La NR 1985]. + restitution, avec les statues disparues, dans le projet ReViSMartin 2020. P.-S. : aussi l'hôtel de Guillaume Cottereau, maire, et son épouse Marie Quétier, nièce, petite-fille et petite-nièce de maires (cour intérieur : dessin de Gatian de Clérambault 1912 et carte postale).
    Le balcon de l'Archevêché L'illustration suivante montre le balcon d'époque Renaissance de l'archevêché (aujourd'hui Musée des Beaux-Arts) donnant sur la place Grégoire de Tours, à l'arrière de la cathédrale. C'est de ce balcon qu'était donnée lecture publique des jugements de justice. Imaginez le suspense et les réactions... [photo Wikipédia + photo 2019 avec le chevet de la cathédrale].
    + deux cartes de Tours ["Tours 1500 capitale des arts" 2012] : 1 édifices civils et religieux 2 hôtels et lotissements à la Renaissance 1445-1550.
    La porte du trésorier du chapitre Saint Martin sur les trois dernières illustrations. Ce portail du XVème siècle est celui de l'ancien hôtel des trésoriers de Saint Martin. Situé au nord dans l'ancien bourg de Châteauneuf (plan), l'hôtel du trésorier était le symbole de l'autorité temporelle des chanoines (droit de haute justice attaché à la charge du trésorier). Il a conservé un portail typique du gothique flamboyant : une porte cochère donnant sur une cour, au-dessus deux baies encadrant une niche veuve de sa statue. L'édifice actuel n'est qu'un vestige d'un important ensemble de bâtiments disparus. Situé au bout de la place du Grand Marché, à côté des Halles, il est encadré maintenant par deux maisons du XIXème siècle. + carte postale du début du XXème siècle. + deux gravures: 1 [Robida 1892] 2 [Oury - Pons 1977]. + récit illustré de l'architecte du patrimoine Arnaud se Saint-Jouan ayant dirigé la restauration de la façade [catalogue exposition PSMV 2003]
    Le cloître Saint Martin est aussi d'époque Renaissance (1515 environ), comme le montre cette photo et sa légende parlant de "chef-d'oeuvre" ["Centre d'études supérieures de la renaissance" à Tours, 1982, site]. Au sujet du cloître, voir ci-après.

    1522, aux ordres de François Ier, des soldats s'emparent de la grille d'argent ! Il faut beaucoup d'argent pour faire la guerre et la fabuleuse grille d'argent du tombeau de Martin, offerte par Louis XI, était trop tentante... Albert Robida ["La Touraine" 1892] raconte : "François Ier, qui préparait une expédition en Italie, se souvint avoir admiré souvent la grille en argent massif entourant le tombeau. Ce qu'un roi avait donné dans un accès de magnificence, un roi aux jours de gêne pouvait le reprendre. La grille fut enlevée manu militari. Les moines eurent beau lutter et s'enfermer, les archers forcèrent la porte ; d'ailleurs, le bourreau marchait derrière eux pour accentuer la contrainte. La grille fut transmuée en espèces sonnantes, mais l'argent de saint Martin ne porta pas bonheur au roi qui s'en allait à Pavie, et qui fut pris là-bas dans un champ faisant partie d'un domaine donné jadis au chapitre de Saint Martin par Charlemagne. " Après sa défaite à Pavie et le long emprisonnement qui suivit, François Ier accomplit à Tours une espèce d'amende honorable.

    Un illustre Tourangeau pendu au gibet de Montfaucon ! Mais l'affaire de la grille d'argent eut d'autres rebondissements, comme le raconte Albert Robida : "Une partie de cet argent avait d'ailleurs été détournéee au passage par la reine mère [Louise de Savoie], ce qui amena la perte du surintendant des finances, Jacques de Beaune-Semblançay, celui que François Ier appelait son père en signe d'affection particulière, Tourangeau illustre [maire de Tours en 1498] dont il reste comme souvenir dans la ville de Tours une portion de son hôtel rue Saint-François, et une charmante fontaine place du Grand-Marché [présentée en fin de chapitre précédent]. Semblançay périt victime de Louise de Savoie ; accusé de concussions, ne pouvant présenter les reçus justificatifs que la reine mère lui avait fait voler, il fut condamné et impitoyablement conduit au gibet de Montfaucon, à 83 ans, malgré le cri général." Son fils, Guillaume de Beaune, alors général des finances, fut banni. En 1529, François Ier le rétablit dans ses biens et ses dignités, ce qui constitue une sorte de réhabilitation posthume et indirecte de son père. Un autre de ses fils, Martin de Beaune-Semblançay, avait été, en 1519, le premier archevêque de Tours nommé par le roi (François Ier) en vertu du concordat de Bologne signé avec le pape Léon X.


    A gauche, François Ier, roi de 1515 à 1547, se repentant (?) d'avoir pris la grille d'argent [vitrail Lobin de l'actuelle basilique].
    Au centre gauche, un portrait certainement ressemblant de Jacques de Beaune-Semblançay dans un vitrail de l'église St Martin de Semblançay (avec saint Jacques, lien) + vitrail offert en 1516 par Jacques de Beaune à l'église St Venant de Ballan-Miré ["Le patrimoine des communes d'Indre et Loire" 2001 avec vue d'ensemble], le vitrail de Semblançay étant inspiré par celui-ci. Il est donc probable que ce portrait soit ressemblant. Peu avant son arrestation, Jacques de Beaune offrit aussi des vitraux à la basilique Saint Martin. + gravure XIXème siècle du surintendant + article du Mag. Touraine HS novembre 2000 présentant succintement la famille de Beaune et quelques autres grandes familles tourangelles.
    L'hôtel de Beaune Au centre droit, restitution par Jacquemin du jardin et de l'hôtel de Beaune-Semblançay, de style Renaissance, près de l'actuelle Rue Nationale à Tours (lien) + restitution par Cossu-Delaunay 2020. + gravure LTh&m 1855. Après sa destruction en 1940 (dessin de Cossu-Delaunay 2020), il ne reste qu'une façade (photo vers 1948 "Tours cité meurtrie", photo vers 2015, lien) devant laquelle se situe la fontaine de Beaune présentée ci-avant. La chapelle attenante réalisée par l'architecte Guillaume Besnouard (dessin 1869, Galerie Napoléon), en ruine par l'incendie de 1944, (photo Vitry 1948) a été réaménagée (photo Arcyon37 2014). Il n'est certes pas réaliste de rebâtir des bâtiments disparus, mais ne pourrait-on pas recréer le charmant petit jardin à la française ? Ce lieu est couvert d'une moche dalle bétonnée (photo 2019) et d'une banale zone gazonnée (photo 1970, photo 2013 flickr jlfaury). Sa fontaine n'est toujours pas réparée, est, en 2020, en triste état.
    A droite, le gibet de Montfaucon, à Paris (à l'emplacement des actuelles Buttes-Chaumont) [gravure Firmin Maillard, lien] + le même gibet sur une miniature de Jean Fouquet ["Grandes chroniques de France" 1460, BnF, lien].

    1538, les chanoines des Saint Martin se mobilisent contre les brigands. Eugène Giraudet dans son "Histoire de la ville de Tours" (1873), suite à la campagne d'Italie de François Ier en 1536-1538 : "Cette nouvelle guerre exigea des sacrifices d'autant plus lourds des habitants de la ville de Tours, qu'ils devaient en même temps suffire à la sûreté de leur ville, sans cesse menacée par les entreprises des bandes de pillards et aux exigences pécuniaires du roi, dont le trésor était toujours vide. Ces aventuriers profitèrent de la guerre et recommencèrent les ravages des temps passés. La ville de Saint Epain et le château de Montgoger [+ gravure de LTa&m 1845], tombés en leur pouvoir, sollicitèrent secrètement l'intervention du corps de ville de Tours ; cet appel leur réussit ; deux compagnies d'arquebusiers et d'artilleurs se portèrent en toute hâte à la poursuite de ces "gens mal vivants" et les repoussèrent dans le Poitou, après une lutte de peu d'importance. A leur retour de cette expédition, ces compagnies reçurent les félicitations des échevins ; une récompense de 30 sols fut accordée au sergent Martin Bresche et une somme de 10 livres au trésorier de Saint Martin (Claude de Longvy), qui avait bien voulu prêter l'artillerie des chanoines."

    François Ier : un mauvais roi ? Oui.... Sous forme interrogative, Frank Ferrand pose la question dans un livre puis article de L'Express en 2015 et y répond plutôt positivement. Localement pour la ville de Tours et la Touraine, il n'y a aucun doute, son règne fut très mauvais, nous venons d'en voir les raisons. Mais la période suivante, bien que mettant moins en cause ses successeurs, fut plus tragique encore... Avant de l'aborder, faisons une pause pour évaluer l'important patrimoine ecclésiastique tourangeau, de l'an mille à la Révolution, et ce qu'il en reste.



  37. La richesse des abbayes de Tours Saint Martin et de Marmoutier

    Martin lui-même a créé des liens entre Tours, Marmoutier, alors monastère, et les églises de Touraine. Au fil des siècles, ces liens se sont transformés et développés, les liens de subordination pouvant générer conflits et indépendances puis éventuels rapprochements. Tout en abordant une vue d'ensemble des communautés religieuses satellites, nous allons présenter celles qui furent les plus proches de Tours et qui furent parmi les plus riches à certaines époques. A commencer par Saint Martin de Tours et Marmoutier qui vécurent souvent en bonne entente, parfois en conflit, notamment au XIème siècle pour le prieuré de Saint Cosme, comme il sera précisé dans le chapitre suivant. Les deux établissements furent aussi en conflit avec l'archevêque de Tours et son clergé, de façon très prolongée sur plusieurs siècles pour Saint Martin (ici sur plusieurs des chapitres suivants), de façon plus brève mais très aigüe pour Marmoutier, voir deux chapitre plus loin la venue du pape Urbain II en 1096.

    La richesse foncière du chapitre Saint Martin. Dans l'étude "Les chanoines de Saint-Martin de Tours et les Vikings"), Hélène Noizet estime que le corps de Martin a quitté la basilique de 871 à 877 et non 885 comme communément admis. Elle montre que les chanoines ont su habilement profiter de la situation pour acquérir d'importantes propriétés dans l'Est de la France afin de pouvoir y protéger la châsse en cas de nouvelles invasions. Cela représentait environ un quart des terres de l'abbaye. Ils gardèrent ces biens jusqu'à la Révolution. Depuis Charlemagne, le chapitre possédait aussi d'importants biens immobiliers en Allemagne, en Belgique et en Italie. A la fin du XIIIème siècle, ils étaient encore nombreux en Italie. Il y en eut jusqu'en Egypte, à Alexandrie. A cela s'ajoutaient des liens de confraternité entre les communautés religieuses martiniennes.

    Les possessions de l'abbaye de Saint Martin de Tours au Xème siècle en Loire moyenne et dans l'Est de la France. Hélène Noizet a effectué une étude approfondie des biens de l'abbaye de saint Martin de Tours aux IXème et Xème siècle, pour l'essentiel conservés jusqu'à la Révolution. Elle montre que "l’espace économique san-martinien a été érigé en un réseau de possessions articulé en fonction des axes fluviaux, notamment la Loire et ses affluents tels que la Vienne. L’intégration de ce réseau de villae dans le système hydrographique ligérien est particulièrement frappante : nous avons essayé de comprendre le fonctionnement du système foncier de Saint-Martin en relation avec le système ligérien, ce qui nous a amené à nous poser la question de l’approvisionnement du chapitre. Ainsi, il nous semble que les chanoines avaient conservé un contact direct, et non pas indirect, avec leurs possessions", contrairement à d'autres grandes abbayes comme Saint Germain des Prés. "Les chanoines tourangeaux restaient donc proches de l'idéal de l'autarcie". Quatre articles d'Hélène Noizet, de 2001 et 2008 : 1 2 3 4 + lien. On pourra aussi consulter l'article de Philippe Depreux 2005 titré "La prébende de l’écolâtre et la gestion des biens de Saint-Martin de Tours au IXème siècle" ; extrait : "Saint-Martin de Tours offre l’exemple magnifique d’une seigneurie éclatée sur de larges parties de l’empire carolingien (ainsi, l’une des premières faveurs accordées par Charlemagne après la conquête du royaume lombard fut, en juillet 774, la donation à Saint-Martin de Tours de biens fiscaux sur le lac de Garde)". + article d'Hélène Noizet "L'approvisionnement du monastère Saint Martin" [Ta&m 2007].


    Cartes extraites d'étude d'Hélène Noizet citées ci-dessus, montrant les possessions du chapitre Saint Martin en Touraine et dans l'Est de la France. Il y avait aussi Saint Yrieix dans le Limousin, Moutier-Roseille dans la Marche (article)... Et à Tours même Saint Venant, Saint Pierre le Puellier, Saint Eloi. + carte élargie des "possessions de Saint-Martin dans le bassin-versant de la Loire au xe siècle".

    La pancarte noire de Saint Martin. En 1793, les révolutionnaires ont brûlé la bibliothèque du chapitre. Perte irréparable, contenant trois principaux cartulaires, recueils de chartes, titres, actes, nommés pancartes noire (avant 1132), rouge et blanche. Des érudits tentèrent de les reconstituer, au mieux. Ainsi, Emile Mabille, en 1866, écrivit-il le livre "La pancarte noire de Saint Martin de Tours, brûlée en 1793, restituée d'après les textes imprimés et manuscrits", 238 pages dans la numérisation Gallica. Exemple (page 150) : "30 mars 1096. Bulle du pape Urbain II, qui apaise le différent existant entre les chanoines de Saint-Martin et les religieux de Cormery. Il ordonne que, selon les décrets canoniques, les abbés de Cormery viendront prendre le bâton pastoral an tombeau de Saint-Martin, du consentement et par permission expresse du doyen et des chanoines."

    Dans les chapitres suivants, nous reviendrons sur la richesse du chapitre Saint Martin, notamment en ces trois occasions : 1 ses trésoriers, 2 ses doyens, 3 son opulence. Celle-ci connut plusieurs fortes contrariétés, jusqu'à la dernière, lors de la révolution. Si une nouvelle basilique revint presque un siècle plus tard, l'abbaye et son chapitre terminèrent là leur longue histoire.

    L'abbaye de Marmoutier 2/3, créée par Martin en 372 (voir Marmoutier 1/3), fut d'abord un monastère, annexe de l'abbaye Saint Martin de Tours jusqu'en 982, géographiquement localisée sur les grottes où avait vécu Martin. L'histoire de ces grottes est complexe à la fois par le manque de descriptions anciennes, par de multiples remaniements dus aux éboulements et aux reconstructions et par des ajouts de légendes plus ou moins véridiques. Si l'on peut porter crédit à justesse de la désignation de la grotte du repos de saint Martin, comme on l'a vu, on ne peut pas croire à celles de la grotte de Saint Gatien (cf. premier chapitre) et à celle des sept dormants (encadré ci-dessous) et on doute que saint Brice et saint Patrick aient passé de nombreuses nuits dans les grottes à leur nom.


    L'habitat troglodytique de Martin et ses disciples. A gauche, coupe au IVème siècle [Lelong 1989]. Au centre, dessin des grottes en 1749 [Honoré Cassas, MBAT] + (P.-S.) dessin XIXème siècle [archives dép. 37]. A droite, la "fontaine miraculeuse creusée par saint Martin", ensevelie par un éboulement en 1985 [explications Pierre Audin 1997] + deux cartes postales : 1 2. Grotte de saint Patrick / Patrice, photo. et explications de LM 2006-1. Grotte de saint Brice à côté de celle de Martin, photo [Collectif 2019].
    La grotte du repos de saint Martin, celle où Martin a dormi, d'après Charles Lelong. Son entrée est emmurée dans un haut bâtiment du XIIIème siècle (sa structure et sa façade Nord le long du côteau, Collectif 2019) au pied Sud duquel se tient actuellement le hangard des fouilles de l'église abbatiale. Rappel de deux photos du début du XXème siècle déjà présentées : 1 (vue côté Sud) 2 (intérieur) et ajout de six photos de 2019 de Paul Péricaud (lien), les trois premières d'intérieur : 1 2 3 4 (entrée côté sud) 5 (vue de loin, derrière le hangar des fouilles). 6 (la grotte du repos à droite, celle de St Brice à sa droite, les autres grottes à gauche).
    La grotte de saint Léobard. Saint Léobard / Libert était un ami de Grégoire de Tours, décédé en 583, qui vécut 22 ans dans une grotte (lien) A priori, il serait donc crédible que cette grotte fut la sienne mais Charles Lelong en doute (extrait de son livre de 1989). Ci-contre carte postale + photo [" Saint Martin de Tours, XVIème centenaire" 1996].

    A Tours, sur les bords de la Loire, la chapelle Saint Libert est une ancienne église du XIIème siècle s'appuyant sur les remparts du castrum gaulois, réhabilitée de 2012 à 2016 par la Société Archéologique de Touraine (SAT) qui en a fait son siège.
    Les fouilles de fin du XXème siècle et début du XXIème. Sous la direction de Charles Lelong dans les années 1980 et d'Elisabeth Lorans dans les années 2010, d'importantes fouilles archéologiques ont été effectuées, permettant de mieux connaître ce qui avait disparu au fil des ans et ajoutant de nouvelles interrogations sur une histoire commencée avant l'arrivée de Martin. Sur les premières époques d'occupation des lieux, on pourra consulter cette page archéologie du site citeres.univ-tours.fr, et ces deux articles d'Elisabeth Lorans : 1 ["Le premier monastère d'Occident aux portes de la ville" Ta&m 2007] 2 [les origines du monastère, 2012].
    L'interrogation de l'archéologue. Après avoir écrit "L'étude des remblais rencontrés à tous les niveaux à l'emplacement des églises successives a révélé, à notre grande surprise, une occupation du site beaucoup plus ancienne qu'on aurait pu le penser de prime abord : au moins à partir du Ier siècle de notre ère.", Charles Lelong, qui dirigea les fouilles dans les années 1980, termine son livre "L'abbaye de Marmoutier" 1989 par cette remarque : "On sait que quantité de sanctuaires païens furent détruits au IVème siècle, en particulier par saint Martin, et souvent remplacés par des églises ou des monastères.Emile Mâle a dressé la liste de ces sites où la couche d'incendie est datée par les monnaies. Faut-il envisager cette hypothèse pour Marmoutier, ce qui impliquerait l'existence des replats de la falaise (et des structures maçonnées profondes) avant l'arrivée de saint Martin ? Le silence de Sulpice Sévère, qui rapporte par ailleurs si précisément les interventions destructrices de Martin à Amboise et à Levroux, serait bien surprenant. En tout état de cause, il ne semble pas possible d'attribuer l'incendie aux Normands et de dater le mur à arase du IXème siècle."


    Des grottes aménagées. A gauche, le baptistère en 1911 dessiné par Sabine Baring-Gould (lien) + case de BD Utrecht 2016 s'inspirant de ce dessin + photo [" Saint Martin de Tours, XVIème centenaire" 1996]. Au centre les grottes sur une carte postale du début du XXème siècle (à droite la tour des cloches) + deux autres cartes : 1 2. A droite, sur une autre carte postale, l'entrée de la grotte-chapelle des sept dormants (au fond la tour des cloches) + photo 2014 de la terrasse.
    La grotte des sept dormants. Il existe une légende des sept dormants à Ephèse, en Asie mineure. Elle a été transposée à Marmoutier avec des moines qui se seraient endormis et se seraient réveillés quelques siècles plus tard. Il existe une variante avec sept cousins de Martin, représentés sur cette enluminure de "La vie et miracles de monseigneur saint Martin translatée de latin en français" en 1496. On a trouvé sept tombes dans cette grotte. + deux cartes postales de l'intérieur de la chapelle des sept dormants : 1 2. + photo d'extérieur 2016 des grottes, avec à gauche la porte de Sainte Radegonde (inutilisée) et en bas à droite la chapelle des sept dormants.


    Marmoutier actuellement. A gauche, le portail de la crosse, avec une sculpture en son fronton (+ gravure Lecoy 1881 + descriptif par Charles Lelong 1989 + trois cartes postales : 1 2 3) + (P.-S.) carte postale de l'ancienne porte du XIIIème siècle. Au centre, les grottes et la tour des cloches (photos de 2016) (+ photo du même endroit) A droite, vue du ciel avec en avant-plan le portail de la crosse et l'école privée Institution Marmoutier, en arrière plan, les grottes, la tour des cloches et le hangar des fouilles de l'église abbatiale. + autre vue du ciel [carte postale fin XXème siècle].
    Un accès difficile. Le portail de la crosse est le seul accès public au site et il sert aussi d'entrée à l'école privée, comportant de grands bâtiments et une chapelle (trois cartes postales : 1 2 3). Le visiteur impromptu trouvera donc porte close (si elle est par hasard ouverte, il sera refoulé un peu plus loin...) et sera frustré de n'avoir vu que le portail, sans même apercevoir les grottes... Quand donc y-aura-t-il une entrée disponible à tous en toute journée ? Il y a certes des visites organisées, surtout en été, mais c'est insuffisant pour un exceptionnel lieu patrimonial.
    + plaquette municipale 2014 présentant une randonnée entre la basilique et Marmoutier.

    En ses premières années, et, à un moindre degré, au-delà de l'an mille, Marmoutier fut un centre de formation religieuse où passèrent nombres d'évêques et d'évangélisateurs. Nous avons passé en revue ceux que l'on connaît, d'abord ici en Gaule et hors de Gaule.

    L'élan de l'an mille En 982, le roi Lothaire fit don du monastère de Marmoutier au comte de Blois Eudes Ier. Adoptant l'ordre clunisien vers l'an mil, soutenue par les Capétiens et les Plantagenêts, elle prend son indépendance par rapport à l'abbaye Saint Martin de Tours et essaime, créant monastères et prieurés au nord de la Loire, de la Bretagne à la Champagne, aussi en Angleterre et en Irlande. Au Moyen-âge central, elle est prospère et considérée comme le "Cluny de l'Ouest", selon une expression reprise en 2019 par Bruno Judic. 21 prieurés étaient sous sa dépendance dans le diocèse de Tours. On peut prendre en exemple l'abbaye de Saint Savin sur Gartempe, dans le Poitou proche de la Touraine, créée vers l'an 800 par Baidilus, clerc palatin à la cour de Charlemagne, abbé de Marmoutier. S'appuyant sur la découverte de deux cadavres, il prétend que ce sont les restes de deux martyrs du Vème siècle, Savin et Cyprien, dont aucun écrit n'avait parlé auparavant. Et leur vie de saint est inventée pour provoquer un culte artificiel [extrait du livret sur cet abbaye, rédigé par Emmanuelle Jeannin, 2017]. Dans le livre "La fabrique de la ville" d'Hélène Noizet 2007, on pourra consulter la page titrée "Marmoutier et Châteauneuf de la fin du xe siècle au milieu du XIIème siècle".


    A gauche, la femme-Loire imaginée sur le coteau de Rougemont : ses genoux, sa tête, une épaule et deux seins dépassent...
    A droite une maquette reconstituant, vue du Sud, l'abbaye en sa plus belle expansion,ou presque (voir ci-dessous le plan Gaignières).
    2011, le scandale de la femme-Loire. Au-dessus des grottes de Marmoutier, sur le coteau appelé Rougemont, inclus dans l'anceinte ancestrale (c'est là qu'était le logis de l'abbé, accessible par un très long escalier, dont subsistent quelques restes), les autorités municipales tourangelles eurent, en 2011, l'idée très saugrenue de positionner la statue géante (17 mètres de haut !) d'une belle femme, maigrichone, nue, alanguie, les jambes écartées... Il se disait même qu'il faudrait passer entre ses cuisses pour y pénétrer... Le fait que ça domine les grottes était gommé... L'émoi fut si fort que, malgré un entêtement prolongé, le projet fut d'abord déplacé, puis oublié... + deux maquettes de la statue : 1 (2010, flickr Guillaume Cingal) 2 (2012). + emplacement (sans montrer Marmoutier) et précisions sur le projet + article 2011 de Nathalie Tubiana [planet.fr]. Il existe un tableau mal nommé "Le jardin de la France", qui aurait pu s'appeler "La femme-Loire", présentant une nymphe plus pulpeuse et plus consensuelle. L'auteur est Max Ernst, qui vécut une quinzaine d'années en Touraine [1954, Centre Pompidou à Paris, liens : 1 2].

    Un luxe qui fascinait. Après l'élan de l'an mille et plusieurs siècles de prospérité, arrive un lent déclin puis un renouveau. Charles Lelong, en son livre de 2000 : "L'abbaye de Marmoutier qui avait sombré dans la médiocrité fut intégrée à l'ordre de Saint-Maur par Richelieu en 1637 et la dévotion à saint Martin connut un regain éclatant."... comme en témoigne Martin Marteau en 1661 : "Si nous considérons l'ample et superbe abbaye de Marmoutier, nous serons contraints de confesser avec vérité que c'est une des plus grandes merveilles du monde. Aussi est-elle tant renommée pour sa splendeur, magnifiques batiments, belle situation et grandes richesses, qu'elle porte le nom du plus grand monastère de France." Charles Lelong : "A la veille de la révolution, l'abbaye avait grande allure, au point qu'on y venait autant par curiosité que par piété. [...] Tous s'extasiaient devant la magnificence des lieux." Un voyageur estimait que "l'ensemble général offrait plutôt l'aspect d'un palais que d'un monastère". La liste des prieurés et dépendances de l'abbaye est impressionnante (lien).

    Un luxe qui irritait. Bastien Chérault, dans Collectif 2019 nous montre l'envers du décor : "Au moment de la Révolution, pour la population tourangelle, l'abbaye fait partie de cette infinité de couvents d'hommes de différents ordres qui sont très riches [voir par exemple la page de présentation de Jules-Paul de Lionne, nommé abbé de Marmoutier en 1665]. Leurs revenus sont même employés à des usages bien contraires à ceux à quoi ils étaient destinés. Des récits, souvent anticléricaux, évoquent le train de vie excentrique des moines de Marmoutier, leurs tables sont somptueusement servies, ils jouent aux cartes et au billard. Ainsi les bénédictins de Marmoutier se placent, aux yeux de la Révolution, comme l'ensemble du clergé français, et au même titre que l'Etat absolu, dans le champ des ordres fastueux et privilégiés. Les crises de subsistance de la fin des années 1780 amplifient cette vision négative." Arrive la Révolution, la communauté disparaît (photo d'une pierre tombale), les batiments sont en grande partie détruits...



    A gauche, souvenir de son état au milieu du XVIIIème siècle, par François-Alexandre Pernot, 1852 [rectorat St Martin], le portail de la crosse est devant, l'église abbatiale est au fond juste à droite de la haute tour des cloches, toujours existante avec un clocher moins haut. A droite en haut, aquarelle de Louis Boudan du début du XVIIIème siècle, vue de l'Est montrant l'importance de l'abbaye [collection Gaignières, BnF]. A droite en bas, vue de l'Ouest / devant, esquisse de A. D. Morillon Aîné en 1802 quand l'abbaye a encore de belles ruines [SAT] + autre esquisse de Morillon, vue de l'Est / derrière (à droite la grotte du repos) [Illustrations du Catalogue 2016]. + (P.-S.) : cinq illustrations des ruines [archives dép. 37] : 1 2 3 [Constant Bourgeois] 4 5 + page de photos récentes de Lionel Francès.


    A gauche, vue du ciel, de l'Ouest, en 2018, avec au fond au centre l'imposante tour des cloches. A droite, photo de La NR 2011 avec un panneau reprenant le tableau ci-dessus en bas à droite, de l'endroit où l'artiste l'a peint. Derrière le panneau, à gauche du hangar où s'élevait l'église abbatiale, se dresse la grotte du "repos de saint Martin" déjà présentée. + plans du site à la fin du Xème siècle, à la fin du XIIème et au début du XIVème, montrant notamment l'intégration de la grotte du Repos à la collégiale [Collectif 2019]. + courte vidéo INA de présentation des ruines.
    Une remarquable église abbatiale, plus grande que la cathédrale de Tours ! Charles Lelong (qui dirigea les études archéologiques) en son livre de 1989 : "L'abbatiale de Marmoutier du XIIIème siècle, passait, au XVIIIème siècle, pour l'une des plus vastes et des plus belles du royaume. Par ses dimensions, elle avait figure de cathédrale et surpassait même très largement celle de Tours qui, disait-on "pourrait y danser en rond" : 127 mètres de longueur totale avec le porche, 110 mètres dans l'oeuvre, 13,78 mètre de largeur pour le grand vaisseau..." (à comparer avec les dimensions de la cathédrale de Tours , ci-avant et des basiliques Saint Martin successives, ci-après). Mais pourquoi une église si grande ? Quand était-elle pleine ? Les résidents, pélerins et touristes étaient-ils si nombreux ? Les habitants de Tours y venaient surtout lors des deux fêtes annuelles de Saint Martin. + article 1988 illustré de Charles Lelong "L'abbatiale gothique de Marmoutier".


    A gauche, dessin de l'entrée de l'église abbatiale de Marmoutier en 1781 (dont les ruines sont sous le hangar de la photo d'avant), avec à gauche la tour des cloches toujours existante (avec un toit moins haut) [Thomas Pringot,SAT, Catalogue 2016]. Au centre, la même vue reprise par Charles Lelong en son livre "L'abbaye de Marmoutier" (C.L.D. 1989). A droite, issue du même livre, photo d'un reste de la crypte du XIème siècle de cette abbatiale + vue générale de la crypte sous le hangar [Catalogue 2016]
    Souvenirs d'une abbaye puissante. En plus de celui de la collection Gagnières montré précédemment, voici cinq plans (* : lien clos de Rougemont) : 1* XIIIème siècle 2 XVIIème siècle [Monasticon Gallicanum, vue du sud, avec légendes d'un livret de 1964 + [P.-S. archives dép. 37] autre jeu de légendes] 3 XVIIème siècle [Charles Lelong 1989] 4* XVIIIème siècle 5* XXIème siècle (+ photo* aérienne correspondante). Plan et dessins de bâtiments en 1749 [Honoré Cassas, SAT, Catalogue 2016]. Tableau de l'abbaye vers 1790 [Charles-Antoine Rougeot 1797, MBAT]. Lithographie de C. Bourgeois et F. Delpech 1819 [Archives départementales 37]. Vitrail du portail de la Crosse vers 1955 de l'église St Martin d'Olivet en Orléanais (lien). Sept gravures LTh&m 1855 : 1 (reprise partielle du Monasticon Gallicanum avec légendes) 2 (église extérieur) 3 (portail) 4 (mur fortifié) 5 (église intérieur) 6 (grotte de saint Brice) 7 (la tour des cloches) [Oury - Pons 1977]. Quatre autres gravures  1 [1819, "Visages de la Touraine" 1948] 2 [Jean-Jacques Delusse 1821] 3 [LTa&m 1845] 4 [Albert Robida 1892]. Peinture par William Turner 1826. Aquarelles de Picart le Doux 1941. Extrait "Les vestiges du passé" d'un livret de 1964. + Le livre "Histoire de Marmoutier, depuis sa fondation par saint Martin jusqu'à nos jours", 1897, par Paul Delalande, 160 pages [Gallica] + brochure 2014 de 44 pages édité par la DRAC, sous la direction d'Elisabeth Lorans et Thomas Creissen.


    A gauche, extrait de la reconstitution déjà montrée à comparer avec un extrait de la vue du ciel déjà montrée : au fond à gauche, la haute tour des cloches est le seul bâtiment rescapé, mais raccourci. La grande église abbatiale est remplacée par le hangard couvrant les vestiges. Sur le devant les dortoirs, infirmerie et autres structures de logement des religieux et accueil des pélerins ont disparu pour laisser place à de la verdure. Au centre et à droite, deux restitutions 3D (lien) : 1 la crypte de l'église 2 le rez-de-chaussé de l'hôtellerie (logis des hôtes). Cinq pages du livre de Charles Lelong 1989 "L'abbaye de Marmoutier" : 1 tour des Cloches 2 réfectoire et dortoir 3 maison du grand prieur 4 dortoirs et sacristie (notée "salle commune", code Z, dans le monasticon) 5 logis des hôtes et sacristie. Voir aussi Marmoutier 1/3 et 3/3..



  38. Les abbayes voisines et satellites de Cormery, Beaumont, St Cosme, St Julien

    A Tours ou à proximité, des abbayes (prieuré pour Saint Cosme) ont été créées, souvent en complément de Saint Martin ou Marmoutier, pouvant prendre ensuite leur indépendance. Celles ici présentées ont longtemps été prospères. Seul Saint Julien, située au milieu des deux abbayes mères a conservé en état son église. Si on s'en tient aux édifices religieux dans le même périmètre, cette page présente aussi l'église Saint Pierre le Puellier (ci-avant), le couvent des Minimes (ci-avant), la chapelle du Petit Saint Martin (ci-après), et, ci-après, l'église Saint Saturnin, le couvent des feuillants et l'église Saint Clément.

    L'abbaye Saint Paul de Cormery, située à une vingtaine de kms au sud-est de Tours, sur la rive droite de l'Indre, est créée en 791 par Ithier, abbé de Saint Martin, prédécesseur d'Alcuin. Estimant qu'il y avait un relâchement dans la façon de vivre à Saint Martin et qu'il ne pouvait pas y remédier, il partit avec un petit nombre de moines s'installer en ce lieu de pénitence nommé "coeur mary" puis Cormery. Alcuin obtint ensuite des privilèges pour la nouvelle abbaye qui, tout en restant attachée à sa maison mère de Saint Martin, se développe par elle-même. Elle prospère malgré des destructions par les Normands et par des bandes armées durant la guerre de cent ans. Elle acquiert des biens immobiliers importants en Touraine (17 prieurés) et ailleurs. A partir de 1519, l'abbaye est dirigée par un abbé séculier, voire laïc, le premier est Denis Briçonnet, évêque de Saint Malo, fils du cardinal Guillaume Briçonnet. Pillée lors de la guerre de Cent ans [récit de Bernard Briais dans "Anecdotes historiques de Touraine" 2015], détruite lors de la Révolution, il reste de belles ruines. + Extrait du livre d'Hélène Noizet 2007 "La fabrique de la ville" (lien) sur les rapports tendus de l'abbaye de Cormery et le chapitre Saint Martin à la fin du XIème siècle. + livre "Cartulaire de Cormery précédé de l'histoire de l'abbaye et de la ville de Cormery" par Jean-Jacques Bourassé [SAT 1861, 450 pages] + étude 2015 "Mise en valeur de l'architecture et du patrimoine" [58 pages illustrées].


    De gauche à droite : maquette de l'abbaye de Cormery, Denis Briçonnet, Saint Martin de Tours (en vert) et possessions de l'abbaye (en rouge), sa tour Saint Paul, qui a de fortes ressemblance avec la tour Charlemagne à Tours. + liste des abbés + trois gravures : 1 [1819, "Visages de la Touraine" 1948] 2 [LTa&m 1845] 3 [LTh&m 1855] + carte postale + plan en 1674 + vue dans le Monasticon Gallicanum + autre photo. + page sur l'histoire de Cormery et son abbaye. + site de restauration, animation et visites "Les amis d'Alcuin" (avec maquette 3D). + extraits de l'article "Les églises de Cormery" 1908 d'Octave Bobeau, quatre illustrations : 1 salle du premier étage de la tour 2 idem, vue d'angle 3 restitution de la façade carolingienne 4 état ancien de la tour.
    Anecdote généalogique et judiciaire. Par mon père je descends de Pierre Pigier, procureur au siège présidial de Tours vers 1615, habitant Cormery, et, par ma mère, de Pierre Mocquet, maître apothicaire à Cormery vers 1580. Hugues Morineau (signature), beau-frère du premier et époux d'une nièce du second, sieur de Cottereau à Saint Branchs, procureur fiscal de la châtellenie de Cormery, notaire royal habitant les Ponts de Cormery à Truyes, fut assassiné par un fils bâtard de son frère moine à Cormery. Le crime avait été commandité par les gendres et les filles de la victime, Marie et Jehanne, qui voulaient hériter de leur père alors que celui-ci voulait se remarier après le décès de sa femme. Marie fut innocentée, l'exécutant du crime fut condamné à mort, comme les trois autres, mais ceux-ci par contumace car ils réussirent à s'enfuir. 32 ans plus tard, il y eut un rebondissement, Jehanne reparut à Cormery : récit et jugement "Le parricide de Cormery" (10 pages, liens : 1 2). C'est un tribunal tel que celui ci-dessous qui condamna à mort le fils du moine de Cormery [Jean-Paul Laurens 1887, "L'agitateur du Languedoc", lien]


    L'abbaye de Cormery dans la collection Gaignières 1699


    Les fameux macarons des moines ! A gauche, lithographie de A. Noël 1819 ["Visages de la Touraine" 1948]. A droite, photo du cloître et du réfectoire. Au centre un macaron de Cormery, à ne pas manquer si vous venez voir les ruines. Comme l'indique la page du site de la mairie cormerienne (lien), "On admet souvent que ce macaron, « nombril du monde », fut créé en 781 dans notre abbaye à Cormery" + affichette de vente + présentation [Mag. Touraine 1988 n°26] (ces macarons sont disponibles à Tours, à l'épicerie Dejault, 74 rue Giraudeau).

    L'abbaye de religieuses Beaumont est située à environ 1 km au sud de Châteauneuf depuis sa création en 1002 par le trésorier Hervé, qui 12 ans plus tard termina la basilique romane Saint Martin. Un texte d'accompagnement de l'exposition organisée du 1er au 31 juillet 1995 au Quartier Beaumont (lien) montre des origines beaucoup plus anciennes en un lieu très proche du tombeau de Martin : " Vers 550 Ingeltrude, petite-fille de Clovis, fit construire une chapelle à proximité du tombeau de saint Martin, alors l'un des sites spirituels les plus importants de la Chrétienté : Notre-Dame de l'Ecrignole ('la meilleure' ou 'la principale'). Elle abrita sa retraite en compagnie de quelques pieuses femmes dans un bâtiment voisin. La communauté ainsi créée ne fit que s'accroître au fil du temps, se consacrant à la prière et au chant de l'office divin selon la règle de saint Benoît. A la fin du Xe siècle cependant, un immense incendie ravagea la basilique Saint-Martin et l'Ecrignole. A la nouvelle de ce désastre les dons, provenant de toute la Chrétienté, affluèrent pour la restauration du lieu saint. Hervé de Buzançais, chargé de la reconstruction, apporta un soin particulier à Notre-Dame de l'Ecrignole et se rendit vite compte que le nouveau monastère était désormais trop petit pour les moniales. Il obtint donc du roi Robert le Pieux la création sur une de ses terres, à l'emplacement de la chapelle de Notre-Dame des Miracles, d'une abbaye destinée à accueillir les religieuses, qui ne s'y installèrent véritablement qu'en 1007. Par lettres patentes, le roi avait donné l'ordre que, en échange de prières pour le royaume, Sainte-Marie de Beaumont fût bâtie de ses deniers, la dotant plus tard de biens et de privilèges, dont celui de ne relever que du roi et des chanoines de Saint-Martin. La première abbesse, Hersende, reçut d'ailleurs sa crosse, la bénédiction et les saintes huiles des chanoines de la basilique. A la mort de celle-ci, la crosse fut déposée sur le tombeau de saint Martin, signe d'allégeance de l'abbaye envers la basilique. Aux dons et privilèges considérables accordés par le roi s'ajoutent encore de nombreuses donations de la part de toute la noblesse de l'époque. La générosité des grands du royaume permet ainsi à l'abbaye de vivre de ses propres ressources dès le XIème siècle." + extrait du livre "La fabrique de la ville", Hélène Noizet 2007 (lien), expliquant la création de l'abbaye par la volonté du trésorier Hervé de faire de la place pour la nouvelle basilique et déménager des voisines encombrantes...


    Gravure de 1699 dans la collection de François-Roger de Gaignières (le dessinateur a situé le Cher au nord alors qu'il est au sud), dessin de R. Parfait et ce qu'il reste de l'abbaye, le logis de l'abbesse, bâtiment tardif de 1786, aussi appelé "pavillon de Condé"avec en modillon une tête féminine (photo Michel Sigrist) + gravure [Oury - Pons 1977].

    En 1602, après divers incidents, le pape Clément VI décide que Beaumont ne relèvait plus de Saint Martin mais de l'archevêché. "La prospérité de l'abbaye ne souffre cependant pas de ces querelles. Une fois ces intrigues réglées, Sainte-Marie de Beaumont se trouve du même coup libérée. Ses jardins peuplés d'oiseaux exotiques, son ensemble architectural en font l'un des joyaux de la région. [...] la densité des biens qu'elle y possède, permet à l'abbaye d'exercer une influence économique directe sur la Touraine et le centre du royaume. [...] En août 1784, l'abbaye est en grande partie détruite par un incendie. Sa reconstruction est financée par la cassette royale (54 0000 livres) et l'économat des abbayes (20 000 livres). Les travaux, exécutés selon les plans des architectes Bourgeois et Prudent, sont terminés deux ans plus tard. [...] Les religieuses sont dispersées en 1791 et Madame de Virieu se retire avec quelques moniales dans la maison de Tristan à Tours. L'abbaye, découpée en cinq lots, est adjugée 65 000 livres à des marchands de pierre ; les bâtiments, à l'exception du logis abbatial, sont rasés ; les jardins ne sont bientôt plus qu'un vaste terrain vague : la Révolution a eu raison de près de 800 ans de prospérité. Il s'écoulera désormais 123 ans avant que, rachetée par l'état pour y construire une caserne, Beaumont ne reprenne vie et ne trouve enfin sa place au coeur de la cité.". Seul subsiste le logis abbatial. L'abbaye possédait 12 prieurés. Une de ses dernières abbesses, de 1733 à 1772, Henriette-Louise de Bourbon-Condé (1703-1772), dite "Mademoiselle de Vermandois" petite-fille de Louis XIV et de Mme de Montespan, soeur du premier ministre duc de Bourbon-Condé, avait refusé d"épouser son cousin Louis XV (récit par Guy-Marie Oury, Oury - Pons 1977). Des fouilles archéologiques sont en cours (article de France-Bleu Touraine en 2019). Dans le diocèse de Tours, six prieurés dépendaient de l'abbaye de Beaumont (Avon, Ballan, Chezelles, Le Liège, Saché et Theneuil).

    Le prieuré Saint Cosme objet de dispute entre les chanoines de Saint Martin et ceux de Marmoutier. François-Christian Semur en son Semur 2015 : "Situés dans les faubourg de Tours, à La Riche, les vestiges du prestigieux prieuré Saint-Cosme sont lovés dans un cadre à la fois verdoyant et fleuri. A l'origine, les reliques de deux saints de Syrie, saint Cosme et saint Damien [deux frères], avaient été rapportées d'Auvergne, sans doute par saint Grégoire, évêque de Tours. Ces reliques furent tout d'abord placées près de la basilique Saint-Martin où leur culte eut un tel succès que l'on décida de construire un oratoire à quelques kilomètres en aval de Tours. Aussi, c'est au tout début de l'an Mil que le trésorier de Saint-Martin, Hervé, fit édifier le premier sanctuaire [plan avant et après, Catalogue 2016]. A la fin de ce même XIème siècle, probablement en 1092, l'oratoire fut remplacé par une belle chapelle romane. Puis, au XIIème siècle, sera bâti le réfectoire des chanoines. [...] En fait, le bon trésorier Hervé avait établi une convention avec les bénédictins de la puissante abbaye voisine de Marmoutier. La "donation sous condition" du prieuré prévoyait que le monastère de Marmoutier devait entretenir douze moines pour y faire le service divin sans interruption, tout en reconnaissant la suprématie du chapitre de Saint-Martin sur ce prieuré pour lequel le cens serait payé au cellerier. Cette convention ressemblait bien plus à un contrat de bail qu'à une donation. Or, après quelques années de présence à Saint-Cosme, cette dernière obligation contractuelle cessa d'être respectée. [...] Les nobles du pays arbitrèrent le conflit fratricide en faveur des chanoines de Saint-Martin, qui prirent la place des moines de Marmoutier.". Ils en firent une maison de retraite "quasiment comme le paradis terrestre lui-même", d'après Bruno Dufay dans le un article du Catalogue 2016.

    Un déambulatoire prototype. Ce même article montre, sur un plan de superposition, que, de façon étonnante, le prieuré est une réduction de la collégiale gothique Saint-Martin. Le déambulatoire de St Cosme est désormais daté de 1130/1140, antérieur à celui de la basilique gothique, vers 1180. Cela conforte une hypothèse émise par Robert Ranjard en 1955, en un article traitant des deux déambulatoires (qu'il imaginait à tort très antérieurs) : "l'église de Saint-Cosme fut, sinon comme une ébauche, du moins comme un essai du plan nouveau projeté pour la collégiale". C'était une façon de maîtriser une figure architecturale encore peu répandue. + extrait du livre d'Hélène Noizet 2007 "La fabrique de la ville" (lien), sur l'occupatoin de Saint Cosme en 1092 par des chanoines réguliers. + gravure d'un chanoine de Saint Cosme. La célébrité de ce prieuré est beaucoup plus tardive, elle tient à ce que, de 1565 à sa mort en 1585, le poète Pierre de Ronsard en a été le prieur. + inventaire 2020 [DRAC] + dossier de presse 2015 [Département 37] (extrait Ronsard ci-dessous).




    Le prieuré Saint Cosme à La Riche : un modèle réduit de la basilique Saint Martin gothique. A gauche extrait du plan de superposition montrant deux chapelles (sur trois) accessibles par un déambulatoire [Catalogue 2016 "Martin de Tours, la cité rayonnante", texte de Bruno Dufay], photos de la page dédiée du site Patrimoine Histoire]. Au centre ce qui reste des deux chapelles (avec la chapelle centrale au premier plan, comme sur le plan) et à droite ce qui reste du déambulatoire. + trois photos de la chapelle centrale : 1 2 [photo Danièle Wauquier] 3 + gravure [Oury - Pons 1977].


    Autour de l'an 1500, deux statues du prieuré et d'autres sculptures de Tours et de Touraine à la même époque. A gauche Cosme et son frère Damien, oeuvres du XVème siècle (voire du XVIème), en provenance du prieuré, acquises par la SAT en 1876. Elles sont revenues au prieuré en 2009. Les deux saints sont vêtus de leur longue robe de médecins-physiciens. Puis une tête de jeune homme trouvée en 1862 dans les démolitions de la rue Banchereau à Tours, gardée par la SAT et déposée au MBAT en 2009. Ensuite (probablement) une sainte Madeleine en pierre et albâtre de l'église St Saturnin de Limeray, en Touraine, pouvant initialement provenir d'une église ou abbaye voisine. En avant-dernière position, une statue de saint Jean provenant de Loché sur Indrois, est entreposée au musée du Louvre. A droite, la vierge à l'enfant, attribuée au Tourangeau Michel Colombe provient du château de la Carte à Ballan-Miré, près de Tours et est détenue dans une collection particulière à Paris.
    Beauté grave et sérénité. Ces illustrations sont extraites du livre "Tours 1500, capitale des arts" 2012, catalogue de l'exposition de même titre du MBAT. Dans cet ouvrage, une page illustrée, évoquant la "figure tutélaire" de Michel et Colombe, traite de la sculpture tourangelle et ses "qualités de calme, de beauté grave, la simplicité de ses drapés ou la noblesse des attitudes et la sérénité intérieure des physionomies". Voir aussi la Tourangelle de Milo ci-avant.


    A gauche, modélisation du prieuré en 1220 (on y retrouve le déambulatoire et les chapelles ci-dessus) + image en 1580, quand Ronsard y habitait [lien site Cent millions de pixels] + étude "Les restitutions 3D du prieuré Saint-Cosme " par Bruno Dufay et Pascal Mora 2013 + complément 2017 + maquette d'Arnaud de Saint-Jouan et Jean-Baptiste Bellon [Level 1994]. Au centre, chapiteau de l'ancien réfectoire (photo Michel Sigrist) A droite, Ronsard à St Cosme [Guignolet 1984] + la planche + restitution de Cossu-Delaunay 2020 au temps de Ronsard + deux gravures : 1 [LTa&m 1845] 2 [LTh&m 1855] + aquarelle de Picart le Doux 1941 + photo récente avec en avant-plan des célèbres roses Pierre de Ronsard (page du site Balades et patrimoine) (+ page du site Patrimoine-Histoire). + extrait d'un dépliant présentant le prieuré + le site du prieuré.

    L'abbaye Saint Julien a été créée par le roi des Francs Clovis en 508 lors de son triomphe dans la ville de Tours. Ce n'est au début qu'un oratoire à mi-chemin entre la basilique Saint Martin et la cathédrale. Ce lieu d'accueil grossit juqu'à ce que Grégoire de Tours le transforme en abbaye bénédictine vers 575. Après les dégâts subits lors des raids normands, l'archevêque de Tours Théotolon, ancien doyen de Saint Martin, y construit en 931 le première église abbatiale et Odon, alors abbé de Cluny, devient le premier abbé de Saint Julien. Le clocher-porche en style roman, encore existant, date de la fin du XIème siècle. Après destruction par une tempête en 1224, une nouvelle église, en style gothique, est érigée en 1243, complétée vers 1300. L'abbaye est alors prospère ; derrière l'enceinte de son mur fortifié elle ressemble à une petite ville. 22 prieurés du diocèse de Tours sont sous son autorité, ainsi que la belle église Saint Saturnin à Tours (illustration plus loin). La salle capitulaire (photo) sert au Moyen-âge à des fins laïques. Deux chapelles sont ajoutées au XVIème siècle, dont une dédiée à saint Martin. Après le pillage huguenot de 1562, c'est la lente décadence. De 1589 à 1594, à la fin du règne de Henri III et au début de celui de Henri IV, le parlement de Paris y siège (+ texte avec photo quand la salle capitulaire était une sorte d'atelier et de débarras, "Tours Pittoresque" 1899]. En 1790, les quatre moines restants sont dispersés et l’abbaye désaffectée. En 1840, elle est inscrite sur la première liste nationale des Monuments Historiques par Prosper Mérimée, alors inspecteur des Monuments Historiques. Rachetée par la ville de Tours, puis par l'Etat, elle est sauvée et devient église paroissiale en 1859. En 1940 et 1944, elle est gravement endommagée, perdant notamment tous ses vitraux. L'Etat propriétaire s'est chargé des réparations. + article de Henri Guerlin en 1921 sur l'église + article de Charles Lelong en 1974 "Le clocher-porche de Saint-Julien de Tours et les vestiges romans de l'abbaye".

    Henri Galinié [dans Ta&m 2007 page 411] attribue une grande importance à cette abbaye dans le développement de la ville de Tours : "Enfin et surtout, la rénovation du monastère de Saint-Julien entouré d’un vaste domaine foncier, entre Cité et Saint-Martin, apparaît comme une décision lourde de conséquences pour des siècles. Nous ignorons sur quel héritage des siècles précédents ce foncier fut établi, ceci reste une question, mais nous constatons que fut alors créée, sur des valeurs traditionnelles, une situation nouvelle laissée en héritage pour les siècles suivants, un obstacle séparant pour longtemps Cité et Châteauneuf. Aujourd’hui encore, la faible desserte de ce secteur central découle de décisions vieilles d’un millénaire, portées pendant des siècles par une puissante institution au sein de la société locale, le monastère de Saint-Julien." + article de Henri Galinié "Téotolon doyen de Saint-Martin puis évêque ". + carte des "Fiefs, paroisse et enclos de Saint-Julien à Tours au XVIIIème siècle" ["La fabrique de la ville" Hélène Noizet 2007 + page titrée "Moines et laïcs de Saint-Julien (940-1114)"]


    L'abbaye au XVIIème siècle, vue par la nord, dans le Monasticon Gallicanum + restitution par Cossu-Delaunay 2020. Au centre, le clocher-porche roman qui présente des ressemblances avec la tour Charlemagne et la tour Saint Paul de Cormery [flickr Tomoyoshi]. A droite, vue du nord [extrait d'une vidéo (5'50") avec drône] (à gauche la salle capitulaire) + vue sud-est + plan 1761 + coupe 1849 (quand l'église était entourée de maisons) + gravure LTa&m 1845 + deux gravures LTh&m 1855 : 1 2. + dessin de William Turner représentant l'abbaye en 1833, transformée en dépôt de diligences. + plaquette municipale présentant l'église + texte sur l'église et Prosper Mérimée (P.-S.).


    Martin et François de Paule à l'honneur. Les deux saints tourangeaux d'adoption occupent les deux chapelles, chacune éclairée par une verrière moderne de Jacques le Chevalier, surplombant trois tableaux anciens, plus ou moins restaurés. A gauche le vitrail Martin et un extrait des trois tableaux [lien et flickr Logan Isaac]. Puis, sur la droite, le vitrail François de Paule et un extrait de deux des trois tableaux, le deuxième, avec Louis XI, marqué F. Wachsmut (état avant restauration, lien) + vue de l'autel avec un aperçu des deux derniers tableaux réstaurés. Pendant un temps, l’église fut dédiée à ces deux saints conjointement à Julien (de Brioude, l'hospitalier ou du Mans, ou les trois à la fois ?).



    Une église à vocation culturelle. A gauche, un des chapiteaux du porche. Ils ont été sculptés et dessinés au XIXème siècle par Gustave Guérin, inspiré par l'art médiéval, installés lors de la restauration des années 1960. Au centre la nef, vue extraite d'un ensemble de 12 photos présentées sur cette page de la paroisse de la cathédrale, à laquelle l'église est rattachée. Elle est toutefois l'une des rares églises de France à être propriété de l'Etat. Elle est un lieu de diverses manifestations culturelles, comme, à droite, les 7 et 8 décembre 2019 quand l'ensemble vocal Jacques Ibert a, pour son 40ème anniversaire, interprété le Messie de Haendel avec, en rappel, la participation du public aux choeurs. + page très illustrée sur l'église, avec notamment une revue des vitraux, tous créés vers 1960, suite à la destruction complète des verrières en 1940.

    La collégiale de Candes : voir ci-avant. L'abbaye de Ligugé : voir ci-avant.



  39. Les cent jours des Huguenots, du pillage au massacre


    Démons martiniens moyenâgeux. 1) peinture ouvragée sur bois, XIIIème siècle [musée de Barcelone + panneau en entier, flickr santiago lopez-pastor + gros-plan du partage du manteau, flickr balavenise]. 2) cathédrale de Chartres. 3) Derick Baegert, fin XVème siècle [musée Westphalie]. 4) après 1102, Richer de Metz [Biblothèque de Trèves, [Catalogue 2016]. 8) BmT 9) cathédrale de Tours, baie 4, XIIIème siècle. 10) Maître François [Miroir Historial, parchemin Poitiers 1460, BnF]. 11) gravure sur cuivre d'un anonyme dans le style de Jérôme Bosch, entre 1540 et 1570, édité à Anvers [univ. de Liège] (lien) [la plupart de ces images viennent du Maupoix 2018, avec un chapitre "Saint Martin et le diable"]. + Martin résistant au diable sur ces trois vitraux : 1 [chapelle St Nicolas de la cathédrale d'Evreux, flickr Philippe_28] 2 [St Florentin dans l'Yonne] 3 [église St Martin le Grand d'York en Grande Bretagne, 1437, flickr Lawrence OP]. Autres illustrations sur Martin et ses démons : ci-avant.


    Rues commerçantes au début du XVIème siècle. A gauche échoppes de tailleur, fourreur, barbier, vendeur d'hypocras, à droite un magasin d'orfèvrerie-joaillerie, comme il y en avait à Tours ["Les renaissances", Belin 2013].


    Tours et l'eau 2/6 : navigation commerciale, pêche, loisirs. Les Tourangeaux ont un accès facile à quatre cours d'eau, la Loire bien sûr, et aussi à proximité le Cher et deux ruisseaux. A gauche, un chaland de Loire [gravure du XVIIIème siècle, lien]. Au centre, un bateau de pêche [The British Libray, Harley] + carte postale (pêche près du pont Napoléon, alors suspendu). A droite un jeu de quintaine sur l'eau illustrant un calendrier, le mois de juillet, avec la fête de saint Martin le 4 [Musée Condé de Chantilly, "Les renaissances", Belin 2013]. + carte postale (sport nage) + cinq pages et 6 photos de loisirs du début du XXème siècle ["Mémoire en images", Brigitte Lucas 1993] : 1 2 3 4 5. + récit du cuisant échec de Louis XI à vouloir rattacher l'île Saint Jacques à Tours. + Article du Mag. Touraine HS juin 2002 sur les difficultés de la navigation fluviale + dossier d'Abel Poitrineau, 1996, "L'histoire de la Loire de la Guerre de cent ans à nos Jours".


    Remblaiement des bords de Loire et de la ville. Se protéger des inondations et élargir l'espace urbain en remblayant les rives trop souvent inondées a été une préoccupation constante. Les schémas ci-dessus [Ta&m 2007] montrent l'élargissement progressif de la ville vers le nord en occupant des parties de la rive gauche de la Loire et, en incrusté, l'épaisseur des remblais sur la ville de fin du XVIIIème siècle. + article "L'interfluve entre Loire et Cher, petite échelle et longue durée" [Ta&m 2007]. Début en Tours et l'eau 1/6, suites en 3/6, 4/6, 5/6, 6/6.


    A gauche, à l'endroit de l'actuelle place Plumereau (la maison de droite ayant disparu), rue de Tours [LTa&m 1845] +  trois gravures du même lieu : 1 [Clarey-Martineau 1841] 2 [LTh&m 1855] 3 [Robida 1892] + carte postale + photo 1927 + comparaison de deux photos début XXème et 1982 ["Tours informations" sept. 1982] + photo 1970 ["Tours" P. Leveel 1971] + photo récente avec au premier plan la maison du milieu). A droite, entrée solennelle d'un nouvel évêque dans la ville + gravure "Premier dîner d'un archevêque de Tours" [LTa&m 1845].


    Léonard de Vinci en Touraine. La célèbre fresque L'école d'Athènes du peintre italien Raphaël, créée en 1508, est représentative du retour aux sources de l'antiquité, caractéristique de l'humanisme de la Renaissance [Musée du Vatican]. Au centre, debout, se trouve Platon sous les traits de Léonard de Vinci. L'auteur de la Joconde s'installera à Amboise en 1516 et y mourra trois ans plus tard à 64 ans. Ce bouillonnement culturel, dont Guillaume Budé est un symbole en France, concernera très peu l'Eglise et le chapitre de Saint Martin. Bérenger de Tours (voir ci-avant) n'a pas eu de successeur.

    1525-1556, le protestantisme s'installe à Tours. A partir de la Renaissance, deux courants de pensée se développent : l'humanisme, qui resta cantonné au domaine culturel, et le protestantisme, qui déborda dans le domaine politique. Le second allait faire précocement des ravages à Tours avec la première guerre de religion. Tours devient en effet un foyer important des nouvelles idées de Luther puis de Calvin. Elles sont accueillies avec ferveur, entraînant un déclin rapide de la dévotion envers saint Martin ; la basilique perd de son éclat. Eugène Giraudet date de 1525 les premières traces de protestantisme à Tours ("des commissaires tançaient vivement quelques habitués de leur église qui paraissaient imbus des sentiments hérétiques"), de 1542 "une consistance et une régularité qui firent présager de grandes calamités publiques" et de 1544 "les premières persécutions exercées à Tours contre les gens de la nouvelle religion". Bernard Chevalier ["Histoire de Tours" 1985] : "C'est en 1556, au témoignage de Théodore de Bèze, que fut instituée l'Eglise réformée de Tours, un an après celles de Paris, Poitiers, Angers et Loudun, un an avant celles d'Orléans, Sens et Rouen. Instituer l'Eglise, cela voulait dire mettre en place un consistoire d'anciens et de diacres laïcs, rassembler autour d'eux une communauté et placer à sa tête un ministre dûment formé à la théologie de Calvin pour assurer la prédication et célébrer la Cène. Cela signifiait aussi une double rupture, avec l'idolâtrie romaine certes, mais aussi avec la libre inspiration des congrégations luthériennes. Mais les rescapés de la première réformation ne s'inclinent pas de bon coeur devant la discipline calviniste."

    Mars 1560 : la conjuration d'Amboise A 25 kms de Tours, ce fut un formidable coup de tonnerre annonçant une longue période de guerres civiles. Des gentilshommes protestants fomentèrent un complot pour s'emparer du roi François II, âgé de 15 ans, ou pour le moins le séparer des Guise qui assuraient la régence. 500 conspirateurs issus de toutes les régions de France (y compris des bourgeois de Tours) convergèrent d'abord vers Nantes, puis, plus nombreux vers la résidence royale. Les rebelles, rapidement matés (il y eut des fuites...), furent punis avec une extrême sévérité. La répression aurait fait 1200 à 1500 morts. Le prince de Condé, qui serait sur cette image un des spectateurs du balcon, avait refusé de participer à la conjuration. Celui qui était désigné par les conjurés comme "le capitaine muet", avait attendu à Orléans de recueillir les fruits du complot.



    La conjuration d'Amboise : préparation et dénouement. Au-dessus et à gauche, extraits du deuxième tome de la bande dessinée Catherine de Médicis - La reine Maudite dans la série "Les reines de sang", scénario de Arnaud Delalande et Simona Mogavino, dessin de Carlos Gomez, Delcourt 2019 + cinq planches : 1 2 3 4 5. A droite, estampe de Jean Perissin et Jacques Tortorel, protestants lyonnais + lien + la même image avec les légendes +  autre estampe légendée des mêmes auteurs + autre gravure de la conjuration, avec vue d'Amboise 1775 ["Visages de la Touraine" 1948 + deux vues d'Amboise [LTh&m 1855] : 1 2.

    Cent jours sous la coupe des Huguenots. Il est possible que le mot Huguenot qui allait désigner les protestants du royaume de France et de Navarre provienne de la Tour Feu-Hugon, tour des remparts Est de Tours près de laquelle se rencontraient les protestants. Bernard Chevalier, alors que Catherine de Médicis assure la régence depuis la mort en 1559 de son mari Henri II et celle en 1560 de son fils aîné François II, son autre fils Charles IX n'ayant alors que 10 ans : "Ce qui se passa à Tours en avril 1562 n'est sans doute qu'un épisode de la première guerre de religion ouverte en mars 1562 par le massacre de Vassy, mais l'on en perdrait le sens, si l'on voulait n'y voir que la suite de manoeuvres montées ailleurs. Le plan général consistait bien dans le soulèvement de toutes les bonnes villes, qui se ralliant au prince de Condé [Louis Ier de Bourbon-Condé (1530-1569), oncle du futur Henri IV] insurgé, devaient assurer le retournement de la régente et le succès de la Réforme, mais son exécution dépendait de chacune d'elles.". La prise d’Orléans par le prince de Condé s’accompagne de la conquête de plusieurs villes voisines, dont Tours, mais aussi Blois, Loches, Chinon, Amboise, par ses partisans. Les trésors des églises et abbayes, tout particulièrement celui de Saint-Martin de Tours, sont saisis et pillés, les statues et tombeaux brisés.

    Le marquage social du protestantisme tourangeau. Eugène Giraudet : "Les plus ardents propagateurs de cette révolution religieuse étaient deux moines Augustins, nommés de Lépine et Gerbault ; leurs doctrines calvinistes prêchées au milieu des places publiques et des rues les plus fréquentées produisirent généralement sur le peuple une influence toute contraire à celles qu'ils en attendaient et le protestantime ne se propagea que parmi les gens de la noblesse et de la bourgeoisie." Cette différenciation sociale sous-tend la suite des évènements. + article de Robert Sauzet 1989 "Le milieu dévot tourangeau et les débuts de la réforme catholique (1560-1620".

    1562, le pillage d'avril. Charles Lelong ["La basilique Saint-Martin de Tours" 1986] donne des précisions sur les dommages subits par la basilique : "Dès 1561 les Huguenots s'étaient rendus maîtres de la ville et avaient commencé le pillage des églises. Le 5 mai 1562 [correction : 5 avril, d'après Giraudet et Chevalier, confirmation par l'expression "cent jours", d'avril à juillet], ils brisèrent les chasses, les lampes et tout ce qui était enfermé dans le trésor de Saint-Martin ; le 9, le chapiteau d'argent (le ciborium) fut abattu et le tombeau détruit jusqu'à son fondement. Sous le prétexte de protéger le trésor, le prince de Condé ordonna le 11 mai la fonte de tous les objets précieux qui, transformés en lingots, seraient placés sous sa sauvegarde à Orléans. [...] Cet inventaire dura à Saint Martin du 15 mai au 7 juin mais tourna au vandalisme, les Huguenots brisant les autels, violant les tombeaux, détruisant les petites orgues et une partie des vitraux, s'acharnant surtout à récupérer les métaux précieux : le grand crucifix d'argent, la statue de Louis XI, les croix, les ornements des autels et les habits sacerdotaux, tous les reliquaires, qui furent fondus le 25 mai. [...] Les fourneaux avaient été installés dans le grand revestiaire et le 25 mai on y brûla aussi les reliques dont les cendres furent dispersées derrière la porte du Cadran.". Le patrimoine de Saint Martin était détruit, rappelant les temps anciens, 1200 ans plus tôt, où Martin détruisait le patrimoine gaulois... + le livre de Charles de Grandmaison "Procès-verbal du pillage par les Huguenots des reliques et joyaux de Saint-Martin de Tours en mai et juin 1562", 1863, 100 pages.

    Pourquoi ? Bien qu'il ait déploré le lucre, l'affairisme et l'imposture du Chapitre, Jacques Verrière s'interroge : "On comprend mal la profanation du tombeau et la dispersion des reliques de saint Martin, dont une partie fut, par chance, récupérée : l'exigence de purification et les valeurs de dénuement et de simplicité évangéliques mises en avant par les Réformés n'étaient-elles pas celles-là mêmes que Martin avait défendues tout au long de sa vie ? Sans parler, à propos de la grâce, d'une proximité théologique entre saint Martin et Martin Luther. Mais il est vrai que les Huguenots de Condé étaient plutôt inspirés par Jean Calvin. La grande basilique et le pélerinage ne se sont jamais vraiment remis de ces événements dramatiques." [Verrière 2018]


    Destruction délibérée d'images,
    l'iconoclasme protestant à travers l'Europe. Au XVIème siècle, plusieurs chefs religieux protestants (principalement Ulrich Zwingli à Zurich et Jean Calvin à Genève) incitèrent à la destruction des images religieuses, dont la vénération était assimilée par eux à une adoration idolâtrique et relevait donc du paganisme. A gauche illustration de la vie de Martin Luther (1483-1546) (un Martin...). Au centre, Zurich été 1524. A droite, en avril 1562, les Huguenots saccagent et profanent dans la cathédrale Saint Gatien [LTa&m 1845]. + photo d'un bas-relief saccagé dans la cathédrale Saint Martin d'Utrecht. + deux autres illustrations : 1 (Hambourg, Frans Hogenberg 1566) 2 ("Complainte des idoles persécutées", gravure de Erhard Schön 1530).


    Les reliques de Martin 5/8 : la destruction d'avril 1562. A gauche, le pillage de la collégiale Saint Martin, gravure du XVIIème siècle, de Sébastien Leclerc [Le Louvre]. Au centre, les protestants détruisent autels et vitraux et brûlent le corps de Martin [dessin préparatoire d'un vitrail de l'actuelle basilique, atelier Lobin]. A droite, le sauvetage de quelques reliques [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996]. Jusqu'alors, le squelette de Martin était en grande partie dans la basilique. Il n'en resta plus grand chose après ce saccage, le prêtre Saugeron ne réussit à récupérer que trois fragments du crâne et un os cubitus. + couverture du livre (1863) de Charles de Grandmaison sur le pillage de la collégiale par les Huguenots. Débuts en Reliques 1/8, 2/8, 3/8, 4/8, suites en 6/8, 7/8, 8/8.

    1562, le massacre de juillet. L'irrespect du patrimoine est un marqueur de profonde intolérance. Cela peut aller jusqu'au massacre : Martin l'avait refusé dans l'affaire Priscillien, des Tourangeaux l'ont commis en cette année de malheurs. Bernard Chevalier : "Ce fut dés lors le tour des catholiques de se cacher pour entendre la messe. [...] Mais cette guerre ne prenait pas l'allure foudroyante que les Huguenots avaient escomptée. Partout, au contraire, les catholiques reprenaient le dessus, la surprise passée. A Tours, le maréchal de Saint-André commença un siège qui releva l'espoir de la majorité catholique. Les Huguenots, désespérant d'être secourus, négocièrent leur capitulation, moyennant le droit de sortir de la ville. Fausse promesse ; tout de suite commença le lynchage des rescapés qui purent être pris. Bientôt ceux qui avaient pu faire retraite furent ramenés à Tours pour y être mis à mort et leurs corps jetés dans la Loire par centaines. Aux cent jours huguenots succédait la terreur catholique. A la violence non-sanglante des purificateurs de temple répondait celles des purificateurs du peuple par le massacre.".


    Tours, juillet 1562, le massacre des protestants à l'ouest de Tours dans les faubourgs La Riche, des centaines de morts. "Le peuple égorge un si grand nombre de ces hommes éperdus que la rivière de Loire est colorée de leur sang" (propos d'époque de Jean de Serres). A gauche, estampe de Jacques Tortorel et Jean Perrissin graveurs [dimensions 36,5 cm x 49,2 cm, Musée Carnavalet]. Il n'y avait pas de pont sur la Loire à ce niveau, c'est en fait un pont sur le ruau Sainte Anne, qui se jette dans la Loire, sur la gauche. + la même estampe avec onze éléments légendés + la même estampe coloriée, parties gauche et droite inversées [gravure de Frans Hoggenberg, Wikipédia] + la même copie inversée, cette fois non coloriée + (P.-S.) encore une autre [archives dép. 37] et un commentaire de quatre pages par Auguste Molinier 1886. + lien. A droite gravure de LTa&m 1845 + deux portraits : 1 le Prince de Condé, protestant oncle de Henri IV, probablement au coeur de la conjuration d'Amboise 2 le maréchal de Saint-André, catholique, qui ne sut pas empêcher le massacre. + page présentant d'autres gravures de massacres de protestants à travers le royaume de France (avec une autre copie de Tortorel et Perrissin par Hoggenberg).


    Paris, 24 août 1572, le massacre de la Saint Barthélemy A gauche, case de la bande dessinée Saint-Barthélémy, texte d'Eric Stalner et Pierre Boisserie, dessin d'Eric Stalner, 3 tomes en 2016-2017 + quatre planches (22 et 29 du tome 1, 7 et 8 du tome 2) : 1 2 3 4. A droite, dessin d'époque de François Dubois, un protestant rescapé de la tuerie, ensuite réfugié à Genève. Le sang est partout. Ici une partie du tableau, l'ensemble est étudié sur cette page du site "Histoire et secrets [Musée de Lausanne, Wikipedia]. + reprise de ce tableau dans une planche de l'Histoire de France en BD, Larousse 1976, texte de Christian Godard, dessin de Julio Ribera. + carte des autres tueries et batailles de la quatrième guerre de religion ["Les guerres de religion", Belin 2013]. En 1572, Tours et la Touraine font partie des zones de violences catholiques, mais il n'y eut pas de tueries de masse, contrairement à Orléans, Angers et Saumur, aux abords de la Touraine. En cette dernière ville, il y eut au moins 26 victimes (lien).

    Sept autres guerres de religion suivirent la première, de 1567 à 1598 (le massacre de la saint Barthélémy date de 1572), se terminant par la signature de l'édit de Nantes. Bernard Chevalier montre que les Tourangeaux se sont calmés, malgré de nouveaux meurtres : "Ce qui aida à maintenir à peu près le calme et à limiter à quelques dizaines le nombre des victimes protestantes, ce fut l'éloignement du théâtre des opérations. Au cours des guerres civiles qui se succédèrent, après le terrible coup de 1562, les forces protestantes rassemblées dans le sud-ouest cherchaient en général à rejoindre par le Poitou et le Berry leurs alliés allemands qui arrivaient en Champagne. L'alerte n'était vive à Tours que lorsque leurs coureurs atteignaient Ligueil ou Montrichard  elle fut chaude en 1568 quand Blois fut emporté après Orléans et Beaugency. Jamais pourtant on ne redouta de revanche militaire des Huguenots, mais il fallut bien prendre les mesures militaires propres à en écarter le risque". Eugène Giraudet a une vision plus noire que Bernard Chevalier, égrainant des meurtres fréquents, ne dépassant pas toutefois une dizaine de personnes à chaque fois, jusqu'à la Saint Barthélemy le 24 août 1572, qui provoqua le départ de Tours de nombreux calvinistes, dont les maisons furent pillées par les catholiques.

    1579, Martin et le tremblement de terre. Bernard Briais, en son livre "Anecdotes historiques de Touraine" [PB&CO 2015], raconte le tremblement de terre du 26 février 1579 : "Dans la cité tourangelle, ce fut la panique. Dans les rues, des personnes affolées couraient en tous sens, à peine vêtues, sortant tout juste du lit. Des femmes en cheveux traînaient derrière elles des marmots en pleurs. Partout on n'entendait que cris et lamentations. Dans la pagaille générale, on ne savait plus très bien à quel saint se vouer : les uns imploraient saint Martin, les autres saint Gatien ; les femmes se tournaient plutôt vers la vierge Marie... [...] Avec le jour et la fin des secousses, une lueur d'espoir réapparut. On ne quitta pas pour autant les églises et l'on ne cessa pas de prier. [...] Le lendemain, pour remercier Dieu de sa grande mansuétude, une cérémonie solennelle fut organisée. [...] Toutes les églises et paroisses avec les monastères s'assemblèrent en la grande église Saint Martin. De là, avec les reliques et ossements des saints, fut faite la procession hors la ville." + double page du "Guide secret de Tours" (Ed. Ouest-France 2019) "Frayeur tellurique à Tours".

    Les dérives de l'irrationnel. Vu de notre époque, le Moyen-âge apparaît livré à des peurs irrationnelles, à des croyances pouvant provoquer des déchainements de violences. Que ce soit pour des diableries fantasmées ou pour la volonté d'imposer son Dieu, qui pourtant ordonne de ne pas tuer, ces refus de la différence et du vivre ensemble ont embrasé toute l'Europe de la deuxième moitié du XVIème siècle. Les guerres de religions étaient-elles des chasses aux sorcières à grande échelle ?


    La chasse aux sorcières. Les démons de Martin sévisssaient encore... Pratiquant la magie noire et la sorcellerie, des femmes (surtout, quelques hommes aussi) se seraient réunies la nuit dans des réunions appelées sabbats pour rencontrer le diable en personne. Les sorcières du Berry, en pays limitrophe de la Touraine, étaient particulièrement nombreuses et renommées. [tableau de Francisco de Goya 1822, Musée du Prado à Madrid, Wikipédia]. + page titrée "Sorcellerie et possession en Touraine aux XVIème-XVIIème siècles". Extrait : " Au XVème et au XVIème siècles, c'est un crime de ne pas croire la magie et de soutenir qu'il ne faut pas poursuivre et punir les sorciers et sorcières. Quand un habitant de Loches dénonce sa femme, comme l'ayant entraîné au Sabbat, on fait le procès cette sorcière qui est brûlée et le mari n’est pas inquiété...". Certains religieux ont un rôle aggravant, comme en 1474 les moines de la Chartreuse du Liget, près de Loches, qui envoient deux femmes au bucher, récit de Bernard Briais dans "Anecdotes historiques de Touraine" 2015.



  40. Tours, première capitale de Henri IV, s'accroche à une modeste prospérité


    23 mars 1589, séance du parlement de Tours dans la grande salle capitulaire de l'abbaye Saint Julien [LTh&m 1855].

    1589 à 1594 : Tours capitale provisoire du royaume de France. Bernard Chevalier : "En 1585 [début de la huitième et dernière guerre de religion], la Sainte Ligue se forme à Paris autour de Henri Ier de Guise pour barrer la route au prétendant huguenot, Henri de Navarre [futur Henri IV]. Celui-ci avance avec ses troupes jusqu'à Loudun et l'Ile-Bouchard pour suivre le déroulement de la situation. A Blois, le 23 décembre 1588, Guise est assassiné et la Ligue entre alors en rébellion ; elle s'impose vite à Orléans, à Angers et en Berry. Tours hésite. Mais le roi Henri III prend les devants. Il y fait son entrée le 6 mars ; quelques jours après le parlement de Paris le suit, du moins ceux de ses membres qui ne sont restés au service de la ligue. L'abbaye Saint-Julien abrite ses séances. Bientôt arrivent aussi la chambre des comptes et la Cour des Aides ; le château sert de prison au jeune duc de Guise, l'héritier de la Maison, qu'Henri III traîne après lui. Si le roi choisit Tours comme capitale provisoire, c'est parce qu'il s'y juge en sûreté, pas trop loin de Paris à reprendre, pas loin surtout des forces d'Henri de Navarre. Entre les deux princes, l'entrevue de réconciliation a lieu au Plessis, le 30 avril 1589, et tous les deux font un entrée remarquée dans la ville.". Le 8 mai 1589 a lieu la bataille du pont de Tours, les ligueurs échouent à s'emparer de Tours (lien). + article de François Caillou 2008 "L’essor et l’échec de la Ligue à Tours (1576-1589)" + article de Michel de Waele 1998 "De Paris à Tours : la crise identitaire des magistrats parisiens de 1589 à 1594" + article de Sylvie Daubresse 2007 "Les parlementaires parisiens à Tours face à la rébellion (fin 1590-début 1591)" + article de Marco Penzi 2009 "Tours contre Rome au début du règne d'Henri IV".

    Martin toujours patron de Tours et de la France. En son livre LTh&m 1855, Jean-Jacques Bourassé rappelle qu'il y eut une autre raison de choisir Tours comme capitale, citant le discours d'ouverture du procureur général De Faye lors de la première session du nouveau parlement de Tours : "Quant à cette ville, en laquelle le roi transfère maintenant son parlement, c'est le premier siège du christianisme, où saint Martin l'a établi et enraciné d'une piété très grande, même auparavant que nos rois ne fussent chrétiens, et où chacun venait en pèlerinage, comme en Jérusalem. Ce saint Père y fut tellement révéré du temps qu'il vivait, que, après sa mort, en recommandation de sa mémoire, on commença à compter le premier jour de l'année du jour de son décès [Ah ? Nous ne serions donc pas en 2020 mais en 1649...]. Le lieu même où on lui porta sa chape pour y dire la messe fut appelé chapelle, et de là est venu ce saint mot. Maintenant Dieu a fait surgir au même lieu, comme en une autre arche de Noé, les bons sujets du roi qui n'ont jamais fléchi le genou devant Baal et sont toujours restés fermes en son obéissance."


    Ces quatre événements se sont déroulés alors que Tours était capitale de la France : 1) Le 30 avril 1589, accord entre Henri III et le futur Henri IV, ici probablement au château de Plessis lès Tours [tapisserie anonyme]. 2) Le 1er août 1589 à Saint-Cloud, meurtre du roi Henri III par le Dominicain Jacques Clément [Frans Hogenberg, BnF, Wikipédia]. 3) Le 15 août 1591, après le meurtre de son père Henri Ier de Guise, Charles de Guise, 15 ans, emprisonné dans le château de Tours, s'évade de façon spectaculaire [gravure de François Pannemaker] + gravure de Lacoste Aîné "Fuite du duc de Guise" dans LTa&m 1845. 4) Le 22 mars 1594, entrée d'Henri IV à Paris [François Gérard, 1817, galerie des batailles du château de Versailles].


    L'instigateur de l'assassinat du roi Henri III, célébré par les catholiques ligueurs, est exécuté en place publique à Tours
    A gauche l'image de l'assassinat de Henri III diffère de celle plus connue présentée au-dessus. Elle apparaît plus conforme à la réalité. + autre image de l'assassinat. "L'assassin fut massacré sur le champ, ce qui donna lieu à bien des suppositions". "La ligue et le duc de Mayenne, Rome et l'Espagne, provocateurs et complices, témoignèrent une joie indécente. L'assassin fut canonisé [en fait, ce ne fut qu'envisagé par le pape Sixte V] et son image placée sur l'autel !!!". Qu'en ont pensé les chanoines de Saint Martin ? "Le père François Bourgoing était le supérieur du couvent des Jacobins d'où Clément était sorti pour accomplir son acte régicide. Partisan affirmé de la Ligue, il fut transféré à Tours sur ordre de Henri IV. Procès lui fut fait par le Parlement. Les magistrats de Tours furent convaincus (non sans raisons) que Bourgoing avait inspiré le geste du moine fanatique". Il fut condamné à mort et exécuté après avoir subi un terrible supplice. [Commentaires du n°41 du "Magazine de la Touraine" (1992), gravures de LTa&m 1845]


    15 août 1591, l'évasion du jeune duc de Guise (déjà illustrée au dessus par Pannemaker) sortant du château de Tours [Guignolet 1984]. + quatre planches sur cet épisode : 1 2 3 4


    Les successifs châteaux de Tours : au XIème siècle (château comtal), au XIIIème siècle (château royal non fortifié), en 1795 (château royal fortifié construit vers 1280) (avant la construction au XVIIIème siècle de l'aile actuelle reliant les tours de Guise et du cachot) et au XVIIIème siècle (le même château royal, transformé, avant la suppression des tours et murs situés à droite / Ouest). Illustrations provenant du mémoire 2011 de Vassy Malatra, présenté ci-dessous.
    Château de Tours : le royal remplace le comtal. Nous avons vu ci-avant la résidence du prévôt / gouverneur de Tours, aux ordres du comte d'Anjou, avec cette restitution [Cossu-Delaunay 2020]. Situé à l'angle nord-ouest des remparts gaulois, construit vers 1080, il est alors le château comtal, symbole de la domination angevine. Quand le pouvoir revint au roi de France, la résidence fut agrandie avant d'être reconstruite en 1280 environ, sous le règne de Philippe III le Hardi, pour devenir le château royal fortifié, formant un quadrilatère avec quatre tours. Il ne reste que le bâtiment Est et ses deux tours, la tour dite de Guise au nord du coté de la Loire et la tour du cachot. Gravure de la tour de Guise [Oury - Pons 1977], restitution 1908 d'après la vue Hoefnagel de 1561 (lien), carte postale avec les deux tours restantes comme actuellement et deux gravures quand le château était la caserne Meusnier : 1 [LTh&m 1855] 2 [Robida 1892]. + page Wikipédia et page Wikimédia, Mémoire de Vassy Malatra 2011 "Le château royal de Tours, son histoire, son intérêt" (270 pages) (avec notamment cette coupe de la tour de Guise 1975) et deux documentations municipales sur le château de Tours : 1 (19 Mo) 1984 (12 pages, avec article de Henri Galinié et Bernard Randoin) (avec l'historial) 2 2018 (dépliant de 12 pages). + vue du ciel, le château est entre Loire / Pont de fil et la cathédrale, devant le logis des gouverneurs [Wikipedia].

    Le pape déclaré ennemi de l'Eglise ! Suite à cet accord, les premiers jours de mai 1589 furent ponctués de sévères escarmouches à Tours et ses environs, jusqu'à ce que les troupes d'Henri IV viennent soutenir celles d'Henri III et desserrent l'étreinte des troupes protestantes du duc Charles de Mayenne. Le 1er août 1589, Henri III est assassiné par Jacques Clément, le protestant Henri de Navarre lui succède sous le nom de Henri IV. Tours l'accueille solennellement le 21 novembre 1589. Il se recueille devant le tombeau de Martin. La ville est encore divisée, surtout que le pape Grégoire XIV confirme l'excommunication lancée par son prédécesseur contre celui qui n'était alors que le roi de Navarre. Les troubles menés par des catholiques ligueurs poussent le parlement national de Tours à déclarer (le 5 août 1591) le pape "ennemi de l'église et fauteur des rebelles". Au bout de plus de cinq années, devenu catholique, Henri IV réussit à rétablir la paix. Tours se retrouve avec un parti catholique renforcé, "zélé, avec un esprit de lutte contre l'hérétique et de croisade contre l'infidèle", comme l'écrit Robert Sauzet en son article 1989 "Le milieu dévot tourangeau et les débuts de la réforme catholique".

    Grâce à Martin, Henri IV peut être sacré roi de France. Une fois à Paris, Henri IV souhaite un couronnement officiel, mais Reims, lieu du sacre des rois par la présence d'une Sainte Ampoule (celle de Clovis, voir ci-avant), est encore aux mains de ses adversaires. Il faudrait trouver une solution de secours... Eugène Giraudet : "Informé qu'il existait à Marmoutier une seconde sainte ampoule, Henri IV vint à Tours, le 15 janvier 1594 afin de négocier auprès des moines l'obtention de la petite fiole (ampulla) qu'un ange avait, dit-on, apporté jadis à saint Martin. Après de laborieuses négociations, les moines finirent par céder et passèrent en acte devant notaire, dans lequel le gouverneur de la ville, le maire, les échevins et quelques notables se portèrent caution. Dès le 29 janvier, la relique précieuse, déposée d'abord à St Gatien puis à St Martin, quitta processionnellement notre ville et fut portée par le sacristain de Marmoutier, assisté de deux moines. Une escorte de cavalerie l'accompagna jusqu'à Chartres, où le sacre eut lieu le 27 février suivant. Henri IV témoigna sa reconnaissance aux moines en offrant au prieur un anneau d'or enrichi d'une magnifique émeraude. Le roi témoigna également son contentement au maire et ses échevins et leur accorda, à titre de gratification perpétuelle et de récompense de leur fidélité deux muids de sel à prendre au grenier de Tours pour leur provision commune. Il reconnut l'attachement des habitants en les autorisant à établir une université à Tours". "L'université de Tours fut mise en oubli par suite de la négligence que mirent les habitants à poursuivre l'exécution de la promesse qui leur avait été faite" [Stanislas Bellanger 1845]. La bague avec émeraude fut offerte à Louis XVI en 1791, la sainte-ampoule fut brisée par les révolutionnaires en 1795, après avoir été dégarnie de ses pierres précieuses. Deux ans plus tôt, la sainte ampoule de Reims, considérée comme un "hochet sacré des sots", avait aussi été détruite en 1793 (quelques débris onté été récupérés, article, lien)... + article de Pierre Gasnault 1982 "La Sainte Ampoule de Marmoutier". (quelques débris onté été récupérés, article, lien)... + article de Pierre Gasnault 1982 "La Sainte Ampoule de Marmoutier". P.-S. : abjuration du protestantisme par Henri IV en 1593 devant le prélat Renaud de Beaune (petit-fils de Jacques) (lien).


    27 février 1594, le sacre de Henri IV à Chartres, avec la Sainte Ampoule de Martin ; mais la colombe, présente pour Clovis, n'est pas de retour... [Desmarets, BnF] + la même illustration avec quatorze personnes ou groupes légendés.

    Crise économique et démographique. Légitimé par son sacre, Henri IV peut alors rentrer à Paris, qui redevient capitale quand, le 22 mars 1594, les parlementaires ayant siégé cinq ans durant à Tours, reviennent à Paris. Malgré une réticence prolongée sur la sincérité de sa conversion au catholicisme, Henri IV obtint l'absolution du pape Clément VIII et se fit recevoir publiquement abbé et chanoine honoraire de la collégiale Saint Martin. On peut dresser un parallèle entre Clovis et Henri IV : tous deux ont amené une ère de paix par leur conversion et cette conversion s'est faite chaque fois sous le patronage de Martin. Il était temps qu'arrive ce redressement car le bilan du XVIème siècle est mauvais, les finances sont au plus bas. Ces évènements ont fortement affaibli l'économie locale (et nationale). Les notables tourangeaux protestants restant en vie ont souvent préféré émigrer à Genève ou en Allemagne. S'y ajoutent les méfaits de la peste, en 1583, 1587, 1589, 1595, 1597, et des récoltes catastrophiques en 1583, 1589 et de 1595 à 1597. Bernard Chevalier estime que la population de la ville est passée de 24.000 habitants à 8.000... ce qui semble exagéré (disons 16.000 pour 1600) et très provisoire, puisque Wikipédia 2020 indique que "la ville connut un apogée démographique vers le XVIème siècle, avec une population estimée entre 30.000 et 65.000 habitants vers 1600", population descendante ensuite, jusque 20.240 en 1800, avant une longue montée. On verra plus loin une estimation à 40.000 habitants en 1722. Wikipédia semble faire une erreur d'un siècle, le nombre de 60.000 étant fourni par Eugène Giraudet sans date précise. Le maximum serait plutôt atteint vers 1700 pour une population d'environ 45.000 personne, les guerres de Louis XIV, on le verra, ayant provoqué une baisse démographique.

    Henri IV et Louis XIII : enfin l'apaisement. En son article "Le tombeau de saint Martin et les Guerres de religion" (1961), André Stegman, après avoir décrit les tourmentes du règne de Charles IX, montre l'apaisement apporté par les règnes de Henri IV et son fils Louis XIII : "Le temps de l'intolérance est passé. Il faut compter parmi les « bons gestes » du règne de Louis XIII la forte indemnité (18.000 livres) donnée aux calvinistes à l'issue d'un juste procès, en réparation de la destruction de leur temple brûlé par malveillance. Une émeute à l'occasion d'un enterrement avait soulevé des désordres plus graves. Le roi fait procéder à l'arrestation de trente coupables; comme les troubles se prolongent, il vient en personne à Tours. Le temple ne fut rebâti qu'en 1631, à la Ville-aux-Dames (la Vallée-Bouju), bien que les Réformés eussent souhaité un lieu plus proche de Tours."

    Henri IV et les melons de Tours. Finissons avec Henri IV par ces propos culinaires d'Eugène Giraudet sur le gourmet promoteur de la poule au pot : "Une délibération du corps de ville, de 1604, nous apprend que Tours et Langeais étaient à jamais redevables à Henri IV de leurs melons, dont ce prince faisait ses délices."

    Le titre de ce chapitre donne l'occasion de faire un tableau montrant les époques où Tours fut la ville où s'exerçait le pouvoir (résidence du dirigeant, réunion d'assemblée nationale, états généraux, assemblée des notables, siège du gouvernement...), même si Paris a pu conserver le titre officiel. En s'appuyant notamment sur la page Wikipédia des capitales de la France :

    Tours capitale de la France
    PériodeSouverain ou dirigeant représentatif
    1444 à 1524 Charles VII, Louis XI, Charles VIII, Louis XII, François Ier
    1589 à 1594 Henri III, Henri IV
    9 octobre au 8 décembre 1870 Léon Gambetta
    10 au 13 juin 1940 Albert Lebrun et Paul Reynaud

    La basilique restaurée. Revenons à la basilique, Charles Lelong indique comment on tenta, en partie, de réparer les dégradations dont elle avait souffert :" En 1577, on entoura d'une grille de fer le lieu où les cendres avaient été dispersées "sur un espace d'environ cinq pieds carrés" et une inscription en parchemin, protégée par une vitre, rappela cette profanation. [...] On s'appliqua dès que l'on put, à restaurer le sanctuaire, la vente des bois de Cléré fournissant les fonds nécessaires [...] Au terme de ces travaux, le maître-autel pouvait être jugé "extrêmement beau" mais d'une austérité surprenante".


    Dans la scène du partage du manteau, si les habits du pauvre ne varient guère au fil des siècles, il n'en est pas de même pour Martin qui, du XVème au XVIIème, s'habille suivant la dernière mode vestimentaire, pour actualiser le message de Martin. De gauche à droite : 1) Anonyme XVème (avec Saint Nicolas) [Musée national d'Australie méridionale à Adélaïde] 2) Jean Fouquet vers 1460 ["Heures d'Etienne Chevalier", BnF] (+ reprise commentée dans Lecoy 1881 + commentaire Wikipédia), 3) Louis Bréa 1475 [volet gauche de la Pieta de Cimiez, monastère franciscain] 4) Jan Polack (ou son atelier), vers 1500 [Maastricht museum] 5) Jean Bourdichon vers 1505 [Grandes heures d'Anne de Bretagne] 6) Le Greco 1598, voir encadré ci-dessous 7) Anonyme XVIème [Basilique du Saint Sauveur, Pavie en Italie] 8) Anonyme XVIIème [église Saint Martin de Saint Martin le Beau en Touraine] 9) Antoine Van Dyck 1618, voir encadré ci-dessous 10) Georges Lallemant vers 1630 [Musée du Petit Palais, Paris] 11) Jacques Van Oost le Vieux 1656 [Groeninge museum à Bruges].
    Le Greco et Antoine Van Dyck, deux tableaux célèbres Deux de ces tableaux ont une forte renommée. En 6),  Le Greco 1598 (lien) [National gallery à Washington, lien] + vue en son musée [flickr Hans Ollermann]. L'artiste a aussi illustré la scène suivante du songe de Martin [lien, BnF]. En 9), Antoine Van Dyck (de l'atelier Rubens) 1618 et 1620 + analyse + variante vers 1848 par Louis-Gustave Ricard [musée des Beaux-Arts de Lyon] + trois autres variantes par van Dyck lui-même, par Théodore Géricault et un simili Eugène Delacroix ["La légende de saint Martin au XIXème siècle 1997].
    La règle et les exceptions. Voici quatre autres oeuvres peintes qui suivent la règle générale d'adaptation à la mode vestimentaire : 1 Anonyme XVIIème [Galerie nationale hongroise à Budapest] 2 [Garofalo Tisi 1520, Musée Pinakothek de Munich, flickr Lyle Rains] 3 [Vittore Carpaccio vers 1490, détail du Polyptique de Zadar en Croatie, flickr Michaël Martin] 4 de Ambrogio Lorenzetti, Sienne en Italie, 1ère moitié du XIVème siècle [Yale U Art Gallery, flickr John W]. Peu connue, une gravure d'Albert Dürer (1471-1528), "dont un excellent exemplaire est conservé au cabinet des estampes" de la BnF [reproduction Pannetier, Lecoy 1881]. Il y a tout de même des exeptions à la règle avec Martin habillé en soldat romain. Ainsi ce tableau de la basilique Ste Anastasia de Vérone en Italie [Giovanni Francesco Caroto 1542, flickr Jean Louis Mazieres + vue d'ensemble]. Aussi le tableau central de l'église St Martin de Saint Martin sur Arve (anciennement Saint Martin du Pont, rattachée à Sallanches en 1977) représente un soldat romain partageant son manteau sur fond alpin (lien) : l'adaptation n'est pas vestimentaire mais géographique (pour Pavie, ci-dessus en 7, elle est double...).
    Du côté des vitraux, la fantaisie vestimentaire est moindre. Jacques Verrière présente deux cas en Touraine [Verrière 2018] : 1 à Semblançay [anonyme XVIème siècle] 2 à Faye la Vineuse [fabrique du Carmel du Mans, Rathouis et Hucher 1878]. De facture plus tardive, Martin est habillé en Romain prestigieux sur ces deux vitraux anglais [flickr johnevigar] : 1 [église Ste Mary d'Edwardstone] 2 [East Woodhay].


    A gauche Tours sur la carte d'Arnoullet, version Braun et Hogenberg, publiée en 1572, montrant la ville en 1553 dans son enceinte de 1360 (+ légende). A droite la carte de René Siette en 1619 avec l'ancienne enceinte et la nouvelle [extrait de Civitates Orbis terrarum, chez Braun à Cologne, BmT].
    Remparts de Tours 5/5 : la dernière enceinte, de 1600 à 1845. L'enceinte de 1360 (ci-dessus et ci-dessous à gauche) fut remplie d'habitations en deux siècles et demi, la suivante (ci-dessus et ci-dessous à droite), élevée dans les premières années du XVIIème siècle sous le règne d'Henri IV, allait durer presqu'aussi longtemps. De cette enceinte bastionnée, il ne reste que quelques vestiges en vieilles pierres. + carte 1700 avec les bastions de l'enceinte [H. Galinié et B. Randoin, PSMV Tours 2013]. La superficie de la ville était plus que doublée. L'ouvrage Cossu-Delaunay 2020 montre sur ce dessin la curieuse "porte Bourbon"", entrée sud de la ville qui se trouvait à l'emplacement de l'actuelle gare. Les fortifications de type Vauban commençaient à se mettre en place... Remarque : sur ce plan de Siette, le nombre de bastions est exagéré, et contraire à ce qu'indiquent d'autres cartes dont ce plan récapitulant toutes les enceintes de Tours [PSMV Tours 2013]. Débuts en Remparts 1/5, 2/5, 3/5, 4/5.


    Variantes ou plan d'origine des deux mêmes cartes d'Arnoullet en 1553/1572 et de Siette en 1619. A gauche, un gros plan sur la basilique de la "nobilissimae urbis Turonensis" + la carte en entier. A droite, en 1619 [MBAT], la première vue d'ensemble de la ville depuis le sud en plan large (la couleur bleue est ajoutée) ; à droite Saint Pierre des Corps, à gauche La Riche, en haut (Nord) la Loire, en bas le Cher, relié à la Loire par le ruau Sainte Anne, au centre, horizontal, le ruisseau de l'Archevêché (ou de l'Archevêque) ; on distingue en haut à droite Rougemont et Marmoutier, à gauche au centre le prieuré de Saint Cosme, dessous Le Plessis, château de Louis XI, juste dessous le couvent des Minimes, en bas plus à droite l'abbaye de religieuses Beaumont et des noms de quartiers comme (de gauche à droite) Sanitas, Beaujardin, La Fuye, Rabatterie dans ce qui était alors la varenne de Tours, aujourd'hui remblayée et urbanisée. Ci-dessous gros-plan sur le Plessis, Beaumont et Marmoutier.

    La grand rue est l'artère principale moyen-âgeuse, proche de la Loire, reliant la Cité à Châteauneuf, longeant l'église Saint Julien. C'est aujourd'hui une suite de rues légèrement sinueuses, de l'Est vers l'Ouest : rues Blanqui, Albert Thomas (avec l'affreuse façade noire du lycée Paul-Louis Courier, photos), Colbert, du Commerce, du Grand-Marché, Courteline, Lamartine. Il faut deviner l'importance qu'eut cet axe. Une double signalétique avec ces noms de rue et le nom "Grand rue" est souhaitable et il est possible d'aller plus loin avec un style moyen-âgeux pour les enseignes...

    Le grand mail. La nouvelle enceinte était marquée, au sud, par une belle allée planté d'ormes, qui survit encore avec les platanes des boulevards Béranger et Heurteloup. C'était, au début, une aire de loisirs où les citadins venaient se détendre, ce fut au début du XXème siècle le lieu des foires expositions. Dans la seconde moitié du XXème siècle, les rangées extérieures des quatre alignements de platanes ont été éclaircies pour laisser place à des place de stationnement automobile. Le Plan de Sauvegarde et de Mise en valeur de 2013, qui englobe ce grand-mail, prévoyait de reconstituer les quatre rangées. Mais l'arrivée imposée d'une 2ème ligne de tramway (alors qu'il y a uncircuit plus court) risque de condamner les deux rangées extérieures du boulevard Béranger. + photo du boulevard Heurteloup en 2003.
    Le développement de la cartographie. Outre ces deux belles cartes d'Armoullet et de Siette, d'autres ont été publiées un peu plus tard. En voici trois : 1 1673 [BnF] 2 1679 [BmT, PSMV Tours 2013] 3 1700 (déjà vue, avec le nom des bastions). Le premier levé géométral de la ville attribué à l'ingénieur Tonon de Rochefou date des années 1670 [BmT, Wikipedia]. + article "La structure du plan urbain" d'Henti Galinié [Ta&m 2007]. Les vues en trois dimensions de l'ensemble de la ville se développent également. Ainsi, la vue ci-dessous de Christophe Tassin eb 1634 (+ zooms : 1 2), une autre vue vers 1680 [MBAT, Catalogue 2016] et une autre 2 de 1699 [LTh&m 1855]. Aussi celles-ci par Robert Malnoury [site patrimoine.regioncentre.fr] sous différentes formes : 1 (1657 partie gauche) 2 (1657 partie droite) 3 (1657 les deux parties réunies, gravure de Matthaus Merian, BmT) 4 (1690) [Pierre Aveline].



  41. Regain puis affaiblissement du culte de Martin

    Le règne de Louis XIV calamiteux pour la ville de Tours. Louis XIV procède en 1685 à la révocation de l'édit de Nantes provoquant un important exil de protestants, notamment en Touraine. Dans son étude de 1983 "Religion et démographie : Les Protestants de Tours au XVIIème siècle", Brigitte Maillard estime que cette émigration pour cause de persécution religieuse a été aggravée par la crise écoonomique (+ autre étude par Didier Boisson en 2006). Eugène Giraudet dans son "Histoire de la ville de Tours" (1873) dresse un état des lieux un peu avant la fin du règne guerrier du roi Louis XIV : "La ville de Tours diminue de jour en jour, dit l'enquête, la généralité est dépeuplée du quart de ses habitants depuis trente ans ; l'industrie de la soie est presque entièrement ruinée ; l'industrie du drap a baissé des trois quarts ; la tannerie n'est pas plus heureuse, de 400 maîtres tanneurs il n'y en a plus que 54. Un fait plus lamentable encore atteste de cette décadence, c'est le peu de consommation du gros bétail ; autrefois la ville consommait 90 boeufs par semaine et à présent, on a peine à y en débiter 25". Une certaine prospérité revint heureusement par la suite, modeste prospérité... Giraudet : "Toutes les branches du commerce et de l'industrie reprirent une certaine activité vers le milieu du XVIIème siècle, malgré les épidémies, les disettes et les lourdes charges imposées aux habitants". Et c'était pareil dans toute la France, d'après Joël Cornette, dans un article du n°447 de "L'Histoire" 2018 : "Les révoltes des "années de glace" du Roi-Soleil vieillissant (années 1690-1710) sont particulièrement importantes, avec une pointe acérée en 1693-1694 (les "années de misère" marquées par une crise de subsistances de grande ampleur) et un pic en 1709 (le "grand hyver")."


    Le grand hyver de 1709 vu par Guignolet 1984 + la planche.
    Les loups en Touraine. Dix ans plus tôt, le 17 juillet 1694, le curé de Fondettes enterrait "la tête d'un enfant de 7 ans", Françoise Marrioné et, à propos de ce décès, il notait : "Les dits loups ont dévoré beaucoup d'autres enfants dans cette paroisse et dans celle de Saint-Cyr depuis quinze jours". + extraits du livre de Bernard Briais, "Drames du passé en Touraine" [CLD 1992]. Il semble que c'était une des dernières attaques de la bête de Benais qui fit deux fois plus de victimes que la célèbre bête de Gévaudan, à en croire le récit du même Bernard Briais, dans son autre livre "Anecdotes historiques de Touraine" 2015. Le même livre présente l'épisode "La louve enragée" qui en 1814 emporta une vingtaine de personne., après d'épouvantables souffrances. Et pour revenir à 1709, le même livre présente une anecdote sur le grand hyver et le pillage des boulangeries de Tours. + photo commentée du dernier loup de Touraine, tué en 1885 ["Le patrimoine des communes d'Indre et Loire 2001, commune de Céré la Ronde].


    Louis XIV, roi de 1643 à 1715, vitrail de l'actuelle basilique (atelier Lobin, de Tours). Au centre, l'arc de triomphe dédié à Louis XIV, construit en 1693 à l'entrée nord de la ville [Gallica] + dessin de l'arc dans son environnement ["Tours informations" février 1985]. Il a été repris en (petite) partie repris dans le portail de l'archevêché (deux cartes postales : 1 2). La sculpture surmontant l'édifice, représentant les armoiries épiscopales et une croix chrétienne, fut enlevée peu avant 1910, quand la ville devint propriétaire des lieux. A droite, le portrait en grand costume royal du roi Soleil en 1701 par Hyacinthe Rigaud, conservé au musée du Louvres, eut plusieurs répliques. Celle détenue par le MBAT, provenant d'un médecin du roi, est particulièrement soignée, réalisée par l'atelier de l'artiste (lien).

    Avec Louis XV, une prospérité retrouvée. Tout le long du XVIIème siècle, le culte de Martin reste vivace, Tours reste une ville de pèlerinage. Charles Lelong, en son livre de 2000 : "En 1718, un voyageur note "qu'à toute heure du jour, il y a un grand concours du peuple" et un autre, en 1785, que l'on célèbre chaque jour trente messes". En 1738, quand on ouvrit la châsse (à l'occasion d'un don de la collégiale de Liège), "le peuple commença alors à donner des témoignages publics de sa piété envers ces reliques, car les uns présentaient leurs livres et leurs chapelets pour les y faire toucher, d'autres des morceaux de drap d'or et d'argent... ou coupaient des morceaux de leurs habits, de leurs coffres et de leurs rubans". Les rois continuaient d'être reçus à la basilique : Henri III en 1576, Henri IV en 1589, Louis XIII en 1614, Louis XIV en 1650 et 1652. Quantité d'érudits se penchent au XVIIème siècle sur l'histoire du saint : le carme Martin Marteau (1660), Monsnyer (1663), Nicolas Gervaise (1699), dom Martène (vers 1700)". Toutefois, comme le dit Eugène Giraudet qu'après l'arrivée au trône d'Henri IV, premier des Bourbons : "la cour s'éloignant de moins en moins de Paris, l'importance historique de notre ville commença à décliner".

    Tours et l'eau 3/6 : une ville inondable, la basilique sous l'eau en 1733. La carte de 1619 ci-dessus met en évidence, en bleu, les cours d'eau : Loire, Cher, au milieu le ruau / ruisseau de l'Archevêque ou de l'archevêché (photo Prosper Suzanne 1899, photo archives municipales 1934), les reliant à gauche (Ouest) le ruau Sainte Anne et, servant alors de douves, la boire Saint Venant ou ruisseau de la Dolve (carte Hélène Noizet 2007) + schéma des ponts, ports et îles en 1619 [H. Noizet 2004]. + carte des "Aménagements et courants dans la Loire au début du XVIIème siècle" ["La fabrique de la ville" H. Noizet 2007]. + article de Pierre Audin 2013 "La varenne de Tours et ses ruisseaux" + article de Bernard le Sueur "le statut de la rivière Cher".


    Le ruau Sainte Anne, aussi à tort nommé canal Louis XI. Ce canal naturel allait de la Loire au Cher, en pente descendante. Il fut décidé de le combler en 1774. Au centre, consolidation du pont le franchissant, près de la Loire, après l'écroulement de deux arches en 1755. A droite, photo de Robert Malnoury. + article de Hervé Lestang dans "Tours Informations" de décembre 1985 : 1 2. + document de trois pages de la Région.

    Hormis l'antique lieu Caesarodunum autour de la cathédrale, l'espace entre Loire et Cher fut trop souvent inondé, formant un immense lac. L'histoire de Tours est ainsi ponctuée d'inondations au fil des siècles, notamment en 585, 820, 853, 1003, 1037, 1231, 1309, 1346, 1426, 1474, 1527, 1586, 1608, 1628, 1707, 1711, 1733, 1755, 1757, 1846, 1856, 1866. En 1733 : "La ville de Tours se vit sur le point d'être totalement submergée ; il y avait dans l'église de Saint-Martin 8 pieds d'eau ; elle était dans la cathédrale à la hauteur du principal autel ; les habitants furent trois jours sans vivres, et la Loire, qui était déjà par-dessus les ponts, menaçait la ville d'une ruine entière, si pour la préserver on n'en avait point détourné le cours, en faisant ouvrir la levée entre Montlouis et la Ville-aux-Dames, ce qui submergea aussitôt ce dernier bourg, sans pouvoir sauver ni habitants, ni bestiaux, ni effets." [lien].


    Visions cauchemardesques, campagnes et villes inondées (à gauche, gravure de Gustave Doré). + deux planches de Guignolet 1984 sur la Loire et, notamment, ses levées (article détaillé sur Wikipédia) : 1 2. Ci-dessous, gravure représentant l'inondation de Saint Pierre des Corps, juste en amont de Tours, en 1866 et gravure montrant l'inondation de 1956 à Tours, rue de la Dolve (près de la place du Palais), où quinze personnes furent sauvées de justesse. On reviendra plus loin sur ces inondations de 1856 et 1866.

    Débuts en Tours et l'eau 1/6, 2/6, suites en 4/6, 5/6, 6/6.

    Tours, ville belle et riche, et la collégiale Saint Martin en 1722. Jean-Aimar Piganiol de la Force, dans sa description des villes de France (1722), dépeint ainsi la ville de Tours : "Cette ville est grande, belle, riche et l'une des plus considérables de France  on y compte 138 rues, 4 chapitres, 16 paroisses, 9 couvents, 8 communautés de filles, 3 hôpitaux et environ 40.000 habitants. On entre dans Tours par 12 grandes portes et cette ville a 5 faubourgs [...] les maisons de la ville sont bâties d'une pierre extrêmement blanche, ce qui leur donne une belle apparence, et elles sont toutes couvertes d'ardoises ; les rues sont, en général, assez belles et 6 fontaines publiques construites dans les différents quartiers de la ville contribuent à y entretenir la propreté. Le chapitre de Saint Gatien est composé de 193 bénéficiers [...] L'église collégiale de Saint Martin est une des plus vastes de France, elle est flanquée par une grande tour appelée tour Charlemagne et du côté du midi par celle de l'Horloge ; on les voit de dix lieues à la ronde. Le tombeau de saint Martin est le grand autel ; il est de marbre noir, blanc et jaspé, et n'est élevé de terre que d'environ trois pieds. Le chapitre de Saint Martin a près de 400 bénéficiers [...] il y a deux autres chapitres à Tours, celui de Saint Venant et celui de Saint Pierre le Puellier, qui sont tous deux sous la discipline du chapitre de Saint Martin. Les chapitres de ces deux églises collégiales, qui sont en même temps paroissiales, ont chacun 10 chanoines."


    La mémoire dessinée des rues de Tours en 1912. Edouard Gatian de Clérambault a publié en 1912 un recueil d'illustrations "Tours qui disparaît" + le livre en intégralité, environ 260 pages dont, à la fin, 100 planches [Gallica] (un livre de photos de 1899, "Tours pittoresque", est présenté ci-après) + article Ta&m 2007 de Patrick Bourdeaux présentant Edouard Gatian de Clérambault. Les trois dessins ci-dessus traitent la rue du Petit Saint Martin, située entre Châteauneuf et la Loire. A gauche au N°2 deux maisons, de fin XVIème et milieu XVIème, avec entre elles une cave voutée de fin du XVème. Comme de nombreuses autres maisons à Tours, elles dépendaient du fief du trésorier de Saint Martin. Elles n'existent plus. Ensuite, au n°7, une maison du XVIème. Puis, au n°22, la chapelle du Petit Saint Martin (dessin et photo de droite).
    La chapelle du Petit Saint Martin. Jacques-Marie Rougé en son livre "Rues du vieux Tours" (1966) raconte que, en 397 au retour de Candes, "l'évêque Martin fut déposé sous un abri provisoire, parmi les cabanes des pêcheurs en Loire. Peu de temps après, le site de son premier reposoir, sur la grève, fut considéré comme un lieu sacré ; et devint le petit Saint Martin. La tradition conserva ces dires, et au XIVème siècle une pieuse "frairie" se forma pour édifier l'église actuelle (n°22) à l'emplacement où le corps du saint avait été, dit-on, primitivement déposé". L'édifice, devenu annexe de l'école des Beaux-Arts, dispose en sous-sol d'une importante cave ou ancienne crypte. + cinq photos 2020 : 1 (à droite une plaque indique que c'est la maison natale de Victor Laloux) 2 3 4 5.

    L'opulence du chapitre Saint Martin et la fin de son indépendance. Christophe Maillard dans le Collectif 2019 traite de "L'identité du chapitre Saint Martin de Tours au XVIIIème siècle" : "Au tout début du XVIIIème siècle, les chanoines de Saint Martin se flattent de se gouverner eux-mêmes, ne dépendant immédiatement, selon la formule, que du Saint-Siège, autorité forcément lointaine et passive". La collégiale dispose alors d'une puissance financière à la mesure de ses immenses biens fonciers s'étendant sur une quinzaine de nos départements, dans le prolongement des acquis de la période carolingienne. Le chapitre séculier est composé d'environ 230 bénéficiers dont 43 chanoines contre 145 bénéficiers pour la cathédrale Saint Gatien. Sous la volonté des archevêques, par voie judiciaire, le chapitre Saint Martin va progressivement tomber sous la coupe du chapitre Saint Gatien, opération finalisée en 1535, comme l'indique Eugène Giraudet : "Les annales ecclésiastiques rapportent à cette même année un grave événement religieux, provoqué à la suite d'une bulle du Pape et d'un arrêt du Parlement. L'antique Chapitre de Saint Martin, si célèbre jusqu'à cette date par ses immunités, ses privilèges, ses franchises, accordés ou confirmés par la papauté et tous les souverains de France, devint dépendant et soumis à la juridiction de l'Archevêque. L'abbaye de Marmoutier subit, trois ans plus tard, la même destinée ; l'abbé commanditaire, le prince de Clermont Louis de Bourbon-Condé, 123ème abbé, ayant donné sa démission, le titre d'abbé finit avec lui et, dés lors, de grands prieurs obtinrent la juridiction spirituelle et temporelle de l'abbaye.". L'ancien abbé devint ensuite lieutenant général de l'armée, gouverneur de Champagne, eut une vie libertine variée et finit grand maître de la franc-maçonnerie. La virtus de Martin avait disparu...


    Le 3 juin 1724, le roi Louis XV remet le cordon de l'ordre du Saint-Esprit à Louis de Bourbon-Condé, dernier abbé de Marmoutier, dans la chapelle de Versailles [Jean-Baptiste Van Loo, château de Versailles, Wikipédia]. A droite, Tours est capitale d'une des 37 généralités du royaume de France. Créée dès 1452, sur un territoire plus étendu, cette division territoriale prend de l'importance sous Louis XIV, devenant aussi une intendance dirigée par un intendant ["Les rois absolus", Belin 2011]. Le division par provinces subsistait (carte).

    Le déclin du pouvoir municipal. Au XVIIIème siècle, comment a évolué la législation sur les pouvoirs communaux ? A-t-elle su s'adapter à l'époque ? Jean-Jacques Bourassé répond dans LTh&m 1855 : "Depuis la promulgation de l'édit de 1692, supprimant le régime électoral, nous ne trouvons plus qu'indécision, désordre, inconséquence ou abus de pouvoir dans la législation du gouvernement municipal. Louis XIV, environné de tout l'éclat de sa grandeur, ne tint pas assez compte du profond attachement des villes pour leurs franchises immémoriales. Le levier populaire à l'aide duquel ses prédécesseurs s'étaient affranchis du joug de la haute aristocratie avait fait son temps et le pouvoir royal, s'exerçant sans contrôle, pouvait délaisser maintenant l'élément démocratique dont il avait usé à son profit la puissante énergie. Mais l'avenir doit expier ces erreurs de la politique ; et nous avons vu jusqu'où peuvent aller les vengeances populaires.". A s'appuyant sur les dénombrements d'époque, Eugène Giraudet indique qu'après avoir compté 60.000 âmes (ce qui apparaît trop fort, peut-être 45.000 ?), la population passe à 26.000 en 1766, 20.210 en 1781, 19.660 en 1786, 21.800 en 1790.

    Quelle place pour le culte au siècle des Lumières ? Les privilèges des chanoines, même s'ils ont été rognés apparaissent injustes. Christophe Maillard dans le Collectif 2019 : "Les chanoines sont comparés à "des rats dans le fromage" qui profitent des biens qui leur ont été accordés jadis "grâce aux folies de nos ayeux". Par extension, ils deviennent les ennemis du progrès et des Lumières. [...] Ils sont accusés de parasitisme et d'obscurantisme". Il est symptomatique que, en 1777, la visite de Monsieur, le frère du roi (futur Louis XVIII, alors âgé de 22 ans), avec passage dans la basilique, est effectuée discrètement. Bien accueilli par les édiles, il évite la foule [récit, lien). Dans un tel climat, la ferveur décroît, Christine Bousquet-Labouérie et Bruno Judic soulignent, dans le Catalogue 2016, ce net affaiblissement du culte, qui expliquera le manque de résistance aux dégradations des révoltés : "Au XVIIIème siècle, le pèlerinage sur le tombeau semble être limité aux campagnes tourangelles. Ce déclin radical du pèlerinage est aussi l'arrière-plan des difficultés financières des chanoines qui ne pouvaient plus entretenir l'immense basilique héritée du Moyen-âge. Il reste que la destruction de ce monument répondait à un dessein politique : éliminer les symboles de la monarchie et de la tyrannie".


    La basilique Saint Martin avant la Révolution. A gauche vue du Sud, au XVème siècle, maquette de Florent Pey (le cloître en avant-plan, la tour Charlemagne en arrière-plan à droite). A droite vue du nord, gravure du XVIIIème siècle [BmT] + :autres restitutions 3D ci-avant et ci-après. Au premier plan les tours Charlemagne à gauche et St Nicolas à droite. En arrière plan, la tour du cadran à gauche et la tour du trésor (maintenant de l'horloge) à droite. + variantes.

    Tours et l'eau 4/6 : 1764, l'évacuation manu militari de l'île Saint Jacques pour construire le pont de pierre. A cette époque, la population de Tours n'habite pas que sur la rive gauche de la Loire, derrière les remparts. Sur la rive droite, le faubourg Saint Symphorien s'est développé et une île, appelée Saint Jacques, abrite 700 à 900 personnes, avec maisons et rues. Cette population, avec mariniers, haleurs, débardeurs, lavandières, vit de la présence de la Loire et de son trafic fluvial. La construction du pont de pierre va tout bouleverser. Pour le prestige de la ville, c'est un des premiers ponts plats. La rive droite étant plus haute que la rive gauche, il faut rehausser cette dernière (au niveau de l'actuelle place Anatole France) en arasant l'île Saint Jacques. Des indemnités sont calculées et proposées en 1758 aux propriétaires mais, attachés à leurs biens et à leur île, un grand nombre refuse d'évacuer. Après plus de cinq ans d'atermoiement les pouvoirs publics doivent employer la force et en 1764, l'armée intervient à la baïonnette [lien]. Il ne restera qu'un îlot que les hommes et l'apport naturel de sable agrandiront au fil du temps. Son dernier propriétaire, M, Simon, y bâtit une maison, c'est ainsi qu'est née l'île Simon (+ présentation, photo prise du pont Napoléon avec l'île à gauche), plus petite et plus en aval que l'île Saint Jacques. Quant au nouveau pont de pierre, ainsi nommé aujourd'hui encore, il est baptisé en 1918 pont Wilson en honneur de Woodrow Wilson alors président des Etats-Unis.


    Arasement de l'île Saint Jacques, construction du pont de pierre et abandon du pont d'Eudes. Deux illustrations présentant l'île Saint Jacques : 1) une vue de Tours de 1750 [MBAT] + plan vers 1750 commenté + autre plan vers 1750, 2) une "Vue de la ville de Tours telle qu’on la voit de chez les révérends pères Capucins", 1753 [auteur inconnu, SAT, article du site "La Rotative", 2019 + vue d'ensemble] avec, entouré de bleu, l'arc de triomphe élevé lors d'une visite de Louis XIV en 1693 (illustration en fin de chapitre précédent). A droite, reconstruction en 1807 après l'effondrement d'arches emportées par la crue de 1798 [ingénieur Vallée, SAT + vue un peu plus large].
    Tours aussi sur la rive droite de la Loire. En descendant le fleuve, à droite de l'île de Saint Jacques, le faubourg Saint Symphorien faisait partie intégrante de la ville de Tours. Il est devenu à la fin du XIXème siècle le quartier Paul Bert, du nom d'un ministre anticlérical aux aspirations proches des habitants de ce quartier ouvrier + plaquette municipale sur son église St Symphorien. A gauche, la limite communale jusqu'rattachement à Tours de la commune de Saint Symphorien en 1964.



    A gauche, marine marchande et port de Tours, illustration extraite de la documentation 2010 "Les aménagements portuaires de la Loire à Tours" [Georges Souillet 1898, Chambre de Commerce et d'industrie de Touraine, photo du grand salon]. Au centre, le qui Fort Louis, près du pont de pierre par Jean-Jacques Delusse 1822 [Musée de Châteauneuf sur Loire].
    L'île Simon, espace de détente près du coeur de ville A droite, Le pont de pierre au XXIème siècle vu de l'extrêmité de l'île Simon ["Chacun son Tours", Philippe Masson 2002 + deux planches : 1 2. Cet îlot de tranquillité en coeur de ville, un peu sauvage, sera-t-il préservé des aménagements touristiques ? La Loire et le Cher sont une chance pour Tours, coulées bleues et vertes échapant pour l'essentiel à une minéralisation envahissante. + photo du même point de vue en 2020 + photo aérienne de 1929 quand l'île était occupée par des jardins ouvriers (de 1925 à 1959).
    Débuts en Tours et l'eau 1/6, 2/6, 3/6, suites en 5/6, 6/6.


    Tours en 1787, avec l'ancien pont d'Eudes et le nouveau pont de pierre. Tableau de Charles-Antoine Rougeot offert par Charles Henri d'Estaing, gouverneur de Touraine de 1785 au 1er janvier 1791, au maire de Tours de 1780 à 1790 Etienne Benoist de La Grandière (sa page Wikipédia est dithyrambique...) [MBAT]. + deux vues de Tours et ses clochers : 1 vers 1750 [C. Stanfield] 2 vers 1760.

    1789, Tours juste avant la Révolution. Illustrations et commentaires extraits du n°30 du "Magazine de la Touraine" (avril 1989), dossier "La Touraine avant la révolution". A droite, après les cahiers de doléance, les Etats généraux se préparent...
    Le palais de l'Archevêché avant qu'il devienne musée des Beaux-Arts. Image de gauche : la promenade sur la terrasse surplombant le beau jardin de l'Archevêché du temps où elle était autorisée [LTh&m 1855]. Elle est hélas interdite en notre temps, la ville de Tours ignore son intérêt pourtant évident sur cette illustration, elle a même tenté en 2016 de bétonner une partie du jardin, voir page voisine. + gravure du jardin avec, jeune, le cèdre remarquable, planté en 1804 [LTh&m 1855] + carte postale + tableau de Guy Rose (quelle belle terrasse...) + photo 1935 ["La Touraine" de Maurice Bedel] + photo 2003 du cèdre. Sur le palais de l'achevêché voir aussi ci-après.



  42. Coups fatals des sans-culottes, fin passagère de la basilique et du culte

    Commune de Tours 5/5 : une tension croissante entre la municipalité et le chapitre. Durant les années 1780, les conflits se multiplient entre la commune de Tours et les chanoines de Saint Martin. En janvier 1785, il leur est signifié que " Si les cloîtres il est vray ont pu jouir anciennement de privilèges particulliers lorsqu’ils étoient totallement séquestrés de la société des laïcs, habités par les chanoines seuls et par les personnes que leur permettoient d’avoir chez eux les saints canons, les chapitres ne peuvent plus réclamer ces privilèges depuis qu’ils admettent indistinctement les laïcs de tout état et tout sexe dans leurs maisons. Il est notoire que le cloître de Saint-Martin contient peut-être six fois plus de laïcs que de membres de leur Église, il est donc maintenant livré aux usages de la vie civile et doit contribuer en tout aux charges de la municipalité" (lien). La Ville finit par baisser les bras et, pour avoir la paix, accepta avec l’intendant de retirer les cloîtres du projet général, non sans critiquer l’attitude des chanoines. Débuts en Commune 1/5, 2/5, en 3/5, 4/5.


    L'ecclésiastique Martin face aux nouvelles bagaudes. Ce tableau de l'Allemand Matthäus Günther (1705-1788) [en l'église de Garmisch-Partenkirchen, Lorincz 2001] a été réalisé peu avant la Révolution française alors que la révolte grondait déjà dans les campagnes. L'épisode de Martin agressé dans les Alpes par des brigands est actualisé par un Martin transformé en curé et les brigands de bagaude (voir ci-avant) devenus des paysans émeutiers (la journée des tuiles à Grenoble précède de quelques mois la mort du peintre). Martin avait réussi à s'entendre avec les bagaudes, certains prélats tentèrent de pactiser avec les sans-culottes, rares furent ceux, comme l'abbé Grégoire, qui y parvinrent.

    Les biens considérables du clergé sont dispersés... La richesse de l'abbaye de Saint Martin, acquise principalement sous les Carolingiens, a tenu neuf siècles, mais tout a une fin... Eugène Giraudet en son livre "Histoire de la ville de Tours" de 1873 : "En novembre 1789, l'Assemblée nationale sauva la France d'une ignominieuse banqueroute en décrétant que tous les biens et revenus ecclésiastiques seraient mis à la disposition de la nation, à la charge par elle de pourvoir aux frais du culte et à l'entretien de ses ministres. On profita des immenses biens du clergé, estimés à environ dix milliards, en créant immédiatement des billets qui donnaient au porteur assignation sur le prix de ces biens. Les commerçants de Tours protestèrent contre l'émission de ce papier-monnaie appelé assignat, qui fut cependant une ressource précieuse tant que la bonne foi présida à son émission.. Charles Lelong note une dernière marque de respect à l'égard du clergé en 1790 quand "la municipalité s'associe au chapitre pour demander une dérogation lors de la suppression des ordres religieux : "Saint Martin est le patron de la Nation. L'apôtre des Gaules ne doit pas être indifférent aux représentants de la Nation". Mais la roue tourne...

    1790, le roi Louis XVI reçoit l'anneau de Marmoutier. Souvenez-vous ci-avant la belle bague avec émeraude offerte par Henri IV à l'abbaye de Marmoutier en remerciement des services rendus pour son sacre. Eugène Giraudet revient sur ce précieux anneau : en juillet 1790, devant le roi Louis XVI, "Un député de Tours, M. Bruley, ayant mis un genou en terre, prononça une courte allocution en offrant "ce gage précieux de l'attachement inviolable que la ville de Tours a pour sa personne sacrée". Le roi témoigna sa satisfaction et remercia, en termes bienveillants, les députés de Tours, mit l'anneau à son doigt et dit en se tournant vers les personnes qui l'entouraient : "Je n'ai jamais porté de bagues, mais je porterai celle-ci avec grand plaisir"."

    1791, un évêque révolutionnaire ! Giraudet : "En octobre 1790, l'assemblée constituante enjoignit tout le clergé du royaume de prêter serment de fidélité à la constitution, sous peine d'être déchu des fonctions qui lui étaient dévolues. Tous les prêtres qui se refusèrent à cet ordre furent mis hors la loi et qualifiés du nom de "prètres réfractaires", tandis que l'on flétrit ceux qui s'y soumirent du nom de "prêtres sermentaires" ou jureurs. La pape Pie VI les mit au ban de l'Eglise et déclara nuls les mariages bénis par eux et païens les enfants qu'il sauraient baptisés. A dater de cet instant, le plus grand nombre des prêtres qui s'étaient contentés jusque là de se tenir sur la défensive, conspirèrent ouvertement contre la Révolution. Bien que l'archevêque de Tours François de Conzié, ex-député à l'Assemblée nationale, eut quitté la France pour donner à son diocèse l'exemple de la résistance, 44 prêtres et religieuses se soumirent à la loi". C'est ainsi que fut élu en 1791 l'évêque constitutionnel Pierre Suzor (portrait SAT, courte biographie du Mag. Touraine HS novembre 2000) qui exerça jusqu'en 1794, puis en 1797 de façon amoindrie sans disposer de la cathédrale. Les prêtres refusant de se plier sont persécutés (courte description dans Nikto - Kline 1987).

    1793, le massacre de Chinon. A Chinon, dans l'Ouest de la Touraine, proche de la guerre de Vendée, une plaque porte l'inscription suivante : "En mémoire des 271 prisonniers vendéens massacrés à Chinon le 4 décembre 1793". Alors que Stanislas Bellanger écrit en 1845 que l'exécution a été "ordonnée, dit-on, par les membres de l'administration municipale de la ville", il apparaît, à la lumière de courriers échangés entre les autorités de Chinon et de Tours (lien), que la surprise a été totale, le début du passage des prisonniers à Chinon s'étant déroulé correctement. Brusquement le responsable de la garde armée, un Saumurois ultra-révolutionnaire, Urbain Lepetit (lien), ordonna la tuerie. Il se justifia en écrivant qu'il n'avait pu "contenir plus longtemps l'indignation des soldats. Leur juste fureur s'est satisfaite. Citoyens, cette opération s'est faite aux cris réitérés de Vive la République ! D'une multitude de citoyens de votre ville, qui nous avaient suivis. Répétons aussi : Vive la République ! ". Les responsables chinonais et tourangeaux, horrifiés, en référèrent à Paris. En ces temps troublés, Lepetit, réfugié en Normandie fut long à être retrouvé. Une fois emprisonné, il bénéficia d'une amnistie générale...


    La massacre de Chinon. La ville de Tours fut épargnée par de tels drames, mais leurs échos y firent impression... + trois vues de Chinon dans LTh&m 1855 : 1 2 3 + deux autres vues de Chinon : 1 [Edouard et Théodore Frère, LTa&m 1845] 2 [Robida 1892]. + le livre "La révolution en Touraine" par Charles d'Angers, 1889, 86 pages [Gallica].


    [Nikto - Kline 1987] + les trois planches de l'épisode titré "Les déportés aux cheveux blancs" racontant la déportation de prêtres âgés partis de Tours pour la Guyanne et terminant leur périple à Provins : 1 2 3. + du même album, le récit "Le laboureur guillotiné" montrant le terrible impact de la révolution sur un village de Touraine, Cussay.


    Un sans-culottes, un curé nouveau style, une carmagnole autour d'un arbre de la liberté, une guillotine ambulante + la liste des 22 guillotinés de Touraine, province transformée en département d'Indre et Loire [illustrations du "Magazine de la Touraine" n°49 (1994) dossier "La Touraine sous la terreur, sauf la guillotine [Wikipédia] sauvegardée par Maurice Dufresne et exposée en son musée d'Azay le Rideau]. Comme indiqué en cette page de René, il s'agit de la guillotine livrée en 1794 au département d'Indre et Loire, utilisée jusqu'en 1853. + une planche de Guignolet 1984 sur la révolution en Touraine, avec engagement de volontaires et brigandage.

    1794, changements de culte. Durant la Terreur, un pouvoir d'exception s'étend sur la France. En octobre 1793, un Comité général de surveillance révolutionnaire se met en place à Tours, avec notamment la participation d'Allain Dupré, ancien organiste de Saint Martin. Les prisons se multiplient (souvent dans les couvents...) et se remplissent. Le culte catholique est interdit, la cathédrale est transformée en temple du culte de la raison. Il s'agit "d'abattre pour jamais la dernière tête de l'hydre de la superstition et de l'erreur pour faire triompher rapidement la cause de la philosophie, de la raison et de la liberté". Les païens tant combattus par Martin ont repris le pouvoir après quatorze siècles d'énergique domination du christianisme. Ils plantent des arbres de la liberté et dansent autour de façon impie. Le culte de la raison fut remplacé dès mai 1794 par le culte de l'être suprème. La nouvelle devise est "Liberté, égalité ou la mort" (affiche). Les procès se multiplièrent. La fin de la Terreur permit de relâcher la plus grande partie des prisonniers en août 1794. Les modérés reprennent le pouvoir, le christianisme est à nouveau toléré et Tours sort de cette période avec une utilisation modérée de la guillotine. Le sang a beaucoup moins coulé en Touraine que lors des guerres de religion. En 1795, Allain Dupré, l'ex-organiste de Saint Martin, considéré comme terroriste, est désarmé avec ses compagnons. En juin 1795, l'évêque constitutionnel Suzor demanda à reprendre possession de la cathédrale Saint Gatien. En vain, elle fut rebaptisée "temple de l'Eternel".

    1788-1798, du manque chronique d'entretien de la basilique à sa destruction. A la fin du XVIIIème siècle, le monument de 1180 est dans un état délabré, avec des fondations fragiles. Il est souvent jugé trop vaste et obscur, n'ayant d'intéressant que son chevet. Des mesures urgentes d'entretien sont entreprises en 1788, mais les troubles révolutionnaires y mettent un terme à l'été 1789. Des réparations sont toutefois effectuées autour de janvier 1792. Mais l'édifice commence à gravement se dégrader quand, en février 1794, les flèches sont rasées et les cloches sont déposées pour être fondues. La couverture est abîmée, il pleut sous les voûtes. Transformé en écurie en 1794 et pillé par les sans-culottes. Le 2 novembre 1797, les voûtes du choeur s'effondrent, le 5 novembre, la municipalité ordonne la démolition. D'après l'ingénieur Vallée, "Cet édifice ne présente dans son ensemble qu'une masse informe, tout à fait en opposition aux règles de l'art et du bon goût". Ce qui reste du bâtiment est détruit pour l'essentiel le 10 novembre 1798, le préfet Pommereul, nommé en 1800, enlevant les derniers vestiges en 1802 avant de tracer en l'ancienne nef une artère commerciale, la rue Pommereul devenue rue Saint Martin en 1808 et rue des Halles en 1886. Ce préfet François René Jean Pommereul fut un administrateur autoritaire et combatif à l'égard du clergé et, sur ce point, il comptait sur un allié fidèle, aussi anticlérical que lui, le père de Balzac ; ses querelles répétées avec l'épiscopat de Tours entraînèrent sa mutation en 1806 (lien). De la basilique détruite, seules subsistent, encore aujourd'hui, la tour Charlemagne et la tour de l'horloge (anciennement nommée tour du trésor), classées "monument historique" en 1840.


    A gauche, tableau de 1853, souvenir crépusculaire de la basilique Saint Martin gothique [François Alexandre Pernot, rectorat de la basilique] + trois dessins : 1 (Merian 1650), 2 (Dejolu 1822), 3 (A. Borrel 1833). + un plan d'ensemble de la basilique à la fin du XVIIIème siècle, réalisé au début du XIXème [Gallica]. A droite, La collégiale d'Hervé avant la grande destruction en novembre 1798. On reconnaît aisément la tour de l'horloge, à gauche, et la tour Charlemagne, à droite, seuls vestiges encore existants ; on aperçoit aussi la tour Saint Nicolas, au clocher pointu [d'après Pinguet] + commentaire du Catalogue 2016. + dessin de Pinguet, 1798, commenté par Charles Lelong [La NR 1975] + autre gravure des ruines avant démolition en 1798, aussi en variante LTh&m 1855.

     


    Les reliques de Martin 6/8 : le sauvetage de 1793. A gauche, le citoyen Martin Lhommais, maître-sonneur, et sa cousine Marie-Madeleine Brault, épouse de Carré, grand bâtonnier, se font remettre des reliques de saint Martin (celles sauvées par le marguillier Saugeron en 1562). Par la suite, elles furent déposées à la cathédrale Saint Gatien et revinrent à la nouvelle basilique en 1941. + récit par Michel Laurencin [Catalogue 2016] Débuts en Reliques 1/8, 2/8, 3/8, 4/8, 5/8, suites en 7/8, 8/8.
    Au centre, en 1802, le préfet Pommereul ordonne la destruction des derniers vestiges. Ces deux dessins préparatoires de l'atelier Lobin correspondent aux deux vitraux à droite. + dossier pédagogique "Les hauts lieux martiniens et le renouveau du culte martinien au XIXème siècle" contenant d'autres dessins préparatoires de l'atelier Lobin .

    Le brusque aboutissement d'un long processus. Comme Martin avait détruit le patrimoine gaulois, comme les Huguenots avaient détruit le patrimoine catholique, les révolutionnaires voulurent araser une idéologie pour imposer la leur. Outre le saccage de monuments, ils incendièrent des manuscrits précieux, comme le montre Mark Mersiowsky en introduction d'un article de 2004 sur l'abbaye Saint Martin et les Carolingiens. Ce déferlement de violence se comprend aussi par la place très importante des édifices religieux en centre-ville alors que la religion est en perte de vitesse durant tout le XVIIIème siècle. C'est ainsi que de nombreuses paroisses de Tours ont été supprimées bien avant la révolution, avec des églises qui, sans être détruites, sont utilisées à des fins non religieuses et ont pu vivre au-delà de la Révolution. Nous avons déjà vu ci-avant le cas de abbayes Saint Paul de Cormery, Saint Julien, Beaumont et Marmoutier, nous allons voir ci-dessous, avec illustrations, le cas des églises St Saturnin et St Clément et le couvent des Feuillants. Toutes ont beaucoup souffert. Pierre Leveel dans Level 1994 signale d'autres édifices partiellement ou totalement détruits sur Tours et ses proches environs : le prieuré Sainte Anne lès Tours, le couvent des Jacobins, le couvent des Cordeliers, le couvent Des Carmes, le couvent des Grands Minimes, la chapelle Saint Jean des Coups (à l'emplacement de l'actuel parc Mirabeau), l'église des Jésuites. Et ce n'est pas exhaustif (cf. notamment l'article de Claire Mabire La Caille en 1981 "Evolution des enclos conventuels des mendiants à Tours")...


    Révolution et suppression d'édifices religieux à Tours, trois exemples emblématiques.
    1) L'église Saint Saturnin (sur l'actuelle rue du Commerce, face à l'hôtel Gouin), proche de la basilique, dépendante de l'abbaye Saint Julien, endommagée par la foudre en 1772, fut vendue aux démolisseurs en 1798. Elle avait été entièrement reconstruite autour de 1500, dotée d' un clocher remarquable pour Guillaume Briçonnet, alors archevêque de Reims, et d'une chapelle funéraire où était placé le tombeau de Thomas Bohier et Katherine Briconnet (voir ci-avant les Briçonnet). Le nom Saturnin a été repris par l'église voisine des Carmes. + texte / dessin (la basilique est à droite) de la page du site France Balade sur le vieux Tours / Châteauneuf. + vitrail 1890 du partage du manteau dans la nouvelle église Saint Saturnin (lien pour une visite étonnante).
    2) Le couvent des Feuillants, sur l'actuelle rue des Ursulines, près de la Cathédrale, créé en 1619, rattachée à l'ordre des Feuillants, ne comptant plus que trois moines, fut vendu en 1791 à un citoyen Martin (mal nommé...) qui procéda à sa démolition [Louis Boudan, BnF] + autre vue en 1707 + restitution par Cossu-Delaunay 2020.
    3) L'église Saint Clément, rue des Halles, proche de la tour de l'horloge, créée sous Louis XI par le premier maire de Tours, Jean Briçonnet, fut transformée en halle aux blés en 1790, ce qui retarda sa destruction à 1883. + estampe de la BmT ["L'Indre et Loire, la Touraine des origines à nos jours", 1982, avec extrait de texte du chapitre "Une révolution non conforme" de Raymond Bailleul] + quatre gravures : 1 [LTa&m 1845] 2 [LTh&m 1855] 3 [LTh&m 1855] 4 [Lecoy 1881] + dessin, aquarelle [SAT] et photo de cette église + document de 41 pages de la BmT + présentation dans"Tours, guide de l'étranger", 1844 + article de Patrick Bordeaux [Ta&m 2007]. + plan de Tours vers 1795 avec l'indication de l'affectation des édifices religieux [BmT, PSMV Tours 2013].

    L'expulsion des religieux. Au-delà de Tours, en Touraine comme ailleurs, religieux et religieuses furent chassés des abbayes et prieurés. François-Christian Semur dans "Abbayes de Touraine" (2011) : "On ordonna la fermeture des locaux conventuels, on les déclara biens nationaux et on procéda à leur vente au plus offrant. Bon nombre de monastères furent ainsi dispersés en plusieurs lots, comme à Villeloin et Cormery, si bien qu'aujourd'hui il paraît difficile de retrouver une cohérence dans les ruines éparses qui subsistent. Certains ont complètement disparus ou presque disparus. Quelques bâtiments claustraux ont été, hélas, transformés en carrières par leurs propriétaires cupides qui ont vendu les vénérables pierres. Plusieurs abbayes ont retrouvé une nouvelle vie, en étant transformées en élégantes propriétés privées. Sur trois sites, les religieuses ou religieux se sont réappropriés avec courage les nobles demeures abandonnées ou affectées à des finalités agricoles." Dans cette tourmente que sont devenus les 65 chanoines du chapitre ? Ils sont une douzaine à survivre à Tours en 1803, d'après le bilan dressé par Eugène Jarry en son article "Le chapitre de Saint Martin aux XVIIème et XVIIIème siècle" (1961). L'auteur considère que l'ancienne basilique n'était plus qu'"une sorte de survivance archaïque" méritant "un peu de nostalgie, comme on en a pour les belles choses qui finissent par s'étioler".

    Un curé républicain pour Saint Martin ! En 1792, 194 prêtres ou religieuses qui refusaient de prêter le "serment civique" furent enfermés. Eugène Giraudet : "Les électeurs du district convoqués à l'église Saint Saturnin nommèrent des remplaçants aux curés et vicaires réfractaires. L'ancien président du club de la Constitution, Ysabeau, fut élu curé de la paroisse Saint Martin et installé en présence des autorités, de l'évêque et du clergé constitutionnel". Ysabeau fut ensuite élu député à la Convention nationale et fut l'un des cinq députés tourangeaux, contre trois, qui votèrent la mort de Louis XVI. Fin 1792, la basilique sert à deux commissaires de l'assemblée nationale pour réunir fonctionnaires et corps administratifs.

    1797, le Maire de Tours prête serment de haine à la royauté. L'ouvrage du "Les maires de Tours du XVème au XIXème siècle" (1987) du Centre Généalogique de Touraine présente Pierre-Augustin Estevou, éphémère maire de Tours, du 29 août au 12 septembre 1797 (12 au 26 fructidor an V), quatre ans après la mort de Louis XVI sur l'échaffaud : "Né à Tours le 7 décembre 1752, fils de Joseph Estevou, salpêtrier du roi, et de Madeleine Veyrat, il épousa le 5 octobre 1779 Françoise Thibault, dont le père était fabricant et un oncle, Thomas Thibault, procureur au bailliage. Il exerça le même métier que son père. Son activité politique coïncide avec la période révolutionnaire. Administrateur à la Monnaie (1792), commissaire au district (6 mai 1793), il fut désigné le 22 pluviose an V pour occuper les fonctions d'accusateur public près du tribunal révolutionnaire. Les anciens administrateurs de la ville de Tours ayant été destitués, le 12 fructidor an V, de nouveaux membres furent désignés dont "le citoyen Estevou, salpêtrier, ancien membre du conseil et administrateur de l'hospice de l'Humanité". Elu maire, il prêta serment "de haine à la royauté et à la monarchie, attachement et fidélité à la République et à la constitution de l'an II". Les premières mesures qu'il prit consistèrent à réprimer l'anarchie, réorganiser les bureaux, renforcer la Garde Nationale et réinstaller les anciennes hospitalières. A la suite de graves évènements survenus le 9 thermidor an V, il arrêta l'interdiction de réunion de toutes sociétés, la fermeture des cafés à l'occasion de troubles, l'obligation du passeport pour tous les voyageurs, la tenue de registres dans les auberges. Le 26 fructidor an V, Pierre-Augustin Estevou fut nommé secrétaire général de l'administration et, ne pouvant cumuler plusieurs mandats, remit sa démission de maire de la ville de Tours. De nouveau conseiller municipal entre 1803 et 1813, il décéda à La Chapelle sur Loire le 18 avril 1814."

    1799, la garde nationale de Tours intervient pour repousser les Chouans. Eugène Giraudet indique qu'il n'y eut à signaler en notre histoire locale de fin de siècle que "l'invasion des bandes de royalistes désignés sous le nom de chouans. Le Directoire du département, informé de l'envahissement de plusieurs communes (Neuvy, Sonzay, etc.), fit appel à la garde nationale de Tours qui s'empressa d'y répondre et repoussa les Chouans avec succès."

    1802, le rétablissement du culte catholique. Le 18 mai 1802 (27 floréal an 10, disait-on encore à l'époque, le calendrier républicain ne se terminant qu'en 1806), l'archevêque Jean de Dieu Raymond de Boisgelin prit ses fonctions après une vacance officielle de 11 années. Le culte catholique était restauré dans l'archevêché de Tours, indépendamment du fait que l'évêque constitutionnel Pierre Suzor soit décédé le 13 avril 1801. Lors de la cérémonie d'accueil, le général-préfet remit les clefs de la cathédrale à l'archevêque en lui adressant une allocution patriotique sur le concordat conclu le 15 juillet 1801 par le premier consul Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII.

    1808, les regrets de Napoléon sur la basilique Saint Martin. Le 12 août 1808, l'empereur Napoléon Ier vient en visite officielle à Tours. Après être passé sous un arc de triomphe, acclamé par une foule en liesse, il traverse le pont de pierre. Mais, le soir, le couple impérial ne participe pas, comme prévu, au grand bal. Le lendemain, l'empereur aurait fini par exprimer l'objet de son mécontentement : "Je n'ai rien à répondre à ceux qui ont détruit la collégiale Saint Martin" ["Guide secret de Tours et ses environs", 2019] (Lecoy 1881, page 514, en indique confirmation "par des habitants de Tours qui le tenaient de leurs parents, témoins oculaires"). Les guerres napoléoniennes appauvrirent durablement la ville et ses habitants. En 1814, Tours devient "dépôt général des blessés de la Grande Armée" (page). Avant, pendant et après les Cent Jours, Tours garda le même maire, de 1802 à 1815, le baron Paul Deslandes [+ son discours lors de l'inauguration d'un portrait de l'empereur en 1809), ces retournements de veste étant la marque d'une lassitude de la population. Il s'ensuivit, sous la royauté de Louis XVIII de 1814 à 1824 puis de Charles X de 1824 à 1830, une critique sévère des menées politiques

    Paul-Louis Courier, pamphlétaire. L'écrivain Paul-Louis Courier (1772-1825) sut traduire ce mécontentement en pamphlets dont certains sont datés de Tours. Extrait de l'article 2015 de Shenandoah Davis : "Vint la Restauration de 1814. Tout en déplorant la manière dont elle s'opéra, Courier ne put s'empêcher de s'en réjouir. Ainsi firent bien d'autres amis sincères de la liberté, qui depuis ... Il s'apprêtait à savourer les douceurs d'un régime franchement constitutionnel, lorsque les cent jours rappelèrent les étrangers en France, et à leur suite la réaction royaliste de 1815. Cette réaction ne fut nulle part plus violente que dans le département d'Indre-et-Loire où Courier avait ses propriétés. M. Bacot, préfet de Tours, fit arrêter, dans l'espace d'un mois, plus de cinq cents personnes, dont plusieurs moururent en prison. Courier, indigné de ces mesures tyranniques, adressa aux deux Chambres une Pétition, au nom des habitants de Luynes, petit village situé sur le bord de la Loire. Le ministre Decazes, qui cherchait à fonder sa puissance sur les ruines des deux partis extrêmes, se servit de cette pétition contre les ultra-royalistes. Les persécutions cessèrent : Courier se tut."


    Probablement la dernière représentation sur le vif de la basilique d'Hervé. Après 1794 et avant la démolition de 1798, un peintre voyageur, peut-être Louis-François Cassas, a réalisé cette vue de Tours. Da gauche à droite : la cathédrale Saint Gatien, l'église Saint Julien, l'église Saint Saturnin, la collégiale Saint Martin [MBAT] + analyse par Annie Gilet ["Dessins XVe-XXe siècle La collection du musée de Tours", 2001]. Ci-dessous, peut-être la première représentation de Tours sans les clochers de la basilique (ou à moitié cachés à droite ? Volontairement ?), tableau de Charles-Antoine Rougeot de 1797 [MBAT, lien].



    E) 1799-2020 LA BASILIQUE DE L'ARCHITECTE LALOUX

  43. Le nouvel axe de la structuration urbaine, l'absence de basilique


    Le souvenir de la basilique disparue. Ces deux gravures de Lacoste Aîné sont extraites du livre LTa&m 1845. A gauche, seules subsistent la tour Charlemagne, et en arrière-plan la tour de l'Horloge, le reste de la basilqiue a disparu. A droite la basilique / collégiale Saint Martin, est reconstituée 48 années après sa démolition, avec en premier plan la tour Saint Nicolas à gauche et la tour de l'horloge à droite. La ressemblance est approximative, le souvenir s'estompe, une nostalgie se développe... + présentation des monuments catholiques dans "Tours, guide de l'étranger" 1844 (avec notamment la cathédrale, la tour Charlemagne, la table des matières lien).


    La restitution 3D de 2020. Nostalgie suite, avec le désir d'une reconstitution fidèle. Le projet ReViSMartin, présenté ci-avant, permet sur ce lien d'avoir une vue tournante en trois dimensions de la collégiale du XVIème siècle en surimpression de la ville de 2015 (quand le dôme de l'actuelle basilique était en réparation et encapuchoné). + deux autres vues : 1 2. + les traces actuelles des piliers de la basilique Hervé sur la rue des Halles : photo La NR 2017.


    Voici les deux principaux vestiges de la basilique d'Hervé, auxquels on peut ajouter le cloître, ci-dessous.
    La tour Charlemagne, ci-dessus à gauche trois vues du côté sud : 1) en son état après surélevation à la fin du XIVème siècle et après la destruction de la flèche en 1794, 2) après son demi-effondrement de 1928 [photo catalogue SAT 1984] et 3) après sa restauration terminée en 1964. + rappel de la coupe romane déjà montrée ci-avant, de même que l'article de Frédéric Lesueur, 1949, qui date la tour Charlemagne du milieu du XIème siècle pour sa partie basse romane et la tour de l'horloge de 1175 + plan du 1er étage, bestiaire et autre décor [lelong 1986] + photo et récit de l'éboulement par Charles Lelong 1986 et après reconstruction [Wikipédia] + dessin vu du nord de 1821 [A. Bray, 1931] + dessin vu du sud vers 1860) +  trois gravures : 1 2 [LTh&m 1855] 3 [Oury - Pons 1977] + sept cartes postales de début du XXème siècle : 1 2 3 4 5 6 7 + double-page de "Tours Magazine" n°194 2019 + page de LM 2009-1 + double-page de LM 2007-3 avec des photos d'intérieur + la sculpture de Georges Muguet placée en haut de la partie reconstruite [Semur 2015] + rappel de deux fresques déjà montrées [Lelong 1986] : 1 2.
    La tour de l'horloge, d'abord appelée tour du trésor, avec les deux illustrations ci-dessus à droite : une aquarelle [Picart le Doux, "Ceux de Touraine", Jacques-Marie Rougé 1941] et une photo récente. + dessin de deux façades et coupe [Lelong 1986] + Lithographie de 1836 [Chapuis, "Visages de la Touraine" 1948] + deux gravures : 1 [LTh&m 1855] 2 [Oury - Pons 1977]. + quatre cartes postales de début du XXème siècle : 1 2 3 4 + vue depuis la tour Charlemagne.


    A gauche et au centre le cloître, à droite la chapelle Saint Jean.
    Le cloître Saint Martin, finalisé en 1519 (mais pour la seule aile orientale), a voisiné avec la basilique Hervé au Nord puis, pour ce qu'il en reste, avec celle de Laloux à l'Est. L'accès est privé mais disponible à qui veut louer un studio quelques jours (site de location-vacances). + deux cartes postales : 1 2 + sculpture + autre vue ["Tours 1500 Capitale des Arts", 2012] + texte avec deux photos ["Tours pittoresque" 1899].
    La chapelle Saint Jean.. Dans la rue Rapin voisine, la chapelle Saint Jean a accueilli un musée Saint Martin, inauguré en 1990, réunissant de nombreux vestiges. Il est fermé depuis 2015 et cette page du site "Un regard sur Tours" en garde la mémoire + deux dépliants 2014 : + 1 2 ; + page du site "Tours et Culture" (lien). Il existait aussi, dans la rue voisine Néricault Destouches, un "pensionnat Saint-Martin" devenu "institution Saint Martin" + quatre cartes postales de début du XXème siècle : 1 2 3 4 + photo récente de l'actuel école-collège privé (site) + historique de 1863 à 2019.

    Triple révolution. Le changement de siècle, du XVIIIème au XIXème, étalé sur plusieurs décennies, provoqua trois révolutions. Nous venons de voir la première, humaine et politique, avec la fin, encore provisoire mais à terme définitive, de la royauté, et la seconde, religieuse, avec, la fin définitive de la basilique Saint Martin initiée par le trésorier Hervé, la fin déclarée mais très temporaire du culte catholique sous emprise papale, rétabli dès le début du nouveau siècle et surtout la fin du quasi monopole religieux catholique. A Tours, il y eut une troisième révolution, urbanistique, une restructuration à 90 degrés de la ville, projetée dès 1756 (on va le voir), débutée par la suppression de l'île Saint Jacques en 1764 et l'achèvement du pont de pierre en 1778 (on l'a vu ci-avant), et terminée en 1828, comme on va le voir.


    Texte de François Coulaud, dessin d'Alain Duchêne + les deux planches titrées "Le Haussmann tourangeau" : 1 2 ["Tours Informations" décembre 1985].
    La volonté de Trudaine davantage que celle de Cluzel. Le rôle de Cluzel ne fut pas aussi important que celui du baron Haussmann à Paris. Il est d'ailleurs associé à Mathieu Bayeux, déjà présenté, et à Daniel-Charles Trudaine, auteur d'un atlas Trudaine des grandes routes de France et leurs environs, réalisé de 1745 à 1780, où Tours est représenté (ici à droite), de façon dix fois plus précise que sur la carte de Cassini, réalisée sur toute la France de 1683 à 1756, terminée en 1818 (gros-plan sur Tours, PSMV Tours 2013). Alors qu'il a souvent été dit que l'intendant de Cluzel était le porteur de la restructuration, l'ouvrage Cossu-Delaunay montre l'importance de Trudaine en cette page.
    + document de 73 pages sur les "Déplacements et moyens de transport en Indre et Loire" (2017).

    Evolution de la ville de Tours 5/7 : 1778, abandon de l'axe Est-Ouest pour adopter l'axe Nord-Sud. Jusqu'alors, la ville s'était construite sur l'axe Est-Ouest reliant la cathédrale à la basilique Saint Martin en passant par l'église Saint Julien au centre. L'idée de percer un nouvel axe perpendiculaire remonte à 1750 et est acceptée en 1760 par le conseil municipal. Elle a été concrétisée en 1756 par le plan présenté ci-dessous à gauche, réalisé par l'ingénieur des Ponts et Chaussées Mathieu Bayeux. Du haut (Nord) vers le bas (Sud), en suivant ce plan :
    • l'avenue de la Tranchée, terminée en 1778 + deux cartes postales : 1 2,
    • la place Choiseul (Etienne-François de Choiseul influent ministre de Louis XV, installé au domaine de Chanteloup à Amboise + gravure de LTa&m 1845) + gravure (les grilles de l'octroi au premier-plan) + carte postale (les grilles en arrière-plan),
    • le pont de pierre, d'abord appelé pont neuf, devenu pont Wilson traversant la Loire (illustration centrale), terminé en 1778 + six cartes postales : 1 2 3 4 5 6,
    • la place Daine, devenue place de l'Hôtel de Ville, de la Liberté, Joséphine (sous Napolépon, bien sûr) place Royale, place du Musée, des Arts, puis place Anatole France (1844-1924), écrivain habitant Saint Cyr sur Loire au nord-ouest de Tours + deux cartes postales : 1 2,
    • la rue Nationale en bas (au Sud), percée à partir de 1777, qui portera plusieurs noms, dont longtemps celui de rue Royale + deux illustrations : 1 2 (Gustave Doré). + sept cartes postales commentées par Donat Gilbert ["Tours à la belle époque" 1973] : 1 2 3 4 5 6 7 + autre carte postale,
    • hors-champ la place des portes de fer qui deviendra place du Palais puis place Jean Jaurès, sera présentée plus loin avec le Palais de Justice,
    • hors-champ l'avenue de Grammont, avec pont sur le Cher, terminée dès 1761 + cinq cartes postales : 1 2 3 4 5.

    L'ancien axe et le nouveau se croisent au niveau de l'église Saint Julien. Face à la Loire, l'entrée Nord de la rue Nationale s'ouvrait sur deux imposants monuments, le musée (derrière lequel se trouve l'église Saint Julien) et l'hôtel de ville, prévus dès 1766 sur le plan ci-dessous à droite, de Mathieu Bayeux et Jean Cadet de Limay. François Pierre du Cluzel, intendant de la généralité de Tours de 1766 à 1783 a activement participé à la mise en place de cette nouvelle structure. Le voyageur anglais Arthur Young estima dans son ouvrage paru en 1792 que la nouvelle entrée de Tours était magnifique, alors que le Musée ne fut terminé qu'en 1828, l'hôtel de ville étant terminé en 1786. Honoré de Balzac est né rue Royale / Nationale en 1799 et l'a considéré comme la "reine des rues" [le parcours Balzac montrant dans Tours les lieux fréquentés par l'écrivain). Beaucoup plus tard, la nouvelle basilique Saint Martin, construite par Laloux, adoptera le nouvel axe, abandonnant l'ancien que suivaient les basiliques d'Armence, de Perpet et d'Hervé.


    1756, 1766, 1778, 1828, le nouveau Tours en préparation. A gauche le plan de 1756 [BmT, "Histoire de la Touraine" Pierre Audin 2016]. Au centre, le plan de 1766 avec, vus de la Loire, les futurs musée et hôtel de ville, terminés en 1828 et, entre eux, la rue Nationale [Wikipédia]. A droite carte postale du début du XXème siècle avec les deux bâtiments vus du pont de pierre. + plan de la ville en 1739 [BmT] + article de Jean-Luc Porhel (2010) "L'histoire du deuxième hôtel de ville de Tours (1786-1940)" + gravure de ce monument en 1855 [LTh&m 1855] + article sur les autres hôtels de ville (cgdt 1987) + aquarelle de 1825 avant la fin des travaux [SAT, "Tours informations" février 1985]. + présentation de Tours dans "Tours, guide de l'étranger", 1844 (avec la liste des tableaux du Musée). + gravure du monument d'en face, le musée [Oury - Pons 1977] + quatre cartes postales de début du XXème siècle commentées par Brigitte Lucas en 1973 : 1 2 3 4


    L'entrée de Tours [SAT]. Datation impossible avec au centre gauche (devant le clocher alors haut de l'église St Julien) le musée terminé en 1828 (prévu depuis longtemps) et, au centre droit, l'imposante église St Saturnin vendue aux démolisseurs en 1797. C'était plus beau ainsi...


    L'ancienne subdivision en fiefs, à gauche vers 1750, disparaît avec la révolution ["La fabrique de la ville", Hélène Noizet 2007, lien] + carte de ce même livre montrant la division en 15 paroisses vers 1750 (lien), 5 d'entre elles étant supprimées entre 1777 et 1782 [article de Kilian Harrer 2014] + carte 2020 en 7 paroisses entre Loire et Cher (lien) + carte 2020 de toutes les paroisses d'Indre et Loire (lien).
    Un plan multi-époques. A droite, le plan d'Eugène Giraudet accompagnant son "Histoire de la ville de Tours" en 1872, présente la ville à plusieurs époques de son histoire, avec ses remparts et ponts successifs. Les rues sont celles de milieu du XVIIIème siècle, comme la position de l'île Saint Jacques. Sont ici ajoutés : en jaune les axes de la ville romaine du IIème siècle (en jaune continu l'actuelle rue de la Scellerie), en orange les axes de la ville médiévale (la "grand rue en orange continu devenue rue du Commerce, rue Colbert, etc.), en rouge les axes de la ville moderne (la rue royale devenue rue nationale en rouge continu, en rouge discontinu le "grand mail" devenu boulevards Béranger et Heurteloup), en bleu le point A centre de Caesarodunum (cathédrale), le point B centre de Châteauneuf (basilique) (en parallèle avec A), en C le centre de ville réunie sous un seul rempart 1600-1900 (actuelle place Anatole France), en D l'actuel centre (place du Palais / Jean Jaurès), en vert le point g gare (embarcadère) de chemin de fer, en trait bleu coupé sur la gauche le ruau Sainte Anne reliant le Cher à la Loire, en trait bleu sur la droite son remplaçant, le canal (maintenant autoroute A10). + deux gros-plans (lien) : 1 basilique Saint Martin 2 château de Tours et cathédrale.
    Débuts en évolution 1/7, 2/7, 3/7 et 4/7, suites en 6/7 et 7/7.

    Une ville fermée sur ses remparts et plus longtemps encore sur ses octrois. La mise en place du nouvel axe sera accompagnée de nouveaux octrois pour filtrer les entrées et sorties de marchandises. Brigitte Lucas ["Mémoire en images, Tours" 1993, page] : "L'octroi représentait en 1880 les deux-tiers des recettes municipales. Il y avait douze barrières douanières, donc celles de La Tranchée, de Grammont, de La Riche, etc., ainsi qu'à la gare de marchandises et à l'entrée de l'abattoir. [...] Les barrières d'octroi tombèrent définitivement en 1943". Ainsi, depuis le IIIème siècle pour le noyau Caesarodunum jusqu'à 1943, Tours fut une ville fermée. Sur 20 siècles et demi d'histoire, elle ne fut ville ouverte que durant les deux premiers et le dernier...


    Tours, une image qui mélange les époques, de 1793 à 1828. Comme expliqué en cette analyse (lien), ce tableau [MBAT] réalisé par Pierre-Antoine Demachy avant sa mort en 1807 représente Tours à la fois en 1793, avec à droite la basilique Saint Martin encore intacte, et en 1828, date de fin de construction du musée situé devant l'église Saint Julien, au centre. On distingue entre St Julien et St Martin l'imposant clocher de l'église St Saturnin et, à droite de Saint Martin, le fin clocher de l'église Saint Clément. L'ancien pont, d'Eudes, sur la Loire est à moitié détruit, à gauche, remplacé par le pont de pierre au centre, sur l'axe Paris-Bordeaux. + autre vue de Tours, par le sud, vers 1785, par Charles-Antoine Rougeot [MBAT].


    La disparition des clochers. Tours en 1810 par Antoine Ignace Melling, avec le pont de pierre, derrière à gauche quelques arches restantes du pont d'Eudes, à droite les deux tours Charlemagne et de l'horloge, sans basilique [MBAT, "La collection du Musée" 2001]. Par rapport à la vue précédente, on note la disparition des cinq clochers de la basilique (ne restent que deux tours au toit retréci) et l'absence des clochers de St Julien (raccourci), St Saturnin (église détruite), et hors-champ St Clément (raccourci avant destruction). Une tornade nommée Révolution avait sévi, n'épargnant que la cathédrale... + deux plans de Tours : 1 1818 [Jacquemin - Bellisle, arch. dép. 37] 2 1833 [BmT].

    Tours et l'eau 5/6 : 1840, l'âge d'or du transport fluvial, et 1856, la grande inondation. Sur la Loire en 1840, les bateaux à vapeur cotoyaient les grands et petits bateaux à voile, un canal reliant la Loire au Cher venait d'être inauguré, étendant le trafic, tout allait pour le mieux, avec une importante population de mariniers et débardeurs qui vivait de ce trafic... L'arrêt allait être brutal avec l'arrivée du chemin de fer. Et trois grandes inondations allaient frapper la ville. La surélévation de la rive gauche du canal évita le pire en 1846, elle fut insuffisante en 1856, ce fut la catastrophe, seule la colline de César (emplacement de Caesarodunum) échappa aux eaux : "Seule la cité ancienne surnage, en bordure du fleuve en furie. La Loire et le Cher couchés dans le même lit, forment un lac de 30 km de long et 10 de large !" [Léon Cazeaux, "La Loire déchirée", Alexis Boddaert 1990]. Solidement rehaussée et renforcée en 1860, la rive gauche devenue digue du canal permit d'éviter une seconde catastrophe en 1866. Ce que les Tourangeaux du XXIème siècle ont oublié...


    Marine à vapeur. Vers 1840, Tours vu de Saint Cyr sur Loire : la Loire et le pont de pierre, un bateau à vapeur crachant sa fumée [LTa&m 1845]. + autre vue de la même époque [dessin Chapuy, lithographie Deroy, Archives municipales] + : trois exemples : 1 (l'Inexplosible, lien), 2 (tourisme devant Candes, Level 1994, 3 ["Tours, mémoires d'une ville" 2013] + deux cartes postales commentées par Pierre Level ["Tours en 1900", CLD 1977] : 1 2. En arrière-plan la cathédrale, la tour Charlemagne, la tour de l'Horloge, l'église Saint Clément. Pas de basilique à cette époque. + autre vue (1844, avec encore un bateau à vapeur) [lithographie de Leroy "Visages de la Touraine" 1948] + article du Mag. Touraine HS juin 2002 + double page de Leveel 1994 "Le Fram, dernier grand bateau de Loire".
    Extraction du sable de Loire, bateaux-lavoirs, bateaux de bains chauds. En son livre "Mémoire en images" (1993), Brigitte Lucas montre, en photos du début du XXème siècle, des usages anciens du fleuve : l'extraction du sable (deux pages : 1 2) et les bateaux-lavoirs (page). S'y ajoutaient des bateaux de bains chauds (page, "Tours, mémoires d'une ville" 2013).
    1828-1955, un canal pour relier le Cher à la Loire. A cette époque de prospérité du trafic fluvial, le ruau Sainte Anne, en partie comblé à partir de 1772, n'est plus praticable (au siècle suivant, il laissera la place, au nord, au jardin botanique + carte postale). En 1807, la création d'un canal reliant les deux cours d'eau est décidée, l'ouvrage est inauguré en 1828. Il délimitera Tours à l'Ouest et saint Pierre des Corps à l'Est. Nommé canal du Cher ou canal du duc de Berry ou canal de Berry, sans trafic commercial depuis la fin du XIXème siècle, il perd son classement de voie navigable en 1955 et en 1960, l'Etat impose qu'il soit comblé pour laisser passer l'autoroute A10. L'agglomération tourangelle sera traversée en son coeur par un couloir de pollution... + photo d'un concours de pêche [Michel Petit 1930] + page du site "37 degrés" + double page terminant le fascicule "Histoire du canal" de l'ATU (Agence d'urbanisme de l'agglomération de Tours), 2011 + photo aérienne du canal, à sec, partiellement comblé, dans les années 1960, le Cher au premier-plan, la Loire en arrière-plan [ATU].


    1856, la place du Palais inondée, Napoléon III dans une barque. A gauche, la place du palais et le début du boulevard Heurteloup sur lequel Napoléon III s'avança en barque et prononça ces mots : ""Non ! La ville de Tours ne périra pas, mon gouvernement ne le veut pas" [dessin de Léon Cazeaux, "La Loire belle et rebelle", Jean-Luc Péchinot, 2010]. A droite, une image d'Epinal indiquant que l'empereur s'est aussi déplacé à Orléans, Blois, Angers [Wikipédia] + Article du Mag. Touraine HS juin 2002 + gravure montrant l'inondation rue de la Dolve (près de la place du Palais), où quinze personnes furent sauvées de justesse. + photo de 1866 + trois plans des zoones inondées en 1856 : 1 2 3. + quatre illustrations de la visite de Napoléon III aux ardoisières de Trélazé, en Anjou, inondées (les ardoises des toits de Tours en sont originaires...) : 1 [Alexandre Antigna] 2 [Hippolyte Lazerges] 3 [Hippolyte Beauvais, lien] 4 [René de Moraine]. Débuts en Tours et l'eau 1/6, 2/6, 3/6, 4/6, fin en 6/6.


    Tours en 1826, deux aquarelles de William Turner, précurseur de l'impressionisme. A gauche vue du port de jonction du canal Cher-Loire (à gauche) à la Loire (à droite) (lien) + reprise en gravure par T. Jeavons 1832 (lien) + autre gravure d'après Turner. A droite, vue de la ville du haut de la Tranchée (lien).



  44. L'extension de la ville vers le sud, le passage des Prussiens

    1846 : le nouvel essor de Tours. L'année 1846 peut être considérée comme décisive pour la ville de Tours. Elle marque l'arrivée, le 26 mars, avec la bénédiction de l'archevêque François Morlot, du chemin de fer par l'inauguration de la première gare, appelée embarcadère (aussi débarcadère). Paris-Tours en six heures seulement ! Les remparts bastionnés de 1600 sont éclatés et vont disparaître. Les voies fluviales sont délaissées au profit des voies ferroviaires et routières. La révolution industrielle arrive, vidant les campagnes au profit des villes. Le centre de la ville se déporte vers le sud, auprès du nouveau palais de Justice, proche de l'embarcadère. La démographie qui stagnait depuis longtemps va désormais croître de façon forte : 27.000 habitants en 1789, 21.000 en 1793, 21.000 environ en 1822 (dont 226 électeurs en 1820) et 1826, 26.600 en 1837 (dont 560 électeurs en 1844), 30.700 en 1846 (ajout en 1845 de la commune de Saint Etienne Extra), 42.400 en 1866 (ajout en 1855 de la partie de la commune de Saint Pierre des Corps située à l'Ouest du canal), 63.200 en 1896, 77.100 en 1926, 92.900 en 1962, 128.100 en 1968 (ajout en 1964 des communes de Saint Symphorien et Sainte Radegonde et d'une petite partie de Joué lès Tours), 140.600 en 1975, population jamais dépassée depuis (135.700 en 2017 pour une métropole de 293.100 habitants en 2016) [données Giraudet, Chevalier et Wikipédia].


    A gauche, le Palais de Justice, premier édifice de la place du Palais, terminé en 1843. L'hôtel de ville en symétrie sur cette place, sera inauguré soixante ans plus tard, en 1904 [LTa&m 1845].
    La place du Palais. L'extension vers le Sud déporte progressivement le centre-ville vers la place du Palais. D'abord nommée place des portes de fer à cause de l'octroi, elle pris son nom vers 1845 avec l'édification du Palais de Justice. Elle fut ensuite rebaptisée en 1926 du nom de Jean Jaurès, la municipalité de Tours rendant hommage au socialiste assassiné en 1914 pour avoir refusé la guerre de 1914/18. + quatre gravures du Palais de Justice et de la place au XIXème siècle : 1 (1844) 2 (vers 1850) [AHT] 3 [LTh&m 1855] 4 (1874 sur un plan de Tours) (les bassins et jets d'eau arrivent donc entre 1855 et 1874) + photo avec les grilles de l'octroi [AHT]. + survol de la place du Palais vers 1850 (en bas, à gauche, l'extrémité de l'embarcadère). + restitution vers 1850 de Cossu-Delaunay 2020 avec commentaire sur l'évolution de la ville + présentation de "Tours, guide de l'étranger", 1844, avec d'autres lieux + quatre cartes postales du début du XXème siècle : 1 2 3 4.
    A droite l'embarcadère, première gare ferroviaire de Tours, bordant le grand mail (boulevard Heurteloup), ici vu de l'Est, comme sur cette gravure de LTh&m 1855 + vue par l'Ouest commentée par Pierre Leveel [Leveel 1994] + carte postale + documentation de l'académie Orléans-Tours (avec la nouvelle gare de 1888, signée Victor Laloux) + gravure 1874 sur un plan de Tours + survol en ballon de l'embarcadère et de la place du Palais [1850, BmT]


    Tours sans basilique Saint Martin. Vue de l'Ouest en 1847, en ballon [lithographie 1852, Robert Malnoury, SAT + version coloriée]. Dans le coin bas-gauche, les tours Charlemagne et de l'horloge. En haut, de gauche à droite, la rue Royale (devenue rue Nationale) en prolongement du Pont de Pierre. Dans le coin haut-droite, la place du Palais. A droite, le grand mail ou habita de 1838 à 1840 le chansonnier Pierre-Jean de Béranger (1780-1857). Surnommé "L'ami du peuple", il était si connu que cette portion du mail fut baptisée "boulevard Béranger" de son vivant (lien) + plan vers 1860 + carte postale du marché aux fleurs sur le bd Béranger + page avec deux autres cartes postales [Brigitte Lucas 1993].

    Evolution de la ville de Tours 6/7 : une forte extension géographique et démographique. Tours, après s'être modestement étendu vers l'Est en 1824, mordant sur la commune de Saint Pierre des Corps, a multiplié sa superficie en 1845 (avec correction en 1855) en englobant au sud la commune de Saint-Etienne Extra, au-delà même du Cher. La place du Palais, dont on vient de voir ci-dessus en 1843 la création, n'est plus à l'extrême sud de la ville et pourra devenir plus tard, en 1904, son nouveau centre. Cette extension méridionale s'est étendue en 1961 en prenant le coteau de Grandmont à Saint Avertin. Une large étendue était alors soumise aux inondations du Cher, mais dans la deuxième moitié du XXème siècle, de nouveaux quartiers seront remblayés et habités : Rives du Cher (vues : 1 2), Fontaines (vue), Deux Lions (vue). En 1964, la ville s'étendra largement sur le Nord de la Loire avec le rattachement de Saint Symphorien et Saint Radegonde.


    A gauche plan de 1841, en son enceinte bastionnée de 1600, par Pierre Clarey-Martineau dans "Tableaux chronologiques de l'histoire de Touraine" (avec les dessins de l'hôpital, de Marmoutier, du Plessis lès Tours, de divers monuments dont le Palais de Justice et l'emplacement de l'embarcadère). Au centre, plan de 1870 [Archives municipales de Tours] avec en légende (47, 48, 49) : "Ces trois débris classés parmi les monuments historiques sont aujourd'hui les seuls restes de l'immense basilique de St Martin, écroulée le 12 brumaire 1797, et dans l'emplacement de laquelle a été ouverte la rue St Martin, 1804". + plan dit d'Entraigues de 1839 + autre plan de 1839 dit Walwein [PSMV Tours 2013] + carte de 1874 [PSMV Tours 2013]. A droite limites de 1964, inchangées en 2020 [OpenStreetMap]. La même surface, le Tours de 1841, est indiquée en jaune sur les autres cartes. + l'agglomération de Tours en 2010 (lien) et la métropole en 2019 [Wikipédia].
    Les nouveaux quartiers de la ville. Avec cette extension, les remparts de 1600 se retrouvent au centre du nouveau périmètre de délimitaion de la commune, ils disparaissent progressivement et rapidement. De nouveaux quartiers se créent, à commencer par ceux de Saint Etienne, la Fuye et les Prébendes. Beaujardin, Febvotte et d'autres viendront un peu plus tard. Voici deux vues de Robert Malnoury [SAT] : 1 (entre 1828 et 1845) 2 (en ballon, de l'Est, 1855), une lithographie de Jean-Louis Tirpenne vers 1848, un tableau 1850 [origine indéterminée, lien], un plan vers 1850 et onze gravures : 1 1840 [Antoine Bourgerie] 2 1845 3 vers 1850 [Jardy] 4 vers 1850 [Asselineau] 5 vers 1860 [Derby] 6 1871 7 1872 8 1872 9 1872 10 1879 11 vers 1880 + extraits du livre "Tours pas à pas" d'Hélène Vialles, 1985.
    Les premières photos de la ville. Gabriel Blaise (1827-1897) est le photographe tourangeau des années 1860 à 1890. Très photogénique (portrait), il a mémorisa sur plaques la société de l'époque et prit des vues de Tours depuis les hauteurs de Saint Cyr dur Loire, qu'il vendait ensuite sur gros papier cartonné, prémice des cartes postales, comme la reproduction ci-dessous + photo 1875 commentée.


    Evolution démographique. De 1320 à 1800, d'après les informations traitées précédemment, de 1800 à 2020 d'après Wikipédia. Sur chaque graphique, la ligne rouge correspond à une population de 40.000 habitants. On remarque quatre pics, en 1320, 1600, 1700, 1980. Débuts en évolution 1/7, 2/7, 3/7, 4/7, 5/7, suite en 7/7.

    Martin sur Wikipédia Sur cette page les liens vers l'encyclopédie libre (et respectueuse de l'establishment) Wikipédia / Wikimédia, reconnaissables par la pastille jaune , sont multiples. Sur Martin de Tours, outre sa page Wikipédia, on dispose de la page générique Martin avec ses diverses références, la page Saint Martin, avec notamment les autres saints nommés Martin, les fêtes et les communes et la page sur la basilique saint Martin, avec notamment la liste de ses abbés et sa page Wikimédia avec photos et documents. Deux pages sur les fêtes de la Saint Martin : 1 en Flandres 2 en Allemagne.
    Tours sur Wikipédia. Sur la ville de Tours, outre sa page Wikipédia et outre son histoire et sa liste des monuments historiques, on note après Caesarodunum, les enceintes 1 gallo-romaine, 2 médiévale et 3 bastionnée), les ponts d'Eudes, Wilson (de pierre) et de fil, les quartiers du vieux Tours, les quartiers de Tours (carte), les jardins Prébendes d'Oé et botanique, la liste des maires, la liste des évêques et archevêques, l'archidiocèse de Tours. Elargissement géographique : Tours Métropole Val de Loire, la Touraine, la liste des comtes de Tours gouvernant du VIème au XIVème siècle le comté de Touraine, le conseil départemental d'Indre et Loire, la liste des communes d'Indre et Loire, la liste des députés d'Indre et Loire, Et pour finir : la Touraine, et la Loire.
    Deux blasons de saint Martin déjà présentés ci-avant, le blason de la Touraine puis les blasons et logos de la ville de Tours, sous la royauté, sous Napoléon 1er, de 1987 à 2015 et depuis 2015 :
                                   
    + Rappel de trois dossiers de "Tours Informations" 1982-1984 : 1 (Martin) 2 (Louis XI) 3 (château de Tours) + dossier éducatif "Tours aux temps modernes" (environ 2000).
    Pour une région Val de Loire (ou Val de Loire - Berry ou Val de Loire - Poitou - Berry...) Sur un territoire d'abord tourangeau, ensuite ligérien, puis français puis européen, le découpage des régions est contraire à l'Histoire et à la généalogie (entre Touraine, Anjou, Sarthe, Vendômois, nos ancêtres circulaient facilement). Il est regrettable (souvenez-vous, ci-avant, de la généralité de Tours au XVIIIème siècle) que les départements du Maine et Loire et de la Sarthe ne se joignent pas à ceux de la région Centre Val de Loire pour former une région Val de Loire (Nantes étant enfin rattachée à la Bretagne). L'historien Michel Laurencin l'avait pareillement regretté dans un article de La NR 2017 (il parle aussi de Martin).


    Le compagnonnage et son attachant musée. A gauche, illustration extraite d'un livret municipal de 1978 montrant un défilé dans Tours de compagnons couvreurs en 1838. Installé dans le dortoir et l'hôtellerie des moines de l'abbaye Saint Julien, le musée du compagnonnage présente des collections de chefs d'oeuvres des compagnons du devoir ainsi que des attributs compagnoniques et des archives. Le compagnonnage désigne un système traditionnel de transmission de connaissances et de formation à un métier, qui s'ancre dans des communautés de compagnons, principalement celles qui effectuent un tour de France. Dans le monde ouvrier, ce système était très développé, jusqu'à la naissance des syndicats au XIXème siècle. A droite, statue du temple des démophiles à Tours. + le site du musée. + article Fasc. NR 2011.
    L'importance de la Franc-maçonnerie à Tours A droite, statue du temple de la loge maçonique des démophiles, dépendant du Grand Orient de France, situé rue Courteline à l'emplacement d'un ancien couvent, depuis 1907. La franc-maçonnerie en France s'est développée au XIXème siècle. Le magazine L'Express du 14 septembre 2006 écrivait qu'il est difficile de comprendre "les rouages de la politique locale sans tenir compte du fait que la ville de Tours à une très forte tradition maçonnique". En 2001, le maire de La Riche, Alain Miche, disait :"On ne sait jamais quelle influence cela peut avoir. Je cède peut-être à la paranoïa, mais j'ai l'impression, quelquefois, que des décisions ont été prises dans les coulisses." Cette impression explique probablement en partie le fossé existant entre décideurs et citoyens. + page du site "37 degrés" sur le temple des Démophiles à Tours + article de L'Express du 26 juin 2003 sur la Franc-maçonnerie tourangelle.

    Du 9 octobre au 8 décembre 1870, Tours est capitale provisoire de la France. Paris est assiégé par les Prussiens, la Commune de Paris va bientôt installer un gouvernement insurrectionnel, du 18 mars au 28 mais 1871. Un peu avant, début octobre 1870, le gouvernement se retire à Tours et désigne une personnalité forte pour y diriger la nation, Léon Gambetta, alors ministre de l'intérieur. Il quitte Paris en ballon pour organiser la défense nationale. Devenu ministre de la guerre, Gambetta, partisan d’une "guerre à outrance" essaie d’organiser les armées de secours pour libérer Paris. Cependant, la contre-attaque peine à être efficace face aux Prussiens. Après avoir quitté Tours le 8 décembre, Gambetta ayant démissionné, le gouvernement de Défense nationale se résoudra, le 20 janvier 1871, à demander l’armistice aux Prussiens, signée le 28 janvier, l'Alsace et la Lorraine deviennent allemandes.


    Gambetta quitte Paris pour rejoindre Tours en ballon. Le blocus verrouille la capitale, et il est devenu quasiment impossible de la quitter. Le 7 octobre 1870, Léon Gambetta traverse les lignes ennemies en les survolant, atterrit près de Beauvais et rejoint Tours le 9 octobre [à droite, dessin d'Alfred Le Petit]. + la même scène en une planche de Milo Manara [Larousse 1980]
    La commune de Paris. Les trois planches suivantes de Manara, avec le début de la Commune : 1 2 (extrait ci-contre, janvier 1871) 3. Les Tourangeaux, préoccupés par leurs Prussiens, sont restés en dehors de cette guerre civile.

    Victor Hugo de son temps et de ses racines. Il raconte le départ en ballon de Gambetta (lien). Il rend hommage à Martin par l'intermédiaire de son personnage Gavroche (LM 2018).

    1871 : les Prussiens s'installent dans Tours. Durant un mois et demi, du 19 janvier au 9 mars 1871, la ville de Tours est occupée par les troupes prussiennes. Le 4 février le prince Frédéric-Charles de Prusse s'y installe avec son commandement. Michel Laurencin, au colloque de Tours 2016 (vidéo), explique qu'en de telles conditions, c'est l'image du Martin soldat qu'invoque la population tourangelle pour que revienne la paix. Il est le protecteur de la patrie et au-delà le libérateur de la France. Dès le mois d'août 1870, l'archevêque de Tours Joseph Hippolyte Guibert [vitrail Lobin de la basilique] avait invité les Tourangeaux à participer à une messe chaque mercredi afin de prier Martin dans la chapelle provisoire. Une fois les troupes entrées dans la ville, Martin, soldat du Christ, est imploré pour qu'il se souvienne de son peuple et pour qu'il le défende. Le lieu de prière et de supplication est le tombeau retrouvé en 1860, résonnant de cantiques glorifiant le combat pour le Christ et la civilisation, "Chassez les tous de nos frontières, gardez la France à nous Français". Après le retrait allemand, en novembre 1872, le nouvel archevêque Félix Pierre Fruchaud [vitrail Lobin de la basilique] estime que "Saint Martin n'a pas seulement été le père de la patrie, il en a souvent été le sauveur". A la même époque, le saint est aussi considéré comme le défenseur de la chrétienté face au paganisme alors comparé à l'anticléricalisme et à la franc-maçonnerie.


    1870, le lycée Descartes à gauche, le palais de l'Archevêque à droite, de belles demeures et de beaux hôtels de la ville sont occupés par des délégations gouvernementales, des services ministériels et des ambassades [Le Magazine de la Touraine n°38, 1991]. +  deux cartes postales du lycée : 1 2. + trois dessins : 1 (Gambetta prononçant un discours) 2 (soldats attablés rue Royale, maintenant rue Nationale) 3 (soldats Francs Tireurs défilant devant le palais de Justice)


    A gauche, octobre ou novembre 1870, soldats italiens de Garibaldi, place Gaston Pailhou, devant l'église saint Clément, détruite depuis. Les tours de l'Horloge et Charlemagne sont en arrière-plan [Ludovico Marchetti, Université de Tours, "Histoire de Tours", Privat 1985]. Au centre, cavaliers prussiens en avant-garde et foule hostile le 21 décembre 1870 devant l'hôtel de ville (de 1786 à 1904) ["Histoire de la Touraine" Pierre Leveel, CLD 1988]. A droite, début 1871, carte Atlas Grataloup montrant que Tours est en limite de la zone occupée lors de cette guerre franco-allemande de 1870. + deux pages de "Histoire de la Touraine", Pierre Audin 2016 : 1 2.


    19 janvier 1871, les troupes prussiennes traversent le pont de pierre et entrent dans Tours (lien) [The Illustrated London News]. A droite, un militaire allemand photographié par Blaise à Tours en 1871 [archives municipales de Tours]. + gravure de soldats Prussiens défilant devant la cathédrale (lien) + article de Francine Fellrath-Bacart 2013 "Tours et la Loire : un spectacle éblouissant pour les officiers prussiens" + page de Tours secret", Hervé Cannet 2015, montrant aussi que des Prussiens ont apprécié ce passage culturel en Touraine. + P.-S. : double-page de "Tours Magazine" n°205 de mars-avril 2021.
    1847 et 1855, deux nouveaux ponts sur la Loire. Au fond de l'illustration de gauche, on distingue un pont suspendu. C'est le pont de fil, d'un nouveau genre, piétonnier et cyclable, construit de 1845 à 1847. + gravure [LTh&m 1855]. + trois cartes postales de cet ouvrage, aussi nommé passerelle Saint Symphorien : 1 2 3 + photo Wikipédia 2014. En 1855, un troisième pont, plus en aval, est construit, aussi suspendu (il ne l'est plus après reconstruction) (+ tableau + deux cartes postales : 1 2). Son appellation "Pont Napoléon" a été discutée en 2017 (article du site La Rotative). + la liste des ponts d'Indre et Loire.



    C'est sous la devise "Saint Martin Patron de la France Priez Pour Nous", inscrite au revers de leur bannière blanche que le régiment royaliste de zouaves pontificaux combattit les Prussiens en 1870 à la bataille de Loigny, au nord d'Orléans, qui marque la défaite finale de la France le 2 décembre 1870 [à gauche, tableau de Charles Castellani (1838-1913), "Les zouaves pontificaux à la bataille de Loigny", musée de l'armée à Paris, Wikipédia]. Liens : 1 2 (l'avers de la bannière était "Sacré Coeur de Jésus, sauvez la France !", cela rejoint le mouvement de création de la basilique du Sacré-Coeur à Paris). A droite, dans l'actuelle basilique, la devise du régiment fut, un temps, reprise autour du tombeau, comme le montre cette carte postale de début du XXème siècle., + ex-voto des zouaves pontificaux en l'actuelle basilique [Collectif 2019]



  45. Le renouveau martinien du XIXème siècle et la longue polémique

    Charles Lelong, en son ouvrage de 2000, montre qu'avant que l'on se préoccupe vraiment de reconstruire une basilique, les reliques de Martin ont été l'objet d'attention : "En novembre 1803, l'architecte de Tours, le cardinal de Boisgelin, fit procéder à la vérification des reliques sauvées en 1793. Elles furent enfermées dans un reliquaire placé sur un autel provisoire, érigé dans la cathédrale sous l'invocation de Martin. En 1811, l'archevêque Mgr de Barral acheta la chapelle Saint-Jean, dans le cloître de Saint-Martin et le culte y fut établi en 1819 par Mgr du Chilleau "puisque, disait-il, il ne m'est pas donné de relever l'ancien édifice"." Michel Laurencin signale [dans le Catalogue 2016] en 1922 un livre de l'avocat Jacquet Delahaye Avrouin titré "Du rétablissement des églises en France à l'occasion de la réédification projetée de celle de Saint Martin de Tours". Lelong : "Mais ce n'est qu'au milieu du siècle que l'on assiste à un véritable renouveau : en 1849, l'épidémie de choléra détermine Mgr Morlot à organiser une procession des reliques dans les rues de Tours et remettre en honneur la fête du saint. En 1853, paraît un livre de l'abbé Dupuy."

    1860 : le tombeau de Martin retrouvé ! Une forte impulsion est donnée en 1854, par la constitution, sous l'impulsion de Léon Papin Dupont (1797-1876), de la "Commission de l’oeuvre de Saint-Martin" chargée de donner des vêtements aux pauvres et de redécouvrir le tombeau afin "de relever les pierres dispersées de la basilique et de rétablir le culte du thaumaturge des Gaules".. Après des acquisitions foncières, les vestiges du tombeau furent retrouvés le 14 décembre 1860, selon les indications d'un procès verbal de 1686 découvert deux semaines plus tôt par l'archéologue tourangeau, Henry Lambron de Lignim, donnant la description du caveau édifié par Perpet. Cette découverte donna un élan décisif à la volonté de reconstruire une basilique, volonté très affaiblie par la querelle déjà évoquée, avant que, deux décennies plus tard, la solution la plus réaliste fut mise en oeuvre avec la réussite qui vient d'être décrite et illustrée... [+ récit de cette découverte par les chanoines Bataille et Vaucelle, 1925] En une page de son livre "Vie et culte de Saint Martin" (2000), Charles Lelong montre les trois emplacements successifs du tombeau.


    La découverte des vestiges du tombeau le 14 décembre 1860. A gauche, vitrail de l'atelier Lobin dans l'actuelle basilique [Verrière 2018] + l'esquisse. A droite case de la BD de Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996 + deux planches : 1 2.
    Léon Papin Dupont, représenté sur chacune de ces deux illustrations, est aussi appelé "le saint homme de Tours", voué à un culte pour avoir accompli des miracles + deux planches de Nikto - Kline 1987 : 1 2. + article dans le n° 54 du "Magazine de la Touraine" (1995) + article de "réflexions hagiographiques" sur "Monsieur Dupont" par Robert Sauzer, 1993.
    On pourra consulter l'étude de May Vieillard-Troiekouroff titrée "Le tombeau de saint Martin retrouvé en 1860" (1961), retraçant aussi l'histoire des basiliques. Extrait : "On retrouve des plans : outre le plan de l'ancienne basilique, dressé par Jacquemin en 1779, on retrouve chez un notaire le plan dressé lors du lotissement de 1806 par Jacquemin fils, qui montre. que le tombeau de saint Martin ne se trouve pas sous l'une des nouvelles chaussées, mais dans la cave d'une maison." + plan Jacquemin de 1779 : 1 2 (document SAT) + le livre "Notice sur le tombeau de saint Martin et sur la découverte qui en a été faite le 14 décembre", 1861, publiée par "La commission de l'oeuvre de Saint-Martin", 93 pages [Numelyo].


    A gauche, vue des caves dans lesquelles le tombeau a été trouvé en 1860 (lien). Au centre, les restes de ce tombeau [Lecoy 1881]. Ce sont les partie blanches de ces contreforts que l'on retrouve, intacts, dans l'actuel tombeau, à droite. On se rend compte là à quel point la nouvelle basilique a été positionnée en fonction de l'emplacement du tombeau de la basilique précédente.

    Il s'ensuivit une longue querelle. La controverse fut vive et longue entre, d'un côté, les partisans de la reconstruction selon les dimensions romanes, menés par Léon Papin Dupont, et, de l'autre côté, ceux prônant des dimensions plus modestes, qui finirent par l'emporter sous l'impulsion de l'archevêque Meignan qui voulait "réunir dans un même amour l'Eglise et la République française". De l'autre côté, d'après Paul Wagret dans "Histoire religieuse de la Touraine" (CLD 1975) "La reconstruction de la basilique d'antan serait une sorte de réparation pour les méfaits de la révolution impie ; il fallait ramener les foules repentantes aux pieds de l'apôtre des Gaules. Persuadés de remplir une mission sacrée, ils vont si loin dans leur résistance à l'évêque que le Pape lui-même doit les réprimander.". Cette affaire anima la ville de Tours de 1860 à 1884, avec une municipalité ayant des opinions changeantes au fil des élections

    Paul Wagret : "Cette "Affaire Dreyfus de la Touraine" a divisé sans merci les catholiques du diocèse, et même plus loin : la presse de Paris, de Rennes, de Lyon en porte témoignage" [Paul Wagret dans "Histoire religieuse de la Touraine", CLD 1975]. On parlait de "la guerre des basiliques", à la fois entre catholiques traditionalistes (on disait ultramontains) et républicains et entre cléricaux et anticléricaux. Parmi ces derniers, Armand Rivière (1822-1891), maire de Tours de 1879 à 1882, fut un des plus virulents, publiant en 1862 "Les miracles de Saint Martin" (deux photos : 1 2). + le chapitre "La guerre civile de Tours" par Bernard Chevalier dans son livre "Histoire de Tours" (Privat 1885). Exemple de propos d'Armand Rivière : "Vous pensez sans doute que notre société, et particulièrement notre ville de Tours, ont plus besoin d'églises et de couvents, de reliques et de miracles des saints, que de temples de l'industrie et de merveilles des arts ? [...] Que des esprits du passé se prosternent encore devant les reliques du passé, est-ce une raison pour que des hommes choisis par tous, comme l'élite de la cité, emboîtent le pas avec eux et marchent à leur suite ? Est-il dans les attributions d'un conseil municipal d'écouter le panégyrique d'un thaumaturge et de faire de l'archéologie religieuse ?"


    La chapelle provisoire, lieu de dévotion érigé en attendant la nouvelle basilique, a connu au moins deux configurations, comme le montrent ces deux photos. La première (avec la dédicace de Paulin de Périgueux qui sera reprise sur le fronton de la basilique Laloux) provient d'une image cartonnée, la seconde du livre Le tombeau de Saint-Martin de Tours", 1922, par Jean-Martial Besse (+ critique de cet ouvrage par Michel Andrieu en 1923). A droite, une gravure du ciborium [Lecoy 1881. Cette oeuvre d'art en cuivre doré a été réalisé en 1664 par l'orfèvre parisien Jean-Alexandre Chertier. Elle est maintenant posée sur le maître-autel de l'actuelle basilique. + photo cartonnée datée de 1869 du ciborium dans la chapelle provisoire + son dos + vue de l'extérieur.


    De 1874 à 1886, nombreux sont les Tourangeaux qui ont cru que la rue Saint Martin serait démolie pour laisser la place à une nouvelle basilique aussi vaste que la précédente [Lecoy 1881]. Et puis la rue Saint Martin a été rebaptisée rue des Halles...


    Le projet avorté de 1874 de l'architecte Alphonse Baillargé, à l'emplacement de l'ancienne collégiale. Au dessus l'intérieur. A gauche, vue de côté, d'après une gravure de Lecoy 1881, alors que ce projet était encore crédible. A droite vue de derrière, d'après un document de la SAT. On retrouve cette même vue en un plan plus large dans le livre "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle", avec ce commentaire : "Bien que salué par la profession (une médaille d'or à l'exposition des Beaux-Arts de Paris en 1875), le projet de Baillargé de reconfiguration complète du quartier des marchés autour d'une grandiose basilique néoromane s'avère trop ambitieux pour être financé et trop destructeur pour emporter l'adhésion des habitants.". + coupe longitudinale + la une du n°51 de "La France Illustrée" de 1875. 1874 et 1875 sont aussi les années de conception et de début de construction de la basilique du Sacré-Coeur de Montmartre à Paris, qui fut aussi soumise à fortes controverses. Ci-dessous, le plan Baillargé (les tours Charlemagne et de l'Horloge restent bien sûr en place) ["Guide secret de Tours" 2019] et (P.-S.) gros-plan d'un dessin de A. Deroy [archives dép. 37].


    A gauche l'anticléricalisme d'Armand Rivière, maire de Tours de 1879 à 1882. Au centre le quotidien anticlérical "L'électeur d'Indre et Loire" se moque des catholiques "processionnards", le 10 novembre 1888 (lien). A droite caricature anti-anticléricale d'Achille Lemot, 1902, représentant en ogre le ministre Emile Combes, l'un des concepteurs de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'état.


    Sur le même thème anti-procession, Joshua Peeters dans BD Utrecht 2016 + la planche. Dès 1846, Tours a connu une agitation communiste autour d'Auguste Blanqui (article La Rotative 2020).

    Le roman "Mademoiselle Cloque" de René Boylesve, paru après la bataille en 1899, est une autre illustration de ce conflit. Même en connaissant les identités réelles des personnages romancés, l'intérêt historique est limité et l'écriture, vieillotte, est révélatrice de l'époque et d'un milieu catholique fermé sur lui-même. Il est vrai qu'il était soumis à de nombreuses vexations. Par exemple, nommer Descartes (né dans le sud de la Touraine) la rue où est située la basilique n'était-il pas une provocation cartésienne ? Aussi, en 1886, débaptiser la rue saint Martin en rue des Halles...


    "Mademoiselle Cloque" : édition 1911 (dessin Adolphe Gumery), dessin de René Boylesve (1898), édition CLD 1985 (dessin Marie-Thérèse Mabille) et un ouvrage d'analyse par Emile Gérard-Gailly (1931), révélant que Mademoiselle Cloque avait existé et s'appelait Mademoiselle Blacque, habitant près de la basilique. La page Wikipédia reprend ce résumé : "Parce que mademoiselle Cloque et le comte de Grenaille-Moncontour ne sont pas d'accord sur les dimensions d'une basilique en construction, la nièce de l'une n'épousera pas le fils de l'autre !".

    Charles Lelong, en 2000, s'interroge sur la ferveur du culte de Martin : "La découverte du tombeau en 1860 avait suscité un grand élan de piété qui ne cessa de s'amplifier : la chapelle provisoire élevée en 1863 attira les foules, en 1885, on y comptait plus de 1000 ex-voto ; en 1874, Saint Martin fut inscrit sur la liste des pèlerinages recommandés : la même année, la procession compte six-mille personnes et vingt mille en 1878. Mais la vérité oblige à dire que ce sont les passions politiques, l'anticléricalisme virulent de l'époque et les conflits entre catholiques conservateurs et catholiques libéraux qui expliquent le caractère retentissant de certaines fêtes où les fidèles accourent de tous les diocèses de France. il est significatif que la nomination de Mgr Meignan, candidat du gouvernement pour le siège de Tours en mai 1884 ait provoqué une subite désaffection : "on remarque l'absence de pèlerins étrangers et le petit nombre d'évêques, trois en tout", lors de la fête de saint Martin. Révélateur aussi, le fait qu'une fois prise la décision de bâtir la petite basilique, le "chalet républicain", la bouderie partisane l'emporte."


    Le partage du manteau version XIXème siècle. Contrairement aux siècles précédents, l'iconographie se montre plus respectueuse de la période historique traitée. Martin est un soldat de l'armée romaine. Il est toujours accompagné d'un cheval inventé, il porte généralement un casque et sa cape est souvent rouge. L'intérêt se déplace sur l'attitude du pauvre homme transi de froid. Les présents tableaux ont été publiés en 1997 par le MBAT dans le livre "La légende de Saint Martin au XIXème siècle". 1) André-Joseph Bodem vers 1820, église de Seurre (Côte d'or) 2) Anonyme, premier tiers du XIXème, basilique Saint Martin de Tours 3) Claude-Noël Thévenin 1833, église de Donzenac (Corrèze) 4) Antoine Rivoulon 1837, collégiale de Candes 5) Victor Louis Mottez vers 1845, église de Saint Germain l'Auxerrois à Paris + esquisse 6) Léon Brunel, église de Pinols (Haute Loire) 7) Anonyme 1840, église de Villiers le Mahieu (Yvelines) 8) Evariste-Vital Luminais 1859, collection particulière 9) Ernest Michel 1873, église Saint Nicolas des Champs à Paris (+ variante) 10) Gustave Moreau vers 1882, musée Gustave Moreau à Paris 11) Louis Roger 1893, école supérieure des Beaux-Arts de Paris
    Et encore au XIXème siècle, extraits du même ouvrage de 1997, quatre autre tableaux de partage du manteau : 1 Mlle C. Levesque vers 1825, église de Louveciennes en Ile de France 2 Angélique Mongez 1841, église St Martin de Grosrouvre en Ile de France 3 retouche de statuette "La leçon d'enluminure", Auguste-Félix Bauer 1892 [musée départemental de l'Oise, Beauvais + deux variantes] 4 par temps neigeux, Pierre Lagarde 1892 [musée de Picardie à Amiens]. Et pour glisser sur la neige, cette fois-ci épaisse, une illustration de Gustav Adolf Closs vers 1900.
    Sans oublier le célèbre tableau déjà présenté ci-avant de Jean-Victor Schnetz 1824, en la cathédrale de Tours. Ajoutons un exemple de restauration, tableau d'Edouard Puyo 1897 en l'église St Martin de Morlaix (récit "Le Télégramme" 2014, lien). Et revenons au livre de 1997 avec un tableau de François Lafon, fils de Jacques-Emile Lafon, réalisé en 1895 pour l'église St Martin d'Abilly en Touraine, au contenu assez énigmatique (avec l'évêque et le mendiant), analysé par Véronique Moreau.

    Tours, Marmoutier 3/3, Ligugé, Candes : un nouvel élan cultuel. Après les destructions de la Révolution, de 1850 à 1905, sous l'initiative de la congrégation des religieuses du Sacré-Coeur, le site de Marmoutier (voir Marmoutier 2/3) est partiellement restauré et, en parallèle avec la ferveur de la redécouverte du tombeau, les pèlerinages reprennent, une ligne de tramway relie même le site à Tours. Michel Laurencin apporte des précisions dans le livre "Saint Martin XVIème centenaire" (CLD 1996) et établit un parallèle avec Ligugé et Candes : "Le 29 juin 1847, la supérieure générale du Sacré-Coeur, Mme Barat, réalise l'achat de l'ancienne abbaye de Marmoutier, aliénée et en grande partie détruite sous la Révolution. Parallèlement, le 1er juin 1852, Mgr Pie, évêque de Poitiers, attentif à la restitution du culte Martinien achète les bâtiments et le jardin de l'ancien monastère de Ligugé. [...] Le 14 novembre 1858 s'accomplit le pèlerinage à Ligugé, après ceux de Marmoutier en mai et de Candes en juillet de la même année. Dès le 10 mai 1860, le pèlerinage de Candes rassemble six cents pèlerins par train spécial de Tours à Varennes puis en omnibus jusqu'à l'église du trépas de saint Martin. [...] Le 14 novembre 1858, dans l'homélie qu'il prononce à la cathédrale, Mgr Pie, s'adressant à Mgr Guibert, archevêque de Tours, déclare avec passion : "Je ferai tout ce qui est en moi pour favoriser le rétablissement d'une dévotion que je regarde comme un des puissants moyens de régénération chrétienne de notre temps.".


    Le cortège des fidèles et les reliques de Martin en route de Tours pour Marmoutier le 14 novembre 1897, 1500ème anniversaire de la mort du saint. + autre photo donnée par Ludovic Billon à la Congrégation du Sacré Coeur de Jésus à Poitiers [Catalogue 2016]. Depuis, l'ancienne abbaye est devenue un établissement scolaire.
    Les reliques de Martin 7/8 : processions du XIXème siècle et envois du XXème. Le renouveau du culte martinien au XIXème siècle s'accompagne d'une diffusion des reliques à l'étranger. "Le 9 juin 1913, une délégation de l'évêque hongrois de Szombathely (ville natale de Martin) reçoit solennellement à Tours un fragment du chef du pontife", comprenez un bout de crâne de Martin, une des reliques sauvées par le maître sonneur de cloches Martin Lhommais sous la Révolution. En 1932, une parcelle semblable partit à Buenos Aires, la capitale de l'Argentine qui s'est choisie Martin pour patron. La "virtus" de Martin est-elle ainsi encore active ? + extrait d'un article de Mag. Touraine HS 2015 "Un os du bras par ici, une dent là-bas...". Débuts en Reliques 1/8, 2/8, 3/8, 4/8, 5/8, 6/8, suite en 8/8.


    En 18 photos, la procession de Tours à Marmoutier en 1897. Dans "Mémoire en images, Tours" (volume 1, Alan Sutton éditeur 1993), Brigitte Lucas livre un reportage exceptionnel sur cette journée martinienne du 14 novembre 1897, de Tours à Marmoutier (visite de ses grottes), sur neuf pages de 2 photos chacune : 1 2 3 4 5 6 7 8 9. Voir aussi Marmoutier 1/3 2/3.

    En 1897, sous l'épiscopat de René François Renou, le 1500ème anniversaire de la mort de Martin revêt une pompe exceptionnelle, en présence de 22 prélats. Michel Laurencin : "L"image du moine-évêque est alors porteuse du combat contre le rationalisme, le scientisme, le détachement à l'égard des préceptes religieux, le laïcisme triomphant. Martin de Tours, le moine certes, l'évêque aussi, le thaumaturge encore, est avant tout le soldat, ce "grand saint national" ainsi qu'aiment à le décrire les archevêques."


    A gauche le printemps 2004 des rhododendrons au jardin botanique, au centre le jardin des Prébendes (et les autres) [plaquette municipale "Jardins historiques" 2017], à droite, l'automne 2003 du ginkgo biloba offert en 1843 par le docteur Bretonneau au jardin Botanique. Il peut être considéré comme le plus bel arbre de cette espace en Europe (compléments sur la page voisine des ginkgos de Tours).
    Les jardins enchanteurs du XIXème siècle. La ville de Tours bénéficie de parcs et jardins remarquables créés dans la deuxième moitié du XIXèpme siècle, ce qui justifiait son appellation de capitale du jardin de la France (appellation de la Touraine par Fransisco Florio, voyageur florentin du XVème siècle, reprise par François Rabelais). Les frères Bühler ont réalisé en 1874 le jardin des Prébendes d'Oé sur une zone marécageuse et le square François Sicard en 1864 sur la place minérale de l'Archevêché, André Leroy a réalisé vers 1850 l'arboretum du jardin Botanique sur le remblaiement du ruau saint Anne. Le jardin de la Préfecture a remplacé le jardin du Couvent de la Visitation, Louis Decorges et son fils René le transforment en 1932, mais seule une partie est rendue publique, au grand déplaisir des Tourangeaux (voir page voisine). Le jardin du palais de l'Archevêché est devenu municipal, jardin du Musée des Beaux-Arts, en 1911. Le jardin Mirabeau, ouvert en 1891, garde l'allée de marroniers du cimetière Saint Jean des Coups sur lequel il s'est installé. A la même époque, sur Tours Nord, le jardin de la source, très beau aussi, remplace le parc d'une institution religieuse. Au XXème siècle, rien de tel ne fut créé, au XXIème siècle aussi et, pire, les parcs sont malmenés, ainsi deux glycines du jardin botanique en 2006 (cf. page voisine), un ginkgo du jardin de la Préfecture en 2008 (page voisine) et des cèdres des Prébendes en 2018 (page voisine). + plaquette "Les arbres remarquables de la métropole". + cinq pages de la galerie de photos de beaux arbres extraites de mon livre "Tours et ses arbres qu'on ne laisse pas grandir 2012 (page voisine) : 1 2 3 4 5 (extraits ci-dessous, le pont de fil sur la Loire et le quartier des Fontaines sur le Cher, les deux grandes coulées vertes de la ville).



  46. Jules Quicherat et Casimir Chevalier relient Perpet à Laloux

    Guillaume Meignan (1817-1896), archevêque de Tours de 1884 à 1896, mit fin à la crise, en obtenant l'aval du Vatican. C'est aussi lui qui supervisa la construction de la nouvelle basilique. Il fut nommé cardinal en 1893. Jacques Verrière le présente comme "un homme raisonnable, soucieux de paix et prêt au compromis. Il plaida le manque de pertinence d'une grande basilique "qui demeurerait inutilisée aux quatre cinquièmes presque tous les jours de l'année" et enjoignit les va-t-en-guerre de na pas imiter les "juifs de Jérusalem, si fiers de la beauté matérielle de leur temple, et si peu ambitieux de plaire à Dieu par leurs vertus". [...] La fièvre a fini par retomber et les Tourangeaux, catholiques ou non, se sont appropriés la nouvelle basilique." [Verrière 2018]. La conception de la nouvelle basilique résulte d'un cheminement intellectuel qui dura une quinzaine d'années, entamé par Jules Quicherat et abouti par la volonté de Guillaume Meignan, avec pour maîtres d'oeuvre Casimir Chevalier et Victor Laloux.

    L'article "Restitution de la basilique de Saint-Martin de Tours" par Jules Quicherat, rédigé par Charles de Grandmaison, daté de 1869, commence ainsi : "L'église bâtie par saint Perpète, sur le tombeau de saint Martin, était non-seulement la plus célèbre et la plus fréquentée, mais encore la plus magnifique de l'ancienne Gaule. Elevée à la fin du Vème siècle, elle a fait jusqu'au Xème, époque de sa complète destruction, l'étonnement et l'admiration de tous ceux qui l'ont pu voir. Grégoire de Tours en parle avec une sorte d'enthousiasme et il nous donne à son sujet des indications très-précises, mais en même temps très-incomplètes, qui ne font qu'irriter la curiosité sans la satisfaire.".

    Jules Quicherat (1814-1882) réalise la meilleure restitution de la basilique de Perpet. Charles de Grandmaison explique que, suite à des essais précédents, Jules Quicherat, "professeur d'archéologie à l'Ecole des chartes", vient d'effectuer une restitution en s'appuyant d'abord sur la description de Grégoire et aussi sur d'autres témoignages. Il fait ensuite une description précise du travail de Quicherat et des choix qu'il a effectués. "Dans son intéressant et curieux travail,, M. Quicherat ne se borne pas à nous rendre l'antique basilique de saint Perpète, il nous fait aussi connaître ses dépendances, telles que la cellule de l'abbé, le cloître, l'aître placé devant la façade de la basilique, et plusieurs chapelles". Et de conclure : "Il est permis de dire, sans crainte d'être taxé d'exagération, qu'on trouve dans cette restitution de la basilique de Saint-Martin la science archéologique la plus profonde, unie à un talent d'interpréter et de faire parler les textes que nul critique de notre temps ne possède à un plus haut degré que M. Quicherat".


    1869, la "restitution de Jules Quicherat", ici les quatre illustrations + le livre en intégralité (45 pages, Numelyo).

    Cette restitution a fait l'objet d'une autre étude dans un colloque "Casimir Chevalier" à Tours le 28 mai 2011, réalisée par Jessica Basciano. Elle commence par ce résumé : "Il a appliqué ses connaissances en archéologie chrétienne, accumulées à Rome comme à Tours, à un projet pour la basilique développé avec Victor Laloux (1886-1925). Ce projet faisait référence consciente à la spéculation archéologique sur l’église du Vème siècle qui se trouvait sur le tombeau de Martin, surtout celle de Jules Quicherat. Quoique plus tard Laloux ait transformé le projet, la basilique terminée reflète la participation de Chevalier.". On y lit aussi : "La contribution de Casimir Chevalier à la construction de la basilique Saint-Martin à Tours par Victor Laloux démontre la synergie croissante entre l’archéologie et l’Eglise catholique dans la deuxième moitié du XIXème siècle. [...] L’archevêque de Tours, Mgr Meignan, a soutenu un projet pour une église sur le tombeau de saint Martin qui était fondé sur une reconstitution archéologique de l’église construite sur ce tombeau en 471. Chevalier et Laloux ont travaillé ensemble à ce projet."


    1886, les fouilles, dirigées par Casimir Chevalier. Ci-dessous, 1887, vestiges mis à jour [Julien-Louis Masquelez, SAT, dossier pédagogique 2016]. On y a trouvé de rares éléments de la basilique de Perpet. Celle d'Hervé était trois mètres plus basse que celle de Laloux, celle de Perpet étant plus basse encore. + compte-rendu par Henri Galinié des fouilles de 1979 à 1982 sur le site de Saint-Martin [Ta&m 2007].


    Photos des fouilles en 1886 [Casimir Chevalier] provenant principalement d'un extrait (texte et photos) de thèse de Pierre Martin 2010 pour l'université de Poitiers, titrée "Les premiers chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes de la Loire Moyenne" (liens : 1 2). Des vestiges restent accessibles dans le sous-sol de l'actuelle basilique : 1 2 + article 2013 de Pierre Martin "Nouvelles propositions pour la datation du chevet du XIème siècle" + livre de Casimir Chevalier sur ses fouilles.

    Casimir Chevalier (1825-1893), érudit de l'art paléochrétien, veut régénérer la basilique de Perpet. Jessica Basciano présente ensuite Casimir Chevalier : "Le plus important des prêtres savants dans le groupe proche de Meignan était Mgr Casimir Chevalier (1825-1893). Pendant sa formation au Grand Séminaire de Tours, Chevalier était captivé par les cours de l’abbé Jean-Jacques Bourassé (1813-1872), un archéologue qui voulait rendre l’archéologie chrétienne largement accessible. Quand Chevalier est devenu prêtre, Mgr Morlot lui a demandé d’apprendre à la fois les sciences ecclésiastiques et les sciences naturelles, afin de pouvoir défendre l’Eglise sur tous les terrains. Répondant à sa requête, Chevalier a publié sur la géologie, l’histoire, et l’archéologie. Chevalier était bien préparé pour aider l’archevêque à réaliser l’église sur le tombeau de Martin dans le style paléochrétien. [...] Les recherches de Chevalier lui permirent d’écrire, en 1878, une description détaillée des basiliques paléochrétiennes de Rome. [...] Pas plus tard qu’octobre 1884, Chevalier avait demandé à Victor Laloux (1850-1937) de travailler avec lui sur un projet pour la nouvelle basilique Saint-Martin. Il l’avait rencontré à Chenonceau alors qu’il était l’historien du château et que Laloux était encore étudiant, probablement vers 1869. [...] Laloux était un choix évident pour le poste d’architecte de la basilique Saint-Martin puisqu’il venait de Tours, qu’il avait gagné le prestigieux Grand Prix de Rome, et que Chevalier le connaissait déjà."

    Michel Laurencin [Catalogue 2016] montre qu'il y a eu des réticences : "Un premier prix de Rome ne donne pas l'expérience, ni le caractère de franc-maçon, [donne] le sentiment de l'architecture chrétienne. C'est peut-être un peu pour cette raison que le plan de M. Laloux reçut l'approbation du ministre". Quant à Casimir Chevalier, il a fait de lourdes erreurs. Il a ainsi cru que, suite aux fouilles dont il était responsable, la basilique de Perpet était le premier édifice à déambulatoire avec chapelles rayonnantes, ce que Charles Lelong, on l'a vu, a démenti. La critique de son livre de 1888 "Les fouilles de Saint-Martin de Tours. Recherches sur les six basiliques successives élevées autour du tombeau de Saint-Martin" par Louis-Charles-Marie de Bodin Galembert montre que ces égarements ont alors été pris au sérieux.


    A gauche, Casimir Chevalier + autre photo ; un colloque lui a été consacré en 2001, on peut consulter les interventions de Bernard Chevalier et Michel Laurencin : 1 2 Au centre, Guillaume Meignan + vitrail Lobin de la basilique portrait en l'église Saint Julien (lien). A droite, Victor Laloux + la photo entière [vers 1900 à son bureau, Edouard Pourchet, "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle" 2016] + portrait de Adolphe Déchenaud.

    Jessica Basciano, suite : " En octobre 1884, Mgr Meignan demanda à Chevalier et Laloux de faire l’étude « d’un projet de chapelle pour St-Martin, sur le modèle des basiliques latines du Vème-VIème siècle ». Tous les deux en réponse envoyèrent à Meignan une lettre, un programme écrit, et « les croquis, tels que nous les avons discutés avec vous à plusieurs reprises, et tels que vous avez daigné les approuver »". Le programme présenté est ainsi décrit : "On s’est appliqué à suivre aussi exactement qu’il a été possible le projet de restitution de la basilique bâtie par saint Perpet au Vème siècle, tel qu’il a été exposé avec tant de pénétration par M. Quicherat, l’éminent professeur d’archéologie. [...] Les croquis qui ont accompagné le programme écrit de Chevalier et Laloux en octobre 1884 sont perdus. Cependant, il reste un plan correspondant signé par Laloux trois mois plus tard, en janvier 1885. Semblable au plan de Quicherat, il représente une basilique avec une nef et des bas-côtés séparés par des colonnes, une croisée et des transepts implicites, ainsi qu’une abside semi-circulaire enchâssée dans un chevet polygonal. On y voit aussi l’emplacement du tombeau fortement marqué par son rapport avec un cercle inscrit dans l’abside, dont la circonférence empiète sur la croisée. Dans ce plan de Laloux le cercle est formé par un puits de lumière ouvert plus bas sur le tombeau et la crypte ; dans le plan de Quicherat, il est formé par une colonnade entre le tombeau et le déambulatoire, et par la balustrade entre le tombeau et l’autel. De plus, les deux basiliques font face à des atriums.".


    La restitution (arrangée par symétrie) de Quicherat en 1869, le plan de Laloux en janvier 1885 et le plan définitif en 1886 [plans en reprises de deux pages du livre "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle", Hugo Massire, Sutton 2019] + projet non retenu de clocher-campanile [même origine] + plan intermédiaire de février 1886 [colloque C. Chevalier 2011, Jessica Basciano] + autre plan intermédiaire [Catalogue 2016, Michel Laurencin]. Sur ces plans, à la place de l'actuel parvis, se trouvent un "cloître ou atrium des pèlerins" avec chapelle, loge du concierge, escalier, salon et cabinet du chapelain. Et une sortie par l'Est.... + une photo de la construction [Catalogue 2016]. A droite, dessin de la basilique Laloux extrait d'une affiche pour un rassemblement de la JAC (jeunesse Agricole Catholique) en 1935.

    Victor Laloux (1850-1937), jeune architecte exercé à la restitution d'édifices anciens. Dans le livre "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle", dirigé par Hugo Massire, édité par Sutton en 2016, Caroline Soppelsa décrit les conditions dans lesquelles Victor Laloux traite le projet qui lui est confié : "Lorsqu'entre 1884 et 1886 Victor Laloux réfléchit à la forme à donner à une basilique qui doit s'élever sur les fondations mêmes des églises successivement aménagées au fil des siècles sur le tombeau de saint Martin, il choisit d'écarter le style néoroman des projets de Guérin et Baillargé  - hommages rendus à l'ancienne collégiale du XIème siècle, sur le modèle Saint Sernin de Toulouse - pour privilégier un retour aux origines des lieux. Pour tenter de retrouver l'esprit du premier sanctuaire du Vème siècle, dont on connaît peu de choses à l'époque, l'architecte s'appuie sur les hypothèses des archéologues et historiens de son temps et mobilise les souvenirs encore vifs des églises paléochrétiennes, byzantines et médiévales qu'il a pu voir en Italie, en Grèce ou en Orient pendant son séjour à la Villa Médicis (1879-1883). Ce faisant, il retrouve les réflexes acquis pour l'exercice de restitution d'édifices anciens, l'un des fameux "envois" traditionnellement demandés aux lauréats du prix de Rome On imagine l'enthousiasme du jeune architecte qui a gagné la reconnaissance de ses pairs [en 1878] sur un projet de cathédrale et a été baigné de culture latine pendant les cinq années précédentes. Tant dans la logique de son plan, l'articulation de ses volumes, le choix de sa couverture ou le vocabulaire de son programme décoratif, la basilique Saint-Martin est ainsi le reflet de la culture architecturale de son auteur, une synthèse de références érudites à des chefs d'oeuvre du passé, accumulées, mêlées et réinterprêtées avec délectation, dans le goût éclectique et historiciste de l'époque."

    Un projet en partie contrarié. Michel Laurencin [Catalogue 2016] : "L'abbé Chevalier à plusieurs reprises conteste l'architecture retenue, trop inspitée à son goût des basiliques latines romanes, pour finalement parvenir à imposer un édifice "romano-byzantin" richement décoré de mosaïques et soutenus par quatorze colonnes monolithes en granit rouge des Vosges, avec une charpente décorée de caissons réalisés par Pierre Fritel. L'archéologue qu'est l'abbé Chevalier parvient à faire valoir ses exigences à l'architecte." Toutefois, dans un mouvement de balancier, par rapport au plan de janvier 1885, Victor Laloux a dû procéder à des corrections. Jessica Basciano : "Pendant l’hiver de 1885-1886, Laloux retravailla le projet pour répondre aux demandes du Comité des inspecteurs généraux, et aussi pour que le projet fût moins en rapport avec la reconstruction hypothétique de Quicherat. Tandis que dans le plan de janvier 1885, le sol du sanctuaire et des transepts est élevé par rapport à la nef, dans le plan de février 1886 revu par Laloux, le chevet est nettement moins élevé. Et au lieu d’avoir un axe visuel entre la nef et le tombeau, créé par un escalier aussi large que la nef qui descend devant le sanctuaire, de la nef à la crypte, dans le plan modifié, la crypte est cachée. Par ailleurs, les murs entre les chapelles des bas-côtés sont absents et le porche est devenu un narthex. Laloux s’est aussi écarté de la reconstruction de Quicherat en proposant des arcades pour les bas-côtés et des fenêtres de claire-voie accouplées au lieu d’une élévation tripartite avec une galerie. Enfin, il s’en est encore écarté en incorporant des motifs byzantins dans le projet modifié, divers motifs comme les figures hiératiques dans le chevet, ainsi que le dôme conique. La conséquence de ces changements, c’est que Chevalier prit ses distances par rapport au projet"

    Jessica Basciano commence sa conclusion ainsi "Les plans de Laloux ont évolué en sorte que le bâtiment terminé reflète moins les connaissances de l’archéologie chrétienne de Chevalier et la reconstruction de Quicherat que le projet initial de Laloux et Chevalier. Le bâtiment terminé incorpore des références aux églises romanes italiennes que Laloux avait vues quand il était pensionnaire. L’église complète évoque néanmoins l’église de 471, avec ses formes basilicales – surtout la nef séparée des bas-côtés par des colonnes monolithes, l’abside semi-circulaire, la charpente exposée, et l’accent mis sur la croisée – et aussi la conservation et représentation des vestiges de cette ancienne église dans la crypte. [...] En évoquant la basilique du Vème siècle Chevalier était un soutien efficace aux idées de l’archevêque qui ainsi se rattachait fortement à Martin et à ses successeurs, dans une époque où, selon l’historien Augustin Thierry, les évêques « étaient la règle vivante ».". Victor Laloux est aussi l'architecte à Paris de la gare d'Orsay, à Roubaix de l'hôtel de ville et, à Tours, de l'hôtel de ville et de la gare.

    Une volonté politique de se placer dans la continuité de l'apostolat de Martin. Jessica Basciano termine par cette analyse politique, sur fond de la longue querelle qui opposa l'archevêque Meignan à ceux qu voulaient reconstruire une grande collégiale : "L’archevêque était brouillé avec les membres de l’Oeuvre à cause de leur insubordination et aussi à cause de leurs vues politiques. Le projet de l’Oeuvre pour la reconstruction de la basilique du XIème siècle symbolisait le rétablissement d’un Ancien Régime idéal quand l’Eglise et l’Etat étaient unifiés. Il heurtait l’attitude libérale de Mgr Meignan, comme de Chevalier, selon laquelle l’Eglise n’était l’ennemie d’aucun système politique, attitude en rapport avec celle de Léon XIII. Plutôt que de reconstruire la basilique du XIème siècle, Meignan voulait connoter l’époque historique dans laquelle Martin vivait. Dans sa première lettre pastorale comme archevêque de Tours, il avait comparé le XIXème siècle au IVème siècle, et lui-même à saint Martin. Parlant de ce dernier, il avait écrit que « les armes de son apostolat sont encore les nôtres, et l’on peut dire que ses combats sont aussi nos combats. L’idolâtrie, il est vrai, a changé de forme, et les idoles de nom ; mais notre siècle en est-il moins païen ? La richesse, la volupté, l’orgueil, l’ambition, la fausse science sont encore des dieux trop bien servis et beaucoup trop honorés ». En acceptant le style paléochrétien pour l’église sur le tombeau de Martin, Mgr Meignan reliait davantage la France postrévolutionnaire à la Gaule préchrétienne et lui-même à Martin. Mgr Chevalier était la personne idéale pour aider l’archevêque à réaliser sa vision. Comme lui, il était en bons termes avec le gouvernement républicain et sa politique se conformait à celle de Léon XIII. En aidant à la conception d’une basilique qui tirait profit de ses connaissances en archéologie chrétienne et qui était influencée par la reconstruction hypothétique de Quicherat, Chevalier a contribué au renforcement de la légitimité de l’autorité de Mgr Meignan et de sa politique libérale."


    Le baptistère Saint-Jean de Poitiers est un des plus anciens monuments chrétiens dont l'origine remonte à la deuxième moitié du IVème siècle, début du Vème. Il a été fortement remanié au cours des siècles. + plan d'évolution + évolution en trois états (lien). On pourra aussi consulter la page Wikipédia titrée "Architecture paléochrétienne" (avec un chapitre "Les baptistères"). Est-il probable que des ouvriers ou architectes aient à la fois participé à cette construction à Poitiers et à celle de la basilique de Perpet à Tours  ?
    Cette page du site de l'Inrap présente les plans réalisés en 1840 par l’architecte des Monuments historiques Charles Joly-Leterme, ami de Prosper Mérimée et de Eugène Viollet-le-Duc, après que l'édifice ait été sauvé de la destruction en 1833. C'est le baptistère le plus ancien d’Europe occidentale conservé en élévation.

    Contestation de la restitution de Quicherat. En son article "Résultat des fouilles de Saint-Martin de Tours en 1886", Charles de Grandmaison examine ces vestiges, en attribue quelques-uns à la basilique de Perpet, en réfute d'autres. Il termine en émettant des doutes sur la restitution de Quicherat : "Monsieur de Lasteyrie combat la plupart de ses hypothèses, dont quelques-unes, en effet, paraissent assez hasardées. L'éminent archéologue les eût-il maintenue en présence du résultat des fouilles exécutées en 1886 ?". Pourtant, d'après Jessica Basciano, Casimir Chevalier aurait bien pris en compte certains résultats des fouilles : "Chevalier était convaincu que dans les fouilles de 1886, il avait découvert les fondations d’un chevet avec un déambulatoire et cinq absidioles datables du Vème siècle [ce qui s'avère faux]. Par conséquent, il n’a plus accepté la distribution du chevet présentée dans la reconstruction de Quicherat."


    L'église San Salvador de Brescia [Wikipédia], en Lombardie, fondée en 753, exemple d'art préroman postérieur à la construction de la basilique de Perpet et antérieur à ses reconstructions suite aux ravages vikings et incendies. A comparer avec, à droite, la basilique Laloux.

    Des fouilles qui ne permettent pas de remonter à l'édifice du Vème siècle. Dans une étude de 52 pages, datée de 1891, titrée "L'église Saint-Martin de Tours, étude critique sur l'histoire et la forme de ce monument du Vème au XIème siècle", Robert de Lasteyrie (1849-1921) reprend les divers éléments de restitution et de fouilles sur la basilique de Perpet. En introduction, il dit son respect envers Jules Quicherat, "un des maîtres de l'érudition française", et Casimir Chevalier, "un des prêtres les plus érudits du diocèse de Tours". Puis il montre les ravages qui frappèrent la basilique, notamment lors des invasions normandes, et estime qu'il y eut plusieurs "reconstructions totales". Cette affirmation apparaît critiquable : que les Vikings pillent et incendient la basilique, certes, mais on comprend moins qu'ils en abattent tous les murs, lesquels étaient très épais. L'auteur en arrive à s'interroger : "Restait-il alors quelques traces de la basilique bâtie par saint Perpet ? Comment l'admettre après le récit qu'on vient de faire ?". Et de répondre : "On peut donc affirmer, sans crainte d'erreur que toutes ces restaurations successives avaient dû faire disparaître jusqu'à la dernière pierre de la basilique du Vème siècle, bien avant que l'incendie de 997 eût nécessité la construction d'un nouvel édifice".

    Nouvelles objections à la restitution de Quicherat. Robert de Lasteyrie estime en conséquence que les restes sous les vestiges de la basilique d'Hervé ne seraient pas ceux de la basilique du Vème siècle de Perpet (voir le chapitre sur ses décorations ci-avant) mais sont postérieurs au milieu du IXème siècle, correspondant à l'une des reconstructions. Il critique ensuite précisément certaines options de Quicherat : "Les hypothèses proposées par Quicherat pour la nef de l'église Saint-Martin soulèveraient encore d'autres objections, mais j'en ai assez dit pour prouver combien elles étaient hasardées, et l'on ne sera guère étonné, je pense, si j'entreprends maintenant de montrer que ce qu'il a écrit du sanctuaire est, sur plusieurs points, moins acceptable encore.". L'auteur en déduit que : "La basilique de Saint-Martin de Tours était donc une basilique ordinaire avec une abside sur le modèle si connu des églises de Rome. Vouloir préciser davantage serait peut-être téméraire. Cependant, pour que. ma démonstration soit bien complète, il faut que je montre comment mes conclusions peuvent se concilier avec tous les textes produits par Quicherat."

    La conclusion est sans appel : "Je crois fermement qu'on s'est trompé sur le plan de l'église bâtie par saint Perpet, qu'on en a par suite cherché les restes là où ils ne sont pas, et que les conséquences inattendues qu'on a voulu tirer des fouilles de Saint-Martin pour l'histoire de l'art chrétien ne sont aucunement justifiées." Donc la restitution de Quicherat et les vestiges du décor de la basiliques de Perpet ne sauraient être considérés comme authentiques. Depuis les écrits de Quicherat, Grandmaison, de Lasteyrie et autres, personne n'a entrepris d'effectuer une nouvelle restitution de ce qui fut le plus beau monument de Gaule. La critique de Robert de Lasteyrie est pourtant assez précise pour qu'une restitution informatique en trois dimensions soit proposée...
    Ces critiques tardives à l'encontre de la restitution qui avait initialement guidé Casimir Chevalier et Victor Laloux justifient a posteriori qu'on se soit éloigné du projet initial, l'essentiel étant que le résultat soit convaincant...

    1892, Tours à la fois médiévale et moderne. Albert Robida, dessinateur et écrivain, dans son ouvrage "La Touraine" présenté ci-dessus, brosse un portait de Tours commençant ainsi : "Tours, l'antique métropole de la province, la vieille cité gallo-romaine, patrie adoptive du grand saint Martin, qui, de légionnaire romain devenu moine chrétien puis évêque de Tours, fut le grand convertisseur des Gaules et fit par ses vertus resplendir si glorieusement le siège épiscopal ; Tours, malgré les changements apportés par les siècles, malgré le grand travail de transformations amené par sa prospérité, qui lui a donné une physionomie si moderne à la surface, frappe néanmoins quand on sort des grandes voies commerçantes ou des quartiers élégants pour s'enfoncer au coeur de la vieille cité, par son caractère moyen-âgeux, par l'apparition soudaine, derrière les façades les plus jeunes, d'un passé très lointain s'obstinant à durer et à percer à travers tous les changements accumulés, malgré les masques imposés, malgré les grattages subis et les modernisations à outrance." Et Robida finit son chapitre sur Tours comme il l'avait commencé, par Martin : "Sur le sol où reposa le grand évêque, dont la chape bleue fut le premier étendard de la France, vient de s'élever un bel édifice de style roman en forme de croix, portant au centre, sur des armatures romanes, une coupole surmontée de la statue de saint Martin."



  47. La nouvelle basilique de Victor Laloux


    Vue du sud, la basilique de Laloux de nos jours, au fond à gauche, la tour Charlemagne, vestige à moitié reconstruit de l'ancienne basilique, devant le parvis avec le calvaire (voir en fin de ce chapitre) sur la droite [Google Earth avril 2019] + maquette du projet de 1886, sans la statue au sommet + photo de mai 1890 [BmT] + photo de 1910 (basilique inachevée, tour Charlemagne) + photo vers 1990 + photo vers 2010 + treize cartes postales de début du XXème siècle : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13lien autres cartes (site "Un regard pour Tours") + vue du nord 2017 [flickr Nicolas Rittreau] + extrait du dépliant "Visite guidée" présentant la basilique sur plan.

    Les travaux commencèrent en 1886, la crypte est inaugurée en 1889, la basilique le 11 novembre 1892 (+ Chronique des fêtes, 1890, 123 pages, Gallica), les travaux se terminent en plusieurs étapes, en 1902 et en 1925 pour l'essentiel, le parvis étant terminé en 1932 et la ferronnerie de la clôture en 1938. Le schéma ci-dessous positionne les quatre basiliques successives :


    Superposition d'un plan des basiliques de Perpet et d'Hervé [catalogue expo 1984 SAT), d'un plan des
    basiliques d'Hervé et de Laloux [lien] et d'un plan des basiliques d'Armence (Brice), Perpet et Hervé.

    Le tombeau est à chaque fois situé au niveau de l'autel du bâtiment. Il a donc été déplacé de la basilique d'Armence à celle de Perpet puis à celle d'Hervé (cf. schéma Charles Lelong 2000), position pratiquement conservée d'Hervé par Laloux. Longueur - largeur - hauteur de la basilique Perpet : 53 m, 20 m, 45 m ; la basilique Hervé : 56 m (la nef seule), 28 m (55 m pour le transept). 48 et 50 m pour les tours Charlemagne et de l'Horloge ; la basilique Laloux : 52 m, 26 m, 51 m (à comparer, auparavant, avec les dimensions de la cathédrale de Tours , ici et de l'église abbatiale de Marmoutier, ).

    Des fondations fragiles ? Dans le livre "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle", Caroline Soppelsa rappelle les premières difficultés dans la construction : "Très vite, la mauvaise nature du sous-sol oblige à revoir le système de fondation. Il faut descendre jusqu'à 14 mètres en raison de la présence de la nappe phréatique et pomper l'eau sans relâche, des travaux imprévus qui engloutissent des sommes considérables". Pour cela, alors que la première pierre a été posée le 4 mai 1886, la construction proprement dite ne débute qu'en 1887. Un article de 2006, signé Nicolas Mémeteau, présente l'architecture du monument et tire une sonnette d'alarme : "Les fondations de la basilique sont en mauvais état. Vivra-t-elle aussi longtemps que la collégiale médiévale ? Nous pouvons en douter… à moins que de sérieux travaux soient entrepris". Qu'en est-il maintenant ? L'allègement du dôme, présenté ci-après dans le dernier chapitre, va dans le bon sens, mais ne faudrait-il pas prendre les devants pour renforcer les fondations ?


    Carte postale de la 2ème moitié du XXème siècle avec la basilique de Laloux (à droite), et les tours Charlemagne (au centre) et de l'horloge (à gauche), restes de la basilique d'Hervé. Au premier plan, au centre, le cloître Saint Martin, d'accès privé. + carte postale similaire. + vue prise de la tour Charlemagne [photo municipale 2019] + photo aérienne élargie (la Loire au fond) + maquette de l'atelier J.I.I.S.S.A..


    Photo extraite de la plaquette de la ville de Tours sur "Les sites martiniens de Tours", vers 1997. + vue d'Est [Wikipédia 2010] et vue d'Ouest [Fasc. NR 2012] + couverture de l'album BD "Chacun son Tours" de 2001 évoqué ci-avant + photo d'avant 1928 (tour Charlemagne non encore effondrée) ["Visages de la Touraine" 1948] + diaporama de 17 photos d'extérieur du 28 septembre 2019 avec les trois mêmes monuments

    Hommages à la basilique Laloux. Pour l'architecte Bertrand Penneron, qui a dirigé la restauration de 2014-2016, la construction de la basilique était l'oeuvre dont Laloux était le plus fier. "La basilique, c'est l'oeuvre d'une vie pour Victor Laloux. Il a commencé à y travailler à 25 ans et elle a été terminée quelques années avant sa mort". Plusieurs hommages ont été rendus à cet édifice qui, sur fond d'une volonté plus ou moins contrariée de mélanger l'antique préroman au moderne néo-byzantin, présente une singularité qui touche le visiteur. Voici quatre de ces témoignages : 1 [Robert Ranjard en son livre "Sur les pas de Saint Martin", 1934] 2 [Mag. Touraine n°61, 1996] 3 [Véronique Moreau, Catalogue 2016] 4 [page du site Frédéric Mur Art]. Et voici celui de cette page du site "Le prog ! : "Il règne dans la basilique Saint-Martin de Tours une sérénité toute moderne, bien différente de celle que l'on ressent dans les cathédrales gothiques du Moyen-âge. Le style romano-byzantin, très réussi de cet édifice, avec son harmonie de formes et de couleurs, y est pour beaucoup. Il y fait très clair grâce aux vitres en verre blanc au deuxième niveau des élévations. L'ornementation met l'accent sur des sculptures murales assez sobres et des chapiteaux néoromans. Ils sont de grande qualité, et dédiés à des saints et des saintes liés à l'histoire de saint Martin. Une frise, sculptée dans la pierre et constituée de rinceaux, sépare les deux niveaux de l'élévation. Les piliers monolithes sont en granit des Vosges.".


    A gauche, coupe longitudinale de la basilique, réalisée entre 1890 et 1899, avec la crypte en bas à droite. [extrait du livre "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle", Sutton 2016, chapitre traité par Caroline Soppelsa, écrivant : "La crypte est l'élément central du programme. L'édifice à imaginer n'est rien d'autre qu'un écrin pour le tombeau retrouvé de saint Martin."] + dessin vue nord-ouest. A droite, la nef (+ autre photo) avec au fond l'autel surélevé et, dessous, la crypte [Wikipédia] + dessin préparatoire de l'autel.


    A gauche, la nef. Au centre, vue latérale gauche interne avec en arrière-plan les vitraux de l'atelier Lobin et à droite le gemmail du baiser au lépreux. A droite, un des deux escaliers d'accès à la crypte aperçue au-dessus, que l'on reverra ci-après. + Voir ci-avant les entrelacs de la basilique et ci-avant le gemmail qui vient d'être indiqué.


    Sanctus Martinus dans l'actuelle basilique, sous le globe de feu, vitrail des ateliers Lorin de Chartres (+ vue, entouré de Grégoire et Paulin de Nole, flickr Paco Barranco), et, en gloire, au centre de la coupole [Pierre Fritel, Wikipédia, liens : 1 2] + photo 2019 de la coupole. + photo de la peinture murale du Sacré-Coeur sur le fronton de la voûte du choeur (lien) + photos du choeur et des deux chapelles dédiées à Marie et Joseph (lien) + photo 2011 de la nef [flickr Paco Barranco].


    Le maître-autel [Wikimédia et Lorincz 2001] orné de paons et de colombes avec les inscriptions "Pastor" ("Pasteur") et "Ego sum vitis et vos palmites" ("Je suis la vigne et vous êtes les sarments). Il est surmonté du ciborium de 1664, déjà présenté ci-avant. + dessin du maître-autel paru en 1991, peu avant sa réalisation ["Victor laloux, son oeuvre tourangelle" 2016] + photo du site de la basilique.

    Le fronton de la basilique Laloux. Nous avons vu que la construction de la nouvelle basilique s'est étalée pour l'essentiel de 1886 à 1925, entre XIXème et XXème siècle, sa superbe collection de vitraux datant de 1900 environ. Le jeu de mots Perpet - Perpète - Perpétuité existait déjà au Vème siècle sous la forme Perpetuus / Perpetuum. C'est ainsi que Paulin de Périgueux envoya cette courte dédicace qui fut inscrite sur les murs de la basilique de Perpet : "Perpetuum urbs turonum Martino antistite gaudet", qui signifie "La ville de Tours jouit à perpétuité de Martin, son évêque." ou "La ville de Tours se réjouit à jamais d'avoir Martin pour patron". Cette dédicace a été reprise sur le fronton de la basilique de Laloux. C'est un autre témoignage de la volonté de régénérer la basilique Perpet en la basilique Laloux. Cette dernière s'en trouve honorée, car elle n'est pas une cathédrale de plus, et il y en a une très belle à Tours (nommée Saint Gatien... voir ci-avant), elle est un monument hors de l'ordinaire, d'un style à la fois néo-byzantin et préroman, chargé d'Histoire...


    A gauche, le fronton (avec la dédicace de Paulin de Périgueux) dans l'actuelle basilique Saint Martin [Wikipédia] + zoom arrière.. Au centre, détail des vantaux de la grande porte de la basilique du soldat et évêque [Maupoix 2018]. A droite, motif externe [Wikimédia] + la grande porte + la porte latérale (passage habituel pour entrer dan sla basilique) et la façade côté rue Descartes.


    La crypte (au fond le tombeau), avec les ex-voto sur les murs. A droite, le sol [Wikimedia], d'inspiration paléochrétienne (illustration Fasc. NR 2012) + exemples d'ex-voto tapissant la crypte [Semur 2015]. Ci-dessous, ouverture lumineuse [flickr Philippe Béènne].

    Le tombeau et les reliques de Martin 8/8. N'oublions pas de descendre dans la crypte (si la porte est fermée, il suffit de la pousser), c'est là que se trouve le tombeau de Martin. La basilique de Perpet avait continué à vivre à travers celle d'Hervé (qui en reprenait des décorations), nous venons de voir à quel point on la retrouve dans celle de Laloux... Une atmosphère étrange règne dans ce lieu de recueillement à la fois réduit et vaste, souterrain et baigné de lumière en partie naturelle, décoré des multiples inscriptions d'ex-votos chargés d'histoires personnelles et collectives.

    Le tombeau de Martin, un motif de mosaïque et le reliquaire[Wikimédia]. + photo rapprochée du tombeau [flickr François Tomasi] + photo du tombeau vide, sans le reliquaire [Wikimédia] + carte postale du début du XXème siècle.
    Les reliques : toujours là en 2016. Les trois photos de droite montrent le reliquaire situé dans le tombeau. Sur les deux de droite, on distingue le morceau de crâne de Martin. La première est datée entre 2014 et 2016 puisqu'elle montre en avant-plan les deux coffrets gigogne de reliques découverts en 2014 dans le bras droit de la statue surplombant le dôme et placés sous le tombeau de Martin, avant de regagner le bras droit en octobre 2016. Elles contiennent des reliques des saints Martin, Brice, Perpet et Grégoire Il arrive que le reliquaire du tombeau soit placée sur l'autel, comme sur cette carte postale avec pour légende "Reliquaire du chef de Saint Martin conservé depuis 1323 et sauvé d'un brasier le 26 mai 1562". + page du livre "Tours secret", texte Hervé Cannet, photos Gérard Proust, éditions La NR 2015. + article 2014 du site Monasticon sur ces reliques, lien. + extrait d'un article de Mag. Touraine HS 2015 s'interrogeant sur le culte des reliques autrefois et aujourd'hui. Débuts en Reliques 1/8, 2/8, 3/8, 4/8, 5/8, 6/8, 7/8.


    1) probablement la première représentation de la nouvelle basilique avec son dôme et sa statue. En 1892, Albert Robida publie un imposant ouvrage "La Touraine" et ses environs, avec des centaines de gravures. L'une d'entre elle représente la tour Charlemagne, avec en arrière-plan le dôme de la basilique inaugurée en 1890. + couverture + le livre en son intégralité, 336 pages, Gallica + en 1891, avant la fin de construction, le journal "La construction moderne" avait publié une vue du futur monument + carte postale dessinée vers 2019 (lien, points de vente).
    Les guides du pélerin et les confréries Saint-Martin. 2) Illustration du livre de 1897 "Manuel du pèlerin au tombeau de saint Martin" + le livre en intégralité, 47 pages [Gallica]. Il existait aussi à la même époque autour de 1900 un "guide du pélerin" qui mentionnait l'existence d'une "Archiconfrérie de Saint-Martin" créée en 1870 (photo, lien). Il est fait mention d'une archiconfrérie sur la page Wikipédia de Léon Papin-Dupont, mais il s'agit de celle de la Sainte Face. Pour Saint Martin, la grande, il existe encore au moins deux confréries St Martin&nsbp;: une à Vevey en Suisse (site) et l'autre en Corse (article LM 2008-2).
    3) Sans doute la première représentation de la basilique sur un vitrail, en 1896 [église de Saint Antoine du Rocher, en Touraine, J.P. Florence et L.L. Lobin, Verrière 2018] + ces deux vitraux déjà présentés : 1 (Neuillé Pont Pierre) 2 (Maison-Alfort) + autre vitrail représentant Martin et sa basilique Laloux, 1909 [église St Martin de Saint Martin du Lac en Bourgogne, flickr Odile Cognard]. 4) Un siècle plus tard, peut-être première représentation dans une BD, une case de Lorenzo d'Esme [Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996]. + dessin de couverture du catalogue SAT 1997 + dessin dans la collection Yves Ducourtioux (lien).



  48. XXème siècle, Martin embaumé passe en arrière-plan

    1925, la consécration. En 2019, il y a 171 basiliques en France, toutes qualifiées de mineures. Elles sont 1802 dans le monde, 4 autres sont majeures, toutes à Rome. L'édifice de Victor Laloux a été consacré basilique le 4 juillet 1925, 23 ans après son inauguration. Le président de la République française porte le titre honorifique de chanoine (ad honores) de la basilique (titre attribué par le pape François le 26 juin 2018 à Emmanuel Macron, reportage).

     
    A gauche, vue du nord-est d'en haut, la basilique sans statue sur le dôme en 2015 ("La Touraine remarquable", La NR 2015], puis avec statue en 2019. A droite vue du sud-ouest d'en bas. + deux vues de la tour Charlemagne, du nord-ouest : 1 d'en bas [flickr Eric Riflet] 2 d'en haut [tours.fr].

       
    Le sous-sol méconnu de la basilique et ses multiples vestiges. La coupe présentée au chapitre précédent ne montre que la crypte en sous-sol. Ot il y a un vaste sous-sol sous toute la surface de la basilique. On y trouve une grande fresque de Robert Lanz (à gauche vue d'ensemble et scène centrale représentant Martin à Trèves avec l'empereur Maxime + détail). Cette oeuvre réalisée en 1938 est ici en place depuis 2011. Ce sous-sol est principalement rempli de vestiges divers, dont ceux trouvés par Charles Lelong. On y voit aussi, à un niveau plus bas, un pan de mur de l'abside de la collégiale d'Hervé (sur lequel s'interroge une étude de Pierre Martin en 2013). Quelques visites sur réservation sont effectuées lors des fêtes de la Saint Martin en novembre. C'est un lieu susceptible d'accueillir d'autres oeuvres... + trois autres photos : 1 2 3 (mur de l'ancienne basilique Hervé) + article de La NR 2017 avec deux photos.


    Le Martin oublié de la basilique. Selon la page vdujardin; cette belle et imposante fresque, de 2,29 m de hauteur, se trouve "sur le revers de la façade de la basilique " et selon cette page de la base Mérimée sur le "bas-coté Est, mur sud", à l'accès très limité. C'est une oeuvre de Camille Alaphilippe réalisée en "grès de bigot" entre 1905 et 1908 [photo flickr Hocusfocus55] (il a aussi réalisé "Les mystères douloureux", statue du jardin Mirabeau à Tours, lien).


    Les grandes orgues de la basilique : une autre histoire 
    1902, 1956, 1977, 2013, 2017 sont les dates d'installation et gros travaux des orgues de la basilique, tant fuites d'eau et canicules ont provoqué des dégats (lien). Jouent-elles l'air de Brassens "Pauvre Martin, pauvre misère" ? Ou "A l'été de la Saint Martin" de Jean Ferrat... + article 2013.

    1929, Martin, Perpet et Grégoire, le trio à l'honneur sur le parvis de la basilique. Intéressons-nous au parvis qui jouxte l'actuelle basilique. En son coin sud-est, une haute statue en béton a été érigée, appelée calvaire à cause de sa vague forme de croix. Elle représente les trois plus importants prélats de Tours, tous trois canonisés : à gauche Grégoire, 19ème évêque, au centre Martin dans la scène du manteau partagé, 2ème évêque, à droite, Perpet, 6ème évêque. Les deux paons du socle font échos à ceux en mosaïque de l'autel. C'est une oeuvre de 1929 du sculpteur tourangeau Henri Frédéric Varenne (1860-1933). Vers 1922, il avait été projeté d'y placer une statue de François Sicard (photo commentée par Véronique Moreau-Miltgen, "Les sculptures sortent de leur réserve" 1988 MBAT). Le 12 janvier 2020, cette petite place a été baptisée "parvis Jean-Paul II" (article France-Bleu Touraine).


    Le calvaire du parvis avec le trio Grégoire, Martin et Perpet (de gauche à droite) [Wikipédia, deux liens avec d'autres photos : 1 2] + vue de derrière avec la tour de l'horloge à gauche. + grille d'entrée sur le parvis.


    Le dome de la nouvelle Basilique rejoint les anciennes tours Charlemagne et de l'horloge dans le paysage tourangeau. A gauche, "Vue de Tours", par Berthe Morisot 1892 (peint en l'été 1887). Au centre "Vue de Tours 1941" par Charles Picart le Doux [MBAT catalogue expo 2020] + du même catalogue, une autre vue analogue, "Les quais de la Loire" par Maurice Mathurin 1922. + cinq vues de Tours : 1 [LTh&m 1855] 2 [Albert Robida 1892] 3 ["La Touraine" de Maurice Bedel, 1935] 4 [photo aérienne "Visages de la Touraine" 1948] 5 (vue aérienne, 1920, la basilique en haut à droite). + plan de 1898 + plan "monumental" vers 1900 avec le dessin de la basilique.
    L'arrivée de la photographie en Touraine. A droite, après ces deux vues du Sud, une photo avec vue de l'Ouest dans "Tours pittoresque" [Prosper Suzanne 1899]. Ce livre présente 160 photos d'époque + couverture + article de la SAT sur les débuts de la photo en Touraine]. + article de Alain Irlandes "La mise en mémoire d’un patrimoine disparu : les témoignages photographiques", Ta&m 2007.

    Nouveau siècle, nouvelle basilique, nouvel hôtel de ville, nouveau centre-ville au croisement du grand mail (boulevards Béranger et Heurteloup) et de l'axe Paris-Bordeaux (rue Nationale, avenue de Grammont), on part sur de nouvelles bases.


    Evolution de la ville de Tours 7/7 : 1904, le nouveau centre-ville. Au tournant du nouveau siècle, le centre-ville de Tours s'est déporté vers le sud. L'ancien centre garde sa fière allure comme le montre cette vue aérienne de 1920. Les deux bâtiments principaux sont maintenant le musée et la bibliothèque municipale qui remplace occupe le bâtiment de l'ancien hôtel de ville [Achives municipales de Tours, "recueil de vues ériennes de la ville"]. Sur cette photo, on reconnaît en bas à gauche la construction cylindrique du cirque de la Touraine.


    Après l'adjonction vers le sud de la commune Saint Etienne Extra en 1845, le déplacement de l'hôtel de ville de Tours des bords de Loire aux côtés du Palais de Justice, au sud, transforme en 1904 la place du Palais en centre-ville. + deux cartes postales : 1 2. A proximité, six ans plus tôt, en 1898, une nouvelle gare de Tours avait été inaugurée, remplaçant l'embarcadère de 1846. L'architecte de ces deux bâtiments est Victor Laloux, qui, avec la basilique, marque ainsi la ville de son empreinte. Illustrations du livre "Victor Laloux, son oeuvre tourangelle", sous la direction d'Hugo Massire, 2016. + quatre cartes postales : 1 2 3 4 5. Encore maintenant, la place Jean Jaurès est souvent appelée place du Palais, ci-dessous vue du ciel vers 1960. L'après-guerre est marqué par la reconstruction, notamment le Haut de la rue Nationale (cf ci-après) et les quartiers incendiés ainsi que les nouveaux quartiers aux hautes tours, Sanitas et et Rives du Cher (respectivement en arrière-plan et avant-plan sur cette carte postale de 1970 environ). + vue du ciel vers 2010 [IGN].

    Débuts en évolution 1/7, 2/7, 3/7, 4/7, 5/7 et 6/7.


    Avant le règne de l'automobile, Tours et la Touraine au temps du chemin de fer. Avec les Chemins de fer d'Orléans, puis SNCF à partir du 1er janvier 1938, le train est, avec l'autobus, le moyen de transport privilégié en Touraine dans les 60 premières années du XXème siècle, laissant ensuite sa place à l'automobile. A gauche, une affiche publicitaire pour venir en train à Tours. Il y en eut de nombreuses autres pour la Touraine, certaines signées Constant Duval, dont ces onze là : 1 2 3 4 (Villandry 1923) 5 (Amboise) 6 (Chenonceaux) 7 (Loches) 8 (Azay le Rideau) 9 (Chinon) 10 11. Au centre, deux cartes postales, l'une d'un train à vapeur en gare de Gizeux-Continvoir (page sur les trains à vapeur de Touraine), l'autre d'un autorail en gare de La Membrole sur Choisille. + mémoire de 2008 "Le territoire du rail dans le paysage de l’agglomération de Tours (1832-1991)" par Jean-Marie Moine.
    A droite, l'étoile ferroviaire tourangelle. Souvent qualifiée d'exceptionnelle, les documents et plans d'urbanisme déclarent depuis 1980 environ qu'elle doit être valorisée, ce qui ne se fait toujours pas. Priorité a été donnée en 2011 à une ligne de tramway luxueuse (lien) et onéreuse ne desservant qu'une partie de l'agglomération. Plus que jamais l'automobile et, à un moindre degré, le bus règnent pour se déplacer en Touraine, avec les dégâts environnementaux que cela génère. Le cas de l'acteur associatif Jean-François Troin est représentatif. D'un côté, dans un article de 2011, il dénonce avec clairvoyance "le manque d'anticipation des décideurs" et il souhaite "une entente des partenaires nationaux, régionaux et locaux" pour développer les lignes ferroviaires existantes. Dans le sens inverse, il préfère en 2019 une deuxième ligne de tramway aussi dispendieuse que la première, interdisant de développer des moyens de transport collectif plus modernes et repoussant tout financement d'un nouvel emploi de l'étoile ferroviaire, même partiel et progressif (cf. pages de l'association Aquavit : 1 2). Cela favorise des politiques à court terme , aggravant le nombrilisme de la métropole de Tours, de plus en plus déconnectée de son département. Un siècle plus tôt, les affiches du chemin de fer en font foi, Tours, plaque tournante du tourisme en val de Loire, permettait de desservir les gares parsemant les cinq branches de son étoile ferroviaire, actuellement largement sous-employée, avec de nombreuses gares fermées. Alors que les pistes cyclables se multiplient, la combinaison "train - tram-train - vélo - gite" est en panne, comme celle "maison - voiture en trajet court - parking relai - transport en commun - travail". A la place d'un tourisme populaire, on préfère élever les hôtels de luxe évoqués ci-dessus. Perpet n'a-t-il pas montré que l'ambition doit s'accorder avec l'accueil du plus grand nombre ?

    Tours sans Martin ? Martin est moins présent en sa cité au XXème siècle qu'au XIXème, que ce soit pour ses habitants et pour ses visiteurs. Finies les polémiques, il fait maintenant partie du décor, à sa place, au point de devenir transparent, un vestige parmi d'autres. Ainsi le congrès de Tours en 1920 (dans la "salle des manèges" jouxtant l'arrière de église Saint Etienne, détruite en 1940, photo), où fut créé le parti communiste français, et l'activisme marxiste de ce parti n'ont provoqué aucune agitation martinienne marquante. Est-ce parce qu'il s'y trouvait une idée convergente du partage ? Ainsi Maurice Bedel, voisin du Poitou, en son livre de 1935 "La Touraine" présente-t-il la ville et ses habitants sans citer son deuxième évêque (sauf pour la rue du petit saint Martin !), mais n'oubliant pas certains de ses continuateurs. Extraits : "Tours est le sourire de la France. [...] Elle a la grandeur souriante d'une dame en qui s'épanouissent dix siècles de bonnes manières. [...·] Ici, tout est fine culture. On croise un lettré à chaque bout de rue [...] Nous sommes dans la ville même de saint Grégoire, de ce Grégoire de Tours qui fut, au VIème siècle, le premier historien d'une France encore toute jeune. C'est ici qu'Alcuin ouvrit école de philosophie dans les années où Charlemagne instituait le gouvernement des esprits : ce fut la première en France ; c'est à Tours que la France commença à apprendre la sagesse. A Tours aussi baguenaudait le jeune Rabelais, venu du pays de Chinon : en des rues que nous voyons encore telles qu'il les a connues, il s'exerçait à l'observation minutieuse des gens, à la critique des moeurs et des coutumes ; d'autres Tourangeaux ont par les mêmes trottoirs mené le même train de curiosité à dessein littéraire, et parmi eux Balzac, Courteline, Anatole France [+ planche de Guignolet 1984 sur des écrivains tourangeaux]. Noms fameux dans l'histoire de nos lettres, noms rayonnants, et qui rayonnaient sur cette ville de haute culture. [...] Une cité où l'on pénètre entre une bibliothèque et un musée logés en deux palais Louis XVI de la plus noble apparence, une cité où l'on est accueilli dès l'abord par un Rabelais et un Descartes qui, pour être de marbre et montés sur piédestal, n'en adressent pas moins au voyageur le salut de l'intelligence et de la raison, une cité comme celle-là est une capitale de l'esprit." Ces palais disparaîtront dans la tourmente d'un deuxième conflit mondial et qu'est-il resté de cet esprit d'entre deux guerres ?


    La rue Nationale à la belle époque. Au début du XXème siècle, la rue Nationale continue à être la "reine des rues", comme l'avait qualifiée Balzac, faisant de Tours un petit Paris.
    Le passage St François, à gauche ["Tours citée meurtrie" 1991] + carte postale commentée + du même livre autres photos anciennes de la rue Nationale.
    Le Grand Bazar, à droite, créé par Arthur Duthoo (père du peintre Jacques Duthoo), fut en 1888 le premier grand magasin de la ville, devenu en 1897 "Grand Bazar et Nouvelles Galeries" (au croisement avec la rue de la Préfecture), déplacé en 1934 à l'emplacement actuel des "Galeries Lafayette" [Donat Gilbert, "Tours à la belle époque" 1973] (+ cinq autres illustrations : 1 2 3 (+ variante) 4 5 (+ variante) + deux calendriers illustrés par Alfons Mucha (50 x 30 cm) : 1 1902 2 + sept affiches publicitaires : 1 2 3 4 5 6 7 (158 x 118 cm) + jeton de magasin (aluminium, 41 mm de diamètre) avec saint Martin au recto et la basilique au verso + article La NR 2019 sur "La saga Duthoo", famille toujours propriétaire des "Galeries Lafayette" de Tours.
    L'art déco à Tours. Arthur Duthoo a construit, rue Jules Charpentier, en 1910, un immeuble de style Art Déco pour loger ses employés : photo commentée. Près de la gare, rue de Bordeaux, s'est installé en 1900 le grand magasin "Lefroid", dont la façade de 1928 est aussi en style art déco : photo commentée. Ces deux illustrations sont extraites de la plaquette municipale "Focus Art déco Tours" 2017 (Lefroid est devenu le "Printemps"). Voir aussi l'usine et la cité Mame ci-avant.

    Charles Lelong, en son livre de 2000, note tout de même une évolution : "Ce n'est qu'à partir de 1932 que le culte connaît un nouvel essor. Mgr Gaillard et le chanoine Robin, recteur de la basilique, impriment un grand éclat aux cérémonies traditionnelles du 4 juillet et du 11 novembre. Grâce à leurs démarches, le Saint-Siège autorise le retour des reliques, qui a lieu le 30 novembre 1941. Le chanoine Sadoux, recteur de Saint-Martin de 1946 à 1986 s'est attaché particulièrement à stimuler les pèlerinages venus de l'extérieur en créant une revue, "Les annales martiniennes". Peu à peu, les étrangers reprennent le chemin de Tours. En 1959, le congrès international des directeurs de pèlerinage inscrit Saint-Martin parmi les hauts lieux de la chrétienté. L'année suivante, anniversaire de la découverte du tombeau et de la fondation de Ligugé, est déclarée "année martinienne" ; on voit se succéder cérémonies, expositions et conférences." On rejoint là les avancées, présentées ci-avant, effectués par les historiens à la fin du XXème siècle.


    Vitraux du XXème siècle. L'art du vitrail se renouvelle, comme en témoignent les vitraux ici présentés. 1) Eglise Nativité de Notre-Dame à Ormoy (Haute Saône), le partage du manteau (lien) 2) Eglise Saint Martin à Saint Dié des Vosges, le globe de feu par Jacques le Chevallier (lien) + autre vitrail fondation de Marmoutier. 3) Eglise Saint Martin de Barentin en Seine Maritime, réalisations de 1947 par l'atelier Lorin de Chartres, d'après des dessins de Georges Mirianon. Baptême de Martin (lien). + deux autres vitraux : 1 (baptème de la mère de Martin) 2 (enfant ressuscité) 4) Cathédrale de Katowice en Pologne (lien) 5) Eglise Saint Martin de Tony le Petit, canton de Fribourg en Suisse, réalisations de Claude Sandoz en 1989. Combat contre un démon et un mauvais arbre (liens : 1 2). + trois autres vitraux : 1 (partage du manteau) 2 (miracle des oiseau) 3 (été de la Saint Martin). 6) Pologne (lien). 7) Eglise Saint Martin d'Omonville la Petite, dans la Manche, vitrail de l'atelier Barillet de Paris, 1957 [photo flickr Philippe Guillot].
    Et encore... Onze autres vitraux récents : 1 [église de Saint Martin du Tartre en Bourgogne, flickr Odile Cognard] 2 [Yves Dehaix XXème siècle, église de Noyal Muzillac en Bretagne, lien] 3 [Max Ingrand 1950 dans l'église de Bergues dans le Nord, lien] 4 [église Saint Martin de Ammerschwihr (Haut Rhin), le partage du manteau, lien] 5 [Jacques Avoinet, église Saint André de Châteauroux, évêque et partage du manteau] 6 [John Hayward 1991, église de Brasted en Angleterre, flickr Jules & Jenny] 7 [Paul Monnier 1967, église de Leytron en Suisse, flickr Jean-Louis Pitteloud] 8 [Veronica Whall 1948, église de Knowle en Angleterre, flickr Aidan McRae Thomson] 9 [église d'Arette dans les Alpes près du col de la Pierre Saint Martin LM 2008-5) 10 une épée, une crosse et un nom [Philippe Brissy 2002, église de Turquant en Anjou, lien], 11 [Gaston Vinum 1929, église de St Martin de Bossenay dans l'Aube, lien] ( P.-S.). + deux autres vitraux d'églises de Tours, St Julien [Jacques Le Chevallier, Paris 1960, déjà vu ci-avant] et St Symphorien [atelier Dupleix de Paris 1927] [Verrière 2018].
    Ajoutons, hors vitrail, ce portrait japonisant de Martin par le Philippin Nowitzki Tramonto (lien) et ce tableau de partage du manteau, avec son environnement, dans l'église Saint Pierre du Lac à Montigny le Bretonneux (Yvelines) (lien).

    Wikipédia : "Une institution religieuse, Les Petits Clercs de Saint-Martin de Tours, fut fondée dans les années 1920 par le chanoine Rutard, prêtre diocésain. Séminaristes venant des autres régions françaises "riches" en vocation pour le diocèse de Tours, ils assuraient également le service religieux quotidien à la Basilique Saint-Martin. Pensionnaires, les Petits Clercs de Saint-Martin suivaient leur formation scolaire sur place, puis suivirent leurs cours dans divers collèges de Tours (collège Saint-Grégoire, collège Notre-Dame La Riche). L'institution, vivant en particulier de la générosité des tourangeaux, s'installa à l'ombre de la Basilique (3 rue Baleschoux) jusqu'en 1970, date de sa disparition. Les Petits Clercs de Saint-Martin donnèrent environ 300 prêtres au diocèse de Tours". Nous verrons plus loin qu'à partir de l'an 2000, les Bénédictines du Sacré Coeur assureront la gestion de la basilique.



  49. Du patriotisme de la première guerre mondiale à la désolation de la seconde

    De la cape de Martin au bleu du drapeau français. Elle ne serait ni rouge ni blanche, la cape / chape de Martin... Ou elle aurait changé de couleur avec le temps... La page Wikipédia sur le drapeau français indique que : "C'est au début du règne des Capétiens que la chape de saint Martin se colore en bleu. Le bleu est ainsi intimement associé aux rois de France et figure très tôt dans leurs armoiries fleurdelisées, dont l'usage militaire apparaît au XIIème siècle. Revêtir la chape de saint Martin est le symbole de la légitimité que confère l'Eglise au roi, en particulier au moment du sacre.". En cette page, Guy Boulianne précise : "La chape de saint Martin est indiquée par la tradition comme présente lors de la célèbre bataille de Poitiers en 732 lorsque Charles Martel repoussa les Sarrasins. Par la suite, on la signale dans d’autres combats en 838 devant Tours ainsi qu’en 1043, 1066 et 1195. Sans que l’on puisse être trop affirmatif, le bleu semble donc avoir eu en ces temps lointains un caractère en quelque sorte national. ". Saint Martin est aussi désigné comme le "protecteur de nos armées" (lien).

    Sans conteste saint patron de Tours. Martin est aussi considéré comme le saint patron de la France, même si saint Denis lui fait concurrence et même si ce n'est pas officiel (cf. page Wikipédia). Par exemple en cette page du site "Hérodote". Et sur cette autre page du même site : "C'est en référence à Saint Martin qu'en novembre 1918, à l'instigation du général Foch, les négociateurs français auraient choisi de fixer au 11 novembre la date de l'armistice (de préférence au 9 ou 10 novembre)". Ce qui est démenti par les faits [colloque de Tours 2016, intervention de Jacqueline Lalouette, reprise dans le Collectif 2019]. En novembre 1916, lors du 1600ème anniversaire de la naissance de son illustre prédécesseur, l'archevêque de Tours Albert Nègre considère que Martin est "l'apôtre des Gaules pour la patrie, la victoire et la paix". Un abbé va alors jusqu'à comparer l'empereur Guillaume II à Attila... (+ carte postale). Auparavant, en 1881, Albert Lecoy de la Marche avait qualifié Martin de "saint français par excellence" (extrait, Lecoy 1881). Depuis, Saint Martin est aussi devenu le patron des policiers (22 mars 1993, conférence des évêques de France). Et, en 2018, le centenaire de l'armistice a donné lieu à une célébration apaisée, en présence de l'Archevêque Mgr Aubertin, de l'historien Michel Laurencin et du maire de Maillé, village de Touraine martyr de la guerre suivante, en 1944 (liens : 1 2)

    A gauche, case de Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996 + la planche Au centre en haut, l'ex-voto, sur la gauche du tombeau, en bas niche sur la droite de la nef dédiée à la paix du 11 novembre 2018. A droite, Foch à genoux devant Martin et Jeanne d'Arc + dessin d'un poilu priant Martin [Archives diocésaines de Tours, Collectif 2019]. Dans les écoles privées de Tours, au début des années 1950, les élèves chantaient encore ce cantique demandant à Martin : "Sauve la France et garde la toujours !" (lien avec vidéo et partition).
    Martin et les soldats anglais morts sur le front. Sans que ce soit par patriotisme, plusieurs soldats anglais tués à la guerre ont leur mémoire rattachée à saint Martin, commme ce vitrail de l'église de Cricket Malherbie [flickr johnevigar]. Sur flickr, Simon Knott montre, dans l'église de Longstanton, ce vitrail des saints Martin et George dédié à un soldat en l'accompagnant d'un texte (en anglais) racontant la tragédie vécue par sa famille (lien). Simon Knott accompagne aussi ce vitrail (extrait ci-contre) de l'église d'Apethorpe de sa dédicace "To the Glory of God & in loving memory of Gerard Charles Brassey, 2nd Lieut. Coldsteam Guards. Killed in Action 27th August 1918. Laid to rest in Mory Street Cemetery near St Leger. Aged 19" (lien).


    La grande boucherie. En Indre et Loire, 10.000 jeunes hommes sont morts dans cette guerre, dont 1800 pour la ville de Tours. Cases de Jacques Tardi extraites de l'album Le trou d'obus" (1984) + la planche + cinq planches du même auteur dans l'album C'était la guerre des tranchées (1993) : 1 2 3 4 5. A droite, carte postale commémorant le défilé du 14 septembre 1919.
    Tours et "son" régiment, le six-six. Le 5 août 1914, des milliers de Tourangeaux acclament le départ à la guerre du régiment d'infanterie n°66, basé dans leur ville. Pour le retour, la ferveur populaire est à nouveau présente le 14 juillet 1919 et le 14 septembre 1919 pour fêter une victoire en essayant d'oublier ses horreurs, les victimes devenant des "héros". Extraits d'articles du Mag. Touraine n° HS hiver 1993/1994 sur ces évènements : 1 le 66ème RI 2 5 août 1914 3 14 juillet 1919 4 14 septembre 1919 + deux autres extraits de ce numéro sur les prisonniers allemands de Tours : 1 2 + article de La NR de 2018 commémorant la fin de cette guerre.
    Les monuments aux morts Saint Martin. En Alsace, trois monuments aux morts illustrés du partage du manteau [flickr Jean François Python] : 1 Oltingue 2 Spechbach le Haut 3 Eschbach (extrait ci-contre "A nos morts") et un autre à Tessenderloo aux Pays-Bas [flickr Jules Jourdain]. Ou une dédicace au patron [église de Labastide-Cézéracq en Pyrénées-Atlantiques, flickr Marie-Hélène Cingal].

    La Via sancti Martini, qui suit les traces de Martin, en son parcours lorsqu’il se rendait à Trèves pour rencontrer les empereurs, passe probablement non loin de Dom-le-Mesnil, dans les Ardennes, dont l'église est dédiée à Saint Martin. Un article du pèlerin du 5 novembre 2018 apporte des précisions : "C’est de ce petit village qu’est partie la dernière offensive de la Première Guerre mondiale, dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918, qui tuera 99 combattants français, dont Augustin Trébuchont, mort dix minutes avant l’Armistice. « Les Allemands occupaient la commune de Vrigne-Meuse, explique Bruno Judic, président du Centre culturel européen saint Martin de Tours [site], et les Français celle de Dom-le-Mesnil. A 11 heures, heure effective de l’Armistice signé le matin même à 5 h 12 dans la clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne (Oise), le curé de Dom-le-Mesnil fit sonner les cloches de son église dédiée à saint Martin et fit entonner le Te Deum – le premier qui fut chanté dans notre pays enfin pacifié. »"


    A gauche, Martin dans les nimbes surmonte une troupe de poilus sortant des tranchées et partant à l'assaut [atelier Lorin de Chartres, église de Neuillé Pont Pierre en Touraine, lien]. Au centre gauche, vitrail sur saint Martin (au côté de Saint Louis) et la Grande Guerre [Maurice Denis, église de Fère en Tardenois en Picardie, sur la ligne de front, lien]. Au centre droit, Michel l'archange et Martin sont représentés sur un vitrail 1930 de la crypte de la chapelle de l'ossuaire de Douaumont [atelier hébert-Stevens-Bony d'après un carton de George Desvallières, lien] + aussi dde Georges Desvallières, et encore avec Saint Michel, le légionnaire Martin en cette fresque, tient un rameau annonçant la Résurrection, comme les végétaux renaissant à chaque printemps  ; à ses pieds, un bandeau "11 novembre 1918" [chapelle saint Yves, Paris XVème, lien] (+ lien vers la page "Les vitraux du souvenir") + vitrail de l'église de Golinhac en Aveyron (lien) + double-page de LM 2019 sur les dernières heures de guerre à Dom le Mesnil dans les Ardennes + plaque commémorative associant Martin à la signature de l'armistice en l'église Notre Dame des Champs à Paris [flickr P.K.].
    Tours, base de soutien américaine. A droite, la statue du monument aux morts américain, situe à côté de la bibliothèque municipale. Réalisée en bronze par Carl Paul Jennewein, elle est recouverte d'une fine feuille d'or et surplombe un monument et une fontaine construits de 1930 à 1934. En 1917, Tours était devenu la base de soutien aux corps expéditionnaires américains. Ce mémorial est considéré comme un symbole de l'amitié franco-américaine. Afin d’éviter la fonte du monument (comme la statue de Balzac sur la place du Palais, photo de l'enlèvement), au titre de la récupération des métaux sous le régime de Vichy en 1941, l’argument de l’extra-territorialité a été mis en avant (lien). + photo de l'ensemble (la Loire à gauche) [Wikipédia].
    Le cirque de la Touraine. Avant guerre, l'emplacement du jardin entourant la statue américaine était occupé par le cirque de la Touraine, grande salle cylindrique de cinéma, concerts et spectacles. Appelé Cirque Napoléon lors de sa création en 1865, il fut reconstruit en 1884 en changeant de nom, il était la plus grande salle de spectacle de la ville ["Tours mémoires d'une ville", Alan Sutton 2013]. + trois photos : 1 2 3 (lien).

    Tours capitale de la France du 10 au 13 juin 1940. Après la déclaration de guerre du 3 septembre 1939 et la drôle de guerre, l'offensive allemande (blitzkrieg) du 10 mai 1940 provoque le grand exode. Paris va être envahi par les troupes allemandes, le gouvernement de Paul Reynaud se replie sur Tours, avant de repartir à Bordeaux. Le président de la République Albert Lebrun s'installe au château de Cangé, le sénat occupe l'hôtel de ville et le château de la Plaine à Fondettes, les députés sont au Grand Théâtre et son président Edouard Herriot au château de Moncontour à Vouvray. Pétain loge au château de Nitray à Athée sur Cher, le général Charles de Gaulle, sous-secrétaire d'état à la guerre, au château de Beauvais à Azay sur Cher, etc. Comme en 1870, un peu aussi en 1917, Tours devient une "capitale de repli" [article de Thierry Vivier, La NR 2016].


    A gauche, cycliste en exode demandant son chemin après avoir traversé la Loire ["La Touraine dans la guerre" Pierre Leveel, CLD 1985]. Au centre, à l'entrée de la Préfecture, le président du conseil Paul Reynaud est entouré du général Maxime Weygand et et du maréchal Pétain ["Histoire de la Touraine", Pierre Audin 2016]. A droite, le château de Cangé, à Saint Avertin, commune limitrophe de Tours, est un éphémère palais de l'Elysée tourangeau ["Le château de Cangé", Michel Ramette 2012].

    Si la ville de Tours et la Touraine ont géographiquement été épargnées par le premier conflit mondial, il n'en fut pas de même pour la seconde guerre. En juin 1940 à l'arrivée des troupes allemandes, le centre-ville de Tours a été ravagé par un immense incendie durant plus de deux journées, détruisant ou endommageant gravement 550 bâtiments dont près de 200 monuments historiques (sur la liste de 1938) et des incunables de la bibliothèque. Il n'y a avait pas d'eau pour combattre l'incendie à cause des arches détruites du pont de pierre, rompant les canalisations. La ville se trouva dans la zone occupée, sous occupation allemande, alors que le sud de la Touraine était en zone libre, sous le régime de Vichy du maréchal Philippe Pétain, séparée par la ligne de démarcation jusqu'au 1er mars 1943.


    Juin 1940, Tours en flammes [peinture sur papier d'Arlette Boisdet, "Guide secret de Tours et ses environs", 2019].
    A gauche, les deux "palais Louis XVI" évoqués par Maurice Bedel en 1935, à droite la basilique et les deux tours.


    1940 : la basilique butoir de l'incendie. "La basilique semble avoir servi de butoir à la marée déferlante de pierres" ["Tours cité meurtrie", texte Jeannine Labussière, photos Elisabeth Prat, CLD 1991 + article de Alain Irlandes sur ces photos et d'autres dans le même contexte, Ta&m 2007]. + photo du nord-est de la basilique ["Tours à l'époque de la municipalité provisoire", Boris Labidurie 1994] + deux photos du livre "Tours sous les bombes" : 1 2 de Jonathan Largeaud (photos Jean Chauvin, Geste Editions 2010) avec pour légendes "Vision apocalyptique" et "En d'autres temps, plus anciens, ce paysage aurait été pris comme un signe biblique de renaissance". L'auteur explique pourquoi, en ces jours où 64.000 des 84.000 habitants ont fui la ville au plus vite, dont des médecins et personnels administratifs, il est difficile de connaître le nombre précis de tués. Il reprend le chiffre préfectoral d'une vingtaine de personnes.


    Du 21 juin 1940 au 1er septembre 1944, Tours vit sous occupation allemande. Le bâtiment sur la droite de la première photo était l'hôtel de ville avant son transfert en 1904 dans un nouvel édifice conçu par Victor Laloux. Il était alors devenu la bibliothèque municipale, un des premiers bâtiments ravagés par le feu lors des bombardements allemands à partir de la rive opposée de la Loire. + autre photo. Au centre le palais de Justice est devenu la feldkommandantur ["Tours mémoires d'une ville" 2013] et les bureaux de commandement sont décorés de la croix gammée ["Tours à Tours", Philippe de la Fuente 2005 + deux planches : 1 2]. "La presque totalité du fond est anéantie", dont la totalité de la bibliothèque de la SAT et probablement les rayonnages sur la photo de droite, d'après Daniel Schweitz en son étude sur cet incendie. Quels documents sur Martin, la basilique, Châteauneuf, Tours et les Tourangeaux avons-nous perdus là ?


    A gauche, le 15 juin 1944, les bombardiers tentent de détruire le pont Wilson, l'église Saint Julien est touchée + récit. Au centre, le même jour au même endroit, photo prise d'un des avions. A droite, l'une des nombreuses destructions du bombardement du 20 mai 1944, rue de la Fuye dans un quartier situé entre les gares ferroviaires de Tours et Saint Pierre des Corps.
    Tours sous les bombes, le funeste 20 mai 1944 : 143 morts, 276 maisons totalement détruites, 1000 partiellement atteintes ce jour-là. Les bombardements alliés, anglais et américains autour des voies et ateliers du chemin de fer ont été dévastateurs (impact vu du ciel, en haut à gauche la zone incendiée en 1940), avec un ciblage approximatif atteignant la population civile. Sur toute la guerre, de 1940 à 1944, le bilan est de 456 morts et plus de 700 blessés, dont 389 morts et environ 500 blessés par les bombardements alliés (détail). Sur Tours, durant cette guerre, les Anglais et les Américains ont donc tué davantage que les Allemands, c'est une réalité trop ignorée. D'autres villes payèrent un tribu encore plus lourd, en particulier Le Havre et Dresde. Trop souvent, la population civile durant ce conflit mondial ne fut qu'une variable d'ajustement, victime de dégâts collatéraux. Ces photos, récits, tableaux proviennent du remarquable livre de Jonathan Largeaud "Se souvenir de Tours sous les bombes, publié par Geste Editions en 2010, photos Jean Chauvin. + carte de Tours et ses destructions en 1945 [Bernard Chevalier, "Histoire de Tours" 1985] + carte des zones sinistrées [d'après archives municipales]. Et Martin, le protecteur de la cité, dans tout cela ? Hum... En de telles périodes, cela peut toujours être pire...


    En centre-ville, l'attente de la reconstruction A gauche, dessin du portfolio de Ferdinand Dubreuil ["Tours 1940", Arrault 1941] montrant les ruines de l'incendie de 1940. En 1944, les lieux ont été déblayés, surtout pour les rues, ils sont désertés dans l'attente d'un programme de reconstruction qui ne débutera qu'en 1947. + deux vues aériennes avant la reconstruction [Archives municipales] : 1 1946 1 1948 (la basilique est en bas à gauche). + photo de la reconstruction du centre-ville incendié en 1949 [Archives municipales] + vue aérienne de Roger Henrard, 1949 (les Halles en premier plan, la tour Charlemagne en reconstruction, à droite le Tours incendié rasé, non encore reconstruit) + plan de datation des chantiers de reconstruction, de 1947 à 1962 par Myriam Guérid.
    Le massacre de Maillé En Touraine, le bilan a un autre profil que celui de Tours, avec, durant les premières années du conflit, le passage de la ligne de démarcation, et, les dernières années, des combats entre résistants et forces d'occupation. Le fait le plus marquant est l'assassinat massif de la population, 124 personnes, du village de Maillé, le 25 août 1944, par des soldats allemands (SS) en fuite avec l'appui des forces d'occupation locales. C'était dans une campagne calme. Des habitants de Tours s'y étaient réfugiés pour fuir les traumatisantes et dangereuses attaques des bombardiers. C'est le cas de Suzanne, prise sur la photo du milieu avec son fils aîné en 1938 lors d'un mariage familial. Elle habitait Tours dans le quartier de Beaujardin, elle a été enterrée dans la fosse commune de Maillé (photo de droite) avec ses trois enfants, Marcel, Yolande et Jacques, âgés de 7 ans, 5 ans et 1 an. Le père ce jour-là rejoignait sa famille, un soldat allemand l'a empêché d'aller dans le village, lui sauvant la vie. D'autres soldats ont, semble-t-il, fait semblant de ne pas voir femme et enfants cachés dans une pièce, Suzanne n'a pas eu cette chance... + article de "La Rotative" 2020.
    N'oublions pas aussi, les victimes indirectes de cette guerre, comme le propriétaire du château de Beaujardin à Tours, qui s'est suicidé quelques années plus tard (récit illustré de Jonathan Largeaud). Liens : 1 2 3.


    Ex-voto des maréchaux Juin, Leclerc et De Lattre de Tassigny [crypte de la basilique, photos de cette page du Semur 2015]

    Le temps de la reconstruction. Après ces bombardements alliés et ce massacre de Maillé, les Allemands fuient, la Touraine est libérée par le nord, la ville de Tours le 1er septembre 1944. Arrive alors le temps de la reconstruction, difficile et longue à appréhender au milieu des difficultés économiques et financières. De beaux projets furent envisagés, mais il y avait urgence à reloger et les finances n'étaient pas bonnes... Il a fallu choisir et ce fut pour reconstruire au plus vite, souvent au détriment du patrimoine culturel de la ville. C'est ainsi que l'on n'a presque rien sauvé de l'ancienne Martinopole / Châteauneuf.


    Trois projets de reconstruction. A gauche le projet Coupel pour les remparts de Châteauneuf [Ta&m 2007], au centre le projet Dorian pour le déplacement de la gare ferroviaire [livre Laloux 2016], à droite le projet Patout pour le Haut de la rue Nationale. Seul ce dernier a été réalisé, en grande partie, les deux autres n'ont pas eu un début de réalisation. + plan 1946 des zones à reconstruire [PSMV Tours 2013].
    Le projet Coupel des remparts de Châteauneuf. Pierre Coupel, en 1948, voulait remettre à l'honneur le Châteauneuf d'antan, en introduisant des jardins au coeur de la cité de Martin et en s'appuyant sur les restes des remparts, par exemple ce vestige qui fut rasé. + texte de Bérangère Fourquiaux, 2013 (lien]. + plan de la partie Est de l'enceinte qui aurait pu être reconstituée + article de Jean-Luc Porhel dans Ta&m 2007
    Le projet Dorian de déplacement de la gare. Après guerre, il y avait eu aussi le projet de Jean Dorian en 1946 de déplacer la gare vers le sud, au carrefour de la Rotonde. Cela aurait permis de réaménager en centre-ville une vaste surface occupée par les voies et ateliers de chemin de fer... + autre vue du même projet (lien).
    Le projet Patout du Haut de la rue Nationale. En 1952, l'architecte Pierre Patout voulait une entrée de "ville-jardin". Le projet fut réalisé ave vun élargissement de la rue nationale se réduisant progressivement vers la partie intacte plus étroite. Mais l'aspect jardin fut trop légèrement réalisé, avec notamment une place importante pour les parkings et , avec, un palais des congrès, bâtiment symétrique de la bibliothèque municipale, ne fut pas réalisé. + autre vue du projet, en lien avec la nouvelle bibliothèque municipale [PSMV Tours 2013].
    2020, le Haut de la rue Nationale dénaturé. Malgré une forte désapprobation populaire lors des enquêtes publiques, la ville a confié au bétonneur Eiffage la construction en 2020 d'hôtels de luxe en forme de cubes (photo mai 2020, prise de l'île Simon) sous le nom marketing de "Porte de Loire". C'est en contradiction avec le projet Patout (page du site Zone Franche) et avec la charte UNESCO, pourtant signée en 2002 par la ville de Tours (page du site Aquavit). + deux vues aériennes : 1 1955 1 2015 L'avant-guerre était plus verte (carte postale), Tours n'est plus la "capitale du jardin de la France"... + Compléments sur la page voisine titrée "L'arbre à Tours à travers les siècles, de 1600 à 2000 ".
    Le génial projet de Victor Laloux en 1919. Cette double page du livre d'Hervé Chirault et Aude Lévrier 2019 "Guide secret de Tours" nous révèle que l'architecte de la basilique avait proposé à la municipalité tourangelle de réunir l'esplanade de la gare à la Préfecture en un jardin de 300 mètres de long, imaginez... et si après le projet Dorian avait prolongé une large allée verte jusqu'à la Rotonde... Il y a eu d'autres demandes pour rendre public le jardin privé de la Préfecture (voir page voisine), toutes enterrées...
    1978, un référendum local pour reconstruire le pont de pierre effondré. Le pont Wilson de pierre avait perdu une arche en 1940, détruite par les troupes françaises et trois arches en 1944 (photo), détruites par l'armée allemande. En 1978, suite notamment à une forte sécheresse, il s'est brusquement effondré, sans faire de victime, perdant six arches (photo, article Fasc. NR 2011). Il aurait été démoli et reconstruit en acier ou en béton si les Tourangeaux, dans un référendum local, n'avaient préféré le restaurer et faire en sorte qu'il reste pont de pierre (photo 1979 de la reconstruction). Ce référendum est unique dans l'histoire tourangelle et c'est bien dommage, cat il s'est fort bien déroulé, sur des bases saines présentant quatre options bien différentes : le vote avec les quatre projets et le projet choisi, le moins onéreux et le plus respectueux du patrimoine ["Le pont de Tours CLD et La NR 1979].
    2003-2020, une démocratie participative reléguée en mode marginal. Depuis ce vote de 1978, une "démocratie participative" a été instituée en 2003 avec la création des "Conseils de la Vie Locale" (CVL) que la municipalité de Tours, crispée sur ses prérogatives et rétive aux demandes citoyennes, a détourné de ses buts (voir page voisine). Un exemple navrant est la difficulté de construire des passerelles cyclables, 10 ans pour la passerelle Fournier, cf. page voisine, plus de 25 ans pour celle de St Cosme et on attend encore malgré l'inscription dans le Plan de Déplacement Urbain 2013, cf. page Aquavit. En 2018, les CVL ont été remplacés par des "comités de quartier" qui vivotent sur des projets annexes. A Tours, il y a deux mondes distincts, celui des décideurs et celui des citoyens... Dans la ville de celui qui prônait avec humilité le partage, le pouvoir ne se partage pas derrière de hautaines dénégations. + dépliant CVL 2010 en deux pages : 1 2.



  50. XXIème siècle et perpète, l'hommage répété à Martin


    Une ville devenue trop minérale entre deux cours d'eau. A gauche, au sud des quartiers historiques, le quartier des Rives du Cher créé, après remblaiement, dans les années 1970 [livret municipal de 1978]. Sur la rive droite, la ville apparaît très minérale et l'autotoute A10 en bas est un couloir de pollution. Au centre vue aérienne de Tours extraite de la plaquette municipale "Parcours Tours" 2018 (+ dépliant 2016 "laissez-vous conter Tours"). Sur cette vue, On voit, que, en haut à droite, la ville de Saint Cyr sur Loire est très verte, de même que, en bas à droite, les jardins et cabanons agrandis inondables de la grande île Aucard (fausse île à ne pas confondre avec l'île Aucard voisine). Sur la rive gauche, la verdure est très peu présente dans le centre-ville. Presque tout est minéral entre Loire et Cher, sauf principalement les boulevards du grand mail et les jardins historiques du XIXème siècle. A droite, Tours Nord [livret 1978] s'est construit en zone pavillonnaire dans les dernières années du XXème siècle (+ vue aérienne 1970, Archives minicipales) et est victime des appétits des promoteurs au XXIème siècle. Là minéralisation s'étend... (+ comparaison 1950-2017, Tours PLU 2019) On pourrait pourtant densifier en préservant des zones fortement végétalisées. Heureusement les trames bleues et vertes de la Loire et du Cher sont là, comme des poumons de respiration...
    Barres HLM et zones pavillonnaires, de la ville à la métropole du XXIème siècle. Comme il a déjà été présenté ci-avant, Tours a connu après-guerre un développement géographique et démographique important, comme cela s'est fait généralement en Europe, sous l'impulsion de ce qu'on a appelé baby-boom et trente glorieuses. Des quartiers d'immeubles d'Habitation à Loyer Modéré (HLM) se sont développés près du centre, au Sanitas, et au sud, aux Rives du Cher, à Montjoyeux, aux Fontaines, et autour de l'an 2000 les Deux Lions, alors que des zones pavillonaires se sont implantées à Tours Nord et sur toute la banlieue, l'ensemble devenant en 2017 l'une des 22 métropoles de France. Elle s'appelle Tours Métropole Val de Loire, et rassemble 22 communes dont les plus peuplées après Tours sont Joué lès Tours et Saint Pierre des Corps. En 2017, Tours compte 135.000 habitants, la métropole en a 300.000 environ. + carte postale du Sanitas des années 1960 + deux photos du livre "Tours mémoires d'une ville" 2013 (éd. Alan Sutton) sur le quartier des Rives du Cher : 1 en construction 1967 (et non 1964 comme indiqué) 2 en état neuf vers 1972, avant la création des espaces verts. + photo du quartier des Fontaines, au sud du Cher [livret 1978].

    Martin, un message toujours contemporain. Dans la quatrième basilique, désormais plus que centenaire, témoin avec ses trois prédécesseures de multiples catastrophes surmontées, face à l'arrivée de nouvelles calamités, un tombeau et un fronton appellent à la perpétuité du message. Dans l'éditorial du hors-série 2015 du Mag. Touraine, Philippe Hadef met l'accent sur l'inspiration à tirer du parcours de Martin. Bel edito, mais une fois de plus on est dans l'hagiographie, on oublie certains traits du personnage... Les énoncer, le rendant moins saint et plus humain, les transposer aussi, n'apporte-t-il pas plus de relief à ces leçons à tirer ? Bruno Judic énoncé l'essentiel en 2018 (lien) : "Le geste du soldat montre que si l’on veut obtenir la paix, le partage est nécessaire. Voilà le grand message des chemins de saint Martin. Pour que notre planète survive, il faut partager les ressources essentielles : l’eau, la terre, l’air, la nourriture..."


    Martin veille-t-il à perpète sur la ville de Tours ? Vues du haut et du bas de la tour Charlemagne + trois autres photos de novembre / décembre 2019 : 1 2 3 + vue du ciel (lien). + photo de la façade illuminée à la fin du XXème siècle [Lorincz 2001] + photo du feu d'artifice du 10 novembre 2016 (lien). + scène du spectacle du Puy du Fou 2020 (lien). Rappel : Martin dans le spectacle son et lumière de la cathédrale de Tours au premier chapitre, ci-avant.

    L'avénement d'un Martin laïc et européen ? En 2006 / 2008, sous l'impulsion d'un Centre Culturel Européen Saint Martin de Tours, basé à Tours, présidé par Bruno Judic et animé par Antoine Selosse, la notion de "partage citoyen" remplaçant celle plus religieuse de "charité", a été promue au niveau européen (notamment par un lien entre les villes martiniennes, carte). Il n'y a pas eu de suite vraiment marquante jusqu'à présent, mais des bases on été posées, une volonté de promotion laïque et européenne subsiste au fil des ans, qui connaîtra peut-être un nouvel essor dans les années à venir. Plutôt que de marcher vers Compostelle pour un saint Jacques fictif sans épaisseur humaine, na vaut-il pas mieux visiter les sites martiniens d'un homme historiquement vrai et important dont on connaît les faiblesses et les forces ? Bien que profondément religieux, il avait défendu la laïcité dans l'affaire priscillienne et ses successeurs à l'évêché de Tours avaient su pactiser avec les Francs, permettant d'adoucir une époque très rude. Et toutes ces traces perpétuant au fil des siècles le nom de Martin, les généalogies européennes sont emplies de lieux, de patronymes, de prénoms martiniens, pour cela il est unique... Pour en savoir plus sur cette initiative soutenue par la communauté européenne, on lira des numéros de la "Lettre martinienne" mentionnés ci-dessous, particulièrement les 2006-1 (article), 2007-2 en entier (préface de Jacques Fontaine), 2007-3, 2008-5 (lancement d'un prix annuel du partage citoyen, article, remise des prix en 2019, La NR). Et l'article de présentation du Semur 2015.

    Les chemins culturels de saint Martin ont été créés et animés par le Centre culturel européen Martin de Tours (site), relançant une nouvelle forme de pélerinage, dans un cadre moins religieux. A gauche, le chemin de l'été de la Saint Martin, randonnée entre Tours et Chinon en 2016 (lien). Au centre, sur la Toile en 2019, cette carte montre les quatre grands chemins de pèlerinage, Utrecht, Worms, Szombathely et Saragosse, avec aussi les grandes dates de la vie du saint et les lieux où il a vécu [blog "Le chemin d'Utrecht", d'où est extraite cette carte, aussi blog du chemin de Szombathely (lieu de naissance de Martin)]. A droite le trajet Tours - Poitiers (lien). On pourra aussi consulter, sur le site du journal "Le pèlerin", la page "Découvrir le pèlerinage à saint Martin" ou le livret de 88 pages du Conseil Général d'Indre et Loire 1997 sur le trajet Tours - Vendôme. Il existe aussi un "chemin de l'évêque de Tours", de Ligugé à Tours et Candes (lien). + page du Semur 2015 présentant le chemin de Vendôme à Tours. + document "Le réseau européen des centres culturels Saint Martin". + lien photo de droite.
    La lettre martinienne (LM 20**) est difficile à trouver, absente de façon incompréhensible du site du Centre culturel. Voici les numéros disponibles : LM 2004-2 LM 2004-3 LM 2005-3 LM 2006-1 LM 2006-2 LM 2006-3 LM 2007-1 LM 2007-2 LM 2007-3 LM 2007-4 LM 2008-1 LM 2008-2 LM 2008-3 LM 2008-4 LM 2008-5 LM 2009-1 LM 2010-2 2017-1 2017-2 2018 2019.


    1) Couverture de la "Lettre martinienne" n° 2007-2 spécial "Partage citoyen" 2) La communauté des soeurs Bénédictines du Sacré Coeur de Montmartre qui, depuis 2000, gère la basilique, notamment l'accueil du public et des pèlerins. (article 2015 La NR). 3) Ensuite le logo du site officiel de la basilique, régulièrement mis à jour, donne tous les renseignements pratiques d'accès et de logement ("la maison de saint Ambroise", 25 lits, un réfectoire pour 110 repas, des salles de conférence, accompagnements divers). 4) A droite, dessin accompagnant "la ligne Saint Martin", chaîne de veille, d'écoute et de solidarité. Les visiteurs peuvent acquérir dans la basilique un livre ou un objet sur Martin. Le site "Patrimoine mondial Saint Martin de Tours" (saint-martindetours.com) traite du "patrimoine martinien" et des "chemins de Saint Martin". + un dossier paroissial sur Martin et un document de 24 pages de Bernard Wagner sur l'église de Sarralbe en Moselle et la vie de Martin. + page sur facebook. + à titre d'exemple, une page illustrée d'un sympathique pélerinage à Tours, par des habitants de Villepreux les Clayes dans les Yvelines.

    1996, 2007, 2016 : trois papes honorent Martin. Pour célébrer le 1700ème anniversaire de la mort du saint, avant que Jean Honoré archevêque de Tours rende en 1997 à son prédécesseur l'hommage d'une prière enluminée [Semur 2015], le pape Jean-Paul II s'est recueilli devant le tombeau le 21 septembre 1996 (lien vidéo). En visite à Tours durant trois jours, il a notamment affirmé que "Une société est jugée au regard qu'elle porte sur les blessés de la vie et à l'attitude qu'elle adopte à leur égard" (+ page du Semur 2015, en un chapitre titré "La flamme du souvenir ravivée en Europe"). Cette visite engendra toutefois une forte polémique. Dans son dossier de huit pages, le Mag. Touraine n°61, en rond compte dans une page titrée "Les antipapistes dans la rue". Et un encadré fait un bilan de l'impact de la religion catholique sur le diocèse de Tours en 1995-1996. En 2007, le pape Benoît XVI a pris Martin pour exemple : "Que saint Martin nous aide à comprendre que ce n'est qu'à travers le partage que l'on peut répondre au grand défi de notre temps : celui de construire un monde de paix et de justice, dans lequel tout homme puisse vivre dignement." (lien). En 2016, le pape François a reçu la communauté Saint-Martin. Il a aussi publié une médaille à l'effigie de Martin, qu'il offre aux chefs d'état.


    Septembre 1996. Images réalisées par les deux grands photographes de La NR [Mag. Touraine n°61]. A gauche, passage de la papamobile rue des Halles, devant la tour Charlemagne [Pierre Fitou]. A droite, rassemblement géant sur l'aérodrome [Gérard Proust].


    Sept. 1996 : Jean-Paul II devant le tombeau de Martin Janvier 2016 : la communauté Saint Martin rencontre le pape François au Vatican (lien).

    Le christianisme de Martin au XXIème siècle. Sur l'élan de sa création en 1976 à Gênes (Italie), la "Communauté Saint-Martin" marque un renouveau du culte catholique de Martin sanctifié à travers l'Europe. Son siège, d'abord à Candé sur Beuvron (près de Blois), est actuellement situé dans l'abbaye Notre-Dame d'Evron, réunissant en 2019 sept formateurs et une centaine de séminaristes. + lien Wikipédia + le site de la communauté + page du Semur 2015.

    Fête Martin et Tourangeaux : une incompréhension. Autour du 11 novembre 2016, la mairie de Tours a fêté le 1700ème anniversaire de la naissance de Martin sans rencontrer le succès populaire espéré et en provoquant des réactions très critiques. Ainsi, le 10 novembre 2016, le site "La Rotative" a publié un article de Joséphine Kalache, titré "Ce que les fêtes de la Saint Martin nous disent du management municipal", illustré par Ségolène M., dénonçant une opération marketing de comunication. Le dessin ci-contre à droite met en perspective l'apparat des fêtes subventionnées et la détresse des sans-abris que la municipalité n'aide guère (cf. autre article)... En conclusion : "une pensée émue pour Martinus, le petit Hongrois sympa qui n’avait pas prévu de finir en porte-clef". Le point de vue municipal est publié, notamment, dans un article de La NR d'avril 2015.

    2016, un 1700ème anniversaire de Martin avec controverse. Cet anniversaire de la naissance de Martin a bizarrement été précédé de la dépose en 2014 de la statue qui surplombe le dôme de sa basilique. Elle menaçait de tomber [article "Ouest-France" et article "La République du Centre" de février 2014] et après des travaux financièrement importants, surtout pour le dôme (illustrations ci-dessus) elle est revenue pimpante en octobre 2016 juste avant l'anniversaire. Un portail de La NR rend compte des nombreuses manifestations qui ont eu lieu. Contrairement aux historiens qui, on l'a vu ci-avant, ont su dépasser le périmètre chrétien et ne pas seulement procéder par hagiographie, ces divers évènements ont souvent été perçus comme limités au domaine sacré. Du coup l'argent public qui fut insufflé semblait servir à des fins religieuses. Il fut pourtant utile pour le colloque des historiens, mais qui l'a su ? Même La NR, pourtant prolixe sur ces manifestations, n'y a pas consacré un article. Ignoré aussi dans le grandiloquent dossier de presse municipal. Un débat en conseil municipal s'est fait l'écho de ce reproche (article de La NR). Le site "La Rotative", publia une page titré "La nauséeuse parade tant esseulée", parlant de "budget démesuré pour un bide"... (+ autre article de ce site) Le site "37 degrés" publiait un article titré "L’Année Martinienne, un chemin pavé d’embûches". Extrait : "A trop vouloir rassembler autour de la figure de Martin de Tours, à force de trop distiller le label de l’Année Martinienne, la Mairie finit par brouiller les messages, conforte les clivages et passe à côté de ses objectifs en ne réussissant pas à rassembler au-delà des cercles de convaincus". (+ autre article). En laissant le volet religieux aux croyants, n'est-il pas possible pour des collectivités laïques de célébrer le volet historique d'un saint ? Cela se fait pour Jeanne d'Arc, il devrait en être de même pour Martin. La présente page ne prouve-t-elle pas qu'il y a vraiment matière ?


    2016, entretien de la nouvelle basilique Une première phase de travaux de restauration eut lieu en 2014-2016. Le dôme, qui était en brique, fut reconstruit en bois. La statue dominant le dôme réalisée par le sculpteur Jean-Baptiste Hugues fut enlevée, restaurée et replacée [illustrations issues du magazine municipal "Tours & moi" puis de flickr François Tomasi]. + deux articles de La NR sur les travaux du dôme : 1 (avant) 2 (après). A droite et sur cette photo, la statue de retour sur son dôme (lien).

       
    Le 17 février 2014, la statue de la basilique Saint Martin est descendue ["Tours secret", Hervé Cannet, édition NR 2015]. Le 15 octobre 2016, elle retourne sur son dôme. Martin et son successeur Bernard-Nicolas Aubertin, 137ème évêque / archevêque de Tours, semblent se saluer, se bénir l'un l'autre, dialoguer... [lien, montrant aussi le positionnement préalable du coffret de reliques dans le bras de la statue, cf. ci-avant). Puis parade Saint Martin organisée par le comité de quartier Sainte Radegonde (la reine martinienne devenue abbesse, cf. ci-avant) [lien, avec la reprise d'un article de la NR présentant aussi une parade dans les rues de Tours avec 15 délégations venues de 12 pays]. A droite, dans la commune Saint Martin des Prés (Côtes d'Armor), deux conférences et la remise à la paroisse d'une statue de Saint Martin [article du Courrier Indépendant du 9 novembre 2016]. + Sur Paris eut lieu une procession saint Martin le 21 mais 2016, affiche et reportage, lien.


    2016, la Hongrie a aussi fêté le 1700ème anniversaire, ici sur la ligne Budapest - Szombathely, lieu de naissance de Martin (lien).
    + photo d'un autobus illustré avec le partage du manteau, Utrecht 2018.

    2020, l'archevêque en appelle à Martin contre le coronavirus. Le 19 avril 2020, en plein confinement sanitaire, devant un auditoire restreint, s'inspirant de l'épidémie de choléra de 1849, l'archevêque Vincent Jordy a béni la ville de Tours et a demandé, par l'intermédiaire de Martin, "force et consolation" contre la pandémie de Covid-19. Le démon est à la mesure de Martin : "Vade retro Corona" (Léon Papin Dupont, qui a inspiré l'action épiscopale sur le choléra, est le propagateur de l'expression "Vade retro Satana", source Wikipédia). La présence du maire de Tours, en intermède électoral et ballottage défavorable, a provoqué quelques remous. La basilique est toutefois propriété de la Mairie... Alors que les autorités laïques ont trop souvent joué sur la peur au détriment des libertés, donner de l'espérance était bienvenu. On pouvait même regretter l'absence de la Préfète que la virtus de Martin aurait pu convaincre de fraternité et solidarité, par exemple, pour libérer les Tourangeaux de l'interdiction de se promener sur les bords de la Loire et du Cher... + quatre articles de La NR : 1 2 3 4. + L'idée municipale de transformer Marmoutier en "Futuripark" (présentation) et d'y faire un "escape game" (article La NR)...

    Tours et l'eau 6/6 : le retour du risque d'inondation entre Loire et Cher. Les pandémies sont revenues, les inondations reviendront, mieux vaut appliquer le précepte "Gouverner c'est prévenir". C'est sûrement plus efficace que prier saint Martin... Comme le rappellent Hervé Chirault et Aude Lévrier en une double-page [Guide secret de Tours et de ses environs", 2019], la digue du Canal est essentielle. Elle seule avait préservé en 1866 le centre de Tours des eaux et avait permis d'éviter le renouvellement de l'inondation de 1856. Sans cette digue, la catastrophe peut se reproduire et la carte 2008 des hauteurs d'eau alors atteintes est alarmante. Or, en catimini, les autorités préfectorales et municipales ont déclassé en 2015 cet ouvrage séparant les deux communes de Tours et Saint Pierre des Corps, protégeant la première des inondations par l'amont et la seconde des inondations par l'aval. Jusqu'en 2012, il était considéré comme essentiel et en bon état. L'association pour la qualité de la vie dans l'agglomération tourangelle, Aquavit, qui dénonce ce risque inconsidéré (dossier partie 1), a obtenu en 2018 du Tribunal administratif d'Orléans que la digue ne puisse pas être percée sans une nouvelle procédure, contrairement à la "mise en transparence" qui était planifiée à court terme en 2015. Mais que vaudront les leçons de l'Histoire face à l'irresponsabilité politique et à la pression du très puissant lobby immobilier ? La basilique Saint Martin ne doit pas être inondée, comme l'avait été en 1733 la précédente collégiale. + le point sur les risques d'inondation, en 2015, sur cette page du site de l'Aquavit.


    L'ancien canal, avec sa levée Ouest transformée en digue, est devenu autoroute A10 séparant Tours (à droite) de Saint Pierre des Corps. En 2013, une étude de dangers a désigné un point de faiblesse de la digue du canal sous la flèche rouge. Il y passerait le ruisseau enterré de l'archevêché, selon la base de données Carthage, erronée puisqu'il passe beaucoup plus au sud. Même avec cette erreur (et quelques autres), cette étude ne concluait pas qu'il fallait abandonner la digue, mais un atelier d'urbanisme parisien, sans compétence sécuritaire, en a extrait des informations pour prétendre que l'ouvrage serait fragile et dangereux (article de La NR 2015), ce qui a amené son déclassement en 2015... [le dossier partie 2 de l'Aquavit]. + deux cartes postales de crues : 1 (1907) 2 (1910). + page voisine "Idée géniale : une guinguette sous l'autoroute A10 !". Débuts en Tours et l'eau 1/6, 2/6, 3/6, 4/6, 5/6.


    Les mystères de la basilique est un téléfilm policier sorti le 14 avril 2018 sur FR3, hors-série n°14 de Meurtres à..., réalisé par François Guérin, sur fond de vol de relique, avec pour acteurs principaux Isabel Otero et Marwan Berreni (la bibliothèque municipale, toit vert en haut à droite de la première image, étant transformée en commissariat de police). + début du générique de fin. + court extrait vidéo du film "Jo" (1971) où Louis de Funès, par temps pluvieux, partage son rideau de douche à la manière de Martin partageant sa cape.

    En conclusion communale tourangelle, derrière une communication municipale performante visant à anesthésier les contradictions, derrière un personnel politique standardisé que la population sanctionne en vain (trois maires virés en six ans et le nouveau débute mal) pour manque d'écoute, soutien trop fort aux bétonnneurs, dépenses de haut standing (le tramway le plus cher de France au km dans les villes de sa catégorie, dénoncé par la chambre des comptes, cf page voisine et mon livre 2014 "Tours mégaloville", 258 pages, 40 Mo, et c'est reparti pour une 2ème ligne...) et rejet de la nature en ville (cf. mon livre 2012 "Tours et ses arbres qu'on ne laisse pas grandir", 230 pages, 34 Mo), derrière ce paysage fait d'artifices et éloigné des préoccupations citoyennes que l'on retrouve dans d'autres villes, je ne peux que reprendre ce qui a été égréné le long de cette page : regretter que la ville de Tours mette si peu en valeur son patrimoine. Un Marmoutier peu accessible, un château du Plessis à l'abandon, les terrasses de l'Archevêché interdites, le jardin de l'hôtel de Beaune en triste état, avec la fontaine de Beaune non réparée, le Haut de la rue Nationale enlaidi de tours-hôtels au mépris du classement Unesco. Aussi la fermeture de l'historial de Touraine, du musée Saint Martin, du musée du gemmail. Aussi l'abattage de probable de deux des quatre rangées de platanes du boulevard Béranger (cf. page de l'Aquavit), la place du Palais qui risque d'être bouleversée (cf. page voisine) sans référendum local (mais avec l'assentiment d'une enquête publique comme d'habitude arrangée). Et des demandes jamais écoutées, comme l'agrandissement du jardin public de la Préfecture (cf. page voisine), une signalétique pour la "Grand rue" moyen-âgeuse, la végétalisation de la place de la Préfecture etc. Un minimum a tout de même été maintenu, avec la continuation de la réhabilitation des quartiers anciens entamée dans les années 1960 et l'entretien de la plupart des édifices en place. Heureusement, à défaut de personnel politique performant, cette page montre que les archéologues, historiens et érudits ont été brillants, merci à eux !

    Un secteur sauvegardé, vraiment ? Le PSMV, Plan de Sauvagerde et de Mise en Valeur, créé en 1973, a permis de mettre en place les règles de gestion du secteur central sauvegardé. S'il fut d'une bonne efficacité les quarante premières années (et une dizaine d'années plus tôt, sous d'autres formes), la version 2013 a marqué de fortes dérives permettant de s'affranchir d'importantes protections passées, notamment en ne protégeant plus les arbres, ce qui a permis par exemple d'abattre les tilleuls du jardin François Ier en Haut de la rue Nationale. Plus de détails sur cette page voisine. De plus, les architectes des bâtiments de France sont de plus en plus arrangeants (l'un d'entre eux s'est même fait embaucher dans la métropole), le tribunal administratif d'Orléans est de plus en plus laxiste par rapport aux contraintes, ce qui permet la réalisations de chantiers contraires à plusieurs protections en vigueur, comme celui du Haut de la rue Nationale. Le dossier d'enquête publique du PSMV 2013 était accompagné d'une belle documentation (440 pages, 126 Mo) + documentation du Plan Local d'Urbanisme 2019 (267 pages, 56 Mo).

    Conclusion martinienne, en complément au "bilan historique nuancé" de Martin (voir ci-avant). Charles Lelong, en sa "Vie et culte de Saint Martin", écrit que la basilique de Laloux, «conçue dans un curieux style « romano-byzantin » a été louée par les uns, dénigrée par les autres". Ici elle est louée. Pour son curieux style. Pour sa beauté, mêlant simplicité, élégance et richesse décorative. Pour ses dimensions plus humaines et plus chaleureuses que celles d'une cathédrale, dans les limites desquelles Victor Laloux a tiré un parti admirable, notamment illustré par la lumière du jour diffuse autour du tombeau. Ensuite, et c'est l'objet premier de cette page, pour ce qui la rapproche de la basilique du Vème siècle bâtie par un Perpet qui a su agir pour la perpétuité d'un Martin emblématique... Comme si, par un raccourci temporel, les constructions romanes et gothiques n'ayant pas existé, on se rapprochait d'une époque lointaine, tout en bénéficiant des acquis du XIXème siècle. Dix-sept siècles parcourus depuis l'élection de Martin, une succession de malheurs affrontés puis surmontés. L'ermite populaire semble toujours montrer un chemin, celui du partage, et peu importe qu'il ne soit pas seulement celui de son Dieu. N'oublions pas ces Tourangeaux anonymes qui ont bouleversé l'ordre établi en le transformant en évêque et en chassant son successeur trop distant pour élire son contraire, un Armence qui essaye de satisfaire ses électeurs en rompant avec la politique précédente. Problématique toujours actuelle : comment changer le destin par une élection ou une révolte ou un symbole tel qu'une basilique ?


    Au XXIème siècle, Martin combat encore ses démons !? Dans sa basilique !? Paru en 2002 chez "La comédie illustrée", l'album collectif de bande dessinée "Chacun son Tours" comprend sept récits. Celui réalisé par Ullcer, titré "Le secret de Janus", en 8 pages, présente une étrange séquence (un miracle ?) dans la basilique Saint Martin. + trois planches : 1 2 3. Martin et l'humour ne seraient donc pas incompatibles. Le Romain soldat chrétien et le Gaulois français païen se sont-ils réconciliés en combattant leurs démons communs ?



    Abréviations. BmT : Bibliothèque municipale de Tours (site) ; BnF : Bibliothèque nationale de France (site) ; Mag. Touraine : Le magazine de la Touraine (site) ; MBAT : Musée des Beaux-Arts de Tours (site et page de ses dossiers de presse) ; La NR : La Nouvelle République (site) ; SAT : Société Archéologique de Touraine (site). Maric - Frisano 1994, Proust - Martin, Froissard 1996, Fagot, Mestrallet - d'Esme 1996, Brunor - Bar 2009, Nikto - Kline 1987, BD Utrecht 2016 : voir ci-avant. Guignolet 1984, Couillard - Tanter 1986, LTa&m 1845, LTh&m 1855, Oury - Pons 1977, Leveel 1994, Cossu-Delaunay 2020 : voir ci-avant. Semur 2015, Catalogue 2016, Maupoix 2018, Collectif 2019, Geneste 2018, Lorincz 2001, Verriere 2018, Fasc. NR 2012 : voir ci-avant. Lecoy 1881 : voir ci-avant, Ta&m 2007 : voir ci-avant.




    Annexe 1 Martin : les sous-chapitres de la vie de Martin par ordre alphabétique
    Agnès (sainte) Amboise Ambroise de Milan âne arianisme (hérésie) armée (entrée dans l') Arte (téléfilm) bagaudes baptème brigands (attaque des) Candes catéchumène (résurrection du) charité de Martin, d'Amiens... : voir partage charité de Tours et seconde charité : voir deuxième Christ (vision du) démons : 1 2 deuxieme charité disciples en Gaule disciples hors de Gaule enfance de Martin enterrement de Martin esclavage evangelisation évêque en majesté évêque (ordination) exorciste (ordination) globe (miracle du) gloire de Martin gouverneur de Tours Avitien Hilaire de Poitiers Julien (l'empereur) laïcité légendes sur Martin lépreux (baiser au) Ligugé livres sur Martin malades (guérison de) Marmoutier Maxime (l'empereur) messe de Martin miracles de Martin mort de Martin naissance de Martin oies oiseaux ordination à l'épiscopat ordination exorciste paganisme parents de Martin
    partage du manteau : tout le long de la page et plus particulièrement chapitre 2, tableaux de fin du moyen-âge et époque classique, tableaux du XIXème siècle tableaux divers miniatures fresques retables vitraux du XXème siècle vitraux en série et vitraux divers.
    patrimoine gaulois Paulin de Nole Pavie pin (miracle du) possédé (guérison d'un) préfet Arborius et sa fille nonne priscillien (affaire) reliques : 1/8 2/8 3/8 4/8 5/8 6/8 7/8. 8/8. repas avec l'empereur résurrections songe de Martin Sulpice Sévère Szombathely temples gaulois Tetradius et son esclave possédé Touraine (évangélisation) Tours (nomination et épiscopat) Trèves Valentinien (l'empereur) vierge Marie vin voyages de Martin
    Annexe 2 Martin : les supports de représentation de Martin par ordre alphabétique (* lien partiel)
    bandes dessinées* bannières bas et hauts reliefs* blasons broderies* céramiques clés de voûte églises couvertes de fresques enluminures : voir miniatures enseignes façades peintes et sculptées fresques isolées* fresques à scènes multiples frontons : voir tympans et façades gemmail images (pieuses, cartonnées...)* médaillons miniatures à scènes isolées* miniatures à scènes en série* monnaie (pièces de) : 1 2 3 monuments peints* mosaïques* musique Objets divers : 1 2 panneaux peints* pin's (épinglettes) reliquaires retables à scène isolée* retables à scènes en série* sceaux sculptures* statues* tableaux (évêque en majesté)* tapisseries* théâtre timbres tympans et frontons sculptés tympans et frontons peints vitraux en série* vitraux du XXème siècle vitraux divers*
    Annexe 3 Martin et Tours : les illustrations disséminées sur la page, par ordre d'apparition
    Miniatures de "Vie et miracles de saint Martin de Tours" vers 1110 [BmT, lien] : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11.
    Miniatures vers 1180 du sacramentaire de la basilique Saint-Martin [BmT, lien] : 1 2 3 4.
    Vitraux vers 1214 de la cathédrale de Bourges : 1 2 3 4 5 6 7 8 9.
    Vitraux XIIIème siècle de la cathédrale de Chartres : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13.
    Vitraux XIIIème siècle de la cathédrale de Tours (* : baie n° 204, sinon baies 4 et 8) : 1* 2* 3 4* 5 6 7* 8 9* 10 11 12 13 14 15.
    Fresques de Simone Martini dans la chapelle St Martin à Assise en Italie vers 1325 : 1 2 2 bis 2 tris 3 4 5 6 7
    Illustrations de Jean Fouquet vers 1460: 1 2 3 4 5 6 7 8.
    Vitraux de l'église de Saint Florentin (Yonne) vers 1525 : 1 2 3 4 5 6.
    Tours (et Marmoutier *) vu par William Turner vers 1830 : 1 2 3 4* 5 6 7
    Vitraux de l'atelier Olivier Durieux de Reims 1873 dans l'église de Wimy dans l'Aisne : 1 2 3 4 5 6.
    Illustrations Lecoy 1881 de Luc-Olivier Merson : 1 2 3 4 5 6 7 8.
    Tableaux 1897 de Félix Villé : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12.
    Gravures signées Lacoste Aîné [LTa&m 1845] : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
    Gravures signées Karl Girardet [LTh&m 1855] : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38
    Gravures d'Albert Robida 1892 : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19.
    Gravures de Georges Pons [Oury - Pons 1977] : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14.
    Vitraux vers 1900 de l'atelier Lobin dans la basilique : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33.. 34 35.
    Vitraux vers 1900 de l'atelier Lobin hors la basilique : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35. 36.
    Vitraux vers 1900 de l'atelier Lorin : 1 2 3 4 5 6 7 8.
    Fresques 1910 de Gebhard Fugel en l'église St Martin de Wangen im Allgäu en Allemagne : 1 2 3 4 5 6 7 8.
    Vitraux fin XIXème début XXème de l'atelier Fournier (& Clément *) : 1 2 3* 4 5* 6* 7 8 9 10 11 12 13* 14 15 16 17 18* 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28.
    Illustrations de Charles Picart le Doux 1941 : 1 2 3 4 5.
    Vues et plans de Tours : 100 150 150 150 400 450 600 800 950 1050 1100 1203 1150 1160 1360 1400 1420 1450 1500 1550 1561 1561 1562 1562 1572 1572 1619 1619 1625 1625 1630 1634 1657 1670 1673 1679 1680 1688 1690 1699 1700 1739 1750 1750 1750 1750 1753 1756 1760 1780 1785 1787 1795 1796 1797 1793-1828 1798-1828 1810 1818 1826 1826 1830 1833 1835 1838 1839 1839 1840 1841 1845 1847 1848 1850 1850 1850 1850 1855 1856 1860 1860 1870 1871 1871 1872 1872 1872 1872 1874 1875 1879 1880 1898 1900 1920 1930 1944 1944 1945 1946 1946 1948 1949 1964 1970 1976 2010 2010 2015 2017 2018 2019 2020.
    Annexe 4 Tours : les monuments de Tours et environs proches (hors la basilique) et quelques lieux
    amphithéâtre arc de triomphe de Louis XIV archevêché (palais de) auberge de la Croix blanche balcon de l'archevêché Beaumont (abbaye de) calvaire de la basilique cathédrale chapelle Saint Jean château de Tours (comtal puis royal) Cirque de la Touraine Clément (église St) cloitre Saint Martin Cormery (abbaye de) Cosme (prieuré de St) enceinte : voir remparts dans l'encadré ci-dessous Feuillants (couvent des) fontaine de Beaune gare ferroviaire version embarcadère gare ferroviaire actuelle grand rue et grand mail Haut de la rue Nationale historial de Touraine hôtel Gouin hôtel de Beaune hôtel de Jean Briçonnet hôtel de Tristan l'Hermite hôtel de ville XIXème siècle hôtel de ville actuel institution Saint Martin île Saint Jacques île Simon Julien (église St) lycée Descartes maison-tour Foubert et autres Marmoutier : 1/3 2/3 3/3 Mame (imprimerie, cité) Minimes (couvent des) musée des Beaux-Arts (actuel) musée du compagnonnage musée Saint Martin palais de justice Petit Saint Martin (chapelle du) Pierre le Puellier (église de St) pile de Cinq-Mars place du palais Plessis (château du) ponts de Tours (les deux premiers) pont d'Eudes pont de fil pont de pierre (Wilson) Pont Napoléon porte du trésorier rue Nationale Saturnin (église St) temple rond tour de l'horloge tour Charlemagne tour feu-Hugon
    Histoire de la ville de Tours : 1/7 2/7 3/7 4/7 5/7 6/7 7/7.        Tours et l'eau 1/6 2/6 3/6 4/6 5/6 6/6.
    Remparts de Tours : 1/5 2/5 3/5 4/5 5/5.        Commune de Tours : 1/5 2/5 3/5 4/5 5/5.
    Restitution 3D de la basilique d'Hervé : 1 2 3.        Tours capitale des arts autour de l'an 1500 1/2 2/2.
    Annexe 5 Tours et Touraine : les catastrophes et malheurs, en dehors des guerres
    famines François Ier (roi calamiteux) grand hyver guillotine inondations (les plus importantes) inondation de 1856 inquisition lépreux (peur des) Louis XIV (roi calamiteux) loups massacre de population pour cause de religion catholique massacre de population pour cause de révolution peste saccages pour cause de religion chrétienne saccages pour cause de religion protestante saccages pour cause de revolution sorcières (chasse aux) tremblement de terre de 1579
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    Alain Beyrand, Tours, décembre 2020 (alain (at) pressibus.org)
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